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Q^i'\^C c>'^.^--^
Le
Monde Mo d et ne
7" ANNKE
REPRODUCTION INTERDITE
des articles et des illuslralions.
DROITS D li T R A I) U i: T U> N B li S K R V L S
pour tous pays, y compris la Siirde et la Norvège.
Le
Monde Moderne
TOMH XIII
Janvier-Juin 1901
PAR IS
Albert QUANT IX, Éditeur
5, Rue Saint-Benoît, 5
LES TROIS HORACE
Le chev.ilier llurMce de L;i Valette !
étant mort fort jeune, après avoir dila-
pidé ses biens à la cour du Régent, ses
trois fds prirent du service dans l'armée
de M. de Xoailles, comme lieutenants.
Ces trois jeunes Imunnes cpie, dans a
société, on appelait du prénom de leur
père, les Horace, pour les distinguer de
la branche aînée des Lavalette, étaient
fort dissemblables de visage et de carac-
l.i:S TKOIS IIORACK
li-re. L'aillé. Kabien. était avant tout
fralaiit et impétueux. Très civil, el se
plaisant aux règles délicates de l'éli-
(juetle, il était recherché des femmes.
Personne mieux que lui ne savait tendre
le dra^'coir, ouvrir l'éventail, rendre un
lichii tombé, tou,< ces menus arlilices
d'une main fine (|ui sort avec avantafje
du flot de dentelles de l'habit de salon,
l'ji outre, il possédait une figure
agréable, et rien n'était plus séduisant
qne l'éclat de ses yeux noirs et de son
visage bistré, sous le frimas de ses che-
veux poudrés. L'uniforme lui seyait
tant, que la duchesse de Châleauroux
s'était écriée : « Quel est donc cet
homme si bien fait? » un jour qu'à
Melz elle le voyait passer dans sÎju ajus-
Icinenl brodé d'or, que l'épée négligente
rolevait au côté sur la culotte blanche.
Mais sa violence en campagne était
aussi terrible que sa grâce était aimable
en société, et il semblait alors n'être
fait que pour le carnage, le canon et le
sang ; bien peu semblable en cela à son
rrère cadet, qui n'était entré qu'à regret
dans les armes, et dont lé feu roulant
(le la bataille ne semblait jamais inter-
rompre l'éternelle rêverie. De haute
taille, émacié dans son habit fluet tout
flottant de dentelles, Etienne de La\a-
lette portail une profonde mélancolie
)usf|ue dans les camps. .A lencontre de
Fabien. (|ui ne vovait point une femme
(|ii'il n'en fût amoureux, lui n'avait ja-
mais aimé. Mais on disait de lui (pi'il
composait un long poème ])our célébrer
le règne de la Paix, et souvent dans les
batailles, (piaïul il menait ses gens aux
avanl-pnslcs. on le voyait négliger de
tirer son épée pour se défendre.
Le troisième. Hubert, était d'un na-
turel modéré et taciturne. Fort timide,
il fuyait les salons, se |)laisait à la soli-
tude et alfectail de mépriser la société.
« ("est un bon oflicier, disait le maré-
chal, f|ui était spirituel, mais à l'armée
sciileineiil . >i (domine il parlait peu, on
l'estimait d'ordinaire moins (|ue ses
deux aillés. .\ la vérité, il était, bien
qu'encore à l'adolescence, serviable, ré-
fléchi et fidèle ami ; mais ce sont là des
vertus de peu de poids dans les juge-
ments qu'on se forme des gens.
A Fontenoy, les trois messieurs de
Lavalette étaient présents. Fabien, vic-
time de sa folle intrépidité, eul sou che-
val tué sous lui et du! lonibaltre obscu-
rément à pied, comme un de ses gens
d'armes, lîtienne, toujours rêveur el
insouciant, dressé sur sa monture ca-
brée, demeura parmi la jdiiie des balles
anglaises, sans qu'une seule effleurât le
panache de son chapeau. Pour Hubert,
calme et observateur, il avait suivi froi-
dement la bataille; ce fut lui (pii tourna
ses hommes en panique vers l'assaut
linal. Il eut les deux jambes brisées, mais
il fut nommé colonel à vingt ans.
Les trois frères s'aimaient d'une pro-
fonde tendresse. Pour la convalescence
du jeune héros, ses deux aînés prirent
un congé dans le dessein de le passer à
Paris; mais ils s'arrêtèrent, en traver-
sant la Bourgogne, au château de la
douairière de Lavaletle, leur tante, pen-
sant que la salubrité de ce pays récon-
forterait mieux Hubert.
Ils arrivèrent à l'improviste. un soir
de septembre brumeux et mouillé. Il
faisait nuit à demi, et leur équipage
était si triste, du voyage qu'ils \enaienl
de faire, que la douairière ne les recon-
nut [)oiiil. Ils se nommèrenl. et aussitôt
elle leur fit fête; mais ils demeuraient
singulièrement gênés de leur mauvaise
entrée et du vilain état de leur ajusle-
ment. La douairière, en attendant le
souper, les fit asseoir autour de l'âlre.
dans la salle d'homicur; elle se montrait
surtout fort occupée d'Hubert, dont
elle avait appris la brillante conduite :
mais celui-ci, soit ipie sa timidité se fiit
accrue aux camps, soit que ces brumes
d'automne lourmeiitasseni ses blessures,
restait morose el se prêtait mal aux
compliments qu'on lui adressait.
Soudain, la porto s'ouvrit, et leur
cousine .\rmande c;iIim en jetant un cri
de surprise. l'^lle avait dix-se|it ans, el
l.i;S TliOlS IIOHACE
sou jeune corps, ii peine i'oriné, était
somptueusement vêtu d'une robe de
damas à paniers, af^rémentée de fleurs
vertes et de festons d'argent. Ses che-
veux blonds, relevés en rouleaux opu-
lents, étaient à peine voilés d'une pincée
de poudre; et d'une fj-aisc de mousse-
line sortait son cou, délicat et pur. A
son arrivée, les lumières de l'âlre firent
scintiller les givres de sa robe et rougi-
rent son visage fragile.
Les messieurs de Lavalelle sentirent
alors, tous trois ensemble, la médiocrité
de leur mise, et ils eussent donné cher
pour être en ce moment en poste sur
Paris; cependant, malgré leur mauvaise
humeur secrète , ils s'inclinèrenl db
bonne grâce et vinrent baisci' la main
de leur cousine, (^elle-ci, sans répondre,
leur sourit avec un charme qui tenait à
la fois de la femme et de l'enfant.
Quand elle souriait, sa bouche s'ouvrait
linement sur ses dents, petites et rondes,
et l'on découvrait mieux aussi, dans ses
prunelles grises, une étrangeté fie ses
yeux, une sorte d'ambigu'ité du regard
qui vous troublait comme un mystère.
.•\rmaiide de Lavalette n'avait jamais
été à la cour. La douairière I élevait au
château, comme dans un cloître ; elle
était fort instruite, connaissait les astres,
el, chaque semaine, un maître de la ville
\enait lui enseigner les lettres arabes.
Monseigneur de Dijon, son parrain, lui
avait en outre rendu la théologie fami-
lière, et il n'était presc[ue point d'exé-
gèse qu'elle ne connût. ^Liis, à mesure
que son esprit s'ornait de ces connais-
sances abstraites, une grâce plus insi-
nuante semblait sortir de son corps ; un
charme fatal que redoutait vaguement
sa mère, et qui ressemblait à l'attrait
mortel de certaines fleurs.
Klle regarda tour à tour ses trois cou-
sins et demanda lequel s'était tant illus-
tré à la dernière guerre. Hubert, alors,
détourna vivement la tète vers la flamme
du foyer, pendant que ses deux aînés
s'empressaient avec fierté de le dési-
gner. Mais, en même temps qu'elle le
félicitait, en termes na'ifs qui révélaient
la c;indeur de sou esprit, elle regardait
obstinément Etienne. c[ui faisait jouor
de la main les dentelles de son habit.
La douairière lit servir à ses neveux
un riche festin, et les combla d'amiliés;
mais rien ne pouvait dérider les trois
gentilshommes. Ils goûtèrent à peine
aux mets qu on leur servit, et, malgré
l'aimable simplicité de leur cousine, ils
évitaient de lui adresser la parole, de
sorte que le souper fut taciturne et qu il
fallut tout l'enjouement d'Armandc pour
qu'il ne fût pas détestable.
Le lendemain, à midi sonnant, le
chevalier Fabien de Lavalette n'était
pas encore sorti de son appartement. 11
ne voyageait jamais sans une petite
malle d'onguents, de liqueurs odorifé-
rantes, ces mille produits de l'Inde qui
faisaient alors fureur à Paris, et, depuis
le matin, son Valet n'était occupé qu'à
le frotter, l'enduire de parfums, teindre
ses ongles à l'essence de rose, blanchir
ses mains au " lait de lotus « et cent
autres pareilles cérémonies de raffine-
ment et de coquetterie. Quand il fut
ainsi lavé et parfumé, il renvoya le va-
let à l'oflice, se regarda vingt fois au
miroir, et demeura encore un long mo-
ment devant sa porte comme s'il n'osait
l'ouvrir. Quand il se décida à descendre,
il trouva Etienne au salon, devisant
avec .Armande. El, comme il s'informait
d'Hubert, on lui répondit que celui-ci,
souffrant de ses blessures, gardait le lit
pour cette journée. Il fit avec noncha-
lance quelques pas vers la porte qui
s'ouvrait sur le jardin.
Durant toute la nuit, il avait plu et
les feuilles mortes ou vertes étaient tom-
bées en abondance dans le parc, cou-
vrant les gazons et les allées. Mainte-
nant un pâle rayon de soleil filtrait à
travers les frondaisons éclaircies et glis-
sait sur les ondes agitées de la pièce
d'eau. Armande le rejoignit alors et de-
manda à ses cousins s'ils voulaient visi-
ter les allées. Ils y consentirent. De ce
moment, Fabien commença d'épier son
r.iis TiKiis II i> ISA ri-:
c;i(let, iiiixieux de
savoir s il alliiil se
rapprocher d'Armande el lui olFrir la
main. Pendant ce temps, la jeune lille
franchil les marches du perron ; elle
relevait à deux mains sa lourde robe de
hrocarf, ne posant à terre (pie du bout
(le sa panloulle. l.e> deux
gentilshommes prirent place
à ses cillés, et, comme elle
était fort occupée à ne point
mouiller les ourlets de sa
robe, ni 1 un ni l'autre ne
|iut solliciter d'être son cava-
lier. t]ontrc leur ordinaire,
Etienne de Lavaletle parlait
avec animation, se montrant
re et tout autre qu on ne
ivait vu jusqu'alors, tandis
que Fabien avait revêtu une
étrange tristesse. Le premier
observait avec enthousiasme
les beautés du parc; il s'était
aperçu r[ue 1 eau des bassins
semblait, à cette saison de
l'année, devenir
plus légère el plus
Huide, et il lit
remarquer avec
i|uelle pureté
celle-ci rellétait
les statues de
marbre. .Armande
i-aissait prendre un vif
plaisir à l'écouter; elle té-
moigna même le désir de se reposer sur
un banc d'où l'on voyait la façade du
château se mirerdans l'eau. Mais, comme
ce banc était encombré de feuilles jau-
nies, pendant (pie l'aliieii s'empressait à le
i.i:s Titois II DU A Cl-:
nettoyer, Ktienne coupa d'un petit ciseau
d'ai-frent les dentelles flottantes de son
ajustement, et en lit un coussin sur
lequel elle put prendre place sans olFen-
ser la fraîcheur do sa robe. Fabien ne
put retenir un soupir quand il vit le
sourire dont Armande le remerciait.
Etienne continua de parler des di-
verses émotions de la nature, selon les
saisons. 11 expliqua que dans, les jour-
nées étouH'anles de l'été, les eaux sont
ternes et comme alourdies :
— L'azur du ciel s'y résnut, disail-il,
en de noirs effluves, et le zéphir est
impuissant à rider leur surface. L'hiver,
elles ont le froid éclat d'un métal sin-
gulier et mobile, mais au printemps, et
quand expire la saison des lleurs, elles
s'embellissent d'une transparence nou-
velle, elles s'allègent et se clarifient
comme pour mieux se prêter aux jeux
mystérieux des .Xa'i'ades et des Ondines.
Le poète, assis près d.Armande, mon-
trait d'une main élégante les ondes s'a-
gitant mollement et sans bruit dans
leur vasque de pierre, et son beau front
s'illuminait comme celui d'un jeune
dieu. Fabien ne l'avait jamais vu tel
jusqu'alors, et il songeait avec amer-
tume de quel elïet serait ce divin attrait
de la poésie sur une personne d'un esprit
aussi élevé que leur cousine. l']n même
temps, un ravon de soleil, pâle et mé-
lancolique, vint effleurer le visage d'Ar-
mande, et ses prunelles étranges s'ani-
mèrent de ces lueurs vertes et chan-
geantes, qui sont le perfide attrait de
l'eau. Le malheureux chevalier sentit
alors son cicur transpercé d'une bles-
sure inguérissable, et il comprit que,
cette fois, il aimait jusqu à la mort.
Etienne ensuite parla de la guerre. 11
pensait que les armes ne seraient pas
éternellement aux mains des peuples,
et qu un âge viendrait où la paix uni-
verselle régnerait dans le genre humain.
.\u long de son discours, il tourna
di\'crses fois la tête vers son frère, s'é-
tonnant de son silence, car cette opinion
d'ordinaire échaulTail le beiliipieux
Fabien ; mais le chevalier semiilait ne
prêter aucune attention à ses paroles.
Tout à coup, f^n vit Ktieimc s'arrêter
et pâlir ; les deux frères se regardèrent
et se pénétrèrent 1 un l'antre, puis ils
penchèrent la tète en soupirant. De ce
moment, Etienne se tut, et le che\alier
n'osa point reprendre la parole.
En même temps, des nuages rapides
poussés par le vent d'automne voilèrent
le ciel, et la triste pluie des feuilles se
mit à tomber en silence, froissant seu-
lement au passage les jupes rigides
d'.Vrmande qu'elle effleurait. I.a jeuni'
lille frissonna; ses prunelles mouvanles
s'assombrirent et se tournèrent \ers
Etienne comme effrayées.
— Mes cousins, demanda-t-elle, n al-
lons-nous pas rentrer?
Etienne, auquel elle s'était adressée,
resta quelques inslanis junisif. [>uis,
regardant son l'rère. il rcpondil fine
Fabien 1 escorterait, cl que, pour lui, il
demeurerait encore afin do gnùter nn
peu plus la poésie de ce lien.
Son aîné le remercia d'un reganl |)k'in
de mélancolie ; mais, quand le poète,
seul et rêveur, les vit s'éloigner, il re-
marqua que le chevalier marchait aux
côtés d'.\rmande sans lui parler, et qii il
ne lui avait pas offert la main.
Durant laprès-dinée, la douairière lit
servir à ses neveu.x un certain calé f[ui
venait directement des Indes. Armande
n'en goûta point, mais ce fut elle qui
servit ses cousins. (.Juand elle versa le
breu^•age. le chevalier crut voir qu'elle
mettait plus de grâce et plus de sollici-
tude en emplissant la tasse d'Etienne;
mais la douairière ne le laissa point
suivre le cours de son inquiète rêverie.
Elle leur annonça gaiement qu'elle
les garderait de longs jours, et que,
ayant vu à l'écurie leurs chevaux four-
bus et tout défaits par le voyage, elle
avait dépêché à Dijon pour en faire
venir trois qui seraient plus convena-
bles aux fêtes qu'elle avait dessein de
leur offrir. En même temps, elle leur
vanta la Ixniuté de ses vignobles et de ses
LKS THolS IlOKACi:
chasses, leur décrivant avec art le pitto-
resque (lu pays, et causant avec celle
assurance que flonnent,aux personnes de
mérite Vii'^c mûr et l'expérience. Mais
les deux messieurs de Lavalette ne pou-
vaient s'empêcher d admirer le silence
modeste que };ardait Armande : car, si
remarquable qu'elle l'ùt par sa science
cl ses talents, la jeune lille fuyait tous
les discours qui eussent pu dévoiler les
richesses de son esprit.
Néanmoins, après le fjoûter, comme
le temps s'était attiédi, elle demanda à
Ktieune s'il lui plairait d'entendre quel-
ques airs de harpe. Etienne rouant légè-
rement et la remercia. .Mors, les laquais
portèrent l'instrument et des sièges sur
la terrasse du château, et Armande com-
mença de jouer. Ses mules étroites en
satin rose laissaient voir son pied d'en-
fant qui marquait la cadence, tandis
que, sous ses doigts, naissait la mélodie
nuageuse d'un menuet.
Le ciel s'était écluirci : un rellel du
soleil couchant dorait les cordes oii sa
petite main dessinait des arpèges si
frêles et si doux (|u'on eût dit que le
zéphir seul s'y jouât. .Au bas de la ter-
rasse, le bassin reflétait comme un mi-
roii- la blanche façade du château, de-
|]iiis sa base jusqu'aux colonnades du
laite, et dans ce tableau passait un
souflle de si subtile volupté que les deux
gentilshommes s'y abandonnèrent ; cha-
cun, oubliant un instant les devoirs sa-
crés de l'amitié fraternelle, se laissa
glisser facilement au plaisir d'aimer.
I/heure n'eut plus de mesure, les lieux
n'existaient plus, le passé et l'avcnii-
s'évanouissaient ; ils ne voyaient plus
(levant eux que la divine enfant.
Cependant le bruit clandestin d'une
l'eni'lro iju'on entrouvre les arracha
tout d'un coup à leur i\Tesse. Ils regar-
dèrent en haut, et tous deux ensemble
imaginèrent avoir aperçu, derrière les
rideaux abaissés, l'ombre de leur cadet.
De cet instant, leur attention |)arul
mêlée de soins étrangers : la réalité
send)la les leprondre et, coninie s'ils
eussent eu conscience de s'être un mo-
ment mutuellement trahis, leurs yeux
commencèrent à se fuir, et chacun se
replia douloureusement sur soi-même,
dans un profond souci.
Puis, soudain, Armande ayant senti
sur ses épaules à demi nues la fraîcheur
du crépuscule, elle se leva en souriant,
et les deux messieurs de Lavalette la
suivirent. La douairière lit apporter les
flambeaux au salon d'honneur, et les
I flammes s'allumèrent dans l'âtre. La
veillée commençait, et rien ne pourrait
dii-e quel attrait singulier mettait, dans
celte salle som])tneuse aux meubles dé-
licats, la présence d.\rmande. l'aile allait
et venait, sa ])anloutle sémillant glisseï'
à terre, et les glaces des ti-nnieaux, dont
l'or |)àle s'allumait aux lueurs du fo^-er,
reflétaient au passage sa silhouette lé-
gère. Les festons d'argent de sa robe
se constellaient de brillants, et le poé-
tique Etienne voulait y voir des goutte-
lettes ruisselantes, car il ne pouvait
séparer de la vue de sa cousine l'image
d'iuie de ces ( tndincs dont son caprice
peuplait l'ombre des eaux. Le chevalier,
au contraire, admirait en silence sa
gaieté mutine d'enfant, qui se mêlait si
étrangement à la langueur de la jeune
fille ; car il en est ainsi quand nous ai-
mons, et c'est de nos pro|)rcs goûts (|uè
nous ornons l'être choisi.
Pourtant, loin de goûter i)leinemenl
la douceur de cette heure incomjiarable,
on aurait cru que les deux gentils-
hommes cherchassent à en fuir le charme
mortel. Le remords d'avoir cédé tout à
l'heure à un amour si ca])able d'oll'cnser
leur amitié récipro(pie les aiguillonnait
sourdement ; ils ne |)ensaient plus (|u"au
moyen d'éviter l'irrésistiblo sortilège
qui déjà les reprenait et les retenait en
dépit deux-mêmes près d'.Vrmandc.
Pendant que l''abien s'accordait de mi-
nute en minute quelque nouveau délai,
ICtienne, plus généi'eux, s'arracha le
premier à la douce intimité de ce lieu.
Il pril prétexte, pour quitter les deux
dames, d'aller s'informer d'Hubert, se
I.i:s TliniS linii \CK
résignant ainsi à voir le chevalier de-
meurer seul près de sa cousine ; mais
celui-ci, stimulé par un si touchant sa-
crifice, n'en voulut point profiter et
déclara qu'il accompag:nait son frère.
L appartement qu occupait Hubert se
trouvait à 1 extrémité du château, et il
fallait un loni; moment pour s y rendre;
mais, pendant le trajet, les deux frères
marchèrent silencieusement cote à cote.
sans qu'une parole tombât de leurs
lèvres ; on aurait même dit que la seule
présence de l'un olfusquàt l'autre.
Quand ils entrèrent, ils trouvèrent
Hubert, non point au lit, mais debout
e( paré de son plus bel ajustement. Mal-
^'ré sa grande jeunesse, il avait dans le
visage une certaine fermeté qui s'ac-
commodait bien avec le faste sévère de
son habit de colonel, tout orné de ga-
I.KS Tito 1 S HiiHAC.K
Ions dor et de broderies en lil de métal.
Il portail l'épée fière, et son pied cam-
bré dans le soulier à boucle semblait
riéfier tout souvenir de ses horribles
blessures. V.n outre, sans qu'il le sût, sa
jeune gloire {environnait sans cesse, et
il n'était point un de ses f;estes qui
ri'emprunt;'il à sa valeur désormais cé-
lèbre une sorte d'éclat. Quand il appa-
rut ainsi à ses deux aines, ceux-ci
crurent voir la déesse des armées se
|)enchant sur son front pour 1 illuminer
dune beauté inconnue.
— Hubert, lui dit le chevalier, avez-
\ous été vraiment fort incommodé au-
jourd'hui ?
Le jeune homme secoua tristement la
tête : il prit une place qui semblait avoir
été celle de toute sa journée [irès d'un
(' bonheur du jour " encombré de livres
feuilletés et épars.
— Mon frère, répnndit-il, xdus vou>-
êtes mépris sui' in:i (liuilcur. cl le mal
que j'endure n'r;-! |ii)iiil celui que mim>
croyez.
Les deux messieurs de I.a\alelle se
rej^ardèreut avec une anxiété nouvelle.
Aucun malaise, eu elTel, ne se révélait
en lui. Henvcrsé sur un fauteuil fraîjile
aux formes eflilées, l'épcc posant négli-
j^emment sur ses jambes croisées, il
avait le rej,'ar-d ardent sous les rouleaux
poudrés de ses cheveux, et ses mains
se crispaient l'une dans l'antre.
— Je n'entends point ce que \ ous
voulez dii-e. Ilubcrl, objecta le cheva-
lier ; avez-\ons au moins bien dornii l,i
dernière nuit ?
— Hélas 1 murmura le jeune héros ;
je ne connaissais que jiar ou'i-dire mon
nouveau tourment ; je sais maintenant
(|u'il est de ceux par qui le sommeil
est vaincu. Sachez-le donc, mes frères,
j'aime !
Les deux f^enlilshumnies fri''niirent à
ce nouveau coup. Ktienne, pâle et fflacé,
se détourna, pour cacher l'altération de
ses traits, vers la fenêtre d'où l'on
voyait la nuit descendre sur le pai'c.
l'abicn demeura atterré et sans voix.
Alors, à la faveur du silence qu'ils
gardaient, le jeune soldat, ivre de son
premier amour, se mil à parler d'Ar-
mande et de sa beauté. Il ne l'avait vue
qu'à peine, n'ayant pas osé lever les
yeux sur sou divin visage: mais une
seule minute avait suffi pour inq)rimer
a jamais ses traits en lui, et il sentait
toujours dans le fond de son ànie l'éclat
d'étoiles de ses pâles prunelles. Kl tel
était le prestige de cette enfanl, qu'il
défaillait à la seule pensée de la revoir.
• — Je n'ai rien pour plaire, ajoutait-il
tristement. (Comment oserais-je ])araitre
devant elle ?
— \'ous vous trompez, mon frère, dit
enfin Etienne d'une voix tremblante. |c
ne parle pas rie ces vulgaires avantages
corporels qui ne sont point pour flatter
une personne telle que notre cousine;
mais, en outre d'un extérieur agréable,
vous possédez encore le seul attrait ca-
pable de fléchir un si noble cu-ur : c'est
votre gloire que je veux dire.
Le visage d'Hubert s'éclaira.
— Croyez-vous iloiic que je ne lui aie
point déplu .' demanda-t-il à ses frères.
— I']lle a trop de grandeur pour
qu un gentilhomme tel que vous lui dé-
plaise, repartit encore Etienne en affer-
missant sa voix.
Mais I''abien ne relrouv.iit point la
force de prononcer un mol. Il était de
ceux que de tels déplaisirs abattent, et
ilatimirait en silence la fernieléd l'^tieinie.
" Quelle fortune contraire, ne pon-
vail-il s cni|)êcher de songer, cl pour-
cpioi a-l-il fallu que les trois premiers
amants tie celle incomparable .Armandc
fussent trois frères aussi tendi-emcnl
unis que nous le sommes! tjuel est donc
le céleste pouvoir de son regard et de
tout son être pour qu'on ne la puisse
\oir sans l'aimer! "
Cependant la chiche du souper sonna,
et Hubert, réconforté par les paroles de
son frère, prit enfin le parti de revoir
sa cousine ; comme il remarquait l'é-
trange pâleur du chevalier, ainsi que
son humeur morose, il lui prit amicale-
TROIS lIOltAC. K
ment le bras et lui (leni.'inda s'il n'était
poiut fâché qu'il eût conçu un si j^rand
amour sans le consulter. Fabien lui
répondit que non, mais dune façon si
singulière que le jeune homme sentit
se mêler à sa joie une lég^ère inquiétude
dont il ne débrouillait pas la cause.
Les tendres louanges que lui avait
décernées ctienne, bien faites pour
rendre de l'assurance à un jeune amant,
lui donnèrent devant .\rmande une
grâce toute nouvelle. La jeune fille lui
ayant demandé s'il ne souffrait plus de
ses blessures, il en parut ivre de joie.
Cependant, quoique .Armande fîjt en-
jouée selon son ordinaire, et que les
deux aînés des Horace feignissent une
aimable gaieté qu'ils étaient si loin
d avoir dans le cœur, un voile de mé-
lancolie sembla'it répandu sur le repas.
On était alors à l'équinoxe d'automne,
et chaque nuit le vcjit recommençai I à
souffler violemment sur la plaine où
s'élevait le château. On l'entendait
bruire dans la cheminée, et. plus d'un
coup, les chandelles de cire qui éclai-
raient la table faillirent s'éteindre dans
leurs flambeaux. A chaque fois, une op-
pression de tristesse élrcignait plus pro-
fondément les cœurs. Feu à peu même,
les paroles qu'échangeaient les gen-
tilshommes avec leurs parentes devin-
rent plus rares. Fort à point, la douai-
rière proposa qu on se rendit au salon.
Le chevalier alors lui offrit la main,
Etienne s'écarta d Armande pour
qu'Hubert vînt lui rendre le même
service, et il le suivit en soupirant.
.Arrivée au salon, .Armande s'assit au
clavecin. La douairière prit place près
de la cheminée et se mit à parlîler. Les
trois Horace se rangèrent sur de petits
tabourets autour de l'instrument. .Ar-
mande choisit un cahier de romances
de Lulli qui avait appartenu à sa mère,
et commença de chanter.
Sa taille d'enfant, moulée et serrée
dans le chatoyant corselet de damas,
fléchissait \ ers le clavier et sa poitrine
se gonflait d'une voix si iloucc et si
émouvante qu on sentait un frisson de
tristesse à en écouter les notes légères ;
en outre, rien ne s'accommodait mieux
avec la mélodie plaintive de la romance
que les accords du clavecin tremblants
et assourdis. A mesure qu'elle chantait,
une plus vive douleur étreignait le
cœur du chevalier, et il semblait à
Etienne entendre une psalmodie poétique
tombant sur son bonheur à jamais en-
seveli. L un et l'autre, cependant, par
une étrange contradiction, enduraient
avec délice le cruel supplice de l'écou-
ter, et leurs yeux, voilés de larmes, ne
quittaient point .Armande.
Tout à coup, le chevalier sentit sur
lui le regard pénétrant et obstiné de son
jeune frère, et il frémit en songeant que
son émoi et ses pleurs l'avaient dû
trahir. .Au même instant, Etienne, [jre-
nant entre ses mains son noble front de
poète tout ravagé par la lutte qu'il se
livrait , involontairement révéla sa
souffrance secrète. Pourtant Hubert
devait n'avoir rien compris, car on ne
vit point son mâle visage s'altérei- et il
continua d'écouter Armande.
tjuand celle-ci se tut et se retourna
\ers la douairière, son sourire s'était
éteint ; on aurait dit que la mystérieuse
douleur planant autour d'elle l'avait
effleurée: elle paraissait tourmentée par
des pressentiments de malheur, et son
oreille inquiète se prêtait aux tristes
sifflements du vent qu'on entendait au
loin ravager la plaine.
— 11 fera mau\ ais sur les routes cette
nuit, dit-elle tout à coup d'un ton sin-
gulier qui fil tressaillir Fabien.
Mais Etienne re])rit doucement.
— Ma cousine, si le vent trouble
votre sommeil, songez à prier pour les
voyageurs.
— Tout beau 1 s'écria la douairière,
le vent souffle d'Orient, nous aurons
une adorable promenade demain à
l'excursion où j'ai dessein de vous con-
duire. Les ceps rougissent au vent
comme les yeux des bergères, mes
vignes seront toutes de sang et d'or.
I.KS TU OIS lIOHACi:
Aucun des trois f;eiitil?lioninics
ne répoudil.
Armaiidc jjorUiil à son coi'safje trois
roses de couleurs diirérenles; l'une aux
Ions sombres et veloutés de la pourpre",
l'autre aussi pure (|ue sondélicat visaf;e ;
la troisième d'ini hlanc de lait. Hubert
s'approcha cl lui demanda à jjrendre
cette dernière (|ui sj'mbolisail sa can-
deur : le ihevalier choisit la sombre
Heur oii il vovail limaL'c de son co'ur
meurtri et sanglant. La jeune fille tendit
alors au rêveur Ktienne la rose qui res-
tait, mais, comme il la prenait, elle
s'elFeuilla dans leurs iloif,'ts, cl il n'en
|)ul saisir que des ptMales fugaces. Les
trois frères lui baisèrent alors la main
en silence.
— .\u revoir, mes cousins, leur dit-
elle, le cœtu' tout oppressé.
TiiOls iionAc.i':
— Adieu, cousine, murmurèrent-ils
ensemble tout en se retirant.
La nuit, le vent redoubla de violence ;
on l'aurait cru prêt à renverser le châ-
teau. Tout alentour, les arbres se tor-
daient, les lourds auvents de chêne se
brisaient dans leurs gonds ; ce fut un
chaos sinistre où, de tous les bruits
mêlés, on ne pou\'ait distinguer un seul.
Armande apjiehiil en vain le som-
meil ; elle croyait entendre mille choses
extravagantes, et, par trois fois, il lui
sembla reconnaître sur la route le galop
éperdu d'un cheval. Ce ne fui qu'à
l'aube qu'elle s'endormit jusqu'à une
heure avancée de la matinée.
Alors la chambrière entra toute con-
sternée comme après quelque malheur.
Elle tenait à la main trois billets qu'on
avait trouvés dans les appartements de
messieurs de Lavalette. Quant aux gen-
tilshommes, ils étaient mystérieusement
repartis à la faveur de la nuit, et le
palefrenier avait vu à 1 aube l'écurie
\ide de leurs chevaux.
Armande saisit d'une main tremblante
les billets qui lui étaient adressés.
— Ma cousine, lui disait Fabien, par-
donnez à celui qui, vous ayant vue,
trouve encore le courage de fuir votre
demeure, et qui, le cœur brisé, va de-
mander à la nuit et à la tempête tous
les voiles nécessaires au secret de son
départ. Ne blâmez pas mon incivilité,
et cherchez, dans l'estime que j'attends
de vous, de quoi excuser un acte si im-
pardonnable. Je laisse auprès de vous
deux frères que je chéris, et qui tous
deux, ornés par le ciel de dons divers,
mais également précieux, sont égale-
ment dignes de votre amitié. Si mon
départ doit vous causer quelque dé-
plaisir, trouvez en eux une heureuse
diversion à votre ennui.
Les yeux attristés d'Armande s'em-
plirent de larmes, et ce fut à travers un
voile qu'elle lut le message d'I^tienne.
— - Quand les vapeurs du malin voi-
leront à vos yeux mi-clos les ardeurs
trop fortes du soleil, écrivait le poète,
celui qui, à cette heure, croit encore
entendre le souffle léger de votre som-
meil sera loin de vous. 11 s'arrache à
un combat qui n'a que trop duré. Tous
trois, incomparable .Armande, vous
nous avez blessés d'un immortel amour.
Trois frères étroitement unis sont de-
venus à votre vue de tristes et inconso-
lables rivaux. N'est-il pas juste que, de
ces trois, le moins digne de vous pos-
séder se relire de la lutte avant d'avoir
trahi l'amitié fraternelle ? Que votre
cœur hésite désormais entre les deux
nobles amants que je vous laisse : le
chevalier, dont vous ne pourrez estimer
assez la haute vertu, et notre jeune
héros, Hubert, qui, à une vertu pa-
reille, joint une valeur prématurée el
un illustre renom.
M""^ de Lavalette sentait son cieur
défaillir. Cependant elle fit etTort pour
déchiffrer encore le touchant adieu
d'Hubert.
— Je pars, cousine, écrivait l'héroïque
gentilhomme, et je dois garder le mys-
tère de ma fuite clandestine ; un grand
devoir que je ne puis vous expliquer
me rappelle à l'armée. Si mes frères
s'étonnent de ma conduite, dites-leur
ceci : « Hubert \ ous devait trop pour
ne point partir quand il l'a dû. »
Et pendant qu .Armande, abattue et
étonnée par sa première douleur, reli-
sait sans se lasser les lignes qu'a\ait
écrites Etienne, sur le chemin de Bour-
gogne, à plusieurs lieues de distance,
ignorants de leur mutuel voisinage, les
trois Horace chevauchaient fermement,
en route pour 1 armée de^Lde Noailles
où ils allaient reprendre du service.
Colette ^ ^ eh.
-QK5"
M !•: li A X
Méraii se compose de deux villes jux-
laposées dont les habitants, les mœurs,
la vie entière, n'ont, maljifré les appa-
rences tiuelqiierois trompeuses, aucun
rapport coninuin : d ai)nrtl la \ ieilio
cité féodale, puis la nouvelle \ille ou
■ Kurort >■, dont lorif^inc récente est
une des heureuses créations de la mode
éléf^ante et cosmopolite.
Kn remontant le cours de l'histoire,
lin trouve Mcran, colonie romaine, sous
le nom de .Maïa ; elle devait se trouver
sui- la ri\e gauche de la Passer, sous
1 eniplacenienl actuel du petit villaf;c
dOberniaïs. Puis, elle subit l'invasion
des barbares. Cioths, Bavarois, Lom-
bards, et est enfin rattachée, \ers le
IX' siècle, au royaume de (iermanie.
Quelipies années plus tard, un ébnule-
nient partiel de la montagne \oisiuc
leiif^loutit soudain, et, dès lors, la ville
est reconsiruite sur l'iiutre rive dn lor-
l'cnt. au lieu qu'elle occupe encore au-
jourd'hui. .Avec le m'' siècle commence
la période féodale, et tandis que le Tyrol
est partagé entre divers grands sei-
gneurs dont les manoirs, aujourd'hui en
ruines, attestent l'ancienne puissance,
Méran passe sous la domination <les
comtes de \'instgaii. qui prennent bien-
tôt le nom de comtes de Tyrol. C'est la
prééminence politique de la ville qui
devient désormais la capitale de toute
la province ; ce temps de prospérité
dure environ deux cents ans. jusqu'à ce
que le mariage de la dernière héritière
de la seigneurie, .Marguerite Maiiltascli,
a\ec un prince de la maison d'Autriche,
consaci-e la suprématie dn gouverne-
ment des Habsbourg. Knlin, vers Itîli,").
le Tyrol est détinitivemcnt incorporé à
la monarchie aiili'ichienne ; Innsbriick
devient la capitale ofliciclle de la nou-
velle pnivince. et Méran, relégué au
second plan, ravafié plusieurs fois par
les inondations de la Passer, voit
chaque jour diminuer son importance
et s'étendre en même temps le funèbre
voile de l'oubli.
Pendant la yuerre de 1809, sa proxi-
mité avec l'auberge de maître Hoï'er, le
héros de la résistance contre les Bava-
rois et les F"rançais réunis, lui est en-
core un regain de célébrité de courte
durée, et c'est seulement vers 1836,
sous la réclame persistante de quel(|ues
étrangers venus pour y respirer l'air
pur et jouir du climat bienfaisant, que,
brillant papillon, ÎNléran sort de sa
chrysalide avec la réputation de « Kur-
ort », voit s'élever comme par enchan-
au point de vue polilii|uc. qu'un chef-
lieu de district, dont la population stable
com])rend à peu près (>(»((» habitants;
mais l'aliluence étrangère est telle que,
pendant neuf mois de l'année, ce chilfre
grossit en des proportions considérables
et peut atteindre "Jô ()(•<) personnes.
D'ailleurs, sa situation est tout à fait
privilégiée et contribue grandement à
la faveur dont il est l'objet de la part
des malades et convalescents de tous
pays. Sis au- bord de la Passer, presque
au point de jonction de ce torrent avec
l'Adige, il olfre de charmants ombrages
sous lesquels à toute heure du jour,
tantôt sur la rive gauche, tantôt sur la
rive droite, le promeneur peut s abriter
MÊRAN — VU DK LA G I L F-PU O M E N A DE
A gauche, le village d'Oljeriiiaïs ; à droite, le donjou de Zenoburg.
tement toute une ville moderne d'hôtels
cosmopolites, et accourir des légions
élégantes qui ne tardent pas à la baptiser
de " Nice autrichienne ".
Actuellement, Méran n'est donc plus.
XIII. — 2.
des ardents rayons du soleil. A louest
et au nord, une chaîne de montagnes,
dont le Jlutberg et le Kiichelberg sont
les plus proches sommets, le préserve
des vents froids et violents des jrlaciers
de lEngadinc ; enfin, placé sur In route
de communicalion qui relie l'iiilérieur
du Tyrdl, (1 un colé avec la Suisse par
Martinsbruck, de l'autre avec l'Italie
par le col du Stelvio, il bénéficie du
transit continuel de voyageurs qui existe
entre les trois pays.
Avant de parler de Méran u Kurort »,
faisons un tour dans
la ville. En arrivant
de Suisse ou d'Italie,
on y pénètre par
une antique porte
voûtée et large, nom-
mée " Vinstgauer
Thor ", au front de
laquelle se détache en
gros caractères ces
simples mots : (^Stadt
Méran ». Cela rem-
place avantageuse-
ment le vulgaire po-
teau indicateur planté
à lititersection des
routes, qu'on ne peut
généralement lire qu'à
la condition d'avoir
une vue de presbyte.
Cette porte est un \cs-
tigc des temps féo-
daux, l'une des quatre
ou cint| entrées par
où l'on était obligé de
passer pour francliir
1 enceinle de murailles
dont la ville était
ent<iurée. \\\\c est le
pciinl (le départ d'une des plus larges
artères du vieux Méran : le Uennweg.
Tout de suite, à droite, voici un cloître
de capucins, dont la construction re-
monte an commencement du x\ ii'' siècle ;
ensnile vient la maison où fut enfermé
prisonnier, en 181(1, .Andréas Hofer,
avant d'être expédié sur Mantoue ; puis
les liotels, ou mieux, les anciennes liô-
(ellei-ies, dont les enseignes gollii(|ues
et les solides tables massives de salle à
manger évo(|ucnt le » bon vieux temps»
des lianaps el des franches lippées. II y
en a bien, l'une à la suite de l'autre,
cinq ou six. au-devant dest|uelles. à
certaines heures du jour et particulière-
ment le matin, règne une grande ani-
mation. C'est, en ell'et, de l'une d'entre
elles que partent quotidiennement les
voitures publiques qui font le service,
soit de la Passerlhal. soit de Trafoï au
, i: BENliA»SE
pied du glacier de rt)rllor. soit cnlin de
Laîideck par Nauders pour rejoindre la
voie ferrée de l'.Vrlherg. .\u moment
du départ, vers sept heures et demie,
c'est une véritable scène de genre, digne
de tenter le pinceau d'un artiste : à la
terrasse, une foule de voyageurs affaires
se hâlenl d'avaler les trois tasses de café
au lail lradilii>iinelles. Iniil en surveil-
lant d un leil inquiet la voiture atli'Iée,
prête à partir; dans le vestibule, parmi
les pyramides de malles de toute forme
el (Ir (iMile provciiaMce . les |ielilcs
bonnes se faufilent avec une agilité de
biche, tout en portant f;ravenienl leur
plateau dressé; sur la route, les chevaux
s'impatientent et secouent bruyamment
leur collier de grelots; enfin, tout à
l'entour, groupés par deux, par trois,
les paysans, debout, les épaules harna-
chées des bretelles vertes nationa'es et
le chef couvert du chapeau pointu à
cordons rouges, regardent d'un air nar-
quois, la pipe à la bouche, ce spectacle
quotidien, mais toujours nouveau.
Tous ces hôtels du Renmveg, partici-
pant plus ou moins directement à la
vie locale, restent ouverts toute l'année,
taudis que les immenses caravansérails
cosmopolites qui peuplent la ville nou-
velle ne montrent, en juillet et août,
que leurs claires et mornes façades aux
volets hermétiquement clos.
^'e^s le milieu de cette grande voie
s'embranche la rue commerciale par
excellence et aussi la plus intéressante,
par son ancienneté, de toute la vieille
ville : la " Laubengasse ».
C'est une rue étroite, longue d'environ
un kilomètre, avec des pavillons en
saillie, des corniches sculptées, toute
une physionomie de passé respectable,
et bordée d'un bout à l'autre de deux
rangées d'arcades basses soutenues par
de massifs piliers carrés. Sous ces
arcades qui font l'office de promenade
couverte, on dégustait, paraît-il, autre-
fois, quantité de belles et bonnes bou-
teilles de vin du pays, comme si l'on se
fût trouvé sous des bosquets de verdure ;
d'où le nom de Lauben (bosquet) appli-
qué à la rue. C'est là que se trouvent
les magasins de toute sorte, depuis la
plusinlime échoppe jusqu'au dépositaire
des grands journaux étrangers; mais ce
qui domino incontestablement, ce sont
les étalages de fruits, de fromages, de
charcuterie, ainsi que les « Weinstube d,
ou chambres à vin. De cette promiscuité
d'espèces variées, pèches rutilantes et
raisins dorés, gorgonzolas aux végéta-
tions morbides, lards fumés aux senteurs
aigres, qui se côtoyant sans aucune
])udcur. émane un arôme composé, fort
peu agréable, que viennent en outre
aggraver les boulfées d'air froid et
humide échappées des longs couloirs.
En temps ordinaire, les arcades sont
déjà très animées par le va-et-vient con-
tinuel des acheteurs étrangers ou indi-
gènes ; mais, parait-il, à certaines épo-
ques de l'année et particulièrement lors
des grandes foires de la Saint-Martin,
de Sainte-Catherine et de Saint-Thomas,
le mouvement commercial se trouve
décuplé par la venue de tous les paysans
des environs ; alors la « Laubengasse i>
revêt un aspect particulier, qu'on ne
retrouve nulle part ailleurs. Ces jours-là,
les gens de la Passerthal jouissent des
prérogatives d'un vieux droit dont les
origines remontent à l'époque féodale ;
ils peuvent, dans un délai déterminé, se
transformer en bouchers, tuer et dépecer
tout le menu bétail qu'ils ont amené
avec eux, de telle sorte qu'au bout de
quelques heures, se dresse sous les
arcades, une véritable forêt de potences,
où se balancent des moitiés d'agneaux,
des porcs entrouverts, des veaux dé-
pouillés, tout un amas de viande sai-
gnante au milieu duquel, semblable à
une araignée dans sa toile, le paysan
méfiant, épie, l'œil aux aguets, le client
rôdeur qui sera sa proie. Mais il n'y a
pas seulement que des étalages de chair ;
tout le long des voûtes, sur des planches
posées sur des tréteaux, se succèdent
des avalanches de fruits, de légumes
apportés par les paysannes, puis des
carillons de clochettes pour les bestiaux
aux pâturages, des livres, des dessins,
des chapeaux verts et sertis de cordons
rouges, des vestes bariolées vendues par
les gars du Grôdnerthal, et c'est un
assaut de ruses, de défiance, de la part
de tous ces acheteurs dont les yeux res-
tent éblouis et l'imagination hantée 1
.V environ mi-distance de la « Lau-
bengasse » se trouve, dans une cour
pavée, un des plus intéressants monu-
ments du vieux Méran; c'est le u Lan-
desfûrstlichen Burg », la résidence des
anciens f;ouverneursdu Tyrol. Construit
vers la moitié du xv'^siècle par l'archiduc
Sifjmund le Riche, le même dont on
retrouve les anciens châteaux un peu
dans toutleTvrol, il fut successivement
habite, sinon d'une façon continue, du
moins à intervalles rapprochés, par plu-
sieurs persoiinajijes princiers ou royaux;
l'empereur Maximilien I''. qui y vint vers
1 i'JS, accompagné de ^'ince^t Sautner,
sommelier du Tyrol : Ferdinand I''', en
I5t>{, puis le margrave Cari von Hurgen,
et enfin, vers Kil i, l'archiduc Maximilien.
\'u de l'extérieur, ce donjon gothique
a un' aspect un peu rébarbatif; il est
massif, complètement renfermé dans
une haute muraille crénelée qui np laisse
apercevoir que le toit plat de l'aile prin-
cipale et la Hèche pointue d'une tourelle
annexe, l'ne ogive basse, surmontée de
l'aigle rouge sur champ d'argent, donne
accès dans cette forteresse. Mais une
partie seulement de l'intérieur a conservé
le cachet primitif : au rez-de-chaussée,
c'est la chapelle, petite, éclairée par
deux vitraux restaurés, au milieu des-
fjucls se détachent les blasons réunis du
'i'yrol et de l'.Xulriche; sur les nervures
de la voûte on de\ine des fresques ell'a-
cées. Au premier étage, c'est la « cham-
bre impériale » de l'empereur Maximi-
lien I'-"^; elle se compose de deux pièces
contigucs, l'une qui servait de chambre
à coucher, l'autre, plus grande, qui faisait
il la fois office de salon, de salle à manger
el de cabinet de travail. J^es mœurs
impériales étaient simples à cette époque,
el les souverains modernes auraient
quelque peine à s'en accommoder. Dans
la chambre à coucher, où ne pénètre à
travers les vitraux qu'une lumière atté-
nuée, voici trois meubles du temps : un
lit gothique. sé\ère, fermé comme une
ai-moire et couvert d'une étoifc de lin
brodée: un vieux siège, puis un bahut
massif armé de belles ferrures; au mur,
deux tableaux de sainteté, œuvre d'un
peintre tyrolien contemporain de Maxi-
milien, représentent, l'un, saint (îhris-
lophe, l'autre, saint Sébastien. Dans la
pièce voisine, communiquant par une
porte gothique au-dessus de laquelle est
pendu l'écusson d'Kcosse, les peintures
décoratives sont plus nombreuses ; voici,
sur la partie inférieure du mur, sept pan-
neaux bien conservés, représentant dos
personnages célèbres : Da\id, Hector,
Artus, ("lodefroy de Houillon, Charle-
magne, Jules César, le roi Alexandre :
au bas de chacun d'eux se trouve une
courte légende explicative ; plus loin,
une scène faisant allusion au mariage de
l'archiduc Sigmund avec Éléonore
d'I'xosse : enfin d'autres sujets, allégories
et chasses; dans l'angle sud de la cham-
bre gil le volumineux poêle construit
sur les ordres de l'archiduc Sigmund.
La simplicité de cet intérieur princier,
la nudité du pavé carrelé, la quasi-
absence de meubles, tout cela enveloppé
dans le recueillement d'un demi-jour
d'église, fait une impression profonde.
En continuant la « Laubengasse » on
arrive bientôt à la place principale de
Méran, où se trouve la Pfarrkirche,
l'église paroissiale. C'est un édifice
gothique construit vers I3t>7 sous Henri
de Bohême, et llanqué d'une tour carrée
qui passe pour être la plus élevée de
tout le Tyrol. Surlemur latéral extérieur,
une fresque très bien conservée, œuvre
de l'"r. Peiidl, représente un Christ sym-
bolique, de proportion gigantesque, aux
pieds duquel l'humanité ne semble qu'un
troupeau de pygmées. Dans l'intérieur,
un bon retable de .Martin Knoller ligure
la naissance du (Christ et la Cène; les
vitraux racontent les divers épisodes de
la vie de saint Nicolas, le patron de la
])aroisse. Derrière l'église, se dresse une
petite chapelle consacrée à sainte Barbe ;
elle renferme une multitude de petites
statuettes et un tableau de Bussyager.
La place de l'église est le point d'in-
tersection de plusieurs petites rues qui
partent dans des directions opposées;
plusieurs montent vers l'Kst. silencieuses,
mornes, banales, pour aboutir également
à la vieille porte septentrionale, la Pas-
seircr Thor; une autre descend au con-
traire vers le Sud, à la Habsburger-
strasse, la grande artère de la nouvelle
\ ille, et porte le nom de " Poslgasse •.
(v*uoique beaucoup plus courte que la
.1 Laubengasse », elle peut néanmoins
rivaliser avec cette dernière par l'aspect
tout particulier qu'elle emprunte aux
nombreuses auberges dont elle est
en quelque sorte le quartier central.
la vieille porte, voici encore un dernier
vestige du passé que déjà menacent la
pioche du démolisseur et le tlot cliaque
jour plus envahissant des constructions
neuves; c'est la partie inférieure de
l'hôtel Erzher/og Johann, ancienne pro-
priété du roi Henri, père de Marguerite
Maultosch, dont un médaillon en relief
au-dessus de la fenêtre principale du
l N II K s F r i; s T L IL' H E X B f T, C
Chacune a son histoire, ainsi que sa
clientèle distincte et fidèle ; près de la
PlarrUirche, au coin de la place, c'est In
• ■ (iasthaus zum Raftl ", une vieille
construction qui fut, à l'époque féodale,
Ihôtel de la Monnaie ; puis en descendant
les arcades, la « Kreutz^virthshaus •■ le
rcndez-vouspréféré des hommes d'Kg^lise;
ensuite la « Krone », où se réunissent
les jeunes fermiers pour discuter les prix
du marché ; et ainsi de suite jusqu'à la
i< Pio/.ener Thor », qui est le point ter-
minus méridional de la \ieille ville. .Vu
détour de la rue. immédiatement après
premier étage conser\e les traits ainsi
que ceux de sa royale épouse..., puis
c'est fini de la vieille ville féodale :
maintenant, dans celte Habsburger-
slrasse, nous voilà en pleine ville nou-
velle, dans le « Kurort », dont les
grandes avenues lumineuses et les pro-
menades pleines d'ombre font un con-
traste inattendu avec les rues à arcades.
Cette Habsburgerstrasse, qui se pro-
longe jusqu à la gare du chemin de fer,
est en quelque sorte le centre des hôtels
cosmopolites, le rendez-vous obligatoire,
aux heures qui précèdent et suivent les
repas, des riches étrangers venus ici
pour suivre les cures. Il y en a donc
plusieurs? Sans doute! 11 faut bien
venir en aide aux bravos négociants
méranais! La plus usuelle est la cure
d'air pour poitrinaires, nerveux, ané-
miques, neurasthéni(|ues ; elle commence
en novembre et dure jusqu'au mois
d'avril; puis avec le printemps vient, en
avril et mai, la cure de pelil-hiit: enfin,
bien-être physique d'une existence insou-
cieuse et confortable. Rien de plus déli-
cieux que ces belles allées sur les deux
rives de la Passer! .Au fond du ravin que
l'on domine de i ou .") mètres, le torrent
écume dans son lit de galets; devant soi,
derrière, de quelque côté que I'um! se
repose, c'est un ensemble de hantes
montagnes sévères, aux cavités sombres,
de coteaux boisés et riants où joue le
^4^ Y\^ jm
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a ISK I. A-IM(O.M E N A I) K
Il LA lu V K II R Cl 1 T E H E I. .'
en même temps que les grives, les
désœuvi-és et les errants accourent en
septembre et octobre, picorer les vignes
et flirter sous les treilles. En définitive,
la saison dure neuf mois de l'année sur
douze, cl déjà on parle d'une cure au
loin cniijié qui retiendrait les étrangers
pendant les mois d'été!
lit l'on comprend d'ailleurs que, sans
même l'excuse d'une maladie, sans but
précis, l'on vienne ici se laisser vivre
au jour le jour, enveloppé [lar le charme
dune nalure gi-andiose et variée, et le
soleil par les éclairciesde verdm-e ; enfin
de tiers donjons mutilés.
A cause de son exposition en plein
midi, la rive droite est plus fréquentée
que la rive gauche; c'est là, sur une lon-
gueur de plus d'un kilomètre, depuis
l'église |)rote^lante jusqu'au pied du
vieux château de Zenobnrg, que se tient
du matin au soir le Tout-Méran cosmo-
polite. t,.)uoique formant en réalité un
seul ruban, on l'a scindée, pour la déno-
mination, en quatre tronçons dill'érents.
V.n conimeni,-anl parle bas, du coté de
la gare, c est d'abord i< la Sléphanie-
Promenade », de création récente, bien
aérée, dépourvue d'arbres, et bordée à
gauche de pensions et villas particu-
lières dont quelques-unes sont précé-
dées d'un petit parterre de rosiers grim-
pants et de glycines. Plus loin, l'allée
s'élargit, revêt un air de majesté, prend
des allures de parc, avec sa longue per-
spective de peupliers séculaires dont les
retrouve pour causer, où l'on se croise
pour voir et être vu, oii l'on vient même
simplement noyer sa solitude dans le
flot toujours mouvant de couleurs, de
physionomies , d'habitudes diverses.
C'est en quelque sorte la " promenade
aux Anglais » de Méran. En continuant
toujours plus haut, nous arrivons au
W'interanlage ou promenade (l'hiver.
Ici, point de grands et beaux arbres,
p 51 K N A D E D H I V E l; MONTANT EN L J
D U II 0 (.' H E K
branches forment berceau en s'inclinaut
vers le torrent : c est la Gisela-Prome-
nade, la plus belle, la plus fréquentée.
Grâce à sa communication, par deux
ponts métalliques, avec la rive gauche,
où se développe, vis-à-vis, la longue
façade du grand hôtel de Méran, grâce
à l'étalage luxueux de ses magasins de
photographies et de pierres du pays, et
à l'établissement du vaste Curhaus avec
l'hospitalité de ses salons de repos et de
lecture, elle est, en définitive, le lieu
familier du " Kurort •>. où l'on se
aux membres noueux, mais des bos-
quets toulTus et bas, de simples massifs
à hauteur d'homme, suffisants pour
abriter du courant d'air de la vallée
sans masquer les bienfaisants rayons du
soleil et derrière lesquels viennent s'as-
seoir, l'après-midi, les poitrinaires alan-
guis; en même temps la promenade se
rétrécit entre la montagne et le lit du
torrent ; ça et là des chaises, des bancs
en grand nombre, puis une galerie cou-
verte semblent indiquer que c'est là le
quartier général des convalescents fri-
Icux. Au fur et à mesure qu'on avance,
la vallée s'infléchil à {jauche, forme un
coude derrière lequel disparaît entière-
ment le paysaf^e de tout à l'heure, et
s'ouvre à de nouveaux décors plus sau-
vages. Le ravin se creuse, l'eau se pré-
cipite avec fracas et brisant tout sur son
passage, les berges deviennent escarpées,
couvertes de verdure; la ruine dp Zeno-
burg, au sommet d'un pic boisé, dresse
ses flancs ouverts et rongés de lierre
aux projections dorées du soleil cou-
chant, et la route, escaladant les pentes,
s'élève et zigzague en terrasses super-
posées, tout le long du coteau, jusqu'à
ce qu'elle se perde au milieu des vignes.
Pour les foules élégantes et civilisées,
c'est la limite conventionnelle que cette
Gilf-promenade qui se déroule au soleil
comme une couleuvre endormie ; plus
loin, ce sont les champs, les routes dé-
foncées et poussiéreuses, la solitude des
régions montagneuses où ne s'égare que
le chercheur d'inconnu, le marcheur,
avide d'action et de grand air.
La rive gauche possède, elle aussi,
des promenades; mais ce sont surtout
<les rendez-vous d'été, fréquentés, en
juillet et en août, presque uniquement
par des gens du pays; aussi ont-elles un
aspect très particulier, un peu provin-
cial, qui fait un saisissant contraste
avec l'agitation factice de la rive oppo-
sée. La plus recherchée est l'Elisabeth-
(îarten, un jardin, comme son nom
l'indique, situé tout à l'extrémilé du
cenlre mondain, entre le torrent et le
petit village d'Obermaïs, auquel il
accède. I.,os allées en sont mi-désertes,
silencieuses, tout imprégnées par l'om-
lire des cèdres et des tilleuls; sur
(les bancs rustiques, de pensifs vieil-
lards, la main appuyée sur un bâton
noueux, l'o'il encore vif, échangent de
rares paroles d'un ton lent et indis-
tinct; ailleurs, dans les labyrinthes
écartés, près du bord de l'eau, des
Sd'urs de charit(' de quelque couvent
voisin marchent comme dans une
église, le chapelet aux doigts, les lèvres
balbutiantes, sans qu'on entende le
bruit de leurs pas; dans le haut, en bor-
dure du village, ce sont des habi-
tués, venus, après déjeuner, lire lon-
guement le journal, s'endormir, digérer,
jusqu'à ce que la chaleur soit un peu at-
ténuée; et tout ce monde est tranquille,
à son aise, certain de n être pas dérangé
par des étrangers importuns et de ne
rencontrer que visages amis.
Enfin, au sommet du plateau, pareil
à une corbeille de ileurs, Obermaïs
étale ses villas coquettes, entourées de
jardins aux essences les plus diverses,
magnolias, lauriers, romarins, myrtes,
rosiers ; c'est une fête des yeux, à la
fois une joie et un repos où l'on s'aban-
donne, loin des vains bruits et des ba-
nalités du CursaaI. Comme Mérau,
Obermaïs possède des hôtels et des
maisons particulières ; mais il n'est fré-
quenté des étrangers qu'au printemps
et à l'automne. L'été est la saison des
Méranais opulents qui désertent la ville
pour la campagne. D'Obermaïs on peut
rayonner partout, soit dans l'I-'-tsclithal,
parmi les maisons bourgeoises d'I'nter-
maïs, soit sur la hauteur, le long des
rives escarpées de la Passer, vers le
petit village de Schrinna et le château
féodal du même nom. .Ainsi vivent côte
à côte, chacun dans sa ville et seule-
ment réunis par un lien d'intérêt com-
mercial, Méranais et étrangers : ceux-ci
insouciants, astreints aux conventions,
avides de plaisirs ; ceux-là délianls, rusés
et aussi, dit-on, un peu dédaigneux îles
frivoles mondains.
Méran n'est pas seulement un lieu de
séjour pour désœuvrés et phtisiques,
il est aussi, pour les touristes, un centre
de promenades ti'ès diverses.
De quelque CiMé que le regard se
tourne, c'est une évocation soudaine de
glorieux souvenirs où revit tout entière
l'histoire féodale et patriotique.
A'ers l'est, dans la vallée aride cl mo-
notone (le la Passer, aujourd'hui encore
hantée île superstitions diaboliques,
voici, au sommet d'un i-oclier à pic.
M s R A N
comme une seiiliiiclle avancée, le vieux
donjon de Zenoburj;, aux murs éven-
trés, dressant son squelette de pierre
emprisonné de lierres séculaires et de
sauvageons échevelés ; plus loin, vers
Saint-Léonhard, presque au bout du
monde, tant est profonde la désolation
d'alentour, cest Sandhof, la modeste
auberge d'Andréas Hofer, le héros de
1809, posée sur un banc de sable, entre
gadine, voici le célèbre château Tyrol,
ancienne résidence des comtes de Vintsch-
gau et aujourd'hui propriété de l'em-
pereur Franvois-Joseph, dont l'équerre
massive se détache inaccessible à l'ex-
trémité d'un promontoire de granit,
comme un impérissable défi aux injures
des hommes et du temps; un peu à
gauche, sur la même ligne horizontale,
la très antique église de San Peter, abri-
■ I L L A G K DE
D 1 1 M I X A X T LA RI'
la montagne et le torrent. Puis, sur un
mamelon dominant la rive gauche de la
Passer, le petit village de Schônna épar-
pille au soleil ses maisons blanches, tan-
dis qu'à l'extrémité et sur un roc isolé,
le château féodal, ancienne résidence de
l'archiduc Jean, laisse deviner derrière
ses épaisses murailles grises les ponts-
levis baissés, les passages voûtés, les
salles d'armes, les oubliettes...
Vers le nord, à mi-hauteur de ce
Iviichelberg, qui, à la façon d'un écran,
nrotègre la ville des vents glacés d'En-
tant jalousement, à l'ombre de son clo-
cher roman, les quatre maisons blan-
ches dont se compose le hameau : plus
loin, la tourelle crénelée de Durnstein.
devenue un simple hangar de ferme:
puis, à l'abri du coteau, comme un tapis
déroulé, la plaine luxuriante de ^'intsch-
gau. véritable jardin de pêchers alourdis
et de treilles gonflées.
Enfin, au sud-ouest, dans la longue
perspective de l'Elschthal, échelonnées
de Méran à Botzen, au versant de deux
chaînes de montagnes parallèles, voici
de vénérables reliques, Lebenbcrg, Léon-
biirg, Brandis, Lana, Viljjian, Terlan,
d'autres encore : celles-ci complètement
en ruine, celles-là restaurées, rache-
tées et habitées par de riches gentle-
men, rjui, ])cut-être, dans leurs rêves, se
croient devenus seig;neurs suzerains de
fidèles vassaux. Les uns comme les
autres, ces châteaux forts ont grand air;
ils planent, dans leur solitude, au-dessus
des foules vulgaires nu brillantes.
Sans doute, c'était à cette époque le
régime de la force brutale, mais la force
à un tel degré, n'est-ce point déjà de
la beauté? El puis vraiment le con-
traste est par trop grand avec les temps
modernes, et ce n'est pas sans une ma-
ligne ironie que l'imagination se plail à
évoquer quelque Sigmund le Uichc sur-
gissant, bardé de fer, du fond de son
tombeau de marbre, au milieu des snohs
grelottants de la Gisela-Promenade !
Et c'est là pourtant le ré-
sumé des siècles : Méran féodal,
Mérnn Kiirnrt.
Cm. \ Al. 11 i-n.
i i; .\ t Tïi;uL— VI' ni; la tkuuassk d'i'N jaiiimn
ANDREA Della ROBDI a. — La Vierge et les saints Jacques et Dominique. (Via délia Scula à Floreuce.)
LES DELLA liOBBIA
Les voyages d'étude sont de plus en
plus à la mode : on se délasse en s'ins-
truisant. Encore y faut-il de bons cicé-
rone qui, dans les villes ou les musées,
vous plantent en face des monuments
et des œuvres vraiment remarquables!
Les lecteurs du Monde Moderne sont
déjà allés plusieurs fois à Florence : je
les invite à y revenir, pour .étudier
quelques (^ija//rocen^(s/e.s" que la critique
moderne s'est plu à remettre en pleine
lumière. Il s'agitdes Della Rohhia. Lonj;-
tenips relégués au second plan dans
1 histoire de l'art, ils ont été l'objet de-
puis cinquante ans de savantes études.
MM. Barbet de Jouy, Perkins, Allan
Mar(|uand, Bode, Mûntz, Molinier et
Marcel Reymond ont remis les choses
au point, essayé la classification des
œuvres et restitué à ces sculpteurs
d'écjlise la notoriété qui leur était due.
Mais quel peut être l'intérêt d'une
pareille étude? Pourquoi regratter la
gloire fanée de ces vieux sculpteurs,
alors que notre faculté d'admirer est
épuisée par tant d'autres chel's-d'a^uvre
de tous les temps? M. Uevmond
l'explique : « \'raiment, à voir dans
quel oubli nous laissons les chefs-
d'œuvre du passé, combien nous sommes
ignorants des merveilles qui devraient
être vulgarisées et connues de tout le
monde, il semble que nous soyons de
vrais barbares, indignes de vi\ re au
milieu de pareils trésors. 11 n'est pas
étonnant que nous soyons comme hyp-
notisés par l'art antique, que nous par-
lions toujours du Gladiateur ei du Dis-
cobole, puisque nous méconnaissons les
chefs-d'œuvre de notre art chrétien. «
Les Della Kobbia sont, en effet, des
artistes chrétiens, dans toute la force
du terme. Contemporains de la pre-
mière Renaissance et de ce mouvement
irrésistible qui entraîna toutes les formes
de l'art vers l'imitation de l'antiquité,
ils gardèrent leur conviction et leur foi.
C'est à peine si l'on perçoit les traces
LES DELL A IldUHI.V
AviiliKA Di:i,I,A HoBBIA. — Saint AVnn.'o.'j
(Couvent (le la Venia.)
de riiifluence qu'a eue sur eux l'eslhé-
lique de leurs concitoyens. Leur idéal
n'élail pas advenlice : ils le porlaient
en eux-mêmes. C'est pourquoi ils sau-
vèrent 1 inspiration cliréticnne d'un dé-
périssement hâtif et créèrent des œuvres
vivaces, sur lesquelles le lemps n'a pas
eu de prise, des n-uvres comparables
aux tableaux si patiemment nuancés
(|ue Ghirlandajo appelait des peintures
pour l'éternité.
Qu'était Florence àlaubedu xv'siècle?
l'ne ville de 7<l (i(((l âmes, indépendante,
fière de ses libertés. Les discordes intes-
tines des siècles précédents n'avaient
pas entravé sa prospérité matérielle.
Avec la richesse, sous ce ciel merveil-
leux, était venu aux bourgeois enrichis
le goût des lettres et des arts : ils se
disputent les manuscrits anciens, achè-
tent à grands frais les sculptures an-
tiques que les fouilles mettent au jour;
ils font bâtir des palais immenses, ré-
barbatifs d'aspect, mais disposés pour
recevoir au dedans toules les fantaisies
décoratives du génie. On rêve de sur-
passer Rome la grande; les officiers mu-
nicipaux volent sans sourciller des
sommes énormes pour élever, achever
ou embellir les églises. Le nombre s'en
accroît sans cesse, bien qu'il y en ait
d'immenses. Quand Savonarole, à la
lin du siècle, ])rononccra ses homélies
enllammées dans la cathédrale Santa
Maria dei Fiori, plus de 13 000 audi-
teurs seront à l'aise pour s'enivrer de
sa parole. Car Florence reste chrétienne.
Hien n'a pu détruire le fond primitif :
ni le |)aganisme, ni les saturnales, ni
l'impiété des Médicis, ni la licence
extrême des écrivains, ni le scepticisme
élégant de l'olitien ou du !*ogge.
Tel est le milieu dans lequel vécurent
les Délia Robbia, milieu de tradilion cl
de haute culture inlellectuelle. Les ou-
vi-iers d'art étaient irinombrables, soit
dans l'architecture et la peinture, soit
dans l'orfèvrerie et la sculpture. Dona-
tello, (ïhiborli, Bninellesco, Miehel-
lo/./.o fnreni t-(iiilem|i()rains de l.uea.
LliS l)i:i.I.A liOlil'.IA
iO
forme et dégrath' hi finesse de l'expres-
Aiulrea a connu Mino de Fiesole, Desi- i On a dit qne l'émail blanc, avec ses re-
derio, les deux Rosscllino — Michel- | llels violents, nnit à la beauté de la
Ange dominant la lin du siècle de toute
la hauteur de son
génie. Je ne parle
évidemment que des
sculpteurs.
Que sait-on de leur
vie? Quelques détails
transmis par Vasari
ou recueillis dans les
archives des tréso-
riers; mais leurs œu-
vres parlent poureux.
Luca, le fondateur
de la dynastie, mou-
rut en 1480. Il tra-
vailla le marbre, le
bois et le bronze,
mais surtout la terre
cuite. La célébrité de
son nom est due à
ceci : frappé des avan-
tages de la glaise, qui
est souple et facile à
modeler, il chercha à
l'utiliser pour la dé-
coration extérieure.
Mais comment ? La
terre ne résiste pas
aux intempéries; les
poussières la noircis-
sent, la pluie et le
soleil la fendillent. Il
perfectionna (pour ne
pas dire : inventa) un
émail stannifère et
opaque. Une légère
couche suffisait pour
assurer aux œuvres,
après une cuisson
convenable, une con-
servation indéfinie.
Bien plus, l'émail permettait la
chromie, si recherchée encore
Luca Della Robbia. — Enfants de la Cantoria,
(Musée du Dôme à Florence.)
poly-
après
l'usage presque constant du moyen âge.
Luca l'employa sobrement et en deux
couleurs : le blanc, pour les figures, le
bleu, pour les fonds. Les autres teintes
n'apparaissent que dans les ornements.
sion, parce que Yinvetrlatiira épaissit
les contours. Ceux qui parlent ainsi ont
vu les madones dans les musées; ils ne
les ont point admirées au tympan des
églises ou dans la pleine lumière des
temples italiens. Là seulement apparaît
leur harmonie; rien ne détonne, rien ne
I.KS DlvI.I.A liOBBlA
brille aux dépens de l'ensemble. Le jour
s attiiclic à la surface, la traverse en
quelque sorte et VœW admire, dans leur
intcgrilé, le fini, la souplesse et le mo-
delé.
Andréa travailla lonjjtemps avec son
oncle l.ucn ne s'était pasmariéi et con-
tinua seul la tradition, qu'il avait pleine-
ment transmise à son fds Giovanni,
avant de disjiaraitre en 1525. De ses
autres enfants (il en eut septi, deux se
firent dominicains, sous la direction de
Savonarole. Un autre. Girolamo, passa
en France et v exécuta de nombreux
travaux, surtout d'architecture.
Ainsi les secrets de l'art de la terre
cuite restèrent dans la même famille
pendant plus de cent ans et disparurent
avec elle. Ses membres n'eurent pas un
égal talent, mais ils obéirent tous au
même idéal, et s'ils furent, à des degrés
divers, sensibles aux influences du
dehors dont il est si difficile de s'affran-
chir, leur personnalité n'en souffrit pas
et ne fut pas étouffée, comme tant
d'autres, par les théories courantes. Par
tempérament, ils ne prennent à la
nature que le suhsiraluni indispensable
pour donner à leurs créations la vérité
nécessaire. Mais au delà des formes
vivantes auxquelles s'arrêtait brutale-
ment Donatello, ils voient la forme
irréelle qui est le vêlement de la pensée
et qu'ils surajoutent à leurs figures de
saints et de madones. Et voyez la gra-
dation : Luca est chrétien, Andréa
pieux, Giovanni mystique. Cependant
le premier reste le plus grand, [)arce
qu'il est le plus simple. II écarte tout le
secondaire pour s'attacher au principal;
il résiste à la tentation de tout dire pour
se contenter de bien dire ce qu'il dit.
Dès lors, le bas-relief lui suffit et traduit
toute sa pensée. Ce n'est pas impuis-
sance : il n'a fait, il est vrai, que deux
figures en ronde-bosse, deux anges,
mais elles sont exquises; c'est prédi-
lection, parce que le fond lileutc .irréte
le regard et le force, en liniil.ml son
champ, à se poser sur li'> li^;iircs
pour en recevoir toute l'impression.
Ajoutons que les œuvres sont en gé-
néral de moyenne dimension, et nous
aurons montré la pensée directrice de
ces maîtres et les motifs élevés auxquels
ils obéissaient en créant sans relâche
des tabernacles, des tympans et des ma-
dones. Métier, a-t-on dit 1 métier, si
l'on veut, au sens le plus artistique et
le plus élevé du mot, métier qui a plus
fait pour la vulgarisation du grand art
que bien des ateliers fameux.
Ceci posé, voyons les œuvres. La plus
célèbre de celles de Luca est la Canlu-
ria, série de douze bas-reliefs en marbre.
L'artiste, qui avait à soutenir la com-
paraison avec Donatello, a dès lors
donné toute sa mesure. Son art est fait
de sobriété et d'élégance dans la vérité.
11 manque de fougue, tant il est or-
donné :mais l'harmonie entre lesdiverses
parties du sujet est si complète que la
sensation esthétique est intense. Re-
gardez ces bambins qui dansent au bruit
du tambourin, ces vierges candides qui
chantent ou ces choristes qui exécutent
leur motet: la vie éclate, on les voit, on
les entend.
La Canl(tri;i fut terminée en 1 i i(t.
Kntrc temps, Luca avait fait ])our le
Campanile cinq bas-reliefs remarquables
et, en lil'2, il recevait la commande
d un tabernacle, qui se trouve aujour-
d'hui à Santa ^Liria de l'erotola. Il nous
intéresse parce que nous y voyons em-
ployer, pour la première fois, la terre
cuite émaillée, dans la guirlande de la
frise et la bordure du soubassement.
A dater de ce moment, les matières
dures n'apparaîtront plus que dans le
monument de réxêquo Federighi H,">5
si beau en sa simplicité, dans le Christ
de San Miniato et les portes de bronze
de la sacristie du Dôme. Celles-ci ne
sont pas estimées comme elles le méri-
tent, par la faute sans doute de leurs
rivales, les portes d'.André de Pise et
de Ghiberli. Elles olVi-ent pourtant des
morceaux remar(|ual)les, bien supérieurs
au dédain de la critique. Les aïK/r.i en
LES DKI.I.A liilHIilA
p.irticulier sont dignes du génie de Luca :
ils ne sont surpassés que par les iinijes
adorateurs du tabernacle de V Iinprunel» .
Nous voici, avec eux, aux icuvres
les regardera sans parti pris, avec le
seul désir d'en goûter le cliarnic, les
mettra sans peine, dans son estime, au
niveau des plus helles leuvres antiques:
Luca Della Kobbi.i
et l'Enfant Jrsus. vH jpital des InuLiccats à Florence.)
émaillécs. Où trouver figures plus
célestes, plus entièremeut dégagées de
la terre? Ces anges planent véritable-
ment, tandis que leurs traits reflètent
la joie mêlée de crainte qu'ils éprouvent
en face de l'Inconnaissable. Quiconque
variété, élégance, délicatesse infinie,
noblesse, rien ne leur manque.
Que dire des madones? Elles occu-
pent dans 1 œuvre totale une part pré-
pondérante. On en connaît au moins
vingt-cinq d'authentiques. Sans doute il
Li;s i)i:i.i.A liuiiiiiA
Andrka ])KI.I,A Iti
(Mii.sce iiiitiuu.il à Flor
on existe bien davantage. I,es musées se
font f,'loire don montrer. Tontes, par
certains cotés, réalisent un type nou-
veau dans l'art, type qui esl l'ahoulis-
sanl (les cU'orls du moyen Age pour
donner, en un cadre restreint, la [dus
intensive représentation de celle (pii l'ut
la mère de l)leu. I.a neiiituie elle-même
prolita des elForts de la statuaire et
incontestablement les chefs-d'œuvre de
lël eux-mêmes sont redevables
aux Délia l{obbia de l'idée
qu'ils traduisent : uneA'ier}îc,
incomparablement belle,
mère du Fils de Dieu.
C'était là le ()roblème si
lonf;lemps insoluble. Le's
Byzantins avaient considéré
Marie comme une reine aus-
tère et grave, sans joie et
sans sourire ; pour le moyen
âge, elle était restée la sou-
veraine, la A'ierge puissante;
es ima;,Mcrs, tout en inllé-
chissant son corps ffracile,
laissaient à sa |)hysionomie
un air de hauteur compatis-
sante qui n'allait pas au cœur.
Avec les Délia Hobbia, le
type s'humanise, non pas en
s'abaissanl, mais en s'impré-
gnant des sentiments les plus
purs du Cd'ur humain. Ils se
souvinrent que Marie était
mère avant tl'être reine;
chrétiens sincères, ils la
■^- virent, à travers l'Kvan-
gile et la tradition, re-
cueillie et modeste en sa
grandeur, heureuse sans
doute, mais gémissante
et troublée devant l'ave-
nir sanglant de son
Jésus ; « On comprend,
(lit M. Meymond, qu'un
tel motif une fois entrevu
ait passionné l'art italien
et ait pu satisfaire à ses
désirs pendant un siècle.
Ce motif pouvait se va-
rier à l'inlini et rester toujours beau, à la
condition de se tenir dans ses limites
normales. Il perdra sa beauté le jour où
l'idée de maternité, en s'all'aiblissanl,
laissera prédominer l'idée de beauté
charnelle, le jour où l'artiste cessera de
dire les sentiments de la mère, pour ne
plus songer qu'il produire de beaux
DKI.I.A liiilîlîIA
École des Della Robbia. — Iai Visitation. (TSglise Saint-Jean à Pistoia
visages. » On ne saurait mieux dire.
Quanl au reproche de monotonie
adressé ù cette conception, il ne résiste
pas à un examen impartial. \'oyez la
\ieige des Innocents : elle parle; elle
annonce son Fils; elle dit ce qu'il ne
peut encore proclamer : Ego sum lux
niiindi. La Vierge d'Or Sun Michèle
sourit mystérieusement pendant que
.\III. — 3.
IKnfanl jette au monde sa bénédiction.
Celle de V Imprunela est dune douceui'
inlinie; sur son visage, ce n'est pas la
mélancolie qui éclate, ce n'est pas la
tristesse qui règne, c'est Pindélinissable
expression que les Italiens appellent
raghezza : les yeux regardent au loin
dans l'avenir.
Et ainsi des autres madones. Sans
l.i:S DKI.I. \ miHHIA
doute les alliludcs ne sonl pas violem-
ment variées, pas plus que les senti-
ments qu'elles expriment. Mais quel
art |)rodi;,'ieu.\tlansremploi des nuances I
Andréa en cela ne diffère point de Luca.
Il af^réniente, il est vrai, ses compo-
sitions d'encadrements très ornés : les
f^uirlandes de feuillaj,'e et de fruits, les
Anuuba Uki.la liDBiirA. Un bambiuu. (Hoiiilal dis Iiino
léles d'an;;e3, les pilastres ceinturés
d'arabesques, les frises ]tolychromes,
tout décèle que la technique s'est |)er-
fectionnéc. i/allenlion ne converj^e plus
exclusivcnipiil vers les deux personna;,''es
principaux : rllc csl sollicitée par la
bordure ou par les anj^es qui peuplent
le haut du tableau. Plus tard, Giovanni
mettra tout un monde dans un espace
restreint, où vinj^l f5f,'ures tiendront
à l'aise sur trois ou quatre plans. Il
rivalisera avec les [)eintres, au risque
d'alfaiblir l'imijression f,'énérale, en
ré])ar])illant. Eh bien, malf;ré tout,
le lyi'edela Vierf^e
reste celui que
nous avons décrit.
Quand bien même
Andréa donne au
Bambino les atti-
tudes ravissantes
de vie et de natu-
rel que les enfants
prennent tous,
quand ils cares-
sent ou lutinenl,
la \'ier{fe garde
son air},^rave, avec
deux plis d'an-
f;oisse au coin des
lèvres, et dans ses
yeux brillent moins
d'éclairs de joie
que de larmes.
Que n'y aurait-il
]ias à dire encore
de tant d'autres
chefs-d'(i-'uvre ? Il
en est un, du
moins, que je ne
|iuis passer sous
silence. Je veux
p:irler de la Vierf/e
dell.i Scala dans
^éf;li^e de Hipoli.
C'est un spécimen
complet de cet art
si simple, si pon-
déré ol si expres-
sif. (Oue de pen-
sées se trahissent sur la li^'ure de la
\'ierf;e ! que de visions funèbres de-
vant ses yeux, et qu'il faudrait peu île
chose pour en faire une adilulonidi .'
Saint Dominique et saint .Iac(|ucs com-
pali.-isenl à la dmileiir de la mère, tous
DKI.I.A KiiHlilA
deux offrant leur vie à l'eiifanl dans un
élan d'amour. Il n'est pas jusqu'au lis,
qui s'incline vers Jésus, qui ne fasse
songer à la future couronné d'épines.
Pourtant, rien de recherché, rien de
torturé. La nature a été le point de
départ : l'artiste l'a fixée, dans une de
ces minutes fugitives où le cor|ishumain
cultes particulières de la matière qu ils
travaillaient, ils ont abordé souvent les
i;Tandes scènes de ri-"van;;ile et sin^'u-
lièrenicnl élarj;i les limites du bas-re-
lief. Celui-ci s'était d'ailleurs transformé
depuis que Paolo Ucello avait retrouve
et codifié les lois de la perspective. La dé-
rnuverle nvait ?éduil tout lo monde, cl.
^m
ÈS""
^^K/lÙ^^iÉë
BIH
^^^^^K. '^^^^^^^^w
p^^^^H
^^Bk"^ P3
^^H
SI
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Andréa Della JIobbi.a. — .Mainte .\Iail<lei»e et saint Antoine. (Cloître de la Chartreuse de Florence.)
devient tout un monde, où tout parle
en lui, le visaf^e, la main, l'attitude.
J'avoue que, de nos jours, on demande
plus de relief, plus de couleur, une
mise en scène plus bruyante : l'œil
inexpérimenté y trouve davantay:e son
compte. L'homme de j^oùt en est-il plus
satisfait? La réponse ouvrirait le champ
aux inépuisables querelles entre les par-
tisans du réalisme et les tenants de
l'idéalisme. Nous n'avons que faire
d'une telle discussion.
Toutefois les Della-.Robbia ne se sont
pas confinés dans ce qu'on peut appeler
la s_"ul]jture de tjenre. Mali;ré les diffi-
en premier lieu, son auteur. Ne pas-
sait-il pas ses nuits à faire de nouvelles
recherches ? Quand sa femme, émue de
pitié, le pressait de remettre son travail
au lendemain, il répondait naïvement .
« 0 ma chère, si vous saviez combien
la perspective est une douce chose? »
Celte douce chose faillit ruiner le
bas-relief en lui donnant des prétentions
irréalisables. Ghiberti était allé, dans
les portes que Michel-Aniie appelait « les
portes du Paradis », à l'extrême limite
du possible. Luca résista à lentraîne-
menl et se contenta du relief simple.
Par son exem])le, il mit on yarde Andréa
Anduk.v Oei.i.i ItoiiiM.». — l.e Cumunnement ./<■ ta .Vierge. (Couvent de l'Observance à Sienne.)
coiilre les iiiiiov.ilions exafférées. C'esl î il'jirl ne trouve pas à Florence les plus
|iour(nioi les plus beaux reliefs com-
plexes (fe ce dernier n'ont que deux
pians : la perspective y est indiquée.
Ses œuvres sont dis|iersées et le pèlerin
remarquables. « Elles sont dans de
petites villes, dans des couvents reculés
et en particulier dans le monastère de
la \'ertia. • .Xjoulons que, depuis l'ai»-
I.i;S DIÎI.I.A HOHHIA
Andréa Della Kobbia. — Ma, loue 'le la Ciiilola. (Santa Fiora.)
parilion de l'ouvrage de M. lîeymond,
il n'est plus permis aux amateurs con-
sciencieux de formuler le même ret,'ret.
Kn étudiant les grandes compositions
d'Andréa, on est frappé de leur force
expressive. 11 passait pour un doux, un
I.KS UKI.I.A lloltlilA
tendre. Ce serait le Racine de la sculp-
ture. Or, comme chez le firand poêle,
sa douceur cache beaucoup de force :
celle-ci n'est |)as violence, mais elle
s'impose parce qu'elle est continue,
l'eut-être aussi eût-il t;an"6 dans
l'admiration (tant d'autres l'ont
éprouvé!) s'il avait eu quelques mor-
ceaux très brillants, escortés de pièces
faibles ; elles serviraient de repoussoir.
.\u lieu de cela, il est toujours lui-
même cl son inspiration ne connaît pas
d'éclipsé. N'en faut-il pas chercher la
raison dans ce fait qu'esprit foncière-
ment reli;,'ieux, il s'absorba pleinement
dans la méditation des sujets qu'il de-
vait traiter, fermant les yeux à tout le
reste et ne se piquant pas, comme cer-
tains de ses contemporains, d'aborder
tous les sujets et de traiter é^'alemenl
bien le sacré et le profane? Je ne vois
pas Andréa faisant une Diane ou un
Persée. El si, comme le disait le sculp-
teur Préault, toute la difficulté de la
sculpture consiste à enlever à un bloc
de marbre ce qu'il a de trop, il est à
craindre que la main de l'artiste ne
])erde de son assurance, quand sa pensée
n'est pas claire dès le début, ses lif,'nes
arrêtées, son idéal nettement défini. Le
ciseau est l'esclave de l'âme : il transmet
ce que celle-ci lui donne.
Celle force de conviction permit à
.Andréa de renou^•eler des sujets qui
avaient été traités des milliers de fois
avant lui. Où trouver une Crucifixion
plus belle que la sienne? Est-elle vrai-
ment et profondément pathétique cette
scène, où tous les personnaf,'es pleurent,
où toutes les mains ont des f^estes de
désolation, où néanmoins la variété
dans les attitudes est telle, chez les saints
comme chez les an^'es, que tous les dé-
sirés de la douleur sont saisis et ex-
primés! D'autre part, quelle profondeur
de sentiment dans \'Aiiii<inci;ili<)n .'
L'.Anj;c muet et };rave en face de la
Vierffe confondue dans son humilité,
tandisque, dans le haut du tableau, le Père
l^lernel, soutenu par les atij;es, attcnii la
réponse à son messajje. N'oilà bien ce
que M. Keymond appelle d'un mol si
heureux « la sculpture intellectuelle ",
qui ne s'adresse pas .seulement aux sens,
qui satisfait éf;alemenl res|>rit en l'obli-
^'eant à penser et à concevoir.
I,e Coiironnemenl de la Vierge (cou-
vent de l'Observance, près de Sienne)
est de même nature. C'est une des mer-
veilles de l'art italien. Il faut l'avoir
étudié de près pour comprendre ce
qu'un f,'rand artiste peut mettre de
pensée dans un cadre restreint et com-
ment les idées les plus élevées se tradui-
sent matériellement, sans perdre leur
f,'randeur. D'un côté, une majesté in-
comparable, de l'autre une ^'râce ex-
quise, faite de reconnaissance, d'humi-
lité et de candeur; chez les personnages
secondaires, l'adoration et l'amour avec
les suavités de l'extase et les ravisse-
ments d'une contemplation idéale. C'est
du Kra Anj^elico, avec plus d'anatomie
et une connaissance plus raffinée des
dra|)eries. Andréa n'a rien fait de plus
beau, quoique certaines autres pièces
dis|)ulentla palme au Couronnement, par
exemple le retable de la chajjelle Médicis
à Santa Croce, la madone de lu Cinlola
de santa Fiore ou encore le retable de
la chapelle de Saint-.\ntoine à Gamal-
doli. On remarquera peut-être le nombre
considérable de retables exécutés par
nos artistes. M. Muntz fait un mérite à
Donalello d'avoir accepté d'en faire un.
Il me semble que c'était alors un tra-
vail (le choix, car le retable dominait
l'autel el ne pouvait manquer d'attirer
les rcfîards des fidèles. Les sculpteurs
chrétiens y trouvaient leur compte ; leur
])iété était satisfaite et leur amour lé^'i-
lime de la notoriété n'y perdait rien.
Pourquoi ne peut -on attribueraulhen-
tiquemenl aux Délia Hobbia le ;,'roupe
fameux de la Visilulion de Pistoie ?
Dans l'art de la terre cuite, il n'existe
pasd'd'uvre plus belle. Jamais personne
n'a traduit plus éloqucmnienl les sen-
timents de la \'ierf;e et de sainte Elisa-
beth, celle-ci à genoux, dans un mou-
I.KS DIOI.I.A nnlllilA
AxDRf:A Della Robbia. — La Crucifixion. (Couvent de la Yerna.)
vement irrésistible d'amour, avec les 1 l'extase, celle-là confuse d'un tel accueil,
bras ouverts et les yeux agrandis par I jjrête à chanter le Magnifient, non pas
I. i:s DKi.i.A lioitniA
l'hymne du triomphe, mais le cantique
de l'huniililé, fif,'ure idéale (elle que
James Tissot essayait naguère de nous
la représenter. La tradition attribue le
groupe à Fra Paolino : faute de docu-
ments, il est diflicile de se prononcer.
Je mentionnerai enfin les médaillons
des l\v!ingélistes : ceux de Luca à la
chapelle Pazzi et ceux d'Andréa à
l'éfrlisc délie Carceri à Pralo. Les lùi-
faiil.i de l'hôpital des Innocents sont
célèbres : rien de plus ravissant que ces
bambins enimaillolés, si touchants avec
leurs bras étendus et la calme ingénuité
de leurs frais visages ! Célèbres aussi
les Ar/Hoi'r/e.s- de Luca : les corporations
se disputaient l'honneur de les posséder
de sa^main. II créa, pour les encadrer,
l'art de la décoration polychrome, de
ces guirlandes somptueuses dont Ghi-
berti avait rehaussé les montants de ses
portes de bronze et qui reparaissent
partout, dans les bordures des ma-
dones, les cintres des retables ou les
nervures des plafonds. Par leur compo-
sition, elles dérivent du moyen ,Tge, qui
copiait la flore indigène : nous n'y trou-
vons que les fruits des environs de Flo-
rence, oranges, grenades, pommes de
pin, ]iastèques, tandis que, par un
bizarre phénomène d'exotisme, la ro-
sace romaine ou le lotus égy|)tien s'éta-
laient à outrance sur les portes ou les
frises des renaissants quand même.
Tels furent les Délia Robbia. Ils n'eu-
rent pas d'autre ambition ((ue de ré-
péter, pendant tout un siècle, le « même
hymne d'amour à la 'V'ierge Marie ; et
l'on [)eut vraiment dire que, parmi
toutes les immortelles créations du génie
italien, les plus tendres et les plus sé-
duisantes sont les Litanies fle< llclla
Kobbia ».
A. .Mil. Il AT.
>^V
(Musée municipal <\ Vit«rbc.)
LK PAHDON DE IIUMENGOL
Lorsque le toi Grallon, après la sub-
mersion de la ville dis, se rendait à
Tabbaye de Landévennec en compagnie
de saint Guenolé, qui l'avait sauvé de
ce désastre, il passa sur le sommet du
Menez-Ilom, la montagne sacrée de
Bretagne, et de ces hauteurs il aperçut
au loin, dans le vallon du Faou, les feux
d'un sacrifice païen, à l'endroit qu'on
nommait pour cela lUi-
mengol : Uu men goulou-
deiz, rouge pierre du
point du jour. A celte
vue son cœur se serra
de tristesse, et à l'instant
même il fit le serment de
détruire ce sanctuaire
d'idolâtrie et de le rem-
placer par un temple
dédié à Notre-Dame,
mère du Sauveur. Telle
est la légende et tel est
le fait commémoratif de
la fondation de Rumen-
gol, 'devenu le pèlerinage
le plus fréquenté du Fi-
nistère.
Il offre à l'observation
de l'artiste des scènes
animées et pittoresques,
car la Cornouaille et le
Léon s'y donnent ren-
dez-vous dans leurs types
les plus caractérisés et
leurs costumes les plus
enluminés. .Ajoutons que
le tableau est serti dans
un merveilleux cadre de
nature.
... 11 n'est pas encore
jour. Sous mes fenêtres
des voix m'arrivent qui
s'éternisent dans des con-
versations en langue celtique. Les dis-
coureurs crient fort et leur diapason
atteint des notes de tête très drôles.
Je vais voir aux rideaux. Ils sont trois.
nez à nez, qui parlent ensemble sans
pouvoir s'entendre, naturellement I Les
voilures commencent à rouler. Ils sont
effrayants, ces chars à bancs qu'un maigre
bidet emporte.
Je vais parcourir à pied les trois ki-
lomètres qui séparent le Faou du lieu
de pèlerinage. Six heures du matin tin-
LA PORTE CENTRALE PENDANT LA MESSE
tent aux horloges. Les premiers pèlerins
s'acheminent en chantant des cantiques.
Des femmes portent à leurs bras des
Li; l'Ait 1)1 IN Uli I!UMKN(;OL
piiqucts gonllcs de provisions ou bien
de ces paniers pansus et un peu ridi-
cules, qu'elles ne quitteront pas un
instant et qu'elles traîneront à la pro-
cession, à l'église, sur l'herbe et en voi-
ture ; paniers-armoires : paniers «jarde-
manger ! Beaucoup de costumes que je
vois conservent leurlournure archaïque.
Morlaix est représenté par ses longs
bonnets pointus, sortes de hennins les
jours de fêle. Contre un muret, trois
pèlerins se sont appuyés: une femme de
Daoulas, un homme d'Irvillac et un beau
gars de Plougastel en bonnet phrygien.
Sous l'ajouremenl de leurs coilfes en
gobelets, les (^)uimpéroises font glisser
T T P E -s DE PÈLERINS I) A O U L .'
lliVII.I, AC ET PLOl'OASTEI,
Les collerettes du pays de Chàteaulin,
retroussées sur les épaules et encajlrant
le visage, rappellent à mon esprit cer-
taine Catherine de Médicis senibla-
blemenl engoncée dans sa guimpe.
Un instant je m'arrête à l'examen des
coill'es et j'essaye de lire à ces enseignes
le nom du village et le lieu d'origine
des processionnantes. \'oici les vastes
ailes (le l'iougasiel. Ici, les coilfes à deux
anses du I'"aou. Là-bas, les cornettes re-
troussées du vieux (Joué/.ec. Contre moi,
les lingeries légères des sveltes filles de
Fontaven et de Hannalec! l*lus loin, les
()oclies de mousseline des Léonardes et
les solides toiles empesées de Carliaix.
entre toile et dentelle des feuilles de
papier argenté ou mordoré, et cela pro-
cède bien du moyen âge, proiligue de
peinturlures et de dessous enluminés.
X'oyez les vieux meubles I \'oyez sur-
tout les statues polychromes des porches
et les fresques dont les imagiers déco-
raient les niches et les plafonds.
.\ mesure que j'avance, mon atten-
tion s'éveille sur la diversité des beaux
habits. Des montagnards du l.az, ha-
rassés par une nuit de voiture, montrent
leurs jambes lléchissanles dans les cu-
lottes courtes. J'admire bien davan-
tage la vraie braie large et boulfanle de
l'Iogonnec, ce qu'on nomme les bragou-
LK l'A ni) ON Di: MUMKNGOL
liras an pays d'Arvor. Seuls les vieil-
lards porteiil encore ce costume dans
son iuléf^rité théâtrale.
J'arrive à Runienj^ol juste pour la
première messe du matin, célébrée en
pleins champs. Dans les galeries à jour
de la chambre des cloches, l'airain tonne.
Le spectacle de cette foule pieuse sous
Le porche, dont le tympan porte la
représeulation de r.-\doralion des NLiges,
mérite une mention par l'orif^inalilé de
son demi-relief.
La A'ierge, assise sur un trône, pré-
sente l'Enfant Jésus aux hommages des
rois de l'Orient. Derrière elle, saint Jo-
seph s'appuie sur un bâton. Plus loin,
LES BiirTlQCE.S PIETSES ET LE l'ORCnE EST
ht \oùte lini[)ide du ciel ne manque pas
de grandeur.
Les pèlerins s'agenouillent, s'inclinent,
se relèvent a\ec un calme impression-
nant qui donne une idée de la discipline
de leur foi. Je me retourne vers l'église,
un délicieux monument de la Renais-
sance qui date de 1537. On y trouve
les souplesses, les rondeurs, le gras
sobre et délicat qui sont la vraie touche-
des premières années de la Renaissance.
La porte centrale en anse de panier est
encadrée de moulures prismatiques.
Deux colonnettes se tordent en hélice.
Le gothique fait aussi sentir son influence
dans ce beau monument.
les amusantes têtes de l'tàne et du buuf
paraissent sortir de la pierre.
Extérieurement à l'église, un cimetière
sans tristesse, planté de croix, semé de
dalles, mouvementé dans sa surface et
ombragé de beaux arbres, prévient en
faveur de ce pèlerinage célèbre.
Les messes du matin se succèdent
pour satisfaire à la piété des fidèles ac-
courus sans cesse par tous les chemins.
Les carillons s'égrènent; les chants s'é-
lèvent; les prières se murmurent; les
mendiants prodiguent leurs bénédic-
tions; des pèlerins se signent avec des
g^estes larges; les chapeaux tombent de-
vant le calvaire. l)u presbytère, de
M-: l'AUDDN DK lUMENCOI.
jeunes abbés on surplis blancs s'échap-
peiil : une {grande activité de foi eni[)lil
|{umen|,'ol.
Je suis pousse sous le porche par la
foule qui se presse pour entrer, et sans
transition, je passe du plein du jour à
l'obscurité ombreuse de la nef. Des vols
de clartés bleues, jaunes, violettes, des-
gars de Bretagne, et leurs pantalons
étroits moulent leurs jambes nerveuses,
tandis que leurs petites vestes, étran-
gement coupées, ne peuvent joindre
leur taille, qu'ils entourent d'un fou-
lard débordant en écharpe sur le côté.
Sous la clarté jaunissante des lampa-
daires, de minuscules arches turriculées
\- E N D E U s E s D K
ccndent des hautes verrières, papillon-
nent sur les piliers, s'abattent sur les
dalles en flaques irisées, mystérieuses.
De blanches coifTes se teignent de ces
lueurs et aussi des visages, des mains
se baignent dans ces nuances impal-
pables. .\lors les pèlerins, qui prient
avec des yeux en haut et des doigts
joints, prennent des allures de vitrail.
Devant les deux autels latéraux et
contre les grilles qui ferment le chteur,
les bannières étincelanles, gemmées,
brodées et les croix processionnelles
sont dressées. Près d'elles, leurs
porteurs écoutent une messe. Ils sont
aL-^enouillés sur les dalles, les forts
prennent des significations troublantes.
Dedans, el scellées dans des étuis, se
trouvent des reliques revêtues ainsi dr
l'apparat de temples en miniature.
Des filles de campagne, largement en-
juponiiées, sont accroujjies. Ici des
jeunes gens, all'aissés sur leurs talons,
montrent la ferrure de leurs souliers.
Dans les coins, des groupes s'assoient
par terre, jambes étendues. Harassés
et les bottes poussiéreuses, deux hommes
très grands, à figure tragique, fixent
des yeux terribles sur la statue de
Notre-Dame de Humengol. Est-ce
prière'.' I*]st-ce menace? A côté, le spec-
tacle pilovable de plusieurs enfants
I.K l'AlilxiN DE liV.MKNdOI.
idiols et scrofuleu\. conlournant leurs
doif^ts et louchant à leur bout de nez.
Devant moi le chceur scintille sous
los taillis lumineux des cierj^cs, cepen-
dant que les verrières, à la clarté du
soleil, acquièrent de brillantes tonalités.
Par contraste, en bas, la foule parait
d'ombre, à l'exception de la lloraison
lavoir ! Deslillettés emplissent de f,'rands
chaudrons, et quelques paysannes, à tour
de rôle, lavent leurs pieds dans des
cuvettes en l'er-blanc. Ag^enouillée sur
le lavoir, une femme prie sans souci des
ambiances, puis elle boit un bol d'eau
que lui tend une marchande de la fon-
taine. L'eau et le feu entrent toujours
([Kll'l'K UEi
neigeuse des coilles balancées d'un mou-
vement de houle. Une cohue de pèle-
rins frottent des baguettes écorcées
sur la statue de Notre-Dame de Ku-
mengol. La légende veut que les objets
touchés bénéficient de pouvoirs précieux
contre la foudre et l'incendie.
Un mouvement extraordinaire anime
le cimetière. Les vendeuses de cierges
se tiennent devant les portes et les pas-
sages, car chaque arrivant tient à hon-
neur de faire briller sa flamme, si pe-
tite soit-elle !
.\ cinquante pas de l'abside, au bord
de la route, se trouve la fontaine mira-
culeuse qui alimente un bassin et un...
dans le cérémonial des pardons bretons.
Il faut y voir les vestiges des croyances
millénaires dans les éléments sacrés.
... Les trois cloches, balancées en-
semble, annoncent la grand'messe. Les
routes, la place se vident et la foule se
masse dans l'église. Bientôt les tètes
affleurent les portes, puis les nouveaux
arrivants se surajoutent pour déborder
sur les tombes, sous les arbres, dans le
champ. Les familles s'associent, les pa-
roisses se réunissent. Des taches rouges,
vertes, bleues s'élargissent par des
admissions nouvelles. D'entre les groupes
agenouillés émergent les mâles figures
des pères de famille. Ils sont entourés
LE PAHDON DE UUMENC.DI.
(lu personnel complet de la ferme,
enfants, valets et chambrières.
Adossés aux troncs des ifs et des
chênes, se tiennent les métayers de Da-
oulas, leurs épouses et leurs derniers-nés.
I, "incomparable palette de leurs habits
étonne les peintres, tandis que l'obser-
vateur admire la robustesse de leur
battues. Il y a quelques années seule-
ment, les hommes portaient encore une
pure coid'ure moyenâgeuse, avec des
rubans devant, et, par derrière, une série
de pompons en chaînette scxtravasant
des larges rebords. Gel immense cha-
peau cède la place au feutre orné de
velours. Les jeunes gens adoptent tous
L \ ti lî A N I) ' M K S S E E .V I' L E I .N .\ l R
carrure et la franchise de leur regard.
J-e sentiment de la parenté est très
développé chez ces braves gens, qui
voyagent par tribus de famille.
Tout semble hiérarchisé chez eux. Les
costumes paraissent des uniformes. Les
garçons portent des vestes bleu de ciel
à deux rangées de boutons blancs et sur
la léle le béret. Le petit bonnet des lillcs,
divisé par quartiers, comme des tran-
ches de melon, alfecle des tons réjouis-
sants. Leurs châles atteignent l'extrême
gamme des couleurs vives. Après leur
première communion, les filles commen-
cent à surcharger leur chevelure de
l'énorme coiffe cylindrique à ailes ra-
cette coilhire moins typique, mais plus
pratique.
Pour protéger leurs pantalons blancs
des souillures de la terre, les hommes,
quand ils s'agenouillent, mettent sur le
sol leur mouchoir.
Des m.iriiis sont montés dans les ga-
leries ajourées du clocher. Leurs cos-
tumes se profilent bleu sombre sur le
bleu clair du ciel, et leurs cols ont des
soulèvements d'ailes. Ils empoignent
les cordes des cloches et ils halenl, ils
larguent, se raccourcissent, se redres-
sent. Un cri retentit, répété avec mille
accents : '• La procession ! la proces-
sion ! " Sur If fond noir de la porte
LK l'AMDoN DE 1! U M KMi 1 1 1.
centrale, une rayonnante bannière la-
mellée de flèches d'or paraît projeter
de la lumière. A la base de la hampe,
un paysan serre le bois à pleine brassée
et s'avance d'une allure saccadée.
Ainsi qu'une voile de navire émer-
gée des profondeurs inconnues, un
étendard de soie blanche grossit dans
Des femmes, en toilette de gala et
coilFe de dentelle, portent le brancard'
où, sur un trône et planant sur les têtes,
la \'ierge paraît s'incliner dans un mou-
vement pitoyable et doux. Les prêtres
viennent enfin; jeunes abbés promenant
les reliques et, par derrière, avec leurs
cheveux blancs, les recteurs entonnant
LA PROCESSION — LES b' I T. L E S ET LA D A X X l fc R K rf A I N T - J 0 S E P H
l'obscurité de la nef pour s'épanouir sur
le seuil.
D'autres bannières de velours, por-
tant en relief de saintes images, arrivent
dans le soleil comme des navires de
haut bord.
Assez semblables à des papillons, les
légères oriflammes volettent en façade
xle la foule, tenues en main par des
fillettes. La solennelle bannière de saint
Joseph, lune des plus riches, est dis-
putée tour à tour par les jeunes filles
de Rumengol et du Faou. Une poussée
irrésistible se produit.
Voilà la statue miraculeuse de Notre-
Dame de Rumenffol !
les cantiques à Notre-Dame de Ru-
mengol. La procession décrit un cercle,
se détache un moment sur l'horizon du
Faou, remonte dans la verdure et re-
tourne ;■) l'église.
La fête profane commence aussitôt.
La gaieté, cachée jusque-là sous l'enve-
loppe fermée des visages, rit au.x yeux
et aux lèvres. Les filles sautillent; les
gars, le chapeau sur l'oreille, se dandi-
nent. On s'aborde; on cause; on va
manger l'emblématique amande douce
ou s'offrir des rubans et des mouchoirs:
l'amande douce, offerte par un jeune
homme, constitue une déclaration sou-
vent suivie il'un mariaffe.
L !■: P A li 1 ) I > N DE H L' M K N G () L
In magiiinque churlalan,nu son d'un
liarmoiiiuni, vend... des panacées? Non
pas ! 11 débite des cantiques et des ob-
jets de piété. Ce philosophe de roulotte
sait exploiter tour à tour les secrets pen-
chants de ses auditoires.
Le pardon de Humen^ol, conmie les
antres d'ailleurs, facilite les mariâmes
vacarme des roues. Un peu ivres, les
conducteurs se dressent avec des gestes
tra(;iques. Dans leurs mains, les pèle-
rins rapportent des chapelets, des
images et aussi... ô signe des tempsi
de ces balais de papier coloré pour se
chatouiller le cou.
Mélancolique, l'église de Humengol
I. A 11 K N T K É E
on jiermettant aux jeunes gens de se
retrouver. Je remarque des lilles de la
campagne de Carhai.\, qui voudraient
être coquettes avec leurs jardins suspen-
dus sur le corsage. Les jeunes hommes,
en passant, fouillent du regard ces flo-
i-aisons, ornements exubérants de leur
|)oitrino. Quelquefois, si l'un d'entre
eux se décide pour le bouquet de roses
ou pour le parterre de géraniums, il
oirrc des amandes, et les yeux répon-
dent... de même.
... Le soleil décime sur la vallée et
rend plus lointaines les collines. Les
chars ;'i bancs sortent des hangars, et le
rcIniM- aux niéliiirii'x s'elVcclue dans le
tinte 1 .Angélus du soir. Le cimetière est
désert. Fresque vide la nef I
Sur la route, deux piétons retardataires,
pèlerins d'amour autant c|ue de piété.
Une jeune penrez ijeune fille à marier)
de Chàteaulin, un marin de Hrest. Leurs
silhouettes se versent l'une sur l'autre
dans im échange de baisers.
Ils se retournent vers la llèchc encore
entrevue sur le ciel noirci, et, leurs mains
nouées, ils unissent la religion d'amour
à l'acte de dévotion.
Puis, tout petits et serrés, ils s'éva-
pnrcnl sur la route bi-une.
( ', Il A H Ils (! I N 1 \ I \.
LKTOILE DU IJOI CHAULES DE SL'KKK
Peiulaiil que tous ceux tloiil la main
était encore capable de tenir une épée
se préparaient au combat clans toute la
Mépublique de Pologne, Charles-Gus-
tave demeurait en Prusse, occupé par
la conquête des villes et par des pour-
parlers avec rélecteur.
Après une facile victoire, le subtil
soldat s'apercevait soudain que cette
conquête, glorieuse pour le lion suédois,
pouvait lui coûter cher. Le retour de
Jean-Casimir, roi de Pologne, détruisait
à jamais lespérance de conserver la
République entière; du moins le mo-
narque Scandinave voulait-il en con-
server la plus grande partie possible, et
avant tout, cette Prusse, province riche
et fertile, remplie de grandes villes et,
de plus, limitrophe à ses Ktals", mais
ce pays vaincu demeurait obstinément
lidèle à son premier maître et à la
République.
I.e retour de .lean-Casimir et la
guerre déclarée à nouveau par la confé-
dération de Tvsch pouvaient ranimer
l'esprit patriotique de ces provinces, les
encourager à la résistance.
Charles-Gustave le comprit. Il résolut
de vaincre à jamais la rébellion, d'écra-
ser les forces du roi de Pologne, d ôter
aux Prussiens toute espérance de secours.
Il devait d'ailleurs agir ainsi, ne fût-ce
qu à cause de l'électeur, toujours prêt à
soutenir la cause du plus fort. I.e roi de
Suède connaissait maintenant le person-
nage : il ne pouvait douter un instant
que, dans le cas d'un changement de
fortune propice aux Polonais, l'électeur
de Prusse redeviendrait leur allié.
Cependant le siège de Melboy n'avan-
çait guère. Cette forteresse était tou-
jours défendue avec acharnement par
W'eiter. Charles-Gustave envahit le ter-
ritoire de la République, décidé à
XIII. — 1.*
atteindre et à écraser .Icau-t .asiniir dans
son dernier refuge.
l"]t, comme l'action, chez cel homme,
suivait immédiatement la pensée, ainsi
que le tonnerre suit l'éclair qui l'an-
nonce, avant que le bruit de cette nou-
velle invasion se fût répandu en Pologne,
le roi de Suède, ayant rassemblé à la
hâte ses troupes disséminées dans les
campagnes, atteignit Varsovie et. sans
s'y arrêter, alla plus loin, se jetant en
pleine fournaise, dans l'incendie terrible
qui dévastait le pays tout entier.
Il avançait, pareil à la tempête, ilé-
truisant tout sur son passage, dévoré
par la colère, la vengeance et la haine.
Dix mille cavaliers le suivaient sur les
steppes encore couverts de neige. Ils
ma rch a ien t comme le souf Ile de l'ouragan,
vers le midi île la Ré|)ublique.
Sur sa route, le Suédois brûlait et
massacrait tout sans pitié. Ce n'était
plus le Charles-Gustave d'autrefois, le
souverain clément, humain et gai. Par-
tout oij il apparaissait aujourd'hui, le
sang de la noblesse et le sang du peuple
aussi, hélas I coulaient à flots. 11 massa-
crait les rebelles, pendait les prisonniers,
ne faisait grâce et merci à personne.
Mais, ainsi que dans les ténèbres de
la forêt profonde où l'ours taciturne et
redoutable avance lentement sans que
les loups affamés qui le suivent osent
encore l'attaquer, de même dans ce
désert des steppes, d'innombrables com-
pagnies de partisans et de volontaires
suivaient pas à pas l'armée sui-doisc,
toujours prêts à lui nuire. Ceux qui le
précédaient sur la route de la victoire
détruisaient les ponts, brûlaient les vil
lages, anéantissaient les provisions. Le
vainqueur Scandinave marchait littéra-
lement dans un désert, ne trouvait
pas un abri pour le repos, pas un mor-
I, r;To[Li-: Dr noi i:i! Ain.ics de srKDK
le.TU fie pain pour ses soldais all'anii-s.
("Jiarles-Guslave conipreiiail enfin
eombien son entreprise deveiiail lénié-
raire. F.a f(uerre l'enlourait de toutes
paris, chaque jour plus terrible, plus
a^'ressive, comme une marée montante.
La Prusse élail on l'eu, la (Irande-
Polo';ne qui, jadis, a\ail accepté la pre-
mière la conquête suédoise, ne s;>nf;eail
aujourd'hui qu'à secouer le jouj;.
La Pelilo-FolofjMe et la Liihuanie
élaient en llammes. elles aussi.
Dans les châteaux, les forteresses et
les j,'^randes villes, le pouvoir des Sué-
dois se maintenail encore ; mais les
campag:nes, les champs, les prés, les
l'orcls, les rivicics et les fontaines
étaient reconquis par les Polonais.
.Non seulement quelques soldats isolés,
mais même un régiment entier ne pou-
vaient s'éloigner sans péi-il de l'armée
suédoise. Sa perte était certaine : les
ti'ainards disparaissaient et l'on racon-
tai! que les prisonniers tombés aux
mains des paysans pf'rissaienl dans de
terribles tortures.
(Test en vain c|nc (".harles-GusIave
taisait aiinoucer <laiis les vilhiL;cs el les
])etilcs \illes que IoliI pavsaii ayaiil
amené au camp suédois un genlilhomme
polonais fail prisonnier, mort ou \U\
que tout sert rallié h la cause de l'en-
vahisseur dcvcnail libre el alTranchi de
par la volonté i-oy.de. I>es paysans l'ai-
saicnl cause commune avec la noblesse.
Le peuple des monlaynes, celui des
forêts et des slepjies se cachaient dans
les bois, fuyant de\ant l'ennemi, lui
loudant des pièges à chaque pas, s'alla-
([uanl aux éclaireui-s: les gourdins, les
faux el les couteaux des paysans étaient
rouges de sang suédois tout auLml que
les sabres des seigneui's et des nobles.
l'^l ce qui exaspérait surtout le roi
Charles, c'est que ce même pays, subi-
lenieril révolté aujouid hni. il l'avait
conipii-. quelques nmi-- aupaiMvant,
])resfpic sans difficnllc D'où \enaienl
ces forces nouvelles, celle résistance
inallenilne, celle "iiei-re sans merci.
dont il ne pouvait plus prévoir la lin?
Aussi, les conseils de guerre étaient
fréquents à l'élat-major de r.irméc.
Parmi ceux qui accompagnaient le roi
dans cette campagne, il y avait le pi'iuce
.Adolphe, frère de .'sa Majesté, Itobert
Douglas, Henri ilorn \\'aldeniar, comte
de Danemark, Mùller Aszendjcrg, él, le
plus célèbre de tous, le vieux bandit,
.Alfred \\'itlemberg , feld-maréchal el
généralissime. D'autres encore. Ions
connus jiour leur génie militaire et leurs
exploits et dont la gloire n'était sur-
passée que par celle du roi.
Tous, d'ailleurs, commençaient à
craindre que cette vaillante armée ne
pérît de privations et de fatigues. Le
vieux ^^"iltenlberg se prononçait nette-
ment contre la campagne nouvelle ;
— Connnent \'otre ^L^jcslé poiirra-
t-elle atteindre un ennemi qui nous fuit,
qui évite toute rencontre, qui nous pré-
cède sur la route de Pologne et qui
détruit tout sur son passage'?... Que
ferons-nous lejouroii noschevaux crève-
ront de faim et où le même sort menacera
nos soldais? Où sont les armées nou-
velles qui nous \iendronl en aide? Les
châteaux, les l'oi-leresses où nous pour-
rons nous reposer et nous ravitaillei'?
Je n'ose certes pas comparer mon mérite
à celui de mon roi ; maissi j'étais Charles-
Gustave, je ne rist(uerais point une gloii-e
si chèrement ai-quise, au prix de tant de
victoires, dans une lelle campagne.
Mais (^harles-tîustave lui répondit
simplement :
— .Il' p.nli'rais comme vous si je
m'appelais \\ ittemberg.
Il s'avançait donc, d'une marche in\in-
cible, malgré tant d'obstacles, en jiour-
suivant le glorieux chef de l'armée
polonaise, Czarniecki.
Celui-ci, n'ayant p.is de troupes assez
nombreuses , assez disciplinées pour
enti-eprendre luie hilli' ouverte, évitait
toute rencontre ; il fuyait devant les
Suédois, mais continuait contre eux une
guerre acharnée d'embuscades. L'aimée
snédoisi- no savait jam.iis an juste où
I. ÉTOILK DU MOI CIIARLKS DK SfKDK
se trouvait cet invisible el redoutable
adversaire, toujours prêt à des attaques
iuatteiKluos et rapides comme Téclair;
ou vent parmi
es brouillards
du crépuscule
el de la nuit g^laciale, les
Suédois croyaient voir
des ennemis embusqués
dans les bois, dissimulés
dans les massifs des fo-
rêts impénétrables ; fous
de rage, ils commen-
çaient contre ces adver-
saires imaginaires une
fusillade inutile et déri-
soire. Une fatigue
froyable accablait
soldats Scandinaves :
marchaient en avant, sur
celte terre conquise, mais
ennemie, suivis pas à pas
par le froid, la faim et le
désespoir, avec la crainte
perpétuelle dune attaque
décisive de leur invin-
cible el redoutable adversaire.
Ils parvinrent enfin à le rejoindre aux
environs de Goleb, près de la Mslule.
I. ÉTOILK Di; HOI C. MAUI.KS DK SLKDK
Plusieurs réf,'imerils polonais, déjà prêts
;iu combat, s'étaiil précipités avec vio-
lence sur l'ennemi, semèrent dans ses
rangs l'épouvante et le désordre.
Ce fut d'abord Wolodvjowsky, avec
son fameux réf;imciit de Landau, qui
attaqua le prince héritier de Danemark,
tandis que Samuel X'iawecki, avec ses
chevaliers, anéantissait la lésion étran-
gère des merccnairesanglaisdeW'ikilson.
Kn un clin d'<fil, les Suédois furent
repf)ussés jusqu'à la Vistule. En voyant
le désastre, Douglas s'empressa d'arriver
à la rescousse avec ses troupes d'élite.
Mais ce renfort ne put arrêter la débâcle
générale. Les Suédois, alfolés, se préci-
pitaient, du haut des bords de la Vis-
tule, très escarpés en cet endroit, dans
le fleuve, recouvert d'une épaisse couche
de glace sur laquelle les blessés et les
morts s'amoncelaient.
Mais en ce moment, Cliarles-Gusla\e.
avec ses régiments et son artillerie, arriva
lui-même sur le champ du combat, et la
fortune changeante sembla sourire aux
Suédois. Les troupes de réserve de Czar-
niecki, mal disciplinées, ne surent pas
résister à l'attaque inattendue de l'armée
ennemie tout entière et bientôt se mirent
à fuir dans la direction du Wiepar.
Czarniecki , voulant du moins pré-
server d'une perle certaine ses troupes
d'élite, celles qui avaient si vaillamment
commencé la journée, Czarniecki, déses-
péré, lit sonner la roli-aite. lue partie de
l'armée polonaise leirectua dans la direc-
tion du Wiepar, l'autre dans celle de
Kouskowoli, abandonnant le champ de
bataille; et la victoire, un instant incer-
taine à Charles-Gustave, triomphait une
fois de plus.
La joie était immense dans le camp
suédois. Non pas que les trophées et le
butin de cette victoire fussent bien glo-
rieux. (Juel(|ues sacs d'avoine et quel-
ques chariots vides. Mais Charles, celte
fois-ci du moins, ne songeait pas au
bulin. Il lui fallait le réconfort moral
d'une victoire. Il l'avait obtenu.
Il était henrenx de constater <pie la
fortune lui demeurail lidclc comme aux
jours d'autrefois, qu'il lui avait suffi
d'apparaître et tle vaincre. Kl quel
adversaire ? Cet illustre Czarniecki, le
dernier espoir de .Jean-Casimir et de la
République 1
Il espérait que cette nouvelle allait
se répandre bientôt dans le pays entier,
que toutes les voix de la défaite répé-
teraient à l'unisson la terrible vérité.
Oui 1 Czarniecki est vaincu ! Et les pol-
trons et les lâches, exagérant les pro-
portions du désastre, enlèveraient tout
courage à ceux-là même qui venaient de
reprendre les armes !
.Aussi, lorsqu'on lui apporta les sacs
d'avoine, seul el dérisoire butin du
combat, le roi de Suède, en s'adres-
sant à ses généraux encore tout sou-
cieux, leur dit :
— Que le voile d'inquiétude (|ui
assombrit votre visage se dissipe, mes-
sieurs, car voici la plus grande victoire
que nous ayons renqiorlée depuis un
an, et elle peut mettre une lin à la
guei-re elle-même.
Mais Wiltcniberg, qui, plus .■•oulfrani
et plus faible que d'habitude . voyait
tout en noir, lui répondit :
— Remercions Dieu de nous avoir
accordé la victoire. Elle nous permet,
du moins, de continuer tranquillement
celte campagne: — et pourtant. Votre
.Majesté le sait bien. — si les armées
de Czarniecki se dis|)er.sent bien vite,
elles renaissent avec une rapidité non
moins surprenante.
Le roi l'interrompit :
— Certes, monsieur le maréchal,
votre gloire de grand capitaine est égale
à celle de Czarniecki. el pourtant, si vous
aviez subi un échec [)are'i à celui qui
vient d'abattre son orgueil, vous-même,
d'ici deux mois, ne pourriez pas rassem-
bler une armée nouvelle.
Oui, désormais, la victoire est cer-
taine. Czarniecki seul pouvait nous la
disputer. Mais Czarniecki est vaincu, et
il n'v a plus d'obstacles.
Les généraux ^uédms partagèrent
1. KlOl MC 1)1 liiH i:ilAlU.l£S UE SUKDK
hieiilol la joie de leur ^^lorieiix MHiverain. Sa confiance les gagnait peu à peu.
Les troupes, grisées par leur tri(imi)he. tlélilèrent sous les yeux de Sa Majesté
avec (les cris d'enthousiasme et des chants de victoire.
Czarniecki ne les in(|uiétait plu>. I.e grand ennemi, terrassé,
n'existait plus! Et cette pensée leur faisait oublier
les misères récentes! Elle rendait acceptables les
épreuves prochaines. Les paroles royales, que
plusieurs officiers avaient entendues, s'étaient
répandues dans le camp suédois, et tous commen-
çaient à croire vraiment à une tivs
grande et très importante \icloire. Les
I.KTOILE 1)C liiil Cil Alil.KS DE SUÈDE
jours (le veiifieaiu'o ot de (Inniiiuitioii
absolue étaient eiiliii venus.
Le roi accorda aux troupes quelques
heures de repos, l'-lles élaienl campées
ù Krowienik et à Lvrsvn: des vivres
étaient venus. On avait pillé et brûlé les
maisons abandonnées par les habitants ;
quelques paysan.s, pris les armes à la
main, furent pendus séance tenante,
après quoi un grand festin eut lieu.
Puis les soldats Scandinaves s'endor-
mirent d'un jirofond sommeil — profond,
car pour la première fois de])uis bien
lonjjtemps, ce sommeil était tranquille.
Le lendemain, à l'heure du réveil, les
premières paroles qui voltifrèrent sur les
lèvres de tous furent celles-ci :
i> Czarniecki est vaincu. "
l/armée suédoise se remit en marche
dans les meilleures disi)ositions.
La journée était froide, mais sereine.
Un vent gflacial avait gelé les mares
si nombreuses sur la route de Lublin, et
cette route, maintenant, était devenue
excellente. Deux réffiments de dragons,
sous le commandement du Français
Dubois, étaient partis en éclaireurs dans
la direction de Grabow, s'éloignant ainsi
du gros de l'armée à près d'une lieue.
Une telle imprudence eût semblé im-
possible, naguère. Mais aujourd'hui la
gloire et la terreur rrune r(''cenli- vic-
toire marchaient (lc\aiil ceux qui, hier
_encore, auraient senii)li'- voués à une
mort certaine.
L'armée suédoise continuait tranquil-
lement sa marche. Du fond des bois,
des cris menaçants, comme autrefois,
ne la saluaient plus an passage. Des
coups, portés pal- (rin\isibles ennemis,
ne frappaient plus les envahisseurs.
A la nuit tombante, Charles arriva à
(Irabow. Le roi élait disjios et d'excel-
lente humeur. Il songeait déjà à un repos
bien gagné, lors(|ue le général .Vs/.eberg
lui lit dire par l'oflicier de garde qu'il
désirait, i)our all'aire grave, causer avec
Sa Miijesté ce soir même.
dette audience lui fut accordi'i'.
Il euli-a qnel(|Mes ijislanis après dans
les appartements du roi ; .\s/eberg n'était
pas seul, un oflicier du régiment de
dragons de Dubois l'accompagnait. Le
roi qui, de son regard perçant, gravait
à jamais au fond de ses souvenirs tous
les visages ayant traversé sa vie, et dont
la mémoire était tellement étonnante
qu'il se rappelait les noms de tous ses sol-
dats, le roi reconnut aussitôt cet officier.
— (Ouelles nouvelles m'aiiporle/.-vous,
Fried '? demanda-l-il. Dubois e>t-il de
retour?
— Sire, Dubois est mort ! répondit
Fried.
Le roi se truuliia. Il s'a]ieri;ul entin
que le capitaine de dragons était pâle
comme un morl et cpie son uniforme
était déchiré et couvert de poussière el
de sang.
— Et mes dragons? \'os deux régi-
ments?
— Tous morts, sire, t(nis. jusqu'au
dernier. Je suis le .seul qui ail échappé.
Le visage .soudain assombri du roi
devint encore plus soucieux el plus taci-
turne :
— Qui a l'ail cela ?
— Czarniecki !
Charles-Gustave se tut et après avoir
regardé longuement .Vs/.eberg, atterré,
lui aussi, après un assez long silence, il
conlinua à interroger l'officier.
— Tout ceci est presque incroyable.
Tu as assisté à ce cnmbal. Tu as vu ce
massacre?
— .\insi que j'ai le Ixudicur île con-
templer maintenant les traits de mon
souverain. Il m'a chargé de saluer ^'otre
Majesté el de lui dire (|n'il allait main-
tenant passer sur l'antre rive de la \'is-
lule, mais qu'il continuerait ù nous
suivre, toujours prêt à l'attaque, .le ne
sais s'il a dit vrai.
— C'est bien, dil le roi de Suède en
all'ectanl d'être calme. Ses lrou]>es sont
donc ])lus nombreuses que nous ne le
croyions.
— Quatre mille hommo au moins,
sire, peut-être davantage. Ils nous onl
attaqués ])rès de \'iersiczyn, \ers lequel
I/KTOILK DL" l!(il CIIAHIKS Dli SLKDr,
lo colonel Dubois s'étnil clirif,'c, en s'écar-
taiit (le la f,'ran(lc route: car on lui avait
:i|)j)ris que des troupes ennemies allaient
nous y barrer le passaire. (Vêlait un
— Cet homme a dû vramicnl conclure
un pacte avec les puissances infernales,
dit le roi brusquement. Car o.<er s'atta-
piège infâme. Nous sommes tombés : quer à nous aussitôt après une défaite
dans un j^'uet-apens. Pas un de mes : comme celle d hier, ceci est au-dessus
camarades n"a pu échapper au massacre, i des forces humaine?.
I. KTUII. !•; 1)1' uni C. II Alil.KS DK SUKDli
— Les craitilcs du maréflial de ^^'it-
Icniberf; se soiil iralisées. murmura
Aszcherj;.
— Vous ne savez que prévoir cl aii-
h<iiu'er le malheur, s'écria le roi. mais
jamais le conjurer!
.Vszeber}; pâlit el se lut. Gharles-
(îuslave, lorsqu'il élail de bonne hu-
meur, semblait la bonté même, mais il
lui sullisail (le froncer les sourcils pour
iii.-pirer une terreur panique à tous ceux
de son enlouraj^e. Pourtant, il se calma
cl continua à questionner Fried.
— Les troupes de (^zarniecki sont
donc bien vaillantes !
— Incomparable^, sire, surtout la
cavalerie.
— Oui, ce sont ^ans doute les rcffi-
nicnts qui nous oui attaques les pre-
miers hier, à Goleb. De \ieux soldats,
>ans doute. Et Gzarniecki lui-même, il
a déjà repris couraj;e?
— Oui, sire, el à un tel point, qu'on
|)oui-rail croire que c csl lui qui a rem-
piii-lé la victoire, hier. En tout cas, ils
ont déjà oublié leur défaite de la veille.
Ils ne pensent plus qu'il celle i-evanchc
obtenue aujourd'hui. J'ose répéter à
\olre Majesté ce que (vzarniccki lui-
même mu charfifé de redire. Mais au
moment où j'allais enfin partir, épar-
jjné par miracle, lui vieux soldat, de
force, d'allures herculéennes, s'approcha
cl me dit qu'il était celui dont la main
>airiléf;e avait frappé jadis d'un coup
iiioi-lcl le jjrand, l'inimorlel Guslave-
.\dolphc. Cet homme osa aussi insulter
\'olre Majesté, el les autres faisaient
clioiMis. L'audace des Polonais ne con-
naît plus de bornes. Je suis parti, pour-
suivi |)ar une loiifjne clameur d'insultes.
— Ivl qu'imporlent leurs insultes ?
décria Charles-Gustave. Gzarniecki n'est
pas écrasé, son armée existe encore :
\nilà l'essentiel. Haisoii de ])lus pour
<(intinuei- noire marche en avant, afin
d'atteindre el d'écraser le plus lût pos-
sible la dernière .iiniée polonaise. Mes-
sieurs, je ne vous retiens plus. A demain.
Les officiers s'inclinèrent et sortirent.
(>liarles-Guslave resta seul cl pensif,
.\insi, celle victoire de Goleb était
iinilile. Elle ne chan^'cail rien à la situa-
tion ])résenle, au contraire. Elle n'avait
fait sans df>ute qu'auf^menler la rage et
le ressentiment du pays allaqué sans
raison par les Suédois, cn\ahi el terro-
risé par eux.
Gharles-Gustave aireclail toujours
devant ses généraux el ses courtisans
une inébranlable confiance.
Mais lorsqu'il songeait à celle f;uerre,
commencée jadis sous de si heureux
auspices — de plus en i)lus difficile à
présent — dans son ànie inquiète le
doute jiîrandissait cha(|uo jour. Tous les
événements de celle campa^'tie étaient
si bizarres, si inattendus 1 11 ne voyait
pas d'issue possible à tout cela. Il se
faisai.l l'cITel d'un homme qui s'avance
vers la mer, sur un rivage de sable el
qui s'enfonce davantage à chaque pas,
qui sent que le sol lui mancpie cl que
l'épouvante envahit.
Mais il croyait toujours aux étoiles
propices.
Maintenant encore, il ouvrit la fenêtre
et se mit à contempler, dans le ciel in-
fini, celle qu'il avait choisie pour sym-
bole de sa destinée. C'est celle qui
occupe le sommet de la constellation de
la Grande Oin-se.
Le firmament était limpide, le ciel
calme el serein; aussi, en ce moment
même, elle élincelait de mille feux, avec
des rellets bleus cl rouges, d'une incom-
|)aral)l(' beauté. Mais, dans l'immensilé
de l'espace, >ui' li' fond sombre de
l'abime, un nuage sinistre s'avançait
lentement vers elle, tounne s'il avait
ximlii élcindic cl menacer la destinée
el l'cloilc (lu rni.
Il IN n I Si IN M I wicz.
Tr:,iliicl,nn </<■
I.KTUll.i; m liDI CIIAliLKS 1)K SIKDK
llenriSienkiewicz, routeur de (Jiio \'a(lis.'
osl l'écrivain le plus célèbre de la litté-
rature polonaise contemporaine. La pro-
fondeur d'analyse psychologique, la vérité
et le relief des caractères, l'intensité de
coloris et le pittoresque des tableaux de
mœurs, dont ses œuvres sont remplies,
expliquent et justifient leur succès.
Sa gloire est immense dans tous les
pays slaves — jamais, à aucune époque de
la littérature polonaise, un romancier n'a
bénéficié d'une pareille popularité. Il est
grandement temps que nous fassions con-
naissance, nous aussi, avec l'œuvre puis-
sante et variée de ce merveilleux artiste.
Cette œuvre se compose de deux parties
nettement distinctes : l'une, qui comporte
les études de nid'urs contemporaines, où
sont étudiés tous les milieux possibles de
la société polonaise d'aujourd'hui ; l'autre,
plus populaire encore, où revivent les
grandes luttes d'autrefois, admirables
récits historiques qu'anime un souffle
d'épopée et d'inspiration tragique, car ils
évoquent, de l'abîme insondable du passé,
les visions sublimes et grandioses des
siècles évanouis — tout le mirage du
temps jadis.
M. Henri Sienkiewicz est né en 1854.
Après avoir fait de brillantes études à
l'Université de KiefT, où se passe raclion
de son premier roman — .V.i in.irnp — il fil
un long voyage en Amérique, doal le récit
pittoresque et vivant, du jour aulcndemain,
le rendit célèlire.
Après avoir publié plusieurs nouvelles
d'un sentiment délicat, d'une forme litté-
raire impeccable, dont le succès fui
immense et dont les plus connues ont paru,
il y a quelques années, en traduction fran-
(.-aise, sous le titre de JS.irli'l,- r.-ilni/iinir.
Sienkiewicz aborda enfin ces uuvres de
longue haleine, ces vastes épopées mo-
dernes ou historiques qui devaient lui
conquérir définitivement une gloire uni-
verselle et des succès sans précédents
dans l'iustoire des lettres slaves.
Ce fut d'abord l'admirable série des
romans historiques, l'.ir h- fer ri Ip fi-ii. Ir
l)(^lii!/i'. Mi'ssirr Vt'itUiihjjitinaki. puis les
études de mours contemporaines, parmi
lesquelles /.( F.iinilli' l'n/:iiiiir/;i est peut-
èlre, en géhéral, l'cr'uvre la plus |)uissanle,
la plus parfaitement belle de l'écrivain
polonais.
Afin de donner à nos lecteurs une idée
approximative du talent de M. Sienkiewicz,
nous donnons aujourd'hui la traduction
d'un fragment d'un de ses admirables
romans historicjues, /p Drliii/f.
/.(' J)rl:ii/r dépeint avec une intensité
merveilleuse de coloris historiques les cata-
strophes et les épreuves sans nom qui
firent du règne de .lean-Casimir l'époque
la plus tourmentée et la plus malheureuse
de l'histoire polonaise, si fertile en mal-
heurs, en cataclysmes, en éprouves de
toutes sortes. Le xvii" siècle fut rempli, en
Pologne, par une série de guerres vraiment
surhumaines, dont le récit, palpitant d'in-
térêt et de relief, fournit le sujet du
roman de M. Sienkiewicz.
.lean-Casimir, né en 1609, élu roi après
la mort de son frère Ladislas, en 1649,
avait déjà vu son règne ensanglanté par
de terribles guerres contre les "Tartares et
les Cosaques, lorsque, soudain, un nouvel
orage se déchaîna sur cette malheureuse
république de Pologne, dévastée et meur-
trie. Le roi Charles-Gustave de Suède lui
déclara la guerre 11 envahit le pays tout
entier, détrôna Jean-Casimir et, maître
absolu du territoire, fut sur le point d'être
proclamé roi de Pologne. C'est cette inva-
sion de l'armée suédoise que Sienkiewicz
dépeint dans son beau livre, où passe un
soufûe d'épopée qu'anime le reflet des
grandes luttes et des grandes épreuves du
temps jadis.
S. H.
LA PKCIIK 1)K LA THIITL
Sous le ciel bleu, lorsque Teaii chante
sur les cailloux des graves, qu'à la sur-
face (les lacs courent des frissons, il y a,
dans le commerce des |iêclieurs de
truites, des caractères à silhouetter, à
noter dinléressantes ébauches de gestes.
Si vous villég;iatureE dans la mon-
taf^ne, au long des ruisseaux pyrénéens,
si le sport de la |)êche à la truite vous
tourmente, interviewez, avant de vous
livrer à cet exercice, quelques-uns des
ilisciples de saint Pierre qui vivent, près
de Icau, des heures silencieuses. Sans
doute, vous apprendrez de l'un de ces
patients que la pèche à la ligne volante
à la mouche artificielle est la plus diffi-
cile à pratiquer, tandis qu'un autre vous
assurera que la capture de la truite au
moyen de l'asticot veut de celui qui
amorce avec un ver blanc une science
peu banale. .\e vous troublez ])as de ces
opinirins diirérenles. .Nos deux lignards
ont également raison. Que! (|ue soit le
mode de pêche qu'on emploie à son
égard, la truite, en effet, plus que tout
autre poisson i)eut-êlre, exige de ceux
qui la convoitent des qualités, un talent
même dont le pêcheur de goujons n'a
cure.
La pêche de la truite à la ligne volante
ou à la mouche artificielle — /li/-fshinf/
— est des plus séduisantes. Le lancé, le
jet d'un insecte habillé de plume, de sa-
tin et de soie, est d'un art supérieur;
c'est aussi la pêche de la truite par
excellence, celle qui a le plus de parti-
sans, celle qui fait naître le plus de
jouissances sportives. En dehors de ces
considérations, ce genre de pèche a un
avantage encore : il ne réclame point
d'amorces répugnantes, et la ligne, sauf
accident, sert parfois pendant plusieurs
séances, armée de la même mouche.
Les meilleures lignes — cannes ou
gaules, soie, crins ou cordonnet — sont
encore celles (|ue l'on possède, c'est-à-
dire celles qu'on a le mieux en main.
Chaque pêcheur — ou presque — a son
idée quant à la confection de ces lignes,
et il n'est pas commode de l'en éloigner.
Une gaule ou longue canne, très llexiblc
vers le scion, en bois, en roseau ou en
bambou et, sur sa longueur, munie d'an-
neaux dans lesquels passe le fil de soie
qui se déroule d'un moulinet fixé près
du gros bout de l'engin, à proximité de
la main, constitue une ligne acceptable.
Ce moulinet n'est |ias indispensable
dans les Pyrénées, là où une truite cou-
rante pèse 1 JO grammes et où une pièce
d'une livre est une exception. Au fil de
soie s'ajoute un bas de ligne de :{ mètres
environ, en crins de Florence; celte
ligne est armée de mouches artificielles
montées sur racine anglaise. Il est pra-
tique de ne pêcher qu'avec deux mou-
ches, pour la raison qu'il est extrême-
ment difficile don bien mameuvrer un
plus grand nombre. La première mou
che, placée au bout de la lijrne, imite
une mouche noyée; la seconde, fixée à
un mètre, doit sautiller — d'où son nom
de " sauterelle ■> — se débattre comme
un insecte vivant tombé à l'eau.
On peut encore établir sa ligne avec
du cordonnet bleuté et du crin de Flo-
rence de même teinlo. une canne légère,
en roseau de Savoie, pliante à volonté,
et un scion en coudrier bien llexible. 1-a
ligne doit être un peu moins longue que
la canne. J'insiste sur la qualité du
scion, dont dépend presque exclusive-
ment, nul ne le conlcstc, le " ferrage »
de la truite. Aux cnviror.s de Caulerels
et de (iavarnie, la nuance de cette ligne
s'harmonise heureusement avec la cou-
leur foncée des gaves.
N'oici, également, une autre manière
de monter une boime ligne olfrant de la
résistance et une grande commodité
pour le jel. Le bas de celle ligne est
constitué en racine anglaise et le corps
LA PKCIIE DK LA THUIÏE
est fait de crins de cheval — de
six à huit crins à l'origine, avec
augmentation progressive, ration-
nelle, allant jusqu'à vingt de ces
crins, à l'extrémité, c'est-à-dire à
l'attache du scion. — Cette ligne,
très légère dans les parties des-
tinées à toucher l'eau, possède,
auprès du scion, une rigidité
susceptible de faciliter singulière-
ment l'envoi de lai.iorce, et pour
peu qu'on ait lancé ou vu lancer
une mouche arlilicielle, on com-
prend que la construction de cet
engin révèle des avantages.
La pèche de la truite à la
^^ mouche artificielle est de toutes
H les saisons, mais elle n'est vrai-
ment fructueuse que pendant
certains mois, parmi lesquels avril
et mai sont à retenir, à la condition
d'avoir des eaux assez claires. On s'y
livre sur des berges dénudées ou des at-
terrissements, partout où le « lancé » de
l'amorce est possible, partout où nul
obstacle — arbres ou haies — ne- gène
le jet du fd dans ses évolutions, dans
son développement. J'ai vu, cependant,
des pêcheurs envoyer superbement la
ligne en des endroits couverts: un entre
autres, qui, tenant sa canne à pêche in-
clinée en avant, très légèrement à
gauche, envoyait, par un balancement.
sa ligne adroite, puis
la déployait vivement,
d'un coup sec. Dans
cette manicuvre, d'un
véritable artiste, les
mouches, ainsi lan-
cées, ne tombaient pas sur l'eau; elles
s'y posaient — presque.
Le jet peut aussi s'obtenir — la main
droite tenant la canne — par un mou-
vement du poignet qui fait décrire au
lil un cercle au-dessus de la tête, et par
un abaissement brusque de l'avant-bras
qui, lorsque le lil revient à son point de
(lépart, porte l'amorce au loin, douce-
ment, légèrement, à la surface de l'eau.
Les beaux lanceurs de lils sont assez
rares, même parmi les bons pêcheurs
de truites. Mais, si vous réussissez le
geste que je viens d'essayer de décom-
poser, c'est-à-dire si vos mouches se
posent, grâce à votre savoir, comme de
vrais insectes, comme des insectes vi-
vants, ne renouvelez pas trop long-
temps l'expérience au même endroit.
N'est-ce pas, en eifet, au premier ou au
second coup de ligne que la truite happe
généralement la mouche? Reprenez
l'opération un peu plus loin : après
quelques secondes de paix, vous senti-
rez peut-être, alors, une résistance
énorme qui fera battre à votre cn'ur la
chamade de l'espérance. .Attendez un
peu, pourtant, pour vous réjouir, car il
y a à parier que vous n'avez sur l'hame-
çon qu'un truite de faible taille. Peu à
peu, l'expérience vous garantira contre
l'émotion que procurent d'aussi gros
effets pour une toute petite cause.
La truite, très vorace, se précipite sur
tout ce qui remue, même sur tout ce
qui brille; elle rejette, il est vrai, aussi
facilement ce qu'elle saisit, po^ur peu •
que le pêcheur — question de sang-
froid et de scion — lui laisse le temps
de « cracher >> l'amorce. Maints pêcheurs,
donc, n'attachent pas d'importance à la
couleur des mouches et sont contre la
tradition qui est de varier, chaque mois,
la nuance des insectes. Toutes les
(A l'KC.Ill-: I)K I.A TKL'ITE
amorces en plumes, en ell'el, se ternis-
sent au contact (le l'eau, et une mouche
de mai ressemble bientôt à une mouche
d'août.
Cependant, si des pécheurs trouvent
toutes les mouches également bonnes,
voire celles qui s'éloignent le plus de la
réiilité, el comme formes et comme
parures, il en est d'autres,
au contraire — et non des
moins adroits — qui changent presque
de jour en jour la teinte de leurs
amorces. Aussi, lorsque vous aurez
choisi un cours d'eau, un lac, un
gave, pour pécher la truite, s'il vous
plaît de satisfaire ;i celte précaution,
observe/, avant d'admettre sur vos
hamevons une amorce arliliciellc, les in-
sectes — mouches et moucherons — qui
habitent les rives, attrapc/-cn (juclques-
uns, ctudic/.-en la conformalinn, nole-'-
(Mi les couleurs, la grosseur, et présentez
LA PKCHE DE LA TliL'ITE
à la truite que vous rêve/, d'atteindre
des mouches de mêmes teintes et de
même volume. La truite, déjà, connaît
ces insectes, elle en a apprécié le goût,
la saveur, par ceux que le hasard ou
toute autre cause a mis à portée de sa
bouche : en lui offrant l'illusion d'un
mets semblable, fif;urant sur ses menus
habituels, vous tromperez sa gourman-
dise et ferez, peut-être, davantage de
victimes.
La pêche de la truite à la mouche ar-
tificielle est ])roductive, par un temps
clair : le matin, de l'aube jusqu'au grand
soleil: le soir, à p;irlir de quatre heures
jusqu'au crépuscule. On peut pêcher
toute la journée si le tem[)s est couvert.
Certains pêcheurs lancent l'amorce ;i
tout instant du jour, quelque temps qu'il
fasse; cependant, s'il a tonné ou plu, si
l'air est chargé d'électricité, il est pru-
dent de ne pas jeter sa ligne : les prises
qu'on fait alors sont plutôt des rac-
crocs.
Cherchez la truite dans les courants,
aux endroits où l'eau se brise et crée de
l'écume blanche, autour des rochers où
il y a de l'ombrage, si rien ne doit con-
trarier le lancer de la ligne. Il y a des
pêcheurs qui souhaitent un peu de brise
susceptible de faire tomber des feuilles,
des insectes qui retiennent le poisson
entre deux eaux, prêt à s'élancer sur
l'amorce, si elle est habilement amenée
à la surface. D'autres préfèrent le calme
au moindre soupçon de vent. 11 en est
qui assurent que la truite va de préfé-
rence aux environs des sources des
gaves, puisqu'elle remonte toujours.
LA P1%CIIE Di; LA TRUITK
Enfin, il est des pêcheurs qui choisissenl
le^ courants peu profonds, tandis que
d'autres aiment à envoyer l'amorce sur
les nappes d'eau de belle épaisseur. Les
remous, les chutes, les anfractuosités,
les roches qui surplombent les trous
faiblement ensoleillés et y sèment comme
des taches d'ombre, les lagunes encais-
sées séduisent la truite — et c'est là
qu'elle se tient.
Lorsque le pécheur connaît les bons
coups d'un cours d'eau, il utilise sa
science dans un silence absolu et enve-
loppe comme de mystère ses actes. Par-
fois, le soleil le trahit et plaque sa sil-
houette sur le bleu du ^;ave. Il change
de place, alors, car il est " brûlé », pour
l'instant, à l'endroit qu'il avait choisi.
Même, c'est en vain, souvent, que les
lignards inexpérimentés s'obstinent à
prendi-e plusieurs truites sur le même
coup. Le bon lanceur de 111 se contente
d'une seule pièce et va plus loin expé-
rimenter son savoir, sa chance — quitte
à revenir un peu plus tard h la place
qu'il délaisse.
La prise d'une truite constitue un en-
semble d'opérations qui exigent une
bonne amorce, un scion excellent, du
coup d'fpil, de la décision, et un mouve-
ment de poignet irréprochable. En de-
hors d'une simple tension du lil de la
ligne, rien ne guide, en effet, dans la
pêche à la volante, lorsque le poisson
saisit l'amorce — et, encore, arrive-l-il
que la truite relient cette amorce, par-
fois, sans révéler son contact par la plus
légère secousse. On peut donc dire
qu'une truite qui mord n'est pas une
truite " ferrée », et qu'une truite ferrée
n'est même pas une truite prise. La ré-
sistance de la truite, dans l'eau, est
vraiment remarquable, et, si elle est un
peu grosse, il faut des précautions pour
1 amènera l'épuisetle. Ueplus, le mucus
qui renvelop])e fait qu'elle échappe,
parfois, aux mains du pécheur.
l)ans la pèche de la truite à la mouche
artificielle, j'ai eu l'occasion de consta-
ter un fait assez curieux que je veux
noter au passage. On sait que par un
tem])s orageux, après une bourrasque
par exemple, le poisson remue beau-
coup. Eh bien, il m'est arrivé de prendre
une truite par le Aentre, après qu'elle
avait manqué I amorce — et cela s'ex-
plique par le mouvement de retrait
qu'on imprime à la ligne.
La pèche de la truite à la volante ré-
clame de bonnes jambes. Il faut ■• rô-
der » sur les berges, à la recherche des
places fréquentées par le poisson et per-
mettant l'envoi de l'amorce.
.Il: AN M A Ml m.
"TTÏiiirL'
5^s^* : "jt
E N- T II K E II E L .
A K M r U E r
LE MUSKK !)• ARTILLERIE
Je ne puis faire ici l'énumération de
toutes ses richesses. Je vais essayer seu-
lement d'attirer l'attention sur les ob-
jets les plus remarquables, parmi lesquels
il faut compter la série d'armures his-
toriques, dont le dernier catalogue, éta-
bli en 1S90 par le colonel Robert, a
assez bien fixé les attributions.
Le musée d'artillerie possède la série
complète des harnois royaux, depuis
François I*' jusqu'à Louis XH'. Sans
être aussi riche que l'Armeria de Ma-
drid, où l'on peut admirer par dou-
zaines les armures de Charles-Quint ou
de Philippe II, il nous montre cepen-
dant de beaux spécimens de ces magni-
fiques panoplies, pour lesquelles on
n'avait épargné ni 1 argent ni !:i peine
L'élégante écrevisse noire touchée d'ar-
gent, qui appartint à Henri IL en et
un des plus beaux exemples. Avec l,i
fameuse armure repoussée, conservée
au Louvre, c'est certainement le plus
beau harnois complet qui existe à Paris.
Toutes deux ont le mérite d'être bien
complètes. Celles de François II, de
Charles IX, d'Henri III, qui ne le sont
pas, ou qui, pour mieux dire, ne sont
que des demi-armures, se font remar-
quer par leur belle conservation. Celle
d'Henri IV^ est peut-être plus intéressante
encore, parce qu'elle nous montre
l'habit de guerre du Béarnais, qui ne
semble pas avoir déployé un grand luxe.
L1-; MU SKI-; DAHTII.I.KHIIC
On peut voir trois armures de
Louis XIII. L'une est complète, et pour
l'homme, et pour le cheval, ("est la
seule, parmi celles qui ont appartenu à
nos souverains, qui possède ses bardes.
El c'était alors une anomalie, car la
défense du cheval était depuis lon-;-
lemps tombée en désuétude. Une autre
armure de Louis .\III, en acier noirci, à
énormes cuissots imbriqués en queue
d'écrevisse, est encore munie de son
épais renfort de plastron à l'épreuve du
mousquet. Le poids des armes défen-
sives était alors énorme; certaines de
ces pièces de renfort pesaient plus de
60 livres, et, quand on allait à la tran-
chée, on s'aidait encore dune rondache
dont le poids n'était guère inférieur.
En effet, c'est au moment où l'armure
&
CASyl K DE TOCUXOI - XV' SIECLE
va disparaître qu'elle devient le plus
massive. .Aussi est-ce, se basant sur
des cuirasses ou des boucliers aux-
(|uels ils ne savaient pas donner leur
date, que les érudits romantiques éta-
blissaient le poids des fameuses armures
que portaient les croisés. Il ne faudrait
pas chercher iiien loin pour trouver des
tableau.x, peints au temps de Louis-Phi-
lippe, oii ces croisés sont représente-
avec des corselets ou des corps à las-
selles, tels qu'en possédaient les piquiers
de Sirol ou de Turenne.
Les solécismes archéologiques, qui
abondent encore aujourd'hui dans les
stalues oii les peintures, ne sont d'ail-
leurs pas moins considérables. Il vaut
mieux n'en point parler : la critique est
vraiment trop facile. .K\x commence-
ment du siècle, on était à cet égard
dans l'ignorance la plus crasseuse. Ainsi,
on attribuait froidement à Godefroy
de Bouillon un admirable corps d'ar-
mure, repoussé, doré, qui provient de
l'arsenal de Sedan et date de la fin du
xvi' siècle. On peut voir dans la grande
salle des armures ce merveilleux har-
nois. qui vaut une fortune.
On attribuait encore à Jeanne d'.Vrc
la belle armure blanche pour combattre
à pied, qui est dans une autre salle, car
on ne s'était pas donné la peine de lire
sa date de fabrication, 1515, gravée
pourtant dans la paume du miton droit.
On sait aujourd'hui qu'elle a apparteiui
;i un Medici, soit à Julien, oncle, par
alliance, de François l"', soit à Lorcnzino
duc d'Urbin. J'incline à croire que
c'est à ce dernier qu'elle a appartenu,
el c'est probablement le pape Léon X
(|ui la conmianda pour lui à l'armurier
milanais Negroli quand il l'investit de
la seigneurie de hlorence, au mois de
mai 1515.
Les Negroli de Milan étaient alors
fameux entre tous les batteurs de plates
lombards. Alliés et successeurs des
Missaglia d'Ello, ils forgeaient des har-
nois pour tous les souverains d'Europe.
Les (cuvres des vieux Missaglia comp-
tent, entre toutes, parmi les plus pré-
cieuses. Celle que nous figurons ici est
une des pièces capitales du musée d'ar-
tillerie ; à Vienne seulement il en existe
d'aussi belles. C'est une armure mila-
naise, comme on dit, et dont les fines
cannelures sont du même type que celles
(les armures dites n}ii.iiniiliciiiics. en
LK MUSKE I) Airn I.LEltli:
rhonncui- de Icmpereur allemand, qui
iiima tant la guerre, les joutes et les
tournois. Ces armures à gouttières,
quelles soient milanaises ou bavaroises,
datent des premières années du xvi'' siècle
ou des dernières du xv'=. En France,
comme en Espagne, elles sont toujours
restées à l'état de rareté ; on ne les
portait |)oint couramment, tandis qu'en
Allemagne on en fit usage jusque vers
1540. .Ainsi, Charles-Quint, en tant que
souverain espagnol, ne porta pas d'ar-
mure maximilienne. A TArmeria de
.Madrid, où ces harnois se comptent
par douzaines, on n'en trouve pas un
seul de ce modèle. Mais, au musée de
\'ienne, il en existe plusieurs.
Les cannelures des armures
maximiliennes sont de beau-
coup antérieures à cette forme
même d'armures ; on les observe
dans beaucoup d'armures, dites
gothiques, el qui datent
des règnes de Charles \ II
et de Louis .\I.
Certames armures du
musée d'artillerie sont
très intéressantes parce
qu'elles nous montrent
des types transitoires
entre les armes complè-
tement lisses du lemps
de Louis \I et celles
chargées de cannelures
qui lurent de mode sous
le règne de Charles VI 1 1 .
.Vu reste, le musée d'ar-
tillerie possède quelques
belles armures ar-
chaïques, entre les-
quelles brille au premier
rang celle qui vient de
la collection de Pierrefonds. Malheu-
reusement on n'y observe aucun de ces
types admirables, datant de la première
moitié du xv'^ siècle, comme on en voit
aux musées de Berne ou de A'ienne.
Toutefois, à partir de 1460 environ
jusqu'à Louis XIV, notre musée pari-
sien nous présente une série complète
-XIII. — 5.
de tous les types, lis sont bien disposés
dans les deux salles du bas. A gauche,
ce sont les armures de guerre, dont
certaines, juchées sur des chevaux bar-
AR.MURK DE JOUTE ALLEMANDE — riX DIT X V SIÈCLE
dés, composent ce que les amateurs
appellent la grande chevauchée. 11 y a là
des pièces superbes. Malheureusement,
les mannequins d hommes el de che-
vaux, mal agencés et mal assemblés, ne
satisfont point l'œil. Le manque absolu
de costumes, de housses, d'épées, et ie
toutes les pièces habiluelles d'équipe-
I.K MLSKK 1) AU 11 I.I.KUIK
ment, est en tout indigne dun y;rand
musée. La parcimonie systématique du
Ministère de la Guerre est seule cause
de cet état déplorable et humiliant.
Le seul monta^'e à peu près lionorahle
j/j). {ii<n t)
\0.
'•«^^^
est celui de l'arnuirc de joule de 1 em-
]>ereur Maximilien IL C'est le colonel
Uobert (|ui le fit exécuter avec soin.
Lne "(randc housse, brodée aux cou-
leurs impériales, habille le cliesal des
oreilles jusqu'aux sabots. Lu beau
chanfrein repoussé richement et une
liarde de crinièi'c de pareil travail com-
|)lèlenl le liarnaeliemcnt àc la bête.
L'armure de l'homme laisse à décou-
vert les bras et les jambes. Celles-ci
n^avaient, en elTcl, pas besoin de dé-
l'enses de fer, car le cavalier jnulaiil
galopait le long d'une barrière placée à
sa gauche et qui n avait guère plus de
1°\2() en hauteur. Pour éviter de se
froisser le genou contre cette palissade
i|iii le séparait de son adversaire, le
jouteur avait la cuisse
prise dans une espèce de
large étui d'acier accroché
au panneau de la .selle et
X qui s'a]ipelait le garde-
jambe. La poitrine et la
gorge sont extraordinai-
rement abritées. Car, en
outre de la cuirasse, elles
disparaissent, à gauche,
derrière un énorme pla-
card armorié ou manteau
d'armes, et, à droite, der-
rière la rondelle déme-
surément élargie de la
lance, quand celle-ci se
trouve placée en arrêt.
Celte armure de Maximi-
lien IL qui date de l."),')0,
donne une très bonne idée
des formes archaïques que
s 1 on conservait pour les
' j joutes et les tournois.
^ Ainsi, si l'on considère le
casque, on voit que c'est
une salade difTcrant à
peine de celles que l'on
portait cent ans aupara-
vant pour aller à la guerre.
Une autre salade du
'Il même musée, datant éga-
lement tlu x\ 1'' siècle et qui
a appartenu à un llad/.i\\il, ducd Olyka,
présente le même caractère. Elle faisait
partie d'un beau harnois qui appartient
au musée de \'ienne et dont toutes les
pièces sont, comme elle, profondément
gravées et rehaussées d'une peinture ou
émail à froid de ti-ois tons.
Kn armures de joutes, sui-loul alle-
mandes, le musée d'ai'tillerie est assez
riche. La salle de di-oite leur est consa-
crée, à elles, comme aux armures de
champ clos et de rempart, et aussi aux
armures ayant appartenu à des person-
I,K MLSKK I) AKTI LI. liHIK
B (P l' R N r I lî N 0 T T E DE P V R E M E .V T DE H E N' K I II
M 11 R 1 O X ITALIEN — XVI" S I È C L K
nayes célèbres. Parmi celles-ci, on re-
marque celles du comte de Soissons
l.')70 , du duc de Bouillon [Iblâ , celle
ilu duc de Guise (1580), celle de ilonl-
morencv d'Amville (1575j, celle du duc
de Mayenne (1590), celle de Sully
Kîl,") . Quant à celle du fameux baron
des Adrets, comme on l'a appelé si
long^lemps, sa date
exacte doit être fixée
vers 1(530, et elle a dû
appartenir à César de
\aulscri-e, gendre du
l'amcux baron, et qui
devint lui-même baron
des Adrets par héritage
Il en existe encore
quelques autres dont
les attributions fantai-
sistes ont été ramenées
à de plus vraies, ou
tout au moins à de plus
vraisemblables ; tel est
le harnois que l'on crut
si longtemps être celui
du fameux duc d'Kper-
non et que l'on sait
aujourd'hui avoir été
la propriété de l'un de
ses fils, comme en té-
moigne une couronne de
marquis gravée sur le haut du plastron
I.a plupart de ces erreurs tradition
A s y U E DE HENRI
nelles sont d'autant plus inexplicables
que rien n'est plus facile à dater
exactement qu'une armure. En elTet, sa
forme se modèle exactement sur celle du
costume civil. Elle en reproduit les exa-
gérations, les ornements, et jusqu'aux
broderies et aux passementeries. Les
armures de nos rois sont absolument
typiques sous ce rap-
port. Prenons, par
exemple, celles des
trois petits ^'alois.
Toutes trois sont des
demi-armures, légères,
dont l'architecture fon-
damentale est la même ;
toutes trois sont cou-
vertes de gravures et
dorées en plein. Mais
celle de François II n'a
pas le buse aussi cam-
i)ré, ni les hanches
aussi saillantes que
celles de ses deux frères.
Dans l'armure de
Henri III, ces carac-
tères s exagèrent en-
core, le large dévelop-
pement de la bracon-
nière et des tassetles
accuse la finesse de la
taille, dont l'élégance s'augmente par la
cambrure en polichinelle de la partie
I.I-: MLi^Ki; L) AHTlI.I.KlilK
ini'érieure du phi>lioii. L'jirchéolofrue
anglais .Mevi-ick a donné le nom tfiul à
la fois juste et pittoresque de cosse de
liais ;i celte dis|)osilion en hrcchel d oi-
seau qu'an'ectenl les cuirasses de Fran-
vois II et Charles IX. Il couvient de
laisser le nom de polichinelle à la saillie
encore jilus marquée qui caractérise
l'époque de Henri III. Le décor de ces
trois armures n'est pas non plus le
même. Dans celle de Charles IX, ce
sont les fins chevrons obliques (|ui
rayent la cuirasse, les brassards, les tas-
settes, comme les minces f^anses dor
rayaient le pourpoint, les manches et
les chausses. Dans celle de Henri III,
des fleurettes enserrées dans de petits
compartiments rappellent les velours
ciselés de Gênes, etc.
If ll.N II ACII !■: ITALIEN xi: — MILIEU DD XVI
I/exemple de mauvais goût le plus
étonnant que puisse présenter un har-
iiois royal nous est fourni ])ar celui de
Louis .\I\', où des tableaux d'histoire,
soigneusement gravés à l'eau-forto, cou-
vrent loule la surface de l'acier, dmil nu
a réservé hi blancheur. Cette teuvre
fut exécutée, çn 1()('>8, par un armurier
de Brescia. Krancesco (îarbagna. C'est
un des derniers harnois complets, avec
grèves et solerets, que l'un ail fabriqués.
Si les armuriers balleurs de plates
n'avaient point perdu sous le rapport de
l'habileté technique, ils n'avaient certai-
nement pas gagné sous le rap])orl de
l'élégance. Car un autre harnois de
Louis XI\', alors qu'il n'était que dau-
phin et âgé de dix h douze ans, est
certainement plus gracieux, ou tout au
moins plus dans la tradition du beau
harnois de plates. El ce petit harnois
est d'autant plus remarquable (ju'il est
presque en tout semblable à l'un des trois
qui ont appartenu à Louis .\HI. Comme
lui, il est d'acier noirci, avec de grandes
tassetles reliées à la
taille, très écourlée,
directement, sans bia-
connières ; les épau-
lières, très larges, h
nombreuses articula-
tions, couvrent pres-
que complètement le
plastron. Ces deux
habits de l'er ont dû
être battus par le
même armurier, sans
doute |)ar ce Petit
dont on relève le nom
dans des comptes de
sellerie royaux et
dont l'histoire est
malheureusement en-
core inconnue. Ce
Petit ou ces l'élit —
car on croit qu'ils
étaient plusieurs —
faisaient surtout lourd
et solide. Leurs pièces
d'armes atteignent des
poiils ell'rayaiits : certains de leurs ren-
forts de cuirasse et de leurs roiidaches
de tranchée pèsent plus de .")0 livres.
Mais c'étaient là des objets d'un bon
travail et, si l'en peut dire, de tout
npcis. car ils liaient à l'épreuve, ne se
I.i; MUSKK 1) AU TII.I.KlMi:
A lî M r K E [I E .1 1 1 U T E DE M A X I M I L I i
laissant point traverser par une halle
de mousquet.
Puisque nous parlons de rondaehes,
nous pouvons dire que le musée d'artil-
lerie en possède une très belle suite : elle
comprend près de cent pièces, parmi les-
quelles une trentaine sont de très beaux
objets d'art appartenant au wr' siècle et
de travail italien ou allemand. Celle que
nous fijfurons ici reproduit le triuniphe
lie Gnialée, d'après Raphaël. Ces magni-
fiques boucliers étaient des pièces de
parement que 1 on portait dans les cé-
rémonies avec des casques, des épées,
des gantelets, devant les princes ou tous
autres grands personnages. Comme on
le sait, la rondache fut longtemps l'in-
signe même des capitaines de gens de
pied. En marche, l'orticier la faisait
porter par son page. Ces boucliers ronds,
mesurant en général de 0'",50 à 0"',t)(l
de diamètre, représentent le dernier type
de la série d'armes défensives dont les
plus anciennes sont les écus et les pa-
vois. D'écus anciens, il ne saurait être
question, on ne connaît plus ces objets
I.i: MISKE D'AliTILI.KHI !•;
A 1! M r 11 E ni TE 1( AUX LIONS 11 — 151'. Il
archaïques, qui disparaissent dès le
xi\" siècle, que par les figurations des
manuscrits nu les descriptions des textes.
Mais, pour les pavois, on est un peu plus
riche. Ainsi, le musée d'artillerie en
possède un du .\v'' siècle. Sur un corps
de l>ois cintré esl marouflée une toile
peinte avec des armoiries et des rin-
ceaux. 11 en pu.ssède un autre, anglais,
de la même époque : là, le bois est
reconvori de peau avec quekpies traces
de peinture. Et il eu existe encore
quelques autres, ainsi que des tar^'cs.
De celles-ci, la plus précieuse est celle
qui a appartenu au roi de Hongrie,
Malhias Corvin. lîlle date donc du
xv"^ siècle. Les écussons, encore bien
conservés, ne laissent aucun doute sur
son attribution. Celte belle lar};e, objet
rare entre tous, fut sans doute volée à
la galerie d'.Ambras, sous .Napoléon 1''.
l'allé fit partie de la collection du duc
d'Istrie et passa par achat au
musée d'artillerie. II faut encore
signaler les nombreuses petites
rondi'Ilcs à poing, boces ou bro-
quels en usage aux x\'' et xm" siè-
cles et qui servaient surtout dans
les duels. Leur usage s'est con-
servé encore aujourd'hui, dans
toutes les régions de la mer Rouge
et du golfe Persique. Les Somalis,
les .Arabes, les Béloutchis s'en
servent avec le sabre et l'épée. < >n
imployait la rondelle de poing
[Kiiir parer les coups de taille,
tant que l'escrime de la rapière
ne prévalut pas sur celle de la
large épée à garde simple, car
jamais ou presque jamais on ne
faisait de parade avec la lame.
Les petites larges ou bras armés
sont une modification du brocjuil.
Ces défenses, en général légères
el de forme oblongue, se fixaient
à l'avant bras gauche, qu'elles
dél'endaicnt depuis le coude jus-
qu'à l'extrémité des doigts. Il v
en a qui se terminent par un fer
aigu et tranchant pouvant faire
office de dague. Au reste, les amateurs
d'armes de duel trouveront au musée d'ar-
tillerie de(|uoi satisfaire aniplonient leur
curiosité. La collection d'épées, nolani-
nieut, est extrêmement riche, et, en
général, les montures sont très sin-
cères. Kpées de guerre ou d'armes,
épées de ville ou de ceinture, estocs,
estramaçons, espadons ou épée« à deux
mains dites encore épées de brèche, ra-
pières, carrelets, llamberges, coliclu'-
LE MUSKK DAIiTlI.l. KHIE
inardes, lous les types sont largement
cl lichemenl représenlés. Rappelons que
la signification de ce dernier vocable est
bien nellc et que son orif;ine est absolu-
ment ilouteuse. On sait que l'on entend
|)ar colicheniarde, et cela depuis fort
peu d'années, en somme, une épée dont
la lame, de coupe trian;^ulaire, comme
dans lépée de duel moderne, présente
un talon fort large qui, jusqu'au pre-
mier tiers de la lame, ne perd point sa
largeur, jusqu'à ce que, en ce point, i
meure par un brusque ressaut à partir
duquel la lame va en s'effilant comme
une alêne. Tous les escrimeurs com-
prendront le parti qu'on pouvait tirer
d'une épée ainsi équilibrée el qui, très
légère à la main, n'en avait pas moins
une autorité considérable pour lo-, p i-
rades et les battements, voire
Croisses, faits avec le fort de
lépée. Mais, quant à l'étymologie
c'est une autre affaire. On i dit
sans qu'on puisse retrouvei 1 m
vcnleur de cette rumeur, que la
colicheniarde avait tiré son nom
d'une corruption de mots
vrai nom serait épée à la
Kd-nigsmarck, du nom de
son inventeur, à la fin du
wii'' siècle. Cette explica
lion semble pécher par la
base Le mot colichemardt
ne se trouve pas dans les
dictionnaires du xmii'" siè-
cle. Celui de Trévoux est
absolument muet sur ce
point. Plus tard, on le
trouve bien dans certains
glossaires; il y désigne une
épée dans le sens péjoratif
du terme-, c'est une breltc
une rouillarde, une longue
rapière rouillée.
Les longues rapières, et
qui ne sont pas rouillées,
abondent au musée d'artillerie. Dans
les vitrines de la salle de droite, il y
en a une grande quantité de superbes.
En voici une belle entre toutes :
sa co(|uille en panier, d'acier le plus
lin, ciselée, taillée, repercée, évidée
à miracle, est une véritable dentelle
luisante. On peut prendre celte su-
perbe épée comme un modèle de cet
art espagnol qui jetait ses dernières
lueurs au wiii" siècle, car ces belles ra-
pières sont toujours beaucoup moins
anciennes qu'on ne croit. Les plus
.ARMIRE PAR M ASSACiLI A, DE MILAN I Début du XVI« siècle, i
archaïques ne sont guère antérieures à
101(1, el les plus modernes datent du
règne de I^ouis W. Cette forme d'épée
était tellement en honneur en Espagne,
I.I-; MISKK l> AltTI I.I.KIU K
(i V È r. K R A N (; A I s E -
qu'elle en devenait
comme l'emblème.
Ainni, dans le somp-
tueux portrait que
Hyacinthe Uigaud lit
du jeune roi Phi-
lippe V, on voit le
petit-fils de Louis XIV
ayant au côtc^ une de
ces riches rapières à
forme si caractéris-
tique. A peine, avant
Xciasquez, trouve -
t-on une ou deux de
ces épécs reproduites
dans des portraits; le
Irait vaut qu'on le
remarque. Ces ra-
pières n'allaient point
sans leui- (idole et
inséparable compa-
gne, la {grande dajfue
à f,'arde-niain pareille-
ment ajouré, à longs
quillonsé vidés en spi-
rale el à lame lonetie.
nfiiiRia d'aï:. Ml 111-; fi.amanuk
à talon démesurément
élargi e( agrémenté
de denticules et de
foiicsl rations qui per-
mettent de les recon-
naître entre Routes.
Ce furent là les der-
nières armes de duel
que l'on mania de la
main gauche. Kn
France, à partir du
règne de Louis \l\',
la dague tomba en
désuétude. L'escrime
de la courte épée en
avait aboli l'emploi.
Les coups que l'on ne
pouvait parer avec
l'épéc étaient arrêtés
par la main gauche,
ordinairement munie
d'un gant é|iais, et
colle mode dura l'orl
longlonips. Il faut
ai'rivcr ji'siju .1 l.i
Iteslaui'alion i)omi
I. !■: M f s !■; 1-: u a irr i l l e it 1 1;
voir proscrire offîciellenienl cet usage
que tout 011 somme justifiait et que
les conventions modernes considèrent
comme une félonie. Et l'on peut se de-
mander pourquoi, car il y avait autant
de danj.'-er à parer avec la main qu"à
parer avec le l'er. et les conditions
étaient égales pour les combattants.
Les rapières plus anciennes que ces
formes à panier ou à
coupe ont leur garde
élégamment contournée
en branches mul-
tiples, dont les
courbes savantes
montrent la maî-
trise des forgerons
du temps passé. Il
serait presque im-
possible aujour-
d'hui de trouver.
rien de plus beau : complète, avec sa
dague, sa ceinture, ses pendants et son
petit baudrier pour la dague (mode
exclusivement allemande), elle est forgée
du plus fin acier. Dans cet acier ont été
incrustés des massifs d'or. El ceux-ci
ont été ciselés en délicats ornements
qui transparaissent sous l'émail.
Mais, s'il fallait citer toutes les mer-
veilles accumulées dans les cinq
^^Êi ou six vitrines du fond de celte
" ^ salle, on pourrait écrire pendant
des jours : arquebuses, pisto-
ets aux fûts de bois dur com-
plètement incrustés d'ivoire
ou de nacre, aux canons minu-
tieusement gravés il l'eau-
)rte ou bien ciselés, incrustés,
amasquinés, touchés d'or ou
l'argent, sont rangés là côte à
■'>te comme un défi porté |iar
l; .\ P I È R K E s P .1
en dehors de quelques
merveilleux faussaires
qui travaillent dans
l'ombre pour approvisionner les
grandes galeries, un ouvrier capable
de façonner sur ll'enclume et de
souder à chaude portée ces entre-
lacs d'acier qui simulent de véri-
tables paraphes. Entre toutes celles
de notre musée, une de ces épées
est particulièrement admirable.
C'est, sans doute, l'œuvre d'un
artiste bavarois, peut-être de ce
Hans Mielich dont, à défaut d'teu-
vres certaines, on connaît au moins
des séries de dessins conservés à
Munich. Une tradition veut que
celte arme ait appartenu au roi
Henri IIl. Au hasard des ventes,
elle a passé dans plusieurs collec-
tions illustres avant d'arriver sous
le toit des Invalides. Je ne connais
le passé à notre
pauvre art déco-
ratif moderne.
Notre musée d'artillerie nous
en fournit un puissant exemple,
avec la fameuse armure aux
Lions, que nous figurons ici.
C'est une des pièces capitales
du musée, mais on ne sait mal-
heureusement pas grand'chose
sur elle, sinon qu'elle vient de
l'arsenal de Sedan. Elle a appar-
tenu à un duc de Bouillon, ou
peut-être à un prince de la
maison de Savoie, comme semble
l'indiquer la croix d'arg€nt dont
est orné son plastron. C'est la
une œuvre sur l'attribution de
laquelle il est permis d'hésiter,
.le l'ai attribuée jadis au fameux
Coleman d'Augsbourg, l'armu-
rier préféré de Charles-Quint,
I.]-: MUSKK ivAirni.LKiui-;
(|ui travailla aussi pour les rois de
France. Mais à celle époque je n'avais
|)as encore étudié sur place les armes
(le l'Armeria de Madrid. Je croirai
plus volontiers aujourd'hui que l'ar-
mure aux Lions est une œuvre italienne
sortie des ateliers milanais. Seul un
Negroli a pu repousser dans la masse
avec une telle fermeté el un pareil
caractère les mutles de lion qui for-
ment épaulières, comme celui qui
forme le timbre du casque. L'armure
aux Lions est un modèle admirable de
ces animes ou cuirasses articulées en
écrevisses, que l'on portait surtout pour
combattre à pied.
A défaut d'autres armures complètes,
d un pareil travail, le musée d'artillerie
possède plus d'une pièce exécutée avec
une maîtrise égale. Que l'on examine
soigneusement tous les casques, toutes
les rondaches, toutes les pièces déta-
t-hées qui remplissent les vitrines, et
1 on se retirera émerveillé. J'ai figuré
ici un débris flamand du wii" siècle.
C'est une simple cuirasse qui a perdu
ses épaulières et ses brassards, et aussi
ses tassettes. Mais elle a conservé son
armet dont le ventail est travaillé en
grille suivant une mode qui se continua
de Henri III jus(|u'à Louis XIII. Si ce
harnois était complet, il vaudrait une
fortune. Il est fait d'acier mince, comme
il convient à une armure de parement,
qu'on ne devait point porter à la guerre.
L'acier a été repoussé sur toute sa sur-
face, la cuirasse comme le casque sont
couverts d'ornements et de person-
nages de modelé gras el délicat, comme
si l'artiste inconnu qui exécuta celte
belle pièce avait voulu prouver qu'à
1 é|)0(|ue niémp où disparaissait l'usage
de l'armure, les armuriei-savaientatleint
le plus haut point où pût prétendre leur
art. Au reste, dans ce musée, on ne
sait où arrêter son admiration, lanl elle
estap|)elée de toutes parts. Les armures
les moins ornées, comme celles que les
Allemands de la lin du x\' siècle por-
taient pour aller à la joule ou pour se
heurter dans les tournois, sont aussi
merveilleuses comme lechni(iue que les
harnois de parement le sont dans leur
décoration. Les bourguignottes à l'an-
tique, les morions repoussés, les armels
gravés se comptent par centaines.
Et il faudrait encore citer mille autres
choses : les masses et les haches
d'arme, les coutelas, badelaires, cime-
terres, cinquedea ^cc sont ces larges da-
gues que l'on appela si longtemps lan-
gues de bieuf), armes mixtes où un
pistolet à simple ou double canon
s'allie à un marteau, à une épée ou à
quelque autre lame, tout est travaillé
à miracle. La série des armes d'hast
nous présenti' la plupart des types en
usage depuis le w" siècle jusqu'à la
Révolution. Et nous ne parlons pas de
la collection des armes orientales, où
les corselets indiens rivalisent derichesse
avec les yatagans el les palaclies, où les
kri^s malais chargés de pierreries lui-
sent à côté des carquois dont le revê-
tement velouté disparait sous les incrus-
tations et les broderies. C'est là qu'on
peut voir de rarissimes armures de
cheval, provenant du Japon, cl aussi le
harnois d'acier doré habillé de satin
jaune, qui appartint à un empereur de
Chine, qui fui pris lors du pillage du
Palais d'Eté, el que d'audacieux voleurs
ont essayé d'enlever nuitamment, il y a
quelques années.
M \ I II ]
.M A I N 1 1 l< I
s — X V 1 ■
LKS KLK PUANTS
Le poète hindou \'ina-Suali a dit de
l'éléphant « qu'il était l'homme des âges
disparus ». Débarrassée de l'hyperhole
de la poésie orientale, cette délinition
ne manque pas de mérite. L'éléphant
n'est pas seulement un des animaux
dont l'intelligence se rapproche le plus
de celle du roi de la nature, mais c'est
aussi le pachyderme qui. par sa taille
gigantesque, son volume démesuré, rap-
pelle bien les colosses des temps passés.
On dirait que c'est un spécimen que la
nature a voulu conserver pour nous,
afin de nous donner une idée de la faune
de titans qui peuplait le globe à l'aorore
de notre ère.
Dans les jungles désertes de. l'Asie,
comme dans les immensités broussail-
leuses du centre de l'Afrique, l'existence
de l'éléphant s'écoule dans une tran-
quillité complète. Les fauves les plus
féroces hésitent à attaquer cette masse
formidable. .Animé par un instinct de
sociabilité, commun à tant d'herbivores,
il vit en troupeaux paisibles. Le simple
aspect de ceux-ci suffit pour démentir
tous les récits qu'on a faits de leur
méchanceté, de leur férocité, de leur
amour de vengeance. Us sont là, »
l'ombre de la forêt, les uns cueillant
avec leur trompe des bourgeons et des
branches d'arbres, les autres s'évenlant
avec les feuilles; quelques-uns sont
couchés et dorment, tandis que les
jeunes courent joyeux aux environs.
Incontestablement, l'appétit de ces ani-
maux est formidable, et l'on frémit de
songer que le grand éléphant africain
du Jardin des Plantes engloutit tous les
jours deux bottes de foin, trois bottes de
luzerne, deux bottes de paille, une botte
de carottes, j à 6 kilogrammes de pain,
"20 litres de son et j litres de pommes
de terre! C'est un gros mangeur, il n'y
a pas de doute. Dans l'Inde, à défaut
de fourrage, l'éléphant absorbe jusqu'à'
100 livres de ri/ cl boit l'M) à ISO litres
d'eau. En Afrique, il mange l'herbe verte,
les feuilles, les branchages et les écorces
des arbres. Dans l'Afrique centrale, il
se sustente d un arbre épineux, mais
à épines molles, nommé arbre :iu.r
L'Iàphanls.
L'éléphant possède, en même temps
que l'appétit des potentats, l'humeur
pacifique et débonnaire des ventrus.
Quand il est repu, trouvant que le
monde est assez grand pour lui et pour
eux. il ne moleste jamais aucun des
innombrables êtres qui, à ses cotés,
vivent des dons de la nature. Le voisi-
nage de ces colosses n'est inquiétant
que pour les champs cultivés, les élé-
phants étant très friands de céréales,
de canne à sucre et même de millet.
Mais les Hindous, parait-il, arrivent à
les écarter à l'aide dune fragile palis-
sade de bambous, que les pachydermes
en question n'essayent pas de traverser.
Contrairement à l'idée vulgaire, l'élé-
phant évite autant que possible les
rayons du soleil ; il reste pendant le
jour dans les fourrés les plus épais; il
profite des nuits fraîches et obscures
pour accomplir ses pérégrinations.
Comme tous les pachydermes, il est
plutôt nocturne que diurne. Si le voya-
geur surprend pendant le jour un trou-
peau d'éléphants, il les voit couchés
tranquillement l'un à côté de l'autre.
Il n'y a que les plus jeunes qui paissent,
étant plus turbulents.
Ces animaux cependant ont, pour se
défendre, non seulement leur volume,
leur force écrasante, leur sociabilité,
leur instinct de solidarité, mais aussi
quelques sens singulièrement aiguisés.
Le plus parfait chez eux est celui île
I odorat, grâce à la susceptibilité extra-
ordinaire de la trompe, qui est aussi le
siège du toucher. L'éléphant paraît en
comprendre tout le prix et en sentir
LES Kl.KlMl AN TS
loule la délicalesse, car clans les com-
hals qu'il soutient, c'est toujours sa
trompe qu'il cherche k |)réserver. Même
]iour déraciner les arbres, dont les
racines servent parfois à sa nourriture,
au lieu de mettre à profit la force pro-
dif^ieuse de sa trompe, il les renverse
avec sa tête. A l'abreuvoir, sa trompe
se transforme en tuyau de pompe et,
après s'être désaltéré, l'éléphant s'en
sert pour s'en asperger dans tous les
sons. A défaut d'eau, si le soleil le
brûle, il aspire du sable ou de la terre
et se les souflle sur l'échiné pour se
lafraichir. Mutin, lorsqu'il est accablé
de chaleur et de fatigue, il va chercher
avec sa trompe dans son [)ropre gosier
de l'eau qu'il dégorge et s'en arrose le
dos et les épaules.
Mais c'est surtout comme organe
d'odorat (\uv sa trompe est merveilleuse
et lellcinenl puissante que, si lo vent
est favorable, elle (laire la présence de
l'ennemi à plusieurs kilomètres ! Par
contre, ses autres sens manquent de
perfection : l'ieil ne distingue les objets
qu'à peu de distance; l'oreille n'a pas
de (inesse.
Si l'animal ménage cet appendice
(piaiid il llaiic un danger, il s'en sert
au contraire pendant tous les moments
de sa vie paisible. On ne sait ce qu'il
faut le |)lus admirer, ou de la force
de cet organe, ou des niouvenicnls
variés qu'il peut exécuter, ou de
l'aflrcssc avec laquelle il saisit les objets.
(Iràce au bout qui le termine, l'éléphant
peut ramasser une pièce de monnaie,
un morceau de papier, un brin d'herbe.
Avec cette même trompe, il fait l'éla-
gage des arbres: il trace, dans des
foui-rés impénétrables, des chemins qui
étonnent les gens du métier, et, grâce
à cet appendice, il représente toute
l'administration des ponts et chaussées
des forêts vierges. Il est vrai que ses
défenses, qui sont, comme on le sait,
les incisives, l'aident dans cette be-
sogne; c'est avec elles qu'il soulève
les fardeaux, qu'il renverse les pierres,
qu'il creuse des trous. Les mâles
adultes portent des défenses d'une
quinzaine de kilogrammes, les femelles
de < kilogrammes seulement. Ces dé-
fenses d ivoire — dont on connaît la
valeur commerciale — sont souvent la
cause de sa perte et le but de sa
chasse.
Les vrais chasseurs d'éléphants pour-
suivent leur gibier au sein des forêts
vierges. L'éléphant s'enfuit comme une
gazelle dès qu'il sent l'homme: mais
est-il blessé, il devient aussi tei'rible
qu'il était timide avant d'être attaqué.
Assez souvent, sinon toujours, il s'élance
sur le chasseur, telle une locomotive
roulant à toute vapeur, la trompe sou-
levée, les oreilles couchées à plat, ivre
de fureur. S'il commence sa charge
d'assez loin, de fa(,'on à donner au chas-
seur le temps d'épauler, il y a es|>oir de
l'attoindi'c d'une halle et de lui faire
rebrousser chemin : mais, si l'homme n a
|)as le temps de faire face à l'animal qui
charge et de viser, il est perdu. L'élé-
phant s'empare de lui, le foule aux
pieds et l'écrase, eu commençant sou-
vent par se donner le plaisir de le coller
contre un arbi'c et de le labourer de ses
défenses, .\ussi, dans ces londitinns,
LES ÉLÉPHANT;
ost-ce là la chasse la plus dangereuse
qui existe au monde.
Il V a peu d'hommes qui airrontont
ainsi le danger. Ordinairement, on
dresse à ces pauvres bétes des traque-
nards. Ainsi les Indiens, qui sont passés
maîtres dans cet art, choisissent un
endroit au voisinage d'un cours d'eau
— on sait que les éléphants adorent le
bain et les longues ablutions — et con-
struisent, à l'aide de pieux de 5 à
() mètres, un immense enclos. Entre ces
pieux, dislancés de façon à laisser
passer un homme, on entrelace des
lianes et des bambous. Aux angles de
l'extrémité par laquelle doivent arriver
les éléphants, sont ménagées des ouver-
tures qu'au moyen de poutres on peut
fermer instantanément. De ces deux
points partent en guise d'ailes doux clô-
tures roctilignes destinées à ramener
aux ouvertures le troupeau qui dévierait
à droite ou à gauche. Il est à peine
besoin de dire que toutes ces barri-
cades ne résisteraient pas à un coup de
trompe, mais les indigènes comptent
moins sur la solidité de la clôture que
sur la timidité de ces animaux. Quand
ce piège ou corral est fini, les rabat-
teurs, au nombre de deux mille à
cinq mille, se mettent à l'œuvre. Ils
ont souvent à former un cercle de
plusieurs lieues; leur marche doit être
prudente afin de ne pas inquiéter les
éléphants outre mesure et de ne pas
les faire fuir dans des directions oppo-
sées. La traque peut durer deux mois,
truand les ailes des rabatteurs tou-
chent au corral, ils n'attendent plus
que le signal. Alors, le silence de la
forêt est troublé par les cris des sen-
tinelles, les roulements des tambours,
les détonations des armes à feu. Le
bruit croissant toujours, les éléphants
cherchent à percer la ligne, mais ils
sont à chaque fois repoussés par un
vacarme épouvantable. Au coucher du
soleil, le spectacle redouble d'intérêt.
Les feux, qui ne font que fumer pendant
le jour, deviennent plus vifs ; ils répan-
dent une lueur rouge dans l'obscurité
et éclairent les divers groupes d'une
lumière fanlastique. Des feuilles sèches
font jaillir toute une ligne de llammes
KLKniANT D A Kl;] y CE DE 0 A i AXS
qui s élève ci^uronnéc d une fumée tour-
billonnante; le corral seul reste dans
une obscurité profonde.
Enfin, les éléphants y arrivent. Le
plus vieux d'entre eux, leur guide,
donne, tête baissée, dans l'enclos, où
tout le troupeau le suit. A l'instant, le
corral s éclaire comme par enchante-
ment. Les chasseurs entourent la clô-
ture et repoussent, en brandissant leurs
torches, toute tentative des éléphants
pour s'échapper.
Le lendemain, on fait entrer dans le
corral des éléphants domestiques montés
par leurs cornacs. Successivement, ils
entourent et isolent chacun de leurs
congénères et permettent aux preneurs
d'éléphants, hommes adroits et expéri-
mentés, de glisser entre leurs jambes et
d'attacher leurs lacets aux pieds de
l'éléphant sauvage.
L'éléphant ainsi pris, grâce à la
complicité de ses frères domestiques,
est attaché entre deux arbres. Au
bout de quelques jours de jeûne, il com-
mence à bien manger, mais il est loin
d'être réduit : il est furieux comme au
l.KS KI.i; PUANTS
ilébul de sa ca|>(iire. il manu-uvre sa
trompe avec rage cl essaye datleinclre
ceux qui le soignent : mais ses gardiens,
aUenlifs, reçoivent sur la pointe de leurs
piques les coups qu'il leur porte, le
lerritient avec du l'eu et de la fumée.
Cctlo lc(.''>n, en lui fournissant la me-
sure de la puissance de l'homme, est
ordinairement très efficace. Les élé-
phants domestiques aident à parfaire
son éducation, mais le captif ne peut
guère travailler avant cinq ou six mois.
Les mâles sont plus difficiles à dresser
que les femelles.
Dans rindc, comme nous venons de
le voir, on chasse les éléphants surtout
pour les ])rendre vivants et les utiliser:
(lu reste, leur destruction est interdite.
Ces animaux y aident la population à
une foule de tra\aux. Ils ne figurent
pas seulement en grand apparat dans
les cérémonies des souverains, mais ils
y sont employés par les agriculteurs au
labourage, par les commerçants au
transport des fardeaux. ( )n leur fait
porter de la terre, traîner des chariots,
transporter des matériaux lourds, tels
que poutres, pierres, etc., procéder au
chargement et au déchargement des
navires.
Les Anglais, empruntant 1 éléplunil
aux indigènes, l'ont adopté comme bête
de somme et de chasse; ils l'utilisèrent
même à la guerre, non plus, comme au
vieux temps, pour jeter l'épouvante
dan- les rangs de l'ennemi, mais [lour
3]en;,o
■M\NTS lIltssftK l).\X.S I.R CORIIAI.
I.KS KLKIMI ANTS
-.'^.Àr:'-'»-^
ÉLÉPHANT SAl-VAl. E ENTHE U E l" X ÉLÉPHANTS DOMESTlyrE-
Iransporler les cliels de l'armée, le^
bagages, les tentes, les malades, les
blessés et '.Tiême pour traîner les canons.
L'éléphant est un des rares animaux
quipuissents'acquitterd'unetâchequand
le maître n'est pas là pour les surveiller.
Dans une excellente monographie sur
l'cléphanf, M. le professeur Romanes,
que les Anglais (.onsidèrent comme un
grand naturaliste, raconte qu'aux Indes
les Anglais emploient couramment ce
pachyderme comme l)onne d'enfants. Il
est chargé de conduire au jardin public
des misses et des gentlemen de cinq ans.
La bonne bêle les place délicatement
sur son dos ; elle les porte hors de la
ville, dans un site liien choisi; elle les
assoit à l'ombre et surveille leurs jeux.
Sa trompe ne permet pas aux inconnus,
aux chiens cl aux gens suspects de s'ap-
procher de ses petits maîtres. (Juand le
soir tombe, l'éléphant enlève délicate-
ment s:;s jeunes amis dans sa trompe
mollement roulée; il les installe confor-
tablement sur la selle: il rentre au logis
par le chemin le plus court.
En général, ses actions sont si pleines
de raison, qu'il a fourni aux Indiens le
symbole des connaissances les plus éle-
vées. Ganéça, le dieu de l'art et de la
science, est représenté avec une tête
d'éléphant. Dans ces conditions, les
Anglais n'ont pas eu de difficulté à
interdire la chasse dans leur empire
asiatique.
Malheureusement, il n'en est pas de
même dans nos colonies africaines. Là,
l'homme fait à ces géants une guerre
acharnée, persévérante, mortelle. L'élé-
phant d'Afrique — qui se distingue de
l'éléphant d'Asie par son front unifor-
mément bombé, sans dépression au mi-
lieu, ses oreilles très grandes, et par ses
sabots qui sont au nombre de trois et
non de quatre à ses pattes postérieures
— remontait, à l'époque romaine, jus-
I.KS KI.KI'IIANTS
qu iuix rc'f^ions boisées du Maroc, de
l'Algérie et de la Tunisie. Aujourd'hui,
il est extirpé de ces contrées et n'arrive
que jusqu'au Niger. Dans les réfjions
sau\ages du continent noir, la chasse
pratiquée contre ces animaux a pour
but leur destruction. L'utilité de ces
pachydermes se trouve ainsi limitée à
ri\oire. L'exportation de cette substance
— dont jusqu'en 1883 l'K^'ypte avait
gardé le monopole — suit une ])rogres-
sion constante. L'Etat indépemlant du
(]ougo en exporte aujourd'hui plus de
,'iOOO()() kilogrammes, soit le double de
ce (|u'elle exportait il y a dix ans.
Dans les bassins de la Sangha, de
l'Oubanghi, du Congo et dans les régions
des lacs où l'éléphant abonde, la chasse
à ri\oire rend vnins les efTorls de la
domeslication du pachyderme qui le
produit. Cependant, dans les contrées
que nous venons de nommer, le con-
cours de l'animal parait être très pré-
cieux. L'absence complète de voies de
communication rend en elFet l'accès de
ces contrées fort difficile. Les transports,
par exemple, de la côte à Brazzaville ne
peuvent se l'aire aujourd'hui qu'à dos
d'homme. C'est une dislance d'environ
fUK) kilomètres qu'un nègre, ])0uvanl à
peine porter "2.") kilogrammes, met plu-
sieurs semaines à franchir. Le transport
d'une tonne dans ces conditions revient
au chilVre énorme de 2 00(» francs et
exige quarante porteurs. Or deux élé-
phants porteraient facilement ce fardeau
en vingt jours et on n aurait à faire
pour eux que des dépenses minimes.
Cela n'empêcherait point l'exportation
de l'ivoire, car on pourrait très bien,
comme on fait aux Indes, priver à un
niomenl donné l'animal de ses défenses.
Si, en .M'rique, on laisse la chasse
s'exercer dans l'avenir avec le même
acharnement que dans ces trente der-
nières années, on peut prévoir dès
maintenant la date de la disparition de
l'espèce. Il est donc utile, il est urgent
de plaider la cause et de refréner ces
massacres. L'éléphant domestique peut
rendre d'immenses services à nos colo-
nies africaines, où rétablissement de
routes carrossables ou ferrées n est pas
près de s'accompiii-.
• ,1 . Di; Lc.\ I U !■(..
ÉI,ftPHANT [lilNXE Ji'EXr.VNT.-
Louis Glasser. éditeur, à Leipzig. Taille^douce et lithographie
VUES DIVERSES DE MATEXCE nÉlNIES SCR LA MÊME CARTE SIESmANT 23 X 31 CESTIMÈTRE
LES
CARTES POSTALES ILLUSTRÉES
Il y a vingt ans et plus que les col-
lections de chromos, après avoir fait
fureur, ont été abandonnées. Les pre-
mières de ces images étaient imprévues,
gracieuses, et méritaient le succès ; le
cachet artistique fut assez vite remplacé
par une surabondance de production où
la préoccupation commerciale apparais-
sait seule : on offrait ces images non
plus isolément, mais par feuilles en-
tières; les grands magasins en distri-
buèrent ; le public, sollicité sans me-
sure, se déroba subitement.
En sera-t-il de même des cartes pos-
tales illustrées dont la mode se répand
aujourdhui? A bien prendre, ce sont
des images comme les chromos d'autre-
fois, et presque du même format. Mais
il y a des différences morales très grandes
entre ces deux expressions à peu près
semblables des arts graphiques, et l'on
peut prédire aux cartes une destinée
plus durable qu'aux chromos.
Pendant l'été de 1875, trois familles
allemandes voyageaient sur les bords
du Rhin ; on fraternisa et on convint
de se donner plus tard de ses nouvelles.
Seul le libraire Schwartz, d'Olden-
bourg, un des voyageurs, tint parole ;
mais il ne reçut pas de réponse. Piqué
au jeu, il revint à la charge en écrivant,
celte fois, une simple devise illustrée
d'une petite gravure. L'idée fut admirée
et ses oublieux amis s'empressèrent de
I.KS l'.AIiTKS l'OSTALKS I 1. 1. i:STIt lïES
le l'cliciler. La carte postale était l'on-
dée. Voici comment les Allemands, sou-
cieuv de fixer les dates en leur ('MVfiir,
racontent son orip^ine.
I/Bs caries postales ont donc pris nais-
sance en AUemafirne ; tout au moins y
circulaient-elles en extrême abondance
alors qu'elles étaient rares clic/ nous.
Aujourd liui encore, malgré leur déve-
loppement, nous cil faisons un bien
l'aiblo usage.
Dans presque tous les pays étrangers,
les caries postales sont en faveur. L"An-
fjlctcrre et les l'>tals-rnis ne sont pas
encore bien entrés dans le mouvement, ce
r(Ui s'explique par rusaf;e des Clirislniiis
citrJ.i. qui ne s'emploient qu'au moment
de Noël.
Toutes les administrations postales
accordent au transport de ces cartes, tant
pour le prix que pour les dimensions
acceptées, des facilités que les postes fran-
çaises, jalouses du maintenir leur situation
de routine, leur refusent.
Avec l'adresse sur le côté uJ hoc et
quelques mots au bas de l'image,- l'affran-
chissemenl coûte, comme on sait, 10 cen-
limes. Cela s'admet : c'est une correspon-
dance, et elle est encore ainsi
tarifée, bien que ne coijtant
que l'inq centimes partout
ailleurs. Si I on met toujours
1 adresse sur le coté voulu et
rien sur l'autre, c'est encore
H) centimes. Pourquoi, puis-
que ce n'est plus une corres-
pondance ■? Mais n'écrivez
rien, ni adresse ni mol, et
mettez la carte sous une bande
n'occupant que le tiers de la
surface (le tiers, grands
dieux ! à un millimètre près)
cl écrivez l'adresse sur cette
bande, le tout voyagera au
tarif des imprimés, c'est-à-
dire à 1 centime d'afTran-
chissement, 5 grammes n'é-
tant pas dépassés. Il est vrai
(pi'il faut dire voyagera et
non pas parricndr», quand
il s'agit d'un imprimé à 1 centime.
Puisque nous parlons de l'Adminis-
tration des postes, on nous pardonnera
une digression. Voici pour 181t8 le mou-
vement postal de l'Allemagne:
Recettes . . . i8G7.3.'{ UOl franc-.
Dépenses. . . lf)'.)50--> -iiH —
nénéficcs. . . 17 231 OÔS francs.
\'oiri Icniduvemcnl postal delà P'rance
qui vient d'ailleurs en quatrième ligne,
après les Étals-Unis et l'Angleterre :
Recettes. . . •221 ««2 ()7ti francs.
Dépenses. . . l7iOf)3H72 —
Rénéficcs. . . ^(ISISiOJ francs.
I.KS CARTES IMiSTALKS ILLUSTREES
Bien que
les centimes
soient négligés, chose
grave en matière admi-
nistrative, ces tableaux sont exacts, car
ils sont publiés par le Bureau inter-
national de Berne. Mais, pour en avoir
connaissance, il faut user de ruse. La
Direction de Berne, qui est libérale,
donnerait volontiers communication de
ses rapports, mais l'administration fran-
çaise s'y oppose. Il ne faut pas Irop
renseigner le public.
Même en tenant compte de la dilfé-
rence de population, on voit que le mou-
vement postal, symptôme fidèle de l'ac-
tivité commerciale, est de moitié moindre
en France qu'en Allemagne, et c'est une
triste constatation. Mais on remarque
aussi que les bénéfices de l'Administra-
tion sont trois fois plus élevés en France
qu'en Allemagne, et même six fois en
tenant compte de la différence du mou-
vement. C'est que notre Administration,
que l'Europe ne nous envie plus, ne
pense qu'à une chose : gagner de l'ar-
gent par ses tarifs en alourdissant les
transactions et en entravant le déve-
loppement des affaires. On conçoit qu'elle
n'en soit pas liera et qu'elle redoute
les comparaisons. Dans cet énorme
cartes
Velteii, éditeur, à Karlsrahc.
Chromolithograplii
LES CARTES l'OSTALES ILI.USTHKES
illustrées jouent un
rôle considérable.
L'âme allemaude
a trouvé dans Icn-
voi des caries pos-
tales la symbolisa-
lion de toutes ses
tendances, et elle a
une si grande con-
liance dans l'image
seule qu'il ne reste
|)r("sque ])as do vide
pour y ajouter quel-
ques mots. Plus positifs, nous dési
plus de place à nos épanchements.
Les événements du jour donnent
'diteiir. à Karslruhe,
Chromulithogruphii:
à la création de cartes qui les rappellent.
Elles forment comme un Hiemen/o illustré.
Quand le kaiser lit son vovage de
Viillinger, éditeur, à Zurich. Ohromolitliogruplilo.
L K s A 1. !■ K s C c I M 1 V U E 8
LES CARTES POSTALES 1 1.I.LSTUEES
Meissner et Bucb, éJiteurs, à Leipzig.
Palestine, de nombreuses cartes le re-
présentèrent — ■ d'avance, car tout était
réglé — dans ses majestueuses atti-
tudes. Des représentants des éditeurs
partirent pour Jérusalem avec d'innom-
brables cartes portant l'adresse des sou-
scripteurs. Le jour de l'entrée du souve-
rain dans la cité sainte, elles furent
expédiées par la poste, et ces nouveaux
pigeons voyageurs apportèrent partout
la bonne nouvelle. Encore qu'il soit
sincèrement disposé à encourager de sa
personne tout ce qui plaît à ses peuples
et tout ce qui peut faire marcher leurs
affaires, l'empereijr n'a pas pu signer
ces cartes. Mais il faut avouer qu'elles
ileissner et Buîb, éditeiirs, à Lsipzi?.
Seeger, éditeur, à Stuttgart. CARTES MILITAIRES, IMPRIMÉES EX COCLEURS
LES CAUTES POSTA l.KS I I.I.USTHKKS
^r^ 0
Eil. de Konig, éditeur, à Heidelberg.
SCÈNES DE I, A VIB DES ÉTUDIANTS
ne sont pas banales pour
avoir élé reçues de cette façon.
Les souscripteurs qui les ont
payées 1 mark ont fait une
bonne alTaire et les éditeurs une
opération merveilleuse. I']n
Franco, la l'aillite serait aubout
d'une telle entreprise !
Comme on le verra par les
représentations de cartes qui
illustrent cet article, choisies
parmi les cartes allemandes,
les sujets varient à l'infini.
Ce sont d'abord les sites et
les monuments de ce pays si
pittoresque où les vestifjes du
passé, partout religieusement
conservés, se dressent au mi-
lieu d'une nature variée.
Les costumes militaires
et les manœuvres des
troupes entretiennent un
amour de l'armée qui
n'est pas prêt à s'étein- »
(Ire; mais les coutumes
des étudiants et les
mœurs de la ville Kdg. schmiJt, ù.iiteu
Odrt«s colorii^cs.
, À Drosdo.
.SCftNRS MONDAINES
LES CAUTES PdSTAI.KS 1 1. 1.f ST H KKS
ly|)es féminins et. enliii,d"iiinombral>lcs
scènes de fantaisie et il'arl nlFrenl au
goût de chacun l'occasion de se mani-
fester. La fabrication des caries pos-
tales allemandes réunit, dans sa va-
riété, tous les procédés graphiques
actuellement connus.
-Nos voisins sont passés maîtres dans
la photographie et ses applications, f|ni
:A^<?\
Otto Elsncr, éditeur, à Berlin.
TRIST.^N KT T.SEIILT (3' acte)
inspirent aussi de noinbreuses scènes.
Les représentations théâtrales sont
figurées par des cartes qui célèbrent
les succès du jour. Les héros de la
légende antique et ceux du drame
wagnérien sont présentés dans toutes
leurs attitudes. Les chansons patrioti-
ques et les airs célèbres sont égale-
ment notés. Les maîtres de la musique
ont aussi leurs portraits multipliés.
Les tableaux et les objets d'art sont
aussi vulgarisés. De même de beaux
Panl Albert, éditeur, à Eer'.in.
L o H K N G n I :
CTr. ixo DE BERGE i!Ac (dernier actc)
portent tles noms barbarement scienti-
fiques, tels que phototypie. photolitho-
graphie, photocollographie, etc. Mais
ces procédés donnent des épreuves mo-
nochromes, alors que les cartes postales,
allemandes sont généralement en cou-
leurs. La chromolithographie, de pré-
férence à l'impression typographique,
est employée à leur fabrication, et ce
n est pas une petite alFaire que d'établir
une belle carte. C'est d'abord une aqua-
relle exécutéede main de maître, sachant
embellir la nature sans la défigurer;
puis une mise en couleurs demandant
jusqu'à douze tons et plus; autart de
pierres, autant de tirages. Des sommes
importantes sont facilement dépensées
avant d'avoir commencé la fabrication
proprement dite. Il faut donc, en ne
répartissant que quelques centimes par
carte pour ce premier amortissement, en
avoir vendu de grandes quantités avant
de rentrer dans les frais d'établissement,
le surplus du prix de vente étant néces-
saire pour couvrir les frais de fabrica-
LKS CAliTICS l'nSTALKS 1 1. 1.UST 1! KES
"^RCKpi^ÇHERlIS.
.1. Weiiilnrî,'.!, éditeur, u \ unue.
lion eux-mêmes. On se rend compte
aussi du débit nécessaire. (îes cartes se
vendent de 15 à W centimes.
En France où les modes, si elles sont
parfois lentes à venir, sont au moins
f^énéraloincnl raisonnécs, la carte pos-
lalc illustrée cherche encore sa voie.
Ou commence à en voir beaucoup; on
ii'iMi trouve pas un grand nomlire de
■niarquablcs. (-omme pour
I lenncs chromos, le nombre écraserait
l;i qualité et amènerait vile la satiété.
Faire un clioix constitue déjà un actede
goût, et ce choix va devenir, parle nom-
bre, de plus en plus difficile. Une collec-
tion choisie peut être symptomatique et,
avant dunir définitivemciil leurs carac-
tères, les fiancés demanderont bientôt à
scruter récipro(|uement leurs collections.
I.Itli-n'tMt AunUlt, édlt., A Munich.
I) F. F, T 11 (1 V F. N ET SA M A I S 0 N
ChromolitlioKraphio.
LKS C.AHTES l^OSTAI.KS I M-U S l' li KKS
Au sorlir d'une rcprésenlalion lhô:Uralc, lini-
nrcssinn ressentie sera rappelée par un portrait
de l'auteur, d'un acteur, voire de la façade du
théâtre. .\|)rès une lecture de Lamartine, une vue
de Saint-Point ou du lac du Bourf^et... Après
une visite de musée, le choix de quelques toiles...
Les émotions peuvent être
évoquées à l'infini et
communiquées par un ^'rii-
cieu\ envoi.
Par les cartes postales
les fleurs auront leur lan-
TYPES DE BEACT
On comprend qu'une col-
lection de cartes reçues par
la poste, mais avec un mot
d'envoi, prend tout de suite a. Ackermanu
une meilleure tournure. . Les
murailles de Carcassonne ge .profileront
toujours majestueuses, mais, qu'un ami
les ait vues et vous les ait envoyées par
souvenir, avec un. mot .d'émotion, leur
silhouette" évoquera d'autres pensées.
Plus modestement, un petit coin de
France fera battre le cœur.
Impressions pliototjpiques.
't
g;ag:e, la
nature
par lera
toutes ses
voix et
même —
sinistre perspecti\e I — les opinions po-
litiques pourront s'affirmer.
11 faut cependant se garder de ce
préju^ié qu'une carte n'a de \'aleur qu'à
Th. Stoefer, éditeur, à Nuremberg,
I.KS CAHTKS POSTAI.KS 1 1. M' ST li KES
lii coiulilion (l'avoir circulé. Envoyée
par un ami, cela se conçoit; mais
adressée par une adminislrntion, quel
est l'intérêt?
C'est sur cette convention que se
basent des entreprises spéciales. Dans
ces condition.s, la carie postale revient
à l!.5 centimes environ, qui se décom-
posenl ain«i : 10 centimes pour la valeur
moyenne de la carie, 10 centimes pour
sou aH'ranchissemeiit et le reste pour
l'entrepreneur qui les expédie en bloc à
ses correspondants, avec mission pour
ceux-ci de les réexpédier aux deslina-
laires. Une vue de Heyroulh porte donc le
timbre de la poste de Beyrouth. Saul'des
las exeejjlionuels, le plus clair de l'opé-
ralion est d(> tripler le prix de revient.
Mieux vaut consai'rer ce prix ù la
fabrication soignée. Toute
vul;,Mrisation ne se maintient
que par sa perfection rela-
tive, et l'art seul, comme le
style, rend les n-uvres du-
rables.
11 serait au.ssi d'un gracieux
usage que chacun [)ût avoir
ses cartes postales propres :
on y mettrait un emblème,
une vue de sa maison, un
objet qui vous est cher, ilo
souvenirs photographiqucv
d'excursions et ces manifes-
tations familières, d'un Cii-
ractère personnel, formeraient
de charmantes collections.
On y retrouverait ses amis
mieux que sur le bristol
banal des cartes de visite.
On y arrivera, car tout ce
qui est juste arrive avec le
temps. C'est pourquoi les
cartes postales illustrées ont
devant elles un long avenir.
A. (ÎAMEn.
LK MOUVEMENT LITTKHAIUE
Il y :i lui charme |iarliculier aux (inivies
clo Georges Rodenbach, et c'est une heu-
reuse l'orlune de lire le nouveau livre
posthume qui vient de paraître à la librairie
Oi.i.rMioiin-, If rtoiirl lies /?rHmra. Tilre
évocateur, qui annonce bien indircclement
l'ouvrage, car dans co recueil de contes cl
(le chioiiiqucs, s'il y a un peu de brunies,
il n'y M pas du tout de rouet.
Tout n'est pas d'égale valeur dans ce
sflerl.v, qui présente trop de variété de
Ions et de sujets pour que le même homme
[luissc étfalcment y réussir. La note scep-
liquc et boulevardière, grivoise et leste,
sonne un peu faux ici, dans des histoires
scabreuses comme l'Amour et la Morl ou
/<• Chusrirur îles Villes. Le merveilleux sied
mieux au talent de l'auteur, qui rend avec
une âpre mélancolie les terreurs et les
mirages des visions, des féeries et des
folies. Dans ce genre, l'Aiiii des inii'oirs,
(Cortège, Sut/rjeslion, Orrjueil, et l'histoire
d'Ursule, une folle qui devient mère, ont
cette douloureuse et attendrissante pitié
qui est le meilleur fonds du talent de Ro-
denbach.
.\ vrai dire, je donnerais tout le volume
entier pour les dix pages du commence-
ment. Cela s'appelle Déménagement. C'est
du bon, de l'excellent, du meilleur Ro-
denbach de derrière les brumes. L'auteur
va déménager; il y a dix ans qu'il habite
1 appartement qu'il quitte, et il dit ses
tristesses d âme qui s'attache aux choses.
Cela est délicieux de finesse, d'analyse, de
style ; c'est du Xavier de Maistre qui au-
rait quitté le Midi pour le Nord et qui
aurait apitoyé son sourire.
Malade, il range, trie, classe ses papiers
pour le départ :
Ah ! les lettres qu'on relit! Tout le passé_
qui se lève, réapparaît incolore et comme en
pleurs. Le papier jauni a la couleur du vieux
linge. Et l'encre pâlie semble d'elle-même
vouloir retourner au néant. Ah I les vieilles
lettres ! Layette d'un enfant mort I Trousseau
«le mariage retrouvé durant le veuvage et
qui dort dans ses plis !
Je lelisaiH... Condjien de cho.scs pour Icv
quelles on se passionna, s'exalta, s'irrita,
déjà si vaines et si lointaines, dans un tel
recul qu'elles .sont comme si elles n'avaient
pas été. Et les lettres d'amour plus vaincs
encore... Les lettres encore, sans cesse. El
toujours ce besoin de les relire qui devient
une petite lièvre pressée dont les joues se
fardent... On semble vouloir rebâtir son
passé avec toutes ces lettres... (;h;Mcau de
papier!
Je retrouvai dans lui des tiroirs à mettre
en ordre tous mes souvenirs de famille, toute
mon enfance. Les portraits surtout, les
miens d'abord : celui fait à sept ans, celui
fait à quinze, mes autres visages — visages de
premier communiant — c'est-à-dire aussi mes
autres âmes.
Puis d'autres portraits, ceu\ de ma mère,
de mon père. Ah ! comme ils me replongèrent
dans la douleur de leur mort. Je les revis,
vivants, heureux, là-bas. dans la grande de-
meure en province, et moi, enfant, auprès
d'eux. C'était fini, tout cela, abouti à un cime-
tière de banlieue, avec leur nom, mim nom.
siu' la pierre d'un caveau.
Dans la maison en face, il y a un enter-
rement de jeune fille. Il assiste au départ
du cortège.
Dr. quelques minutes après, la voiture
verte des pompes funèbres arriva; et en un
clin d'ieil, pour ainsi dire, les employés eurent
enlevé de la façade la portière écussonnée.
relevée par des embrasses, défait et replié
les draperies ; repris les candélabres, les tré-
teaux, tous les accessoires de cette mobile
chapelle ardente. Presque instantanément, il
n'y eut plus rien, plus aucune trace de nioil
et de convoi. La maison ne se désignait
plus, était déjà pareille aux autres. Les em-
ployés avaient opéré, prestes, insouciants,
comme des déménageurs. Oui! la morl, un
déménagement...
El le déménagement, une petite mort, .le
le sentis bien, le lendemain. J'avais mal
dormi, la nuit. A l'aube, je sommeillais d'un
de ces demi-sommeils agités de rêves qu'on
ne peut démêler des réalités, frontière indé-
cise des sensations, clair-obscur de la con-
science. J'entendais des pas ; je croyais les
voitures de déménagement déjà arrivées dans
la rue, et les employés aussi. Mais, en res-
souvenir du convoi de la veille, il me sem-
blait y voir encore, également, le corbillard
et les hommes des pompes funèbres... <in
allait se tromper.
IA-: Mi)L vi:mi:n T i.i iikha lui:
Kn peml.inl, il mit le départ de son dù-
ménagemenl :
Je me rappelai ceux des Pompes funèlircs
i|ui, vis-à-vis, avec la même rapidité invrai-
semblable, avaient vite enfourne dans leur
voiture tout l'appareil de la mort. En ce
moment, on enfournait ma vie. Était-ce cela,
ma vie ? Elle tient donc si peu de place !
Ktaient-ce là mes meubles? Ah! qu'ils parais-
sent laids avec des housses, des draps, de la
[loussièrc. ainsi entasses et dans la lumière
crue du jour! Oui ! c'était bien comme un
enterrement, l'enterrement d'une part de ma
vie
Mon appartement était vide. Je ne le
reconnus guère... Plus rien de moi n'y était.
Tout de suite, il fut lui-même. En bas, le
vestibule de la maison, également, fut débar-
rassé avec promptitude.
Il ne fiarda pas plus longtemps trace de ma
vie que l'autre n'avait gardé trace de la
mort.
Et quand la vdilure de déménagement
s'achemina, tourna le coin de la rue. eut dis-
paru, ce fut comme si un corbillard empor-
tait la période vécue là, cette période de
dix années (l'âge de la première communiante
d'en faecl qui était morte aussi.
Ce sont les meilleures pages du livre;
elles ont une pénétration, une sincérité
vécue, une tristesse naturelle qui va au
cœur parce qu'elle en vient.
Dans le reste du livre, Paris tient à peu
près toute la place, et c'est tant pis. Roden-
bach était merveilleusement septentrional.
Son milieu, c'était Bruges. Les tableaux
jjarisiens étaient moins faits pour lui. Il y
était moins habile. Il ■ cmbrugeoisait »
l'aris.
Ses scènes de Paris se couvrent d'une
biume, — la brume humide des canaux
des Flandres, ([u'il retrouve ou croit re-
Irciuvei- ;ui quai de Jemmapes, au-dessus
du canal Saint-.Marlin. Flamand déraciné,
il se meut plus à l'aise au milieu des siens
et sous son ciel. A Paris, il ne se retrouve
(|ue par- les jours pluvieux, en hiver, aux
heures de tristesse. Comme pour certains
photographes, les temps couverts lui sont
meilleurs.
Le soleil et la gaieté l'elVarouchent ;
l'edelweiss des neiges ne pousse pas sur
la Côte d'Azur, et le MouIin-Rougc de
Montmartre ne ressemble pas aux lents
moulins verts qui hérissent les plaines
herbues et luxuriantes du pays de Waes.
Rodenbach a été un grand attristé, et ce
livre posthume est empreint d'une mélan-
colie plus poignante encore par les appro-
ches et la prévision de la mort, qui le
hantait avec une douce terreur derrière la
voiture du déménageur.
Dans un style agréable, clair, facile,
M. Ernest Daudet nous raconte un nou-
veau roman, YHéritage des Kertouan, paru
chez Pi.oN-NoiitniT. C'est un cas de con-
science intéressant et délicat.
In archiviste paléographe du départe-
ment du Finistère, M. Malgorn, reçoit un
jour la visite d'un châtelain voisin, le mar-
quis de Kerlouan, qui lui dit : « Venez
donc classer mes archives. >■ Le voilà
parti au château avec sa Clle Fernando
Malgorn. Le marquis se prend d'alTection
pour son classeur et pour la jeune fille, à
qui il fait de beaux cadeaux qu'il rapporte
d'une chambre mystérieuse toujours close
et impénétrable.
En classant les liasses, l'archiviste lit
une histoire tragique de naufrages et de
naufrageurs. Un vaisseau , ÏArtémise, a
autrefois sombré en vue de la côte. Les
trésors qu'il renfermait et qu'on a sauvés
des épaves avaient été déposés dans une
cabane qu'on Dt garder par deux hommes.
Ceux-ci furent trouvés le matin b.Tillonnés
et occis. L assassin fut arrêté, convaincu
d'avoir aidé à la perte du navire et con-
damné à mort. Le marquis de Kerlouan fut
mêlé comme témoin à ce procès, dont le
cas tragique est émouvani autant que
mystérieux.
Bientôt le marquis meurt. Il fait de
Malgorn son légataire universel.
(k'Iui-ci, soudain devenu très riche,
visite son château et entre dans la chambre
close, où un portrait de femme inconnue
est accroché au mur. Il n'y découvre rien
d'autre et il ne songe plus qu'à user de sa
fortune. 11 va dans le Midi avec sa fdie.
■\ Pau , ils font connaissance de quel-
ipies f.imilles : l'une où l''ernalide se lie
LE Mur\):Mi:\T i.ii ri;iiAiui-;
avec la demoiselle de compagnie, miss
Dawson, toute charmante, et une autre,
où la comtesse de Floret couche en joue la
riche héritière pour son fds.
En se quittant, comme il arrive aux
eaux, on se promet de se revoir et de se
retrouver à Kerlouan.
En paperassant chez lui, Malp;orn dé-
couvre quelques détails sur cette alîaire
de l'Arli-misp, qui l'attire par son mystère
même. 11 trouve que ce vaisseau conte-
nait une fortune renfermée dans de petits
tonneaux. Il trouve aussi qu'à un moment
donné le marquis avait eu beaucoup d'ar-
gent entre les mains; il avait acheté dos
terres d'émigrés sans que la provenance
des fonds fût bien limpide.
Intrigué, il scrute la chambre close. 11
décroche le tableau de femme. Derrière,
un nom a été effacé, mais on lit encore
Cadix. Le portrait masquait une cachette.
Malgorn y découvre des papiers : c'est l'in-
ventaire des trésors que contenait le ba-
teau. Il découvre aussi une trappe secrète,
dont il presse le ressort. Le voil.i dans un
souterrain, entouré de tous les barillets de
l'A;-/é;)i (.<(". Ainsi cette fortune dont il jouit
a été mal acquise.
11 n'en veut pas.
Il ne gardera que l'équivalent de la for-
tune des Kerlouan avant cette aubaine.
Voilà le cas. C'est celui d'un honnête
homme qui n'accepte pas le bien mal gagné.
A la comtesse de Floret, qui arrive pour
caser son fils, il avoue la diminution de sa
fortune. La comtesse, à ce coup, gagne le
large, et Georges ne veut plus d'une jeune
fille dédorée.
Celle-ci, outragée, en fait une maladie.
Elle est soignée avec dévouement par son
amie miss Dawson, dont le frère, modeste
professeur, arrive et se prend à aimer Fer-
nande, riche ou pauvre, peu lui importe.
11 la demande en mariage.
Malgorn, loj-alement, lui raconte tiuite
l'histoire et conduit ses hôtes à la chambre
close.
Ea entrant, miss Dawson et son frère
Georges aperçoivent le portrait et s'é-
crient :
— Ah ! notre graud'mère !
En effet, leur grand-père se trouvait sur
VArlémise. Chassé du Mexique pour des
causes politiques, il se rendait à Lisbonne
avec tout son bien quand le navire sombra.
Malgorn est heureux de pouvoir resti-
tuer à ces pauvres enfants le bien qui leur
appartient. Il épouse miss Dawson et
Georges épouse Fernande.
Tel est ce récit agréaljle et romanesque,
d'une couleur exacte et un peu légendaire,
comme tout ce qui touche à la Bretagne.
11 est émaillé de pittoresques descriptions.
Sous forme de Mémoii-es, c'est Malgorn
qui conte l'aventure à la première per-
sonne. Livre intéressant, honnête, ((u'uno
jeune fille peut lire et dont l'intérêt croit
à travers les scènes dune enquête palpi-
tante et bien conduite.
La Bretagne exerce un prestige do poésie
et de mystère. Ses chantres prennent aus-
sitôt une place à part par le caractère de
leur inspiration et l'originalité extérieure
de leurs chants. La littérature bretonne n'a
pas plus quitté son costume que les gas
bretons. Théodore Botrel est un de ces
bardes bien sincères et bien populaires ;
il a la fraîcheur des choses primitives et
sincères. Né à Dinan, où son père était
forgeron, il a émigré de lui-même vers
l'ouest , pour s'enfoncer davantage en
pleine Bretagne bretonnante, on terre
celtique et trégorroise, au Port-Blanc,
où il a entendu et noté les sùnes et les
gweizes plaintives , et dans les chansons
de Botrel, la Bretagne s'est reconnue, —
bien qu'à lire le préfacier, un Breton de
vieille roche, Anatole Le Braz, on sente
une vague appréhension de voir le pays
envahi par le répertoire de Paris, comme
si les temps prédits par l'enchanteur
Merlin étaient révolus.
Botrel et Le Braz luttent le bon combat
pour la sauvegarde de l'originalité bre-
tonne et celui-ci le dit excellemment :
" Nous sommes plusieurs qui nous
efforçons de recueillir le parfum de cette
fleur de sentiment qui fut la parure de la
M-: Mor\ KMKNT I, Il T K H A [ U K
Hrel;igne cl qui. à son heure, embauma le
monde... Nous nous efforçons d'en subli-
nuM- dans nos chants la goutic «le pure
csseiicp. "
Ils veuleni, aii\ rofiains des casirnes et
lies commis \ oxa^eiirs, en subslituei' d'nu-
Ires qui flcuienl l'odeur des genêts de la
lande et la poésie du sol armoricain. C'est
vers cet idéal que tendent les deux vo-
lumes que vient de faire paraître Théo-
dore Botrel chez Ondut, d'abord /i'.<r Clian-
xDiis de chez nous, puis les Conir.i du LU
rlii.i, suivis de Ch.insons à dire. Sans Irop
(le littérature, sans trop de vul;j;arité, il
resle simple, tendre, touchant ol douce-
ment attristé. Cette page est d'une note
juste, pittoresi|ue, évocatrice ;
('.liez nous, le ■■ chez nous ■■ de là-ha-;
C'est toi, cher petit coin de terre
Qui part d'Ille-el- Vilaine et vas
l'inir avec le Finistère :
("est toi, l'aïeule auï grands jcut douv
Des Celtes aux larjçes épaules,
Au cœur fort, aux lonj;s cheveux rouv.
Premiers fils des premières f, ailles.
C'est toi, la terre du granit
i;t de l'immense et morne lande.
Pieuse Armor au sol bénit
Par les grands saints venus d'Irlande.
Où l'on rencontre à chaque pas
Des menhirs près des Christ en |iieiro.
Di'i le ciel est si bas, si bas
(Ju'on y voit monter sa prière !
Tantôt, les vieilles ballades de ces con-
trées légendaires sonnent comme l'écho
d'un lointain biniou entre les cromlechs.
On lit avec plaisir toutes ces évocations,
tous ces tableaux qui ont déjà :i Paris une
petite pointe d'exotisme, les lleiceaiix. l,i
Dmiifrc licuelle, la Fancliolle, M;i dotirc
Aniirlle. et la plus populaire de toutes ces
romances, /.i l'uiiiipoliiisr, qui court les
rues, cette antichambre de la Gloire.
Quittant ses genêts et sa lande,
Ijuand le Breton se fait marin,
VjU allant aux pèches d'Islande,
\'ciici quel est le doux refrain
Que le pauvre gas
l'reiliiiine tout bas ;
.l'aiine Paimpul et sa falaise.
Son église et son grand pardon ;
.l'aime surtout la Paimpolaisc
U'iii m'attend nu pays breton I
L'air est déli.iausenient bercear; L'
livre donne le nom de l'auteur : K. Keju-
Irier. Je le regrette presque: je me phi-
sais îi y entendre l'écho anonyme de.-,
romances de là-bas, transmises par la
seule tradition.
Il y a aussi de la couleur locjle cl du
pittoresque dans la sombre histoire l'iUiiti-
de Picardie de Pontsevrez, eaux-forles de
Louis-KdouardFournier, éditée par la librai-
rie Mav. C'est un drame cruel : une pauvre
fille, orpheline avec trois frères et soeurs
en bas âge, poursuivie pai- les assiduités
d'un ivrogne qui assassine deux personres
.et meurt lui-même d'un coup de couteau.
La tentative intéressante (jue révèle ce
petit ouvrage est d'avoir voulu rendre les
mœurs et le langage des grossiers pê-
cheurs du Tréport sans cesser d'être litté-
raire. Il y a là un petit problème que nous
avons déjà abordé ici. Pour rendre l'as-
pect et la vie des paysans, faul-il adopter
leur patois? On répèle (pie Molière a fait
jargonner ses Limousins, ses Picards, ses
Suisses; mais ces dialectes de scène sont
bien conventionnels, et ils ne produisent
d'effet que par leur imprévu, qui doit être
court, sous peine de périr par l'habitude.
I l ne comédie tout entière écrite de ce
! style serait intolérable, même signée de
I Molière. On a joué, à Paris, des comédies
! en patois wallon comme T.iti t'pi'rrii/tii.
et pour les uon-Walloiis. ce ii'élail pas
I supportable.
I L'habileté est de demeurer littéraire
et de donner, par de certains tours, l'im-
])ression de paysannerie, sans a\oir re-
cours aux artifices grossiers du patois
maladroitement transcrit et orlhographié.
Le conte de M. Pontsevrez. donne cette
note-là, sans trop user de barbarismes et
de jargon. lît c'est là précisément le
talent, de faire penser à des paysans sans
cesser d'écrire en fiançais.
M. llenrv Hordea
•jiuaii (''dili' chez
dans /.■ /'./(/.s ii.il^il.
in-\mi mil I , éludie
i.K \i(ir\i:Mi:NT i.n iiniAiitE
lo charme qu'exerce le clocher sur le dc-
laciné, comme dit Barrés, de retour dans
sou foyer. C'est uoe reprise de possession
par la petite patrie, et la thèse est vraie
à la condition qu'on ait laissé là des sou-
venirs d'une enfance assez longue, et sur-
tout un amour en germe qui se développe
a\ec l'âge. Autrement, il y a bien à pa-
rier qu'il faudra renvoyer la voix de la pe-
tite patrie là où a déjà émigré la voix
du sang. 11 n'y a au fond que la Voix de la
luémoire et des hal)itudes. ou que celles-ci
soient localisées.
Le récit de ce roman est l'histoire d'un
amour malheureux. Lucien Ilaland aimait
.\nnie Merans, mais celle-ci épouse un
iléputé, Jacques Alvard, qui est naturel-
lement un vilain sauteur. En littérature,
le député est devenu le type du traître
d'autrefois. Cet Alvard est, en effet, un
mari déplorable, quoique ministre ; il a
pour maîtresse une Italienne mariée,
M'"' Ferresi, qui devient soudain veuve.
Annie connaît l'indignité de son époux ;
elle le quitte, et ne tarde pas à mourir.
Lucien épouse la sœur de la malheureuse.
Cette action comporte une curieuse
étude des mœurs électorales, et aussi des
descriptions ingénieuses et pittoresques
de Talloire at des rives du lac d'Annecy,
que nous connaissions déjà très bien par
André Theuriet. Mais il n'en va pas du
roman comme du droit, où non Lis in idem.
L'art est plus large; autrement, que
ferait-on de tous les saint Sébastien et de
toutes les Madeleines"? 11 y a bien deux
places pour Talloire dans la maison des
éditeurs.
Il manquait une bonne monographie de
la Légion d'honneur. M. L. Bonnoville de
Marsang\, devançant de deux ans l'époque
ilu centenaire de celle institution, fondée
en 1802, a écrit sur ce sujet un bon et gros
livre, 1res illustré, édité chez H. Lai/Hens,
sous le patronage du grand chancelier.
L'auteur a pris la question sous tous
les angles. Il nous conte d'abord la créa-
tion de l'ordre de la Légion d'honneur par
Napoléon ]"■, et son histoire, intimement
liée à l'histoire générale, jusqu'à nos
jours. 11 en raonlre l'organisation, le fonc-
titmucment; puis, ayant ainsi épuisé le
fond, il passe aux accessoires, qui sont
intéressants. Il nous dit quels sont les
drapeaux, les villes qui ont été décorés.
Il énumère les femmes ipii ont eu la croix,
et les motifs de celte distinction. Alors
nous entrons dans le palais de la chan-
cellerie de la Légion d'honneur, dont on
nous fait les honneurs avec un détail
pieux et minutieux. On nous nomme tous
les chanceliers successifs, avec leur bio-
graphie. La fin est consacrée aux maisons
déducalion que la Légion d'honneur en-
lietienl pour le plus grand bien de tant
de pauvres filles.
On ne voit pas ce qui peut manquer à
celte monographie complète, et quel
point de vue encore pourrait s'imposer.
II semble bien que tout y est et qu'il fau-
dra à présent attendre assez longtemps
pour recommencer.
Napoléon attachait un grand prix à la
croix, qui était alors réservée aux héro^
s'étaut distingués par une action d'éolal.
Elle a un peu changé d'attribution. 11 est
curieux de voir que l'Empereur, si auto-
ritaire, si fidèle à la discipline rude, ferme
et intraitable, si foncièrement militaire,
hésitait à ôter la croix, même pour une
faute grave contre la discipline.
Lisez ce billet, il est signiOcalif :
M. de Lacépède, grand chancelier de la
Légion d'honneur, rend compte du renvoi en
France, sous escorte, d'un militaire décoré
pour action d'éclat, mais que son insubordi-
nation a fait renvoyer du rcfriment auq<iel il
appartenait.
3 février ISOS.
Le faire venir en toute liberté à Paris, où
le grand chancelier l'interrogera. Puisque
cette décoration lui a été donnée pour une
action d'éclat, je ne veux pas la lui ôter, mai.s
tâchez de concilier les intérêts de ce brave
avec la discipline.
N A r o L É o N .
Le fait est tout à fait typique et con-
state quelle valeur morale l'Empereiu-
attachait à cet insigne.
. K MdlXKMKNT 1, 1 TT K II A I l( K
Il olait un peu moins aisé alors qu'au-
jourd'hui (le l'obtenir, et les projets mi-
nistériels que nous voyons voler au Par-
lement eussent été vigoureusement sabrés
|i:ir l'Empereur. On est stupéfait de lire
(lucllos prouesses, quels héro'ismes surhu-
mains et dignes de l'antique ont accomplis
Ions les légionnaires des premières four-
nées. Ils n'ont eu la croix qu'après nombre
de campagnes, de blessures et d'épreuves.
La liste de leurs noms, qui est aux
Archives, avec leurs états de services, est
admirable, comme un glorieux martyro-
loge, et on ne saurait la lire que la tilc
découverte et chapeau bas. 11 y a eu du
changement.
Un exemple entre cent constatera les
diflicullés qui se dressaient au-devant
d'une telle distinction.
Le propre frère de Lazare Carnot a fait
toute sa carrière militaire sans être che-
valier de la Légion d'honneur, et il n'eut
la croix (|u'à sa retraite comme général.
(Test moins ardu aujourd'hui.
Tout ce chapitre fait penser à ces vers
de l'Aiglon, de Hostand, (|ui vient de
paraître :
1'^ I, A M U li A u
.Avcz-viius jamais vu la croiv ?
I,R Dl'O
tluns lies vitrines.
V l. .\ 51 U E A U
Monseigneur, il fallait voir ca sur des poitrines I
I,à, sur le drap lionibi;, goutte de sang ardent
Oui descendait et devenait, en descendant,
De l'or et de l'émail avec de la verdure...
C'était l'omniR un bijou sortant d'une blessure.
Le Duc
Ce devait être be;iu, mon ami, je le crois.
Sur la |iuilrine, là.
F I, A :m n !■: a v
Miii '.' .le n'ai pas la croix !
Liî I)im:
Après ce ipic lu lis, modeste et grandiose ?
Flambe a v
l'our l'avoir, il fallait faire bien autre cliose !
L'Empereur n'était pas assez prodigue
de son ordre pour y admettre les femmes,
— outre qu'il eut toujours les femmes en
médiocre eslime.
On rapporte ù ce propus que, lorsque
M""' de Genlis eut été nonimce l'un des con-
servateurs de la Hibliothèquc de l'Arsenal,
avec un traitement de <iOOO francs, elle trouva
injuste que les femmes fussent exclues de la
nouvelle Légion. Dans le but de faire cesser
ictlc sorte d'ostracisme, elle rédigea un nic-
muire, où, énumcrant toutes les femmes de
l'époque cél(ibres par leur talent — et, sans
doute, elle ne s'oubliait pas — elle conviait
l'Empereur A les décorer, et rien ne prouve
mieux quel était le prestige de l'étoile impé-
riale que cette démarclie tentée, pour l'ob-
tenir, par la célèbre comtesse, jadis honorée
des faveurs du duc d'Orléans.
M"" de Genlis, explique XL Ma/as, obtint
de son gendre, le général Valence, sénateur.
de présenter le factum A Napoléon. Il essaya
de le faire à l'occasion d'une grande présen-
lation qui eut lieu en mars 180S. Napoléon
comprit de suite, ne le laissa pas achever,
repoussa la supplique en termes énergiques ;
et l'auteur de Delphine vil s'évanouir pour
jamais ses (laiteuses espérances.
Viiil.'i bien le gcsie ([u'on attendait de
Napoléon si ou lui pnqiONait de décorer
une femme.
L'idée d'avoir fondé des maisons d'édu-
cation de la Légion d'honneur est géné-
reuse et embellit encore celte belle pen-
sée. Il faut songer à ce qu'était l'Empereur
pour ces petites pensionnaires de M"' Caui-
pan, et quel émoi quand il leur rendait
visite! Léon Gozlan l'a dit quelque part:
Dès que l'Empereur était sorti de la classe,
vite on inscrivait ses réponses ; on gravait
ses mots licureux dans sa mémoire; on les
brodait ; ils étaient envoyés aux parents.
Parmi les jeunes filles qu'il avait exaltées
d'un regard, d'un compliment, d'une tape,
d'une poignée de bonbons, les plus glorieuses
étaient celles (|ui, l'ayant suivi pas i\ pas,
avaient furtivement ramassé, grain à grain,
sur ses traces, le tabac tombé île sa taba-
tière, et l'avaient enfermé, imisu dans un
sachet, pour le porter svu- leur cirur.
Le livre de M, de Marsangy est coniplel
et agréable. Peut-être la proportion eût-
elle été mieux gardée en faisant moins
libéralement large la place de Napoléon I"',
Mais c'est peut-être sous le premier Em-
pire que l'histoire de la Légion d'honneui'
est le plus intéressante : ajoutez pourtant
l'époque do la guerre do ISTO,
c A i; s E RIE SCI !•: N r 1 1 ■ I ( j i ; e
En assumant les rosponsabililOs d une
succession (|ue le talent d'un technicien
éiuilit cl le charme d'un causeur apivablc
ont rendue fort difficile îi remplir, il est cer-
tain que je me trouve devant une charge
devenue plus lourde par les qualités de
mon devancier, retenu désormais ailleurs
par de nouvelles et importantes fonctions.
Mon .excellent ami, M. II. Mareschal, qui,
pendant de si longs mois, a écrit dans le
Monde Moderne la revue scientifique a su,
grâce à son esprit d'assimilation et sou
savoir d'adaptation si grands, rendre
facile, je dirai pleine de plaisir, la lecture
de questions arides en elles-mêmes et
dont l'étude dérouterait souvent les per-
sonnes <|ue leurs occupations ou leur
caractère n'ont pas constamment dirigées
vers les choses des sciences, .aujourd'hui,
pourtant, c'est la science qui est notre
directrice: nous sommes à une époque où
le prestige des lettres a dû céder devant
un autre toujours plus grand et plus
influent, celui des sciences. Le siècle qui
vient de s'éteindre sous ce mirifique coup
de tonnerre, la grande Exposition de UIOO,
n'est qu'une longue apologie des applica-
tions scientifiques dont Papin, Lavoisier
<?t Pasteur ont été, en quelque sorte, les
trois grandes chevilles ouvrières. Il fau-
drait pouvoir revivre dans quelques siècles
pour savoir si leur gloire p;'dira devant le
souvenir des littérateurs qui ont illustré la
Erance aux temps passés, et si les hommes
<pii ont enfanté des œuvres d'imagination
d'une valeur inestimable seront pour la
postérité supérieurs à ceux qui ont décou-
vert la vapeur, l'oxygène et le sérum-.
C'est dans l'industrie des chemins de
fer que cette remarque trouve les appli-
cations les plus nombreuses et les plus
tangibles ; le public devient chaque jour
plus exigeant, il demande une vitesse et
un confort auxquels n'auraient pas songé
nos pèros; rien ne l'arrête, pas même le
spectacle attristant de ces accidents qui
viennent rarement, mais trop souvent
XIII. - 7.
encore, arrêter les ingénieurs dans cette
marche de géant, chaipie jour plus accé-
lérée et dont l'allure ne semble pas avoir
de limites.
Nous avons pu voir à l'Exposition, dans
le pavillon de MM. Schneider et C", une
locomotive qui est l'appareil tracteur le
plus puissant qu'on ait construit jus(|u'ici
et qui mérite de nous arrêter (fig. l i.
Son inventeur, M. Thuile, après avoir
mené ses calculs jusqu'au l)Out et conduit
les opérations de construction, n'a pas pu
jouir des lauriers que son beau travail lui
promettait; il est mort sur le champ
d'honneur, au mois de juin dernier; s'ctant
penché en dehors du gabarit pendant un
essai de sa locomotive entre Chalon et
Poitiers, sa tête heurta le parement d'un
pont, elle fut brisée et la mort vint aussitôt.
Cette locomotive peut entraîner en
palier, c'est-à-dire sur les portions hori-
zontales de la ligne, un train de deux cents
tonnes à une vitesse de cent vingt kilo-
mètres; ce poids correspond à uu train
de luxe composé d'une dizaine de voilures
à intercirculation et d'un ou deux fourgons
chargés de bagages; nous ne compton.s
pas dans ce tonnage le poids de la loco-
motive et du tender, qui, charges des com-
bustibles, pèsent à eux seuls cent trente-
huit tonnes, c'est-à-dire presque autant
que le train lui-môme.
La vitesse de 120 kilomètres peut ne
pas sembler excessive au premier abord,
car à certains moments nous voyons sou-
vent nos trains atteindre et dépasser
110 kilomètres sur les grandes lignes;
mais il faut penser que cela n'arrive que
dans des circonstances particulières et sur
des parcours très courts, lorsque la voie
est bien droite et quand on se trouve dans
les portions en pente; tandis que la parti-
cularité de la locomotive Thuile est de
pouvoir fournir des vitesses courantes de
120 kilomètres dans toutes les circon-
stances, excepté naturellement celles
très défavorables d'une rampe ou d'une
CAisKiiii: sc.iKNTiiigii;
courbe trop accentuée; il est même cer-
tain qu'en pente on arriverait à dépasser
les 120 kilomètres annoncés et à pouvoir
atteindre 130 ou liO kilomètres, ce qui ne
représente que quelques secondes (20 à 2")
pour couvrir le kilomètre!...
On conçoit que pour arriver à construire
une machine pouvant donner de pareils
résultais, il fallait changer complètemenl
les dispositions des locomotives aux-
quelles nous sommes habitués. L'aspect
extérieur se trouve même complètement
modifié : la longueur de la locomotive avec
son tonder atteint près de 2'> mètres, sa
Le mécanisme n'a rien de spécial en lui-
même, sinon qu'il a été calculé en vue de
la puissance élevée h laquelle il doit être
soumis ; il n'y a pas d'organe nouveau
constituant une révélation dans l'art de
construire les locomotives. Chaque élé-
ment a été disposé en vue de la meilleure
utilisation. Les deux cylindres on n'en
voit qu'un V sur la figurej sont complète-
ment extérieurs, ce qui facilite les visites
el le graissage; ils sont placés entre les
deux lour-i du bogie d'avant, sous la gué-
rite <lu mécanicien; étant donnée cette
silualion, il s'eii^\iil que les conduits qui
l-'ig. 1.
La locomotive système Thuile avec son tender pouvant remorquer en palier des trains
de 200 tonnes à une vitesse de 120 kilomètres.
guérite placée à l'avant pour le mécanicien: B. B' roues motrices; C, obemicée ; D. D' essieux dn bo^ie,
d'avant; E E'. E", es«ieux du bogie d'arrière; F. un des deux cylindres; G, bielle du piston; G' bielle
d'accouplement ; H, guérite située à l'arrière pour les cbauffeurs.
Ini'iiic (liipue et ramassée ne présente
aucune saillie pouvant offrir une résistance
à l'air, la cheminée très courte C et la
guérite d'avant A disposée en coupe-vent,
pour le mécanicien, achèvent de lui donner
une caractéristi(iue qui lui permet d'être
distinguée de toute autre.
Klle est portée par quatorze roues dont
les essieux soutiennent le mécanisme; sur
les sept essieux, deux sont accouplés BIV
el correspondent aux roues motrices pro-
prement dites; à l'avant nous avons un
bogie ;i deux essieux DD' et à l'arrière un
antie bogie, mais composé de trois
essieux !•; L' \i".
Le poids total de la locomotive seule, en
ordre de marche, est de 80 t. fiOO, réparti
comnic il suit :
Siu- le hoBic d'avant 19',8nn
riur l'essieu moteur Ki'.OOO
Sur l'essieu accouplé 1 fi', 000
Sur le bogie arrière 28',80n
SU',600
transportent la va|)eur sont fori longs ;
mais ou a supprimé les inconvénients de
cette disposition en calculant largement
les diamètres. Les bielles G G' sont très
développées ; celles qui servent ;i relier le
piston aux roues motrices G ont 2'", 10 de
longueur, et les bielles d'accouplement G
ont 2", 80 de développement.
Disons deux mots de la cliaudière.
Sa contenance est considérable, puisipie
vide elle oceiqie une capacité de I0"'^,05(>
et qu'elle peut contenir 7 3:10 litres d'eau
et 4"", 700 de vapeur; la grille occupe une
supii'Dcie de i'"',08 et la surface totale de
ehaulTe en contact avec l'eau 207™', 700; la
pression de la vapeur n'est jamais supé-
rieure à I.") kilogrammes par centimètre
carré, mais la puissance développée atteiml
le chiffre considérable de 1 700 chevaux.
Ainsi ipie nous le disions plus haut, le
mécanicien se trouve placé îi l'avant dans
une guérite spéciale A, ce (pii conslilue
un a\anlaire considérable, car il est bien
C A f s K n I K s C I K N T I K 1 y l i:
placé pour inspecter la voie et découvrir
les signaux; d'autre part, il est seul et,
par conséquent, nullement distrait; toute-
fois, cette circonstance, ijui semble au pre-
mier abord fort beureuse, pourrait devenir
un inconvénient, car il y a lieu de penser
dans quel état d'esprit doit se trouver un
lionime conduisant une machine à ces
vitesses vertigineuses, et si la grosse res-
ponsabilité qui lui incombe ne doit pas
le placer dans une position défavorable
que la solitude ne peut qu'augmenter. Les
chauffeurs, au nombre de deux, sont
]ilacés à l'arrière dans une guérite, qui
leur est spécialement destinée et qui est
en communication avec le tender.
Malgré son isolement à l'avant, le méca-
nicien est en rapport avec les chaufTeurs
à l'aide d'un cornet-acoustique et de si-
gnaux phonétiques ; malgré cela, il semble
ijue l'homme d'avant devrait être accom-
pagné d'un collègue, qui, au besoin, en
cas d'accident, syncope ou autre, pourrait
le remplacer et manœuvrer les appareils.
La l'onction des chauU'eurs porte sur la
surveillance et l'alimentation des foyers;
ils ont aussi à leur disposition un frein sur
lequel ils peuvent agir en cas de besoin.
Celle du mécanicien est autrement com-
pliquée : il faut qu'il s'occupe du régu-
lateur, des appareils de changement de
marche, des freins, des purgeurs, sifflets
et de la turbine qui actionne le dynamo
servant à l'éclairage électrique de la loco-
motive et du tender.
Ce tender a été, lui aussi, l'objet d'une
étude particulière ; sa disposition, d'ail-
leurs, le distingue des autres, sa longueur
entre tampons est de 10", 80 et son poids
à vide de 23 ',700. Il est porté sur cinq
essieux disposés en deux bogies : l'un
avant, composé de deux essieux et l'autre
arrière, composé de trois. Son approvi-
sionnement en charbon peut être de
7 000 kilogrammes et la quantité d'eau
qu'il peut transporter est de 27"^, 500, de
sorte qu'en pleine charge le tender à lui
seul pèse plus de 58 tonnes. Il est muni
de freins à main et de freins Weshinghouse
qui agissent à la fois sur les dix roues.
11 fut un temps où le prix d'une locomo-
tive se calculait au poids, et ce prix, h peu
de chose près, revenait à I franc le kilo-
gramme ; ainsi une machine de 00 tonnes
coûtait 00 000 francs, les grosses machines
pour les trains de marchandises attei-
gnaient 70 000 et même 80 000 francs;
aujourd'hui cette règle n'existe plus, car si
elle est restée la même pour les locomotives
d'anciens modèles qui n'exigent aucune
étude spéciale, il n'en est pas de même
pour celles qui, comme la locomotive
Thuile, demandent un travail de pré-
paration considérable et des procédés de
fabrication nouveaux. Ainsi la machine
qui nous occupe ne devrait coûter que
140 000 francs, suivant la règle ancienne,
tandis qu'en réalité elle revient à plus du
double.
Un vétérinaire de Londres, M. J.-A.-W.
Dollar, vient d'imaginer un appareil fort
ingénieux (fig. 2), qui rendra sûrement
beaucoup de services à ses confrères et à
J L.
ix:
Fig. 2. — Table d'opération pour les chevaux.
L'animal est maintenu dans un bâti métaUique qui le
rend solidaire avec lui ; l'appareil peut piloter autour
d'un axe horizontal île façon à permettre toutes les
positions. A A' cadres latéraux réunis à l'aide de
traverses D. I. B. B' : c>, chaîne munie de courroies
set vaut à maintenir les pieds du cheval; C, ceinture
entourant le ventre de l'animal et fixée après une des
traverses I de la table ; T T', tréteaux soutenant
l'appareil sur le sol ; M, manivelle actionnant la chaîne
des pieds ; N, manivelle actionnant a ceinture sous-
ventrière.
lui-même pour procéder à des opérations
sur les chevaux. On sait les difficultés qui
se présentent quand il faut agir sur un
animal malgré les anesthésiques qu'on lui
administre. Il faut d'abord coucher le
( ; A u s i; li 1 1: s c. 1 1-: n t i i' i o l' i-:
cheval à terre sur un lit île paille ; ce
n'est pas toujours facile, lopératour doit
pour cela exi}j;er le concours de plusieurs
hommes : les luades de l'animal, effrayé
par la chute brutale, sont dangereuses
non seulement pour lui, mais encore' pour
les assistants.
Avec la nouvelle table d'opériilion, tous
ces inconvénients ont disparu. Disons en
deux mots de quoi elle se compose : deux
tréteaux, solidement fixés dans le sol,
supportent l'appaieil propremeni dit qui
n'est autre que deux cadres parallèles A A
réunis par une série de tirants D H B' I ;
le tout peut pivoter autour d'un axe hori-
zontal dont les deux extrémités seules
existent et sont situées sur le bâti.
L'appareil étant placé dans sa position
normale, il est facile d'y faire pénétrer le
cheval en ouvrant une des traverses laté-
rales ; une fois emprisonné, on maintient
sa tête dans une garniture spéciale de
façon <i éviter tout mouvement; chaque
pied est pris dans une courroie maintenue
à une chaîne horizontale et le ventre est
entouré d'une large ceinture solidaire de
la traverse supérieure ; ainsi enserrée de
tous les côtés, la bête fait partie en quel-
que sorte de l'appareil, elle ne fait plus
(|u'un avec lui. Il s'agit maintenant de la
dégager du sol de façon à permettre
l'orientation du cadre dans tous les sens ;
pour y arriver^ on actionne successive-
ment deux manivelles dont l'une N a pour
ell'et de soulever la sous-ventrière et
l'autre M do tendre la chaîne qui entrave
les pieds, l.e cadre étant sensiblement
équilihré, on peut le faire tourner sui-
vant les nécessités de l'opération ; on
peut même l'amener à prendre la position
extrême, c'est-à-dire placer le cheval le
dos en bas et les pieds en l'air. ,\fiii de
maintenir fixe la position choisie, on agit
sur un levier 1 qui bloque la rotation. On
conçoit combien cet appareil peut être
utile en iiiiinobilisant le cheval et en pré-
sentant commodément la partie malade à
l'opérateur, qui peut alors, sans crainte
d'aucun danger, tenir la bête sous une
■ici ion efficace.
Certains mots 1res usuels dans des mé-
j tiers déterminés sont pourtant restés coni-
; plètement ignorés du public. Ainsi condi-
tionner une soie est une locution très
courante chez les fabricants et marchands
de soie et pourtant il est impossible de
savoir ce qu'elle veut dire si on ne l'ex-
plique pas. (Conditionner un objet quel-
conque, c'est le remettre, soit à l'aide
Fig. 3. — Une des étuves de la Chambre de
commerce de Paris pour établir le conditionne-
ment de l:i .sole.
E. F, conduites de gnz se reliant à la partie supérieure
en UD point où se trouve un régulateur île tempéra-
ture ; T, thermomètre : E, balance île précision dont
an des Ilèaux soutient le crochet auque sont attaohi-4
les écheveaux de soie C.
d'essais, soit à l'aide de calculs, dans les
contlilions qu'il devrait présenter s'il se
trouvait à l'état normal.
(!clle opération est des plus importante
pour la soie, car cette matière est forte-
ment hygromélri(ine et peut, suivant les
circonstances, retenir des quantités d'eau
très variables; or, comme elle représente
une valeur très grande relalivemeni à son
poids, il est intéressant pour les transac-
tions de connaître quelle est la quantité
réelle de soie qui existe dans une livrai-
son, (le façon à ce ipie le prix ne poric
('.Al'SKHlK SC.IKNTI l'iijl K
que sur la soie pure et non sur la soie mé-
langée d'eau.
La Chambre de commerce vient d'in-
staller à la Bourse du commerce, rue de
Viarme. un bureau mis à la disposition du
puljlic, où chacun peut venir chercher sur
les ballots de soie qu'il possède des ren-
seignements les plus précis. 11 est dirigé
par M. Perso/. (|ui, d'ailleurs, a perfec-
tionné, avec M. Hogeat, les étuves qu'on
emploie aujourd'hui et qui avaient été
primitivement imaginées par Talabot.
.\u lieu d'employer le lot entier de soie,
comme jadis, on se contente de prélever
un échantillon. On place celui-ci dans
1 étuve dont nous montrons une image
avec ces lignes ; elle est chaulTéc au gaz ; un
régulateur automati(pie T, de M. d'Arson-
val, permet de maintenir une température
de I 10 degrés fig. 3 .
Le crochet qui supporte l'écheveau de
soie C est solidaire du fléau d'une balance
de précision B située sur le couvercle de
l'appareil. On pèse l'écheveau avant d'allu-
mer* le gaz et on fait la tare. .\u fur et à
mesure que la soie sèche, (m voit le fléau
de la balance s'incliner du coté des poids;
lors(|u'on suppose que la siccité est com-
])Iète, c'est-à-dire après une demi-heure
environ, on pèse à nouveau avec soin;
la dilléreace des poids indique la quantité
d'eau disparue, ce qui permet d'obtenir le
poids de soie sèche, c'est-à-dire le poids
(le la quantité de soie seule contenue dans
l'éthantillon.
Toutefois, il existe encore une autre
difficulté, car la soie théoriquement sèche
n'existe pas en pratique, de sorte que
celle qui sort de l'étuve est une soie anor-
male dont les conditions dérouteraient les
industriels; aussi a-t-on l'habitude d'ajou-
ter au poids de la soie sèche une valeur
de dix pour cent : c'est ce qu'on appelle le
laiij- lie reprise, qui ramène la soie dans
une condition moyenne.
Une application de l'automobilisme, que
les Parisiens ont pu constater depuis
quelque temps et qui rendra sans doute
d'immenses services, est celle qu'on vient
d'en faire au matériel des sapeurS-poni-
piers.
On sait qu'une des conditions qu'on
cherche à réaliser dans tous les services
d'incendie est de pouvoir faire parvenir
auprès du foyer du sinistre," des hommes
et des pompes avec la jilus grande rapi-
dité possible, f^ettc question de la rapidité
joue un rôle capital dans tous les projets
qu'on fait en vue d'améliorer le matériel
de sauvetage. La traction par chevaux,
malgré tous les systèmes employés pour
le harnachement rapide, ofire a cet égard
certains inconvénients; aussi, est-ce avec
intérêt que l'on songea dés l'apparition
des voitures électriques a appliquer le
même système aux transports de sauve-
tage. Il n'y avait pas à songer à employer
la vapeur ou l'essence de pétrole, car le
temps exigé par la mise en iram, si réduit
-ïi-^^i-r^.^*!^ââîB^ i
Fig. 4. — Une des nouvelles voitures électriques
du corps des sapeurs-pompiers de Paris.
P, boite des accumulateurs, interchangeable ; Af, mani-
velle de direction ; F. frein mis à 1* disposition des
hommes pour le cas où le cnnlucteur ne pourrait pas
se servir dn sien.
fùt-il, est encore appréciable et aurait l'ail
tomber dans les mêmes inconvénients que
la traction animale; tandis qu'avec l'élec-
tricité, on n'a plus aucune diiïiculté à
déplorer : la voiture est toujours i)rête à
marcher, il n'y a rien à installer au moment
du départ, un homme sur le siège, un tour
de manivelle et la voiture est en route. Il
est impossible de rêver un système plus
instantané pour le départ de la voiture du
dépôt.
Fig. 6. — Le ballon dirigeable de M. de Santos-Dumont.
N, aérostat de forme allongée établi en soie japonaise ; O, gouvernail ; £ F, bâtis en acier servant à supporter
tous les appareils; H, hélice motrice en soie tendue sur une carcasse d'aluminium; R, roues servant de volant
pour la marche et de support an moment de l'atterrissage ; Â, réservoir à eau pour le lest ; B, réservoir à essence.
Plusieurs modèles de voitures ont déjà
été construits d'après ce principe. Le pre-
mier était simplement destiné au transport
du personnel et du petit matériel ; nous
avons aujourd'hui des voitures pour les
îfrandes échelles et même des pompes
montées sur caisson électrique iflg. 4 t.
Les accumulateurs installés sous la voi-
ture dans une caisse spéciale P sont inter-
changeables; une fois la force électrique
dépensée, on n'a qu'à défaire les chaînes
qui supportent cette boite et à changer
celle-ci pour une nouvelle qui est chargée.
Depuis 1884, on ne s'était plus occupé
de la navigation aérienne; ce n'est que
dernièremenl que la question a été reprise
111 Allemagne par le comte /.eppelin, et
chez nou.s par M. de .Sanlos-Dumont.
Ces deu.v explorateurs emploient l'un et
l'autre un moteur à pétrole construit sur
le même principe que ceux qui sont em-
ployés pour les voitures.
Un petit moteur installé sur une cai'casso
en acier est placé à la portée du naviga-
teur, qui est monté sur une selle légère; à
ses pieds se trouvent des pédales dont il
se sert pour opérer la mise en train de
l'appareil ; les deux roues situées au-des-
sous du siège servent de volant en cours
de marche et peuvent également être
employées avec profit au moment de
l'atterrissage. Le moteur, dont la force est
de 10 chevaux, peut faire l.")00 tours à la
minute ; grâce aux transmissions cette
vitesse est réduite à 180 tours sur l'arbre
horizontal qui reçoit l'hélice motrice' du
ballon. Celle-ci est située aune des extré-
mités, elle est en soie du Japon et se
trouve tendue sur une carcasse en alumi-
nium (Og. Ti).
A coté du conducteur, on peut voirdeux
boites cylindriques dont les extrémités
sont allongées en forme de pointe ; la plus
grande A est remplie d'eau qui sert de
lest, l'autre B est un magasin à essence.
Un gouvernail (i situé sur l'aérostat
même est actionné, suivant les besoins,
par le conducteur.
Tel est l'appareil ; maintenant de «[uoi
est-il capable ? L'expérience nous le dira
sans doute.
Bien que très intéressants en eux-
mêmes, ces travaux sur la direction des
ballons ne donneront sans doute aucun
résultat pratique; la question est à l'étude
et y sera encore longtemps. La solution
de la navigation aérienne est théoriipic-
ment possible assurément, mais en pra-
tique on, n'y arrivera pas! C'est un autre
pôle nord !
A. 1> A C II Nil A.
CHKOMUUK TIIKATRALK
Mes prévisions pessimistes du début de
la saison ne se réalisent pas tout à fait.
J'en suis aise, croyez-le, et je serai tout à
fait heureux le jour où l'événement me
donnera complètement tort. Nous n'en
sommes pas encore là, malheureusement,
mais enfin je salue avec joie quelques
(l'uvres qui contiennent plus que des pro-
messes et qui permettent de bien augurer de
l'avenir en se réjouissant du temps présent.
La rentrée a été abondante en premières
de toute sorte. Les plus saillantes furent :
cellesde la Comédie-Française, du Théâtre-
Antoine, du Gymnase et du Vaudeville.
CoMtniE-FR.v>ÇAisE. — Alkeslh, drame en
cinq actes, en vers, dont un prologue
d'après Euripide, par M. Georges Hivollet.
Des trois grands tragiques grecs, Euri-
pide n'est peut-être pas le plus puissant,
mais il est sûrement le plus humain.
Eschyle a plus de grandeur farouche,
Sophocle plus de majesté, de tendresse
et d'horreur, mais dans Alccsli' dont
M. Georges Rivollet vient de nous donner
avec Alkestis une très fidèle et très heu-
reuse translation, Euripide se rapproche
d'une humanité moins archa'ique, plus
moderne, pour ainsi dire, et s'affranchit
de la loi inéluctable de r'Avxy/.f, dont la
poétique grecque est accablée. Cette his-
toire du dévouement d'Alceste consentant
à mourir pour sauver les jours d'Admetos,
son époux et son roi, garde bien encore
l'empreinte de la Fatalité aveugle qui exige
une victime, sans expliquer pourquoi ;
mais, en consentant à l'échange, Thanatos
s'avoue vaincu et sa défaite se change en
déroute lorsque Iléraklès vient lui ravir
jusque dans la tombe la douce reine « au
regard de gazelle ». Il y a dans ce débat
nouveau une tendance manifeste à n'ac-
cepter pas les arrêts sans appel du Destin
qui dut, en son temps, paraître aux ortho-
doxes du paganisme une véritable hérésie.
L'infaillibilité des dieux mise en doute, il
s'en fallait de peu qu'elle ne fut niée tout
à fait. Les grands schismatiques du catho-
licisme n'ont pas fait pire et l'Eglise les a
frappés d'excommunication majeure... .le
ne sache pas que pareil traitement ait
jamais été réservé au grand tragique par
les pontifes de son temps.
En intitulant sa pièce draine plutôt que
tragédie. M. Georges Rivollet a été heu-
reusement inspiré. Dans Alcestc, en effet,
la règle fondamentale des trois unités
reçoit quelque atteinte par l'introduction
du personnage épisodique d'Iléraklès, vé-
ritable Deus ex machina, qui fait, pendant
un instant, dévier Faction, s'il ne la
dédouble pas tout à fait. Tandis que le
cortège funèbre porte au champ de repos
la victime volontaire de l'amour conju-
gal, tandis que les sistres résonnent au
loin dans la campagne et que les sanglots
d'Admetos scandent de plaintives onoma-
topées le rythme des danses et celui des
chants de mort, la joie ingénue du héros,
ignorant du deuil de son hôte, crée une
diversion théâtrale dont l'ingénieux et
frappant contraste relève du genre de pro-
cédés dont la scène moderne a usé et
abusé. Cette innovation, pour heureuse
qu'elle soit, n'en est pas moins une rup-
ture essentielle avec les principes fonda-
mentaux. A ce seul point de vue de <i mé-
tier », si l'on peut user d'un terme pareil
à propos d'oeuvres capitales dans lesquelles
le métier disparait sous l'art noble et
impollué, Alceste mériterait une place à
part, mais l'œuvre m'attire et me charme
par une autre cause plus élevée : son
humanité!
Alceste est un drame humain, non parce
que les hommes y agissent à l'exclusion
des dieux — le dialogue de Pho'ibos-Apollon
avec Thanatos, dieu de la mort, au prolo-
gue, et l'intervention directe d'Héraklès,
demi-dieu, venant dénouer l'action, à
laquelle il n'a pris dès le début aucune
C.llHiiMiit i: TlIKA TliAl.i;
part, provive le contraire — mais parce
ijue dans cette pièce, dieux, héros, rois,
peuples, y penscit, y discutent, y agissent
en hommes dont le libre arbitre se révolte
contre la Fatalité. Les événements qui se
déroulent en péripéties graduellement
Jupiter, il se révolte encore contre le cour-
roux célesle. S'il ne réussit pas à con-
vaincre et à fléchir Thanatos rôdant autour
du palais pour y saisir sa proie, il n'en
discute pas moins avec le dieu des tom-
beaux et le menace de la colère d'un
.\ll»ort l.i\ni(jert
Aîl-estis. — Premier acte.
émouvantes sonl d'une liumanité tangible.
Les souffrances et les révoltes des uns, les
fureuis et les espérances des autres, les
luttes de tous, sonl l'écho des joies et des
douleurs d'une luiniauilé amoureuse et
gémissante.
Pho'i'bos-Apollon, dans le prologue, expo-
sant les molifs qui expliquent l'intérêt qu'il
porte à .\driiclos, rappelle sn lutte contie
!<• père des Dieux, el, au souvenir du
incurirc de son fds Asclépios, lue par
iiuiiKirlcI. Irtimme cnccire. lléraUlés redres-
seur de loris, dont II prédit la victoire.
Admète, tout en s'inclinant devant l'arrêt
du Destin qui le condamne à vivre, ne s'en
indigne pas moins contre la loi cruelle cjui
le sépare de la bien-aimée.
Phérès, le vieillard centenaire, qui se
répand en lameulalions hypocrites iur la
mort de l'enfant sacrifié à son égoïsme, se
redresse, combatif, sous les sarcasmes du
cliM'ur cl dispide à l'opiniiiu' publique les
ClIUnNIi^H I-; TIIKATUAI.K
reslos incprlains d'une existence éphémère.
linrin Iléraklès, secouant son ivresse
ingénue et ignorante des douleurs, pour
voler au combat dont Alccste est le prix,
se mesure avec raveuglc Destin et le ter-
rasse en lui arrachant sa proie.
Voilà bien des sacrilèges, bien des cri-
mes commis contre le dog.ne de l'intailli-
bilité d' 'AvïY'/'-'; ; ce sont ces hardiesses
novatrices qui, jointes à l'émotion, au
pathétique et au charme du drame doivent
classer Alcesle à part dans l'aihniration
qu'on doit aux chefs-d'œuvre de l'anti-
quité et je félicite M. Georges Hivollet de
sa translation respectueuse, qui, tout en
adaptantà notre langue et à notre carac-
tère le drame d'Euripide a su cueillir
intacte cette fleur d'art éclose au jardin de
Beauté.
Tiiéathe-Antoine. — Sur lu fui des cluiles.
drame en trois actes de M. (labriol Tra-
ricu\.
Deux amis d'enfance Olivier et Claude,
deux frères en amitié, ont passé leur jeu-
nesse à se dévouer l'un pour l'autre : Oli-
vier, riche héritier, aidant Claude de sa
bourse, lui permettant ainsi d'achever ses
études et de devenir une célébrité médi-
cale ; Claude, acquittant sa dette par une
tendresse fraternelle que rien ne semblait
devoir altérer jamais. Malheureusement,
l'amour est venu se jeter h la traverse et
désunir ces deux cœurs. Olivier s'est
marié, il a épousé sa cousine, la belle et
ardente Jacqueline que Claude aimait, en
secret, trop Cer pour oser, lui, bâtard sans
fortune, avouer son amour, et trop dévoué
à son ami pour ne pas accepter héro'ique-
ment le sacrifice du silence. Sous prétexte
d'études à terminer et de grands travaux
à accomplir, Claude s'est enfui; il cherche,
dans la fournaise parisienne, à tuer son
cœur par l'étude, tandis qu'Olivier, entre
sa femme, sa tante Edmée, une vieille fille
dévouée qui lui sert un peu de mère, et
un vieil ami, le docteur Monnier, ([ui lui
prodigue ses soins, assiste, clairvoyant,
résigné, au travail funèbre que la tuber-
culose accomplit lentement et sûrement
dans son organisme, victime de ce mal
inéluctable, dont il se sait atteint hérédi-
tairement et dont il a constaté la march.-
erfrayante, lors de la mort, survenue quel-
ques mois plus tôt, de son fils, un bébé de
deux ans, enlevé en quelques heures par
une méningite suspecte^ dont l'origine
atavique ne lui laisse aucun doute sur son
élat... Non seulement il se sait condamné,
lui, mais il comprend qu'il ne peut que
procréer des êtres condamnés comme lui
et il redoute, non sans raison, pour celle
qu'il aime, la contagion du redoutable
Oéau. C'est pour cette double raison ipiil
a cessé, avec Jacqueline, toute relation
intime, mais il croit de son devoir d'épar-
gner à la jeune femme la douleur d'une
telle révélation, et son sacrifice reste
silencieux et héro'ique, car Jacqueline
s'imagine qu'Olivier ne I aime plus et le
malheureux préfère la laisser dans cette
erreur plutôt i\\ie de la détromper à un tel
prix.
Cependant, il veut lutter contre sa des-
tinée et, pour tenter l'impossible, il rappelle
près de lui son ami, dont la science mieux
éclairée viendra peut-être en aide ii la
thérapeutique sommaire du docteur Mon-
nier. Claude a répondu à l'appel ; il a
jugé du premier coup la gravité du mal,
mais n'a pas perdu tout espoir. Il faut des
soins minutieux, une méthode sévère et
méticuleuse, qui exigeraient près du ma-
lade la présence d'un maitre en l'art de
guérir. Que ne reste-t-il? Que n'abandonne-
t-il ses travaux? Que ne renonce-t-il
à l'avenir qui s'ouvre devant lui ? Le
sacrifice, certes, serait grand ; mais ne
le doit-il pas à Olivier par qui il est
devenu ce qu'il est "? Mais Claude, en re-
voyant Jac<iueline, a senti se réveiller en
lui la passion qu'il croyait éteinte, et, pour
ne pas trahir son devoir d'amitié, il veut
fuir. Il s'en explique franchement avec
Jacqueline. La jeune femme le supplie de
tenter le miracle, elle lui montre la gran-
deur et la beauté du devoir qui les proté-
gera contre la tentation criminelle et,
cédant à ces sollicitations, d'accord taci-
en liuMijr I-: iii kath a m:
lement avec ^on clésii', Claude consenl à
rester.
Ce qui devait aii-ivei' arrive.
Au contact de cette passion ardente,
Jacqueline, dans une crise d'amour trop
longtemps refusé à sa nature ardente, est
devenue la maîtresse de Claude, et s'aper-
<.oit un jour que celte faute s'a),'gravc d'un
<l»nf;er :• la maternité... Les ^dçux cou-
pables traînent l'épouvantable remords
■ilavoir conservé la vie au malbeureux
pour lui infliffcr cette atroce douleur de
se savoir trahi dans son amour et dans
son an.itié... Seuls, en face de leur crime,
ils discutent entre eux les moyens de le
cacher, mais aucun n'est possible. Oli-
vier surprend leur secret. Cette blessure
morale est jjIus mortelle encore que le
mal physique. Le moribond, après le pre-
mier moment d'indignation, envisage
l'avenir avec la clairvoyance et la sûreté
<le jugement de ceux qui déjà n'appar-
tiennent plus à la terre : il enjoint à Claude
de partir, mais lui ordonne en même
temps de se tenir prêt à répondre à son
premiei' appel : l'enfant qui doit naître et
que la loi lui donne, il le gardera, c'est
lui qui sera, sans subir la loi fatale de
l'atavisme physiologique, l'héritier de la
fortune de celui dont légalement il portera
le nom; quant à la malheureuse, dont la
faute est atténuée par la méprise à laquelle
le silence d'Olivier a donné lieu, elle est
pardonnée déjà. Dans un codicile ajouté
à son testament, le moribond fixe ses vo-
lontés dernières, enjoint à Claude de
rendre après s^i mort l'honneur qu'il a
ravi à Jacipieline, en s'unis.sant régulière-
ment à elle, dessein qu'il avait déjà déli-
bérément formé avant de connaître l'abo-
minable vérité, et, tranquille désormais
sur l'avenir de ceux qu'il laisse après lui,
en règle avec sa conscience qui lui dit,
par la bouche du brave docteur Monnier,
tpi'il est des vérités mortes sous la lumière
non encore éteinte desiiuelles nous mar-
chons dans la vie, comme il en est d'aïutres
<léjà nées dont la lueur ne brillera que pour
de futures générations, semblables en cela
aux étoiles défuntes dont le diamanl scin-
tille toujours aux cieux alors que nos yeux
ne perçoivent pas encore la lueur des pla-
nètes si lointaines que leur clarté n'appa-
raîtra que dans un avenir encore éloigné,
Olivier, livre à la fraîcheur mortelle d'une
nuit d'automne, sa poitrine dénudée, et
aspire à longs traits dans l'air glacé la
libératrice et la consolatrice de Ions les
maux du corps et de l'âme, la mort.
Ce drame qui s'élève aux sommets tra-
giques est une œuvre noble, abondante en
pféçeples d'une robuste et sereine philo-
sophie et sert de développement à la belle
thèse du dévouement et de l'abnégation.
L'auteur, M. Gabriel Trarieux,a eu le rare
Ijonheur de donner à sa pensée la forme
impeccable il'un style dont la sévérité
n'exclue ni la poésie ni la grâce émue que
conqiorlent un tel sujet.
TniiATiu; PI ("iVMNASiî. — /„•» Bourse au In vlv!
Comédie en quatre ailes de M. .Mfied
Capus.
En dépit de sou titre dramatique, la
pièce de M. Alfred Capus est une obser-
vation joyeuse de la vie et des caractères
de notre temps. L'humoriste doublé d'un
philosophe indulgent qu'est l'auteur, sait,
d'un trait léger, mais nettement tracé, sou-
ligner les bizarreries et les ridicules de la
comédie parisienne. Très renseigné sur
les nombreux compromis de conscience
qui forment la base de la morale courante,
M. Alfred Capus dédaigne d'en ratiociner;
il se contente de les mettre à nu, de les at-
tirer en pleine lumière et s'amuse à nous
montrei les marionnettes humaines dont il
sait à merveille manier les ficelles. Son es-
prit malicieux n'aspire point au triomphe
des rires sonores et se garde des vulgarités
et des brutalités du vaudeville, il estime
que le sourire discret de la comédie de
nnj'urs est le régal des délicats et met son
ambition à les satisfaire. Il regarde les
hommes d'un air narquois, soulève à demi
le masque hypocrite derrière lequel ils
abritent leurs vices et, satisfait de cet
examen cpii le mel à l'abri de toute jobar-
:iiiin.\ 11,) ri: tiikatk ai.I':
ilise, il les laisse, sans plus, agir à leur
{ïuise, suivant leur tenipéramcnl... Son
ironie n'est jamais méchante, ni acerbe,
elle pique souvent et ne blesse jamais;
maniée d'une main ilélicatc, elle effleure
les sujets qu'elle se contente d'égratigner
au vol. Plus fin, ou si Ion veut, d'esprit
moins spécialement boulevardier que Meil-
hac, il possède le don de l'émotion dont
cet homme de grand talent, c]ui fid un par-
fait égo'iste, était totalement dépourvu. Lui,
au contraire, sait toujours faire la part
indulgente des enirainements, de la néces-
sité, et ([uand il se mêle de dessiner une
<le ces figurines pimpantes et jolimenl
troussées qu'on ajipelait hier les femmes
« à la Meilhac », et qu'il se pourrait qu'on
appelât demain les femmes ■ à la l'.apus •■,
son crayon s'amollit en grâce et son trait
s'adoucit à la manière du dreuze de la
(bruche c.i.ssëc.
Il y a, dans la comédie du Gymnase, deux
délicieuses figures de Parisiennes incon-
scientes, dont le dessin, d'une netteté
de pointe sèche, s'harmonise de façon
charmante avec la grâce et la douceur
d'un pastel. Pervenche et M"'" Herbault
sont des types ijue nous rencontrons
chaque jour. Si nous ne les découvrons
pas nous-mêmes, c'est que notre regard
n'est pas suffisamment exercé à percer
les petits mystères de ce monde futile et
froufroutant, qui papillonne et ondoie sous
le soleil de Paris à la façon d'une fleur qui
aurait des ailes... et des épines; Capus,
lui, les voit de son œil de myope; il en
cinématographie les capricieux ébats et
en note les bourdonnements; il jette sur
elles son filet de gaze et les pique sur son
carton de collectionneur, sans en altérer
la couleur ni le parfum, sans leur faire
perdre un seul grain de la poussière d'or
qui les habille de lumière.
Et quelle sûreté de trait dans ses études
masculines 1 \e connaissez-vous pas ce
Jacques Herbault qui, d'imprudence en in-
conscience, glisse peu à peu jusqu'à la li-
mite extrême où l'homme d'honneur côtoie
la police correctionnelle, regarde avec
stupeur la ruine dont il est l'auteur et
envisage sans tro|) d étonnement l'éven-
tualité d'un croc-en-jambe, d'unç chique-
naude donnés à la stricte observance du
devoir, à la condition de toujours demeu-
rer correct et homme du monde '.' El
Brassac ! Est-il donc un étranger pour
nous, cet homme d'affaires, ce brasseur
de coups de fortune, ce « bluffer >■ dont
la moralité douteuse s'élève parfois jus-
qu'à une probité rtlative qui lui fait
écarter de son chemin toute opération
louche, du moment qu'elle ne lui est pas
absolument indispensable".'
(^e soni là des personnages qui s'élèvent
jusqu'au type, ils caractérisent leur temps,
dont ils deviennent le symbole. C'est la
marque a'un auteur comique, au sens
noblement philosophique du mot, de syn-
thétiser ainsi et de peindre la généralité
en la condensant dans une exception.
Les aventures et les mésaventures du
ménage Herbault, la perversité ingénue
de Pervenche, la gymnastique acrobatique
de Brassac, exécutant sur la corde raide la
danse des millions, qui forment l'intrigue
de la comédie que le Gymnase vient de
représenter avec tant de succès, constituent
un des spectacles les plus gaiement sati-
riques auxquels il nous ait élé donné d'as-
sister depuis longtemps.
V.vvuEviLLE. — Sylvie, ou la curieuxe d'ammir.
pièce en quatre actes de M. .\bel Hermanl.
Comiaissez-vous les Confessions d'une
Aïeule? Ce roman écrit en forme de mé-
moires dans lequel M. Abel Hermant fit
raconter autrefois à la jolie et amoureuse
marquise Sylvie de Beauvoisin, comment
par la faute d'une série d'événements dans
lesquels la Révolution, le Directoire et
quelques autres régimes politiques subsé-
quents précipitèrent sa vie aventureuse,
elle passa successivement, des bras du
marquis son premier époux, dans ceux du
fermier Nicolas Gagnon, acquéreur de
biens nationaux, pour se réveiller, sur
l'ordre de l'Empereur, dans ceux du maré-
chal duc de Spalato, et s'endormir enfin
sur le cd'ur d un jeune aide de camp du
l.IllKiNlgrK TlIKATliAI.K
maréchal, le comte Henri de Suberville,
ami trenfance de la volage marquise, a
fourni à Tauloui' le sujet d"uno pièce d'une
délicieuse et spirituelle inconvenance dans
laquelle l'art et la délicatesse sauvent,
avec une adresse extrême, tout ce qu'un
pareil sujet pouvait présenter de scabreux.
M. Abel llermant excelle dans ce genre.
Ses iruvres précédentes, l,i Moule, In
(^arriiTc, la lionnr Ilâlessi', mettaient à
nu, non sans une certaine férocité de bon
Ion, les i)laii'K, les tares, les ridicules de
la société contemporaine. Monde, demi-
monde, société diplomatique, il a tout
observé avec une suite de méthode indis-
cutable, et c'est avec impassibilité qu'il
dressa le bilan de ses observations. Son
ironie — car l'ironie est l'arme usuelle des
écrivains do la jeune frénération — son
■ Ki'jant'. lîurpiu't.
Premier acte.
ironie est moins ■■ cordiale •■ que celle de
M. ("apus, les piqûres en sont plus pro-
fondes, elle vont souvent jusqu'à la chair,
^lais il sait retenir le coup (|u'il porte et
ne s'engaf;e jamais à fond.
Dans Si/lrir, le champ d'études est plus
vaste; ce n'est plus une société, un frag-
ment de société seulement qu'il soumet h
son examen, c'est une série de mondes
divers enchevêtrés l'un dans l'autre par
les perturbations sociale;' du commence-
ment du siècle. Il se plail à en tirer la
pliilosoplue ])arfois mordante sous une
forme volontairement légère.
l.a pièce est amusante et habillée avec
un luxe de costumes cpii en fait un spec-
tacle aussi agréable aux yeux qu'.'i l'i-spril.
M
I' 1.1 ir. vui:.
Troisième acte.
LA MUSIQUE
Th^athe >ation VI, ni-: i/Opéha-Comique. —
Lî Basnrhe, opéra-comique en trois actes,
paroles de M. Albert Carré, musique de
M. A, Messager.
Depuis bien longtemps je n'avais passé,
à rOpcra-Comique, une aussi agréable
soirée. A formuler cette opinion, je n'étais
pas le seul : et je ne sais qui je dois le
plus féliciter, du directeur de TOpéra-Co-
mique, des auteurs ou du ministre qui
donna la permission à M. A. Carré de
monter ce charmant opéra-comique dont
il est l'auteur, et pour lequel M. André
Messager a écrit, glanant les fleurs les
plus parfumées, les plus resplendissantes
de son inspiration, une partition tout sim-
plement exquise.
Tous les rôles sont interprétés fort
agréablement. Dans le duc de Longue-
ville il n'est pas possible d'être d'un co-
mique plus fin, plus spirituel et plus en
voix que ne l'est l'excellente basse chan-
tante, M. Fugère ; il chante son grand air
du troisième acte avec une telle verve que
re.minin est un vrai problè . me
ce ne sont pas des bis mais des ovations
sans fin et bien méritées décernées à l'ar-
lisle aimé par un public d'autant plus exu-
bérant qu'il est seul maintenant à manifester
ses approbations, la claque, l'horripilante
claque ayant été récemment supprimée à
rOpéra-Coraique.
Quant il M"" Rioton, elle est tout sim-
plement exquise dans le gracieux rôle de
i.A MiSKUi:
Colette et lorsqu'elle vient, dans le décor
de la Salle du Trône de l'hôtel des Tour-
nelles, en grand costume de reine de
l-'rance, on ne peut que regretter que son
gracieux profil ne soit pas destiné à être
l'effigie très fine et très gracieuse frappée
sur notre monnaie.
Malheureusomeiit il en est des reines
comme des fées. Elles ne sont jolies que
lorsqu'elles sont du domaine du Rêve, de
la fiction !... Vivantes et régnantes en des
temps fabuleux, en des pays rêvés!... Mais
M"" Hioton n'est pas seulement charmante,
ce qui est beaucoup déjà, mais serait
insuffisant ,'i l'Opéra-Comique ; elle est
aussi une adroite comédienne et surtout
une très agréable cantatrice. Elle chante
avec un senliment naïf cette pastourelle,
ij'l.'l Ml il i^plÇjTil' ^'N
Il était un' foisun'bergè.re Qui gardait sur le
bord de IVau.Soii blanc troupeau Danslatcugè.re,
mais elle a détaillé avec un art exquis ses
«■ou|ilets du troisième acte, lorsqu'elle
raconte au roi Louis XII la cérémonie de
son mariage avec Clément Marot qu'elle
s'obstine à prendre pour le roi de France.
En l'honneur
notre hyme'.ue' . e
Au lieu de vous raconter le sujet de ce
charmant opéra-comique, je préfère vous
conseiller d'aller l'applaudir ou tout au
moins de le lire chez vous. Vous vous
léjouirez à la lecture de toutes ces scènes
si bien enchevêtrées les unes aux autres,
et dans la partition dont chaque page méri-
terait d'être citée, vous retrouverez une
poésie de C^lément Marot admirablement
interprétée musicalement par l'auteur et
que chantait si bien, et de sa plus belle
voix, M. Soulacroix, lors des premières
rcitrésentalions en mai 1890.
Jesuisay.mé de la plus bel
Le Clément Marot de cette reprise est
M. Jean Périer, bon comédien, qui s'est
fait applaudir dans cette j(jlie romance
A ton amour simple et sin.cfe . re.
i(u'il a détaillée avec beaucoup de goût. Ces
applaudissements étaient d'autant plus
mérités que, desservi par un organe peu
lyri([ue, .M. Jean Périer ne pouvait effacer
le souvenir de Soulacroix.
L'orchestre s'est surpassé : et M. Mes-
sager qui le conduisait a eu la modestie de
ne pas vouloir recommencer le passepied
>"'''fjiF|!^|^l^
que le public applaudissait et redemandait
instamment. Les décors, les. chirurs, la
mise en scène, dans ses moindres détails,
sont ce qu'ils sont toujours, à l'Opéra-
Cimii([ue, des plus soignés.
Oi'iin 1 1 I AiHK i^ïlioàtro île la itcpubliquc .
— I.n Hoirie de kaha. opéra en (jualrc actes,
(le J. Harbicr et M. Carre; musique de
C,h. ("lounod. — /.;im]>a, opcra-comique, en
trois actes, do Molesvillc; mu.sique d'IIérold.
— Piiiil et Virginie, opéra en trois actes, de
J. Barbier et M. Carré ; musique de Victor
Massé.
Comme on peut le voir, le directeur de
l'Opéra populaire, M. Durel, a eu le bon
esprit de n'ouvrir cette nouvelle scène
lyrique qu'avec trois ouvrages tous mon-
tés et représentés consécutivement avec
beaucoup de succès. Le succès répondra-
t-il à ce grand eflorf?... Je le crois, car les
premières recettes ont été des plus bril-
lantes ; puis, pour le conquérir, et ce qui
est plus difficile, le gardei', M. Durct a
tout fait. Aidé de M. A. Itancs, l'érudil
musicien, il a soigneusement recruté une
bonne troupe artistii|ue bien homogène :
pas d'étoile absorb.inl tout cl entourée de
i.A Misigri-:
non-valeurs, mais un ensemble d'artistes
pleins de bonne volonté et doués de sé-
rieuses qualités lyriques. M. Duret a confié
la direction de l'orchestre à un tout jeune
compositeur de talent; il n'a que vingt-six
ans, M. Henri Busser, grand prix de Home
de 1893 et dont les lecteurs du Morul-
Moderne n'ont certainement pas oublié
l'Archet, la jolie mélodie publiée dans la
numéro îiO.
M. Biisser dirige fort bien : et, de même
que son orchestre, les chœurs tri's bien
stylés ont mérité les plus sincères encou-
ragements. Si je disais que les chn-urs se
sont fait bisser! La Société des concerts
du Conservatoire ou le choral de l'Opéra
n'ont jamais été à pareille fête.
Que Dieuvous accoiTLpHgiie, ô filles sabe.
eniies'.QueDieQSoitavec vouso fillesde Sion
Ce charmant chœur dialogué de la Reine
de Sabu n'est pas le seul à avoir eu du
succès. Dans le rôle de Denoni, M"' Gil-
lard a été, avec juste raison, très remar-
quée. Elle a fort gracieusement détaillé
cette mélodieuse romance :
Adoniram, c'est M. Emile Cazeneuve
qui vaillamment a enlevé l'andantc
iiispirez-moi ra.ce di . vi
Très touchante, M"« J. Brielti a donné
au rôle de la reine de Saba. à Balkis, une
allure des plus poétiques et, sans affec-
tation, elle a bien nuancé sa cavatine
ré.5i"iie-toi mon cœur, ou.bli . e.
Le rôle de Soliman ayant été inter[)rété
par un baryton au lieu d'une basse, je ré-
serve mes appréciations sur M. Stamlei-
qui a chaulé agréablement le larghetto
Sous les pied-.
et dire que c'est en parlant de cette jolie
partition renfermant des pages remar-
quables qa'Azévedo écrivit dans l'Opinion
nnlionnh' du i mars 1862 : •' M. Gounod
n'est pas mélodiste ou l'est si peu que ce
n'est vraiment pas la peine d'en parler... ■
Ohé les arrêts de la critique, ohé!...
L'écueil de la direction de l'Opéra popu-
laire réside dans cette phrase que je copie
textuellement chez un de mes confrères.
M. A. Lemonnier : " Le voilà enfin,
l'Opéra populaire désiré depuis si long-
tenùps par le public d'abord, ensuite par
tous les compositeurs ([ui ont besoin de
prouver sur une scène hospitalière qu'ils
ont assez de talent pour être représentés
un jour à l'Opéra ou à l'Opéra-Comique. ••
Si M. Duret veut faire de son théâtre une
scène de combat, ses jours sont comptés ;
s'il persiste à diriger son Opéra populaire
en vue de satisfaire le bon goût musical
des quartiers qui l'environnent, avec des
ouvres déjà connues et que le public ser;»
très heureux de réapplaudir, son avenir
est illimité. Car il ne faut pas l'oublier,
le Théâtre de la République est un grand
théâtre de quartier, et sa plus sérieuse
clientèle est formée par l'industrie, le com-
merce et les ateliers.
Les grands succès de /Campa et de Paul
et Viri/inie sont là pour me donner raison,
et si la direction de l'Opéra voulait per-
mettre h M. Duret de remonter soit la
Muette, soit la Juive ou la Reine de
Chypre, ce serait chaque soir, pour le
public, une fête, et pour la direction des
résultats inespérés.
L'Odéon continue à faire de la bonne
musique. Que dis-je! il monte des ouvrages
nouveaux. Pour la Phèdre de Racine
i.A Misii.>ri:
M. Massenet mieux inspire fjue jamais a
écrit, (ligne pendant de celle qu'il composa
pour les Erinnije» de Leconte de Lisie,
une remarquable partition. Cette nouvelle
œuvre débute par l'ouverture déjà célèbre,
<'omi)Osée il y a environ vingt-cinq ans et
(jui fifçura souvent et chaque fois avec
succès aux programmes des concerts sym-
phoniques, et continue par une série d'en-
Ir'acles Thésée aux enfers, Sacrifice,
Offrande, Marche athénienne. Imploration
■.\ Neptune, Ilippolyte et Aricie et quel-
ques courtes phrases musicales soulignant
parfois la déclamation des artistes drama-
tiques de rOdéon. De toutes ces pages
fort belles et d'un charme musical dont
Massenet semble seul avoir le secret, il
faut mettre hors de pair avec ses son-
neries de trompettes en tierces super-
posées sur les unissons dans le registre
grave des fliites la marche athénienne et
le dernier entr'acte qui porte le titre Ilip-
polyte et Aricie. Celte page, perle de ce
riche ccrin mélodique, est un exquis duo
de clarinette et de cor anglais accompagné
par les violons en sourdine qui a été
acclamé et redemandé avec instance à
l'excellent orchestre que dirige avec un
sentiment artistique des plus expressifs
M. Kd. Colonne, le digne interprète de ce
<harmeur souvent imité, jamais égalé
(pi'est Massenet.
TuicATHE i.i: 1 \ KuxAissAMjr.. — Les l'eliles
Vestales, opéra b luITc en trois actes de
MM. E. Dcpré et Hernède, musique de
MM. 1". I.e Hey et .Justin Clérice.
.\près le grand ail avec Gonnod cl Mes-
sager, je m'en voudrais d'oublier l'opé-
rette. A la (iaité, théâtre des reprises, on
a réaffiché hx 2S jours de Clnirelle. pas-
sons. Aux Variétés, l'excellent musicien
I,. Varney a écrit une partition sui' une
pièce de MM. Victor de Cottens et Pierre
Weber. Celte pièce n'est ni une revue,
ni une comédie, ni une opérette, ni un
■\audeville, ni... passons, et arrivons aux
amusantes Petites Vestales, si luxueuse-
ment montées par M. O. de Lagoanère.
Musique pimpante et sentimentale, sujet
fort amusant, réparties spirituelles et
lestes. Que faul-il de plus"?... une bonne
interprétation; mais avec MM. Guyon fils,
l'icaluga, M°"* (ierniaine Riva et Éveline
Sanney, elle est des plus brillantes, el si
je voulais citer tous les bons artistes, il
me faudrait vous donner le tableau com-
plet de la troupe de la Henaissance.
Un peu leste, le sujet des Petites Ves-
tales est cousin germain de .Miss Helyell
el de la Belle Hélène. Cypris, l'action se
passe en Grèce, est aimée du sculpteur
Scopas dont les élèves el les praticiens
font plus de bruit que de besogne.
.ment quipre'.fèreiitlapeiiilure,MMis ill'autbiiiiplus
iji'l I I t liî I [ I' 'tI'I 1 I
i1h talent Quand onveutfair'delasculptu . re.
.laloux, Palacklès fait enlever la jeune
fille par le grand prêtre de Vesta, Adol-
plios, qui dirige Jn couvent de jeunes
filles vouées au culte de la déesse du feu.
Après de nombreuses el hilarantes péri-
péties parmi lesquelles se trouve assez
ingénieusement motivée l'absence des
bras de la Vénus de Milo, les deux jeunes
gens se retrouvent et se marient.
Quoicpic la fin soit très morale, ce n'est
pas un spectacle pour jeunes filles et, pour
les dédommager, je leur conseille de se
contenter de jouer la jolie valse lente qui
sert d'entr'acte au troisième acle.
Gl' 1 1. 1. A I M 1 It \ N V lus.
Les Petites Vestales
MM. K. Oi.riui el Bkhm'ii.e oI'KKA uuifke MM. I'. I.i; Hky etJ. Ci.kkk:
VJ^LiSB LiEI^TE E IST T K, ' .A. C T B
PIANO
Publié arer l'aulorisulion de M. Paul Dupont, éditeur, Paris. — Tous droits réservés.
XIII. - ^.
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i:\'km:mi;nts (;K()(;r,APiiiQri:s
i:r coLo.MAL .\
Le 11 janvier 1890, le gouvernement
portugais, qui venait de procéder, dans
des pays africains lui appartenant en
propre, à certaines mesures de police,
recevait du gouvernement anglais le billet
amer que voici :
Le gouvernonioni anglais désire avec insis-
tance que les instructions suivantes soient
envoyées immédiatement par tiïlé^'raphe au
piuverneur du Mozambique : [iuppelez aus-
sitôt toutes les forces portugaises se trouvant
actuellement sur le Chirv. ainsi ii'ie sur le
territoire des Maliololos et dans le Mashona-
land. Le f^ouverncmcnt an};lais est d'avis que,
l'aute de cela, les assurances données par le
gouvernement portugais ne sont qu'illusoires,
et M. Pétre (le ministre) se verra forcé, con-
formément à ses instructions, de quitter im-
médiatement Lisbonne avec les membres de
la légation, s'il ne recevait pas, (:^;T Ai'niis-
Mini, une réponse satisfaisante.
De plus, on apprenait à Lisbonne qu'une
escadre anglaise, concentrée à Gibraltar,
surveillait l'entrée du Tage, et que, en
Afrique, d'autres escadres, battant le
même pavillon, faisaient les cent milles
devant les côtes des possessions portu-
gaises. Ce que voyant, le ministre des
affaires étrangères, M. Somez, répondit à
son aimable correspondant, M. de Salis-
bury :
En présence d'une rupture imminente avec
la Grande-Bretagne, et considérant toutes
les conséquences qui pourraient en résulter,
le gouvernement portugais se soumet aux
exigences formulées dans les deux dernières
notes du gouvernement anglais. Tout en
réservant, à tout égard, les droits de la cou-
ronne portugaise sur les territoires susmen-
tionnés de l'Afrique, ainsi que le droit qu'elle
possède, en vertu de l'article 12 de la con-
vention de Berlin, de recourir ù un arbitrage
pour la solution de la question en litige, le
gouvernement du Roi envoie au gouverneur
du Mozambique les "luiiins que lui impose la
Grande-Bretagne.
Le Portugal réclama l'arbitrage aussi
ardemment que les Boërs le réclament
aujourd'hui. Mais l'Angleterre avait une
raison suffisante pour repousser alors,
comme aujourd'hui, l'arbitrage : elle n'étail
pas dans son droit. ï^lle voulut com-
mander. Dès que la convention du 20 aofil
1890 fut connue à Lisbonne, un mouve-
ment d'indignation révolutionnaire éclata :
le ministère qui l'avait conclue tomba ;
tout était à craindre : les Cortès no rati-
fièrent pas la convention, et elle devint
caduque, tlependant l'Angleterre envahis-
sait le Manica, en expulsait le gouverneur
portugais, et ses navires de guerre for-
çaient les passes du Zambèze. Elle avait
résolu d'imposer sa volonté; elle y réussit
par le traité, dont nous aurons à parler,
du 11 juin IS'.il : elle avait démembré, à
son profit, et par la force, l'Afrique cen-
trale portugaise.
Conclusion : de[iuis lors, dircz-vous, le
Portugal a dû demeurer l'ennemi do qui
la si fort malmené'? Lcoutez, plutôt...
Dix ans sont passés — un jour dans la
vie des peuples. — L'Angleterre, poursui-
vant avec une persévérance admirable et
une confiance superbe la réalisation de
sa maxime : dermir toujours plus ijramh,
s'est heurtée à un autre petit peuple et a
résolu, cette fois, de le supprimer, «c La
race saxonne, écrivait dans son fameux
ouvrage Greater Rritain sir Charles Dilke,
la race saxonne est dans le monde la seule
race exterminatrice {cxlirpnlinfj'i. •• Le
inonde vit alors avec étonnement un em-
pire de trois cents millions d'hommes aux
prises avec deux petits peuples, les Boërs,
qui comptent, réunis, trois cent mille ha-
bitants. La (|uestion était simple : un gros
voulait manger un petit. Comme le gros
était très gros, les puissances en furent
réduites à une neutralité impatiente ;
quelques-unes, cependant, ne purent tenir
secrètes leurs préférences : la Hollande
offrait au président Krïiger l'hospitalité
sur un navire de guerre, la France recevait
le président en chef d'État. Or, seul, le
Portugal a fait ceci.
Dès avril l'JOO. il a autorisé le dcbar-
i; \" i; N K M K N T s ( ; i; ( 1 ( ; I i A 1 • 1 1 1 g i ■ i-: s
quemeiil sur son propre lerriloiro, à
lieïra, des troupes ;iiiglaises de sir Fred.
C;irrinfjlon, et leur passage à travers le
Mozambique jusqu'en Rliodesia . Ces
troupes devaient prendre à revers, sur le
Limpopo, les Boërs. Le Portugal déclara
qu'il agissait ainsi en observation de notes
échangées avec l'Angleterre, en 1891 :
ces notes n'ont jamais été publiées. Mais
ce (|u'il oublia d'expliijuer, ce fut l'accueil
chaleureux que firent aux soldats anglais
ses propres fonctionnaires. Ces fonction-
naires, plus récemment, en septembre,
.sont allés à Komati-Poort passer une revue
d'autres soldats anglais, organisée en
l'honneur du roi Charles de Portugal.
Enfin, le !i décembre, le Daily Mail an-
nonçait que le matériel saisi par les auto-
poudre'et de dynamite — a été livré par
CCS autorités au consul d'.\ngleterre à
Delagoa-Hay.
lin IH70, si la Suisse avait permis à l'Al-
lemagne de nous attaquer aussi sur le Jura ;
en 1871, si la Suisse avait livré à l'Alle-
magne les fusils qui tombaient des mains
lasses de nos réfugiés, qu'aurions -nous
dit? Que la Suisse était l'alliée de l'.Mle-
magne.
Le l'ortugal, dans la guérie contre les
lîoérs, est le smil allié de l'Angleterre.
Ceci vaut ipielques éclaircissements.
Nous voyons, dans les Smjits, que les an-
ciens Scandinaves étaient des gens rusés.
Débarqués sur les côtes d'Allemagne, ils
' I AFRIQUE OR'-' y jj,Ji.^,Aj
«*; IUHt{MI
0 ce A AI
ml ^ -r^^^P ft^'rf"
INDIEN
L K s r 0 li T U G A I s DANS L ' A K U 1 y f K n C SUD
rites portugaises au moment où un corjis
boër s'était réfugié sur leur territoire -
en tout G millions de cartouches, -2 000 fu-
sils, 2 pièces de campagne, un canon
aulniualiqiie, 2 iiulrailleuses, i tonnes de
y fureni reçus à bras ouverts par les habi-
tants, les bons (;hérus([ues : " (juel cadeau,
leur demandèrent ceux-ci, vous sérail le
plus agr('Nd)le ? - Une poignée de lene.
Ouellc Miodeslie 1 •• Mais il adxint ipie.
K A' 1 : N !■: M i: n t s r, v. o ( ; m ai» 1 1 1 q l' i-: s
lorstiue les Scandinaves eurent reçu la
poignée de terre chérusque, ils la répan-
dirent en poussière ténue sur tout le pays
el prétendirent que
tout le pays était à
eux. (le fut aux autres
d'en sortir.
Missionnaires e l
commerçants anglais,
dans l'Afrique du Sud
— et dans bien d'au-
tres endroits encore —
ont appliqué mille fois
les maximes de la di-
plomatie des anciens
Scandmaves. C'est ainsi
que, partis, au commen-
cement de ce siècle,
des établissements de
la côte du Cap, ils par-
venaient bientôt sur le
fleuve Orange et le
franchissaient aussitôt.
Cette marche vers le
Nord, qui ne devait
s'arrêter que sur les
bords du lac Tanga-
nyika, fut surtout l'œu-
vre d'un homme de gé-
nie : sir Cecil Rhodes.
De cet homme et de
cette œuvre, nous avons
parlé suffisamment ici
mènïe {Revue de juillet
et novembre 1900) ;
mais le temps n'était
pas encore venu de
décrire l'arrivée de la
vague britannique sur
les frontières de l'Afrique portugaise.
Trois obstacles se dressaient devant les
Anglais entre l'Orange et le Tanganyika :
l'Allemagne, ([ui de 1883 à 1888 étendait
son influence sur le Namaqualand, le Da-
maraland, le pays des Hereros et qui sem-
blait chercher à tendre la main, à travers
le Betchouanaland, aux Boërs des Répu-
bliques sud-africaines; — ces deux Répu-
bliques qu'on disait alors désireuses de
conquêtes (on rapporte qu'à la fin de ISS7
un géographe soumit au président Kriiger
une carte sur laquelle les territoires du
Transvaal étaient coloriés on jaune et ceux
A il A L) i. K E — PAYSANNES
de Lo-Bengula en brun sombre : i< Faites-
les jaunes aussi », aurait dit M. Kriiger
en indiquant le Malabeleland et le Souazi-
land i — et le Portugal, qui travaillait à
unir, par des explorations multipliées,
l'Angola de l'ouest au Mozambiipie de l'est.
Avec l'Allemagne, les négociations fu-
rent aisées. L'empereur pensait comme
son ex-chancelier, le prince de Bismarck :
« L'Angleterre est plus importante pour
nous que le Zanzibar et toute l'Afrique
K \ l':\ KM i;\ TS (i KiiC H Al'll HJIK
orienlalo. » lù </ii'- luiilr iAfrii/iic du Sud,
pounail-on ajouter aujourd'hui. C'est pour-
quoi rAUcmagnc consentit à s'arrêter au
20" degré de longitude est Greonwich :
elle recevait seulement une étroite bande
do terre qui se prolongeait jusqu'au /.ani-
bèzc supérieur. — Avec les Hépubliquos
hoi'rs, il a fallu se battre; el la guerre dure
<l('puis qualorzi' mois. A la date du !"■ ilé-
cenibrc, le W.ir o/fici' avouait les p(M'tes
suivantes : "iT'.t officiers morts, 1 1 035 sous-
officiers et soldats morts ; au total, morts,
prisonniers ou rapatriés comme invalides :
40 728 officiers, sous-officiers et soldats.
L'Angleterre commence à penser que
l'extiriiation de l'obstacle républicain lui
ciiùlera bien chfr. — Et le Portugal?
Malgré l'opinion anglaise, dos Portu-
gais, bien avant le siècle de Livingslone,
ont exploré l'arrière-pays et du Mozam-
bi(|UO et do l'Angola. Dos ll'itHI, l'un d'eux,
Hmiii'Ii), fDiidait Tété, sur le Zamboze, et
nn\r;iit à s<'s compatriotes le marché du
Maiiioa. L'Angleterre n'était encore, comme
dit une vieille chanson du temps de Sha-
Uospoare, qu' ■■ un nid de cygnes sur un
étang ». Au xvii" siècle, les Portugais re-
oonnaissonl le cours du Zambèzo ; au xvm',
ils atteignent le lac Moero, dans l'Ktat in-
dépendant actuel du Congo ; du côté de
r.\ngola, ils poussent jus([u'au centre du
.Mouata-"\'amvo. Puis vint un long som-
meil,dont les réveillent les découvertes de
.Stanley. Les grands voyages de Serpa
Pinlo, de Cordoso, de Capello et Ivens,
font reprendre l'ancienne idée do réunir
r.\ngola au Mozambique, définitivement.
C'est alors que le Machonaland, d'une pari,
lo M()uata-Yamvo,de l'autre, reconnaissent
lo ])rotectorat portugais; les liavaux <\i' la
ligne de Saint-Paul-dc-Loanda Ji .\inliaca
CtOO kilomètres) sont activement poussés ;
ceux de la ligne de Lourenzo-Marqnès à
la frontière transvaalionne, inaugurés on
j\iiii ISSil; la navigation des bouches du
Zambèze est améliorée. Lo Portugal allait
barrer l'Africpie australe, d'oui'sl on est, do
Loanda à Quilimane.
Alors intervint l'Angletorro.
Déjà, elle avait disputé au l'orlugal la
possession de la baie de Delagoa. Coite
baie, large de 20 kilomètres, profonde
de 51 , forme le meilleur port de la cote sud-
ost d'Afrique, le port de Lourenzo-Mar-
(|uès. De plus, c'est la porte naturelle du
Transvaal. Le maréchal de Mac-Mahon,
alors président delà Hépublii(ue française,
choisi comme arbitre, confirma los droits
du Portugal sur la ]néciouso baie 2't juil-
let IX7!'> . l.'.Vnglotorre se souvint sans
doute de ce fâcheux précédent, lorsqu'un
nouveau conflit éclata entre elle et le
Portugal, sur le haut Chiré, dans le Nyassa.
La tribu des Makololos ayant arboré des
drapeaux anglais, le major Serpa Pinto
enleva ces drapeaux, leur fit rendre les
honneurs militaires et les renvoya au
consul britannique, à Quilimane. Nous
avons dit quelle altitude brutale prit lord
Salisbury, l'ultimatum tju'il adressa au
ministère portugais et la soumission à
laquelle fut réduit celui-ci. ("est que los
diverses compagnies de l'Afritiue australe,
Brilisli lifcliuannlnnil C°, <ynlr.il liri-
linliC", etc., venaient de se fondre en une
seule : la fameuse lirilish South Africi
(^omjiiiny, plus connue sous le nom de la
Churtcred. cl que l'àme de l'organisation
nouvelle était Cecil Rhodes.
Or Cecil Rhodes était assez puissant
pour poser au Portugal le dilemme que
devait poser au Transvaal M. (Chamber-
lain : la soumission ou la guerre. Le Trans-
vaal choisira la guerre. Le Portugal choisit
la soinnission.
Kl c'est ainsi que lui conclu le traité du
Il juin 1801, qui brisait définitivement la
puissance portugaise dans l'Afrique du Sud.
On verra, sur notre carte, les limites qu'il
imposait à l'Angola, d'une part, au Mozam-
bique, de l'autre. Entre ces deux tronçons
se faisait place largement la poussée bri-
tanni<iue ; elle recouvrait le .Matabélt'land,
lo Machonaland, franoliissail lo /anibèze
enlie Zambo, à dioite, et Sochéko, h
gauche, arrivait au lac Bangouelo, s'épan-
dail du lac Nyassa au lac Tanganyika.
Cecil Rhodes avait vaincu ; désormais il
pouvait construire sa ligne télégraphique
transafricaine, étudier le tracé do son cho-
1-: y K N I-; m i : v r
i; A iMi iiiri-:
mincie fer traiisafricaHi ; désormais il pou-
vait se lourner vers le Transvaal et prépa-
rer le raid Jameson.
C^e n"est point, certes, que les immenses
territoires laissés au Portugal par le bon
vouloir de l'Angleterre manquent de va-
recèle également cent richesses qui atten-
dent d"ètre exploitées : l'or du Manica et
du Sofala, le caoutchouc, le café, le tabac,
le coton, le santal du Nyassa, l'arachide
et rivoirc de la région du Mozambique, le
caoutchouc, le riz, le café, la houille de la
i r i; LE Z A 51 B È Z E P 0 R T F fi A I i
I N D I U È N E S P lî É P A R A X T LA
leur. L'Angola, qui en est encore au début
de l'exploitation agricole, industrielle et
commerciale, est d'un commun avis une
colonie d'avenir. Sur le plateau, les euro-
péens peuvent se livrer au travail. Les
cultures vivrières sont abondantes : l'une
d'elles, le ma'is, peut trouver dans l'Afrique
du Sud mèuie un emploi certain ; le café
et la canne ù sucre, dès à présent, don-
nent des résultats; des terres, exception-'
nellement riches en caoutchouc , se
trouvent dans le voisinage de l'Etat indé-
pendant. Enfin la colonie possède des
gisements houillers. Sur la mer opposée,
l'Eslado (la Africa oriental — tel est le
nom, depuis le 30 septembre 1891, de
l'ancienne colonie du Mozambique —
Zambézie, la canne à sucre du district de
Lourenço-Marquez... Mais ces territoires
africains, qui s'étendent sur plus de '2 mil-
lions de kilomètres carrés, que peuplent
7 millions et demi d'habitants, exigent,
pour leur mise en valeur, d'énormes capi-
taux et la situation financière du Portugal
est critique, chacun le sait. Mais, de plus,
est mort le rêve des jingoes portugais : la
jonction de ces territoires sur les rives du
Zambèze. Et voilà pourquoi Lisbonne,
sans un regard pour ce qu'on lui laissait,
n'a eu que des regrets pour ce qu'on lui
prenait !
Dans la presse illustrée, que de poings
fermés, que de pieds de nez, que de menaces
à l'adresse de John PjuII, « ogre britan-
i; \' K N 1-: M !■: n t s c. i-; ( m ; h a r ii i g r i-: s
nique », « avaleur breveté de colonies »!
Une amusante caricature transformait le
monument historique du roi Joseph I",
place du Commerce, à Lisbonne, en une
slaluo rie la reine Vietoria. Au-dessous,
un lis^iil :
l.'liistoirc (lu Porlu^'nl compte aujourd'hui
(lru\ IremblcnientS de terre : celui de 1"55 et
eelni ihi 20 août ISdO date du traité anglais.
).r marquis de Pond)al a fait reconstruire une
ville nouvelle sur les ruines de l'ancienne Lis-
lionne. Aujciurd'hui il faudrait refaire la même
chose, parce que la capitale portugaise est
devenue ville anglaises ilans ce dessin, nous
offrons au gouvernement un nouveau projet
de monument, sans modifier en rien les lignes
générales du monument primitif tpii a encore
l'audace d'affirmer que nous fumes un peuple
digne et respecté.
Le caricaturiste qui écrivait ces lignes
ou 1890 sans doute aujourd'hui -parlerait
de doter son pays « d'un gouvernement
enlièroment anglais qui arriverait à donner
l'illusion qu'il est portugais ». C'est que,
nous l'avons vu, Lisbonne et Londres sont,
dans la réalité des clioses, alliés; et même
leur alliance vient de s'éprouver sur cette
])icrre de louche qui est, pour les alliances,
la guerre. La victime de l'impérialisme
anglais aide aujourd'hui l'impérialisme an-
glais il dépouiller une autre victime.
La Irance a épiiiuvé un échec, le mois
dernier. Elle a perdu, d'un trait de [ilume,
environ (iOO 0(1(1 kilomètres carrés. 11 est
juste tl'ajouter (|ue nous avons perdu ce
chilfre respectable de kilomètres carrés,
un peu de la manière dont perd un denii-
iiiilliori le monsieur qui a acheté un billet
d'un rrinic,etqui ne gagne pas à la loterie.
Nous avions un billet, un énorme dossier
remis aux arbitres, il Herne ; mais les kilo-
mètres carrés, nous ne les avions jamais
eus, nous les réclamions au Brésil, depuis
deux siècles... nous ne les réclamerons
On sait qu'il s'.igil du contesté l'r.iuco-
hi-ésilien.
Lu juin IS'.tS, nous aMins exposé dans
Im tli'iw les pièces du procès, et donné
l'Iiotoyraphies rommunifiufes
une carte du territoire en litige. Que le
lecteur nous permette de le renvoyer à
celte carte; il y verra, d'un simple coup
d'oeil, quelle importance réelle a le juge-
ment (]ue viennent de rendVe les arbitres
de Herne. Du procès, nous ne rappelle-
rons ici que l'indispensable. Le territoire
en litige avait été neutralisé dès 1700. par
une convention franco-portugaise. Au
traité d'itrecht, treize ans plus tard,
Louis XIV renonçait à ses droits et pré-
tentions sur les terres situées entre le
fleuve des Amazones et la rivière Japoc
ou Vincent-Pinson. Qu'était, au juste, cette
rivière"? Mais c'est l'Oyapock actuel, sou-
tenait le Brésil, successeur en Amérique
du Portugal. Non, prétendions-nous, le
terme indien Japoc signifie Hirirre qui
fait (lu hruil et s'applique i» tous les cours
d'eau, coupés de chutes nombreuses, de
cette contrée ; le vrai Japoc, c'est l'Ara-
gouary. La conversation, sur ce thème,
dura deux siècles; elle aurait pu en durer
quatre-vingts. Cependant l'or avait été
découvert dans le territoire contesté; les
fusils y partaient tout seuls : il était urgent
de s'entendre.
Peut-être M. Chamlierlain eùt-il adopté,
comme moyen d'entente, la guerre. Nous
préférâmes l'arbitrage. En avril I8'.I7, le
gouvernement de la Confédéi-ation helvé-
tique fut prié de Iraneher le dilTérend; en
décembre 1900, il a l'ail e<innailre s<in
jugement: nous avons perdu; tout le ter-
ritoire contesté est recunnu biésilien. Le
Japoc, c'est l'Oyapock, a-t-on déclaré i<
Berne : la France ira donc jusqu'à l'Oya-
pock, et pas plus loin. Cependant on nous
a accordé une liche de consolation, un
petit coin de 8 000 kilomètres carrés, situé
entre l'ancienne frontière et la ligne de
faite des monts Tumac-IIumac. Il est
"incontestable que S 00(1 kilomètres carré-^
constitueraient une jolie ferme, en l'rance ;
mais sur les monts 'l'umac-IIuinac!... L'or
du territoire contesté, ses piiturages, sa
rade de Carapaporis eussent bien mieux
fait notre alTaire. Mais Uciiie mm pas voulu.
N'en parlons plus!
ti.isroN H<irvii:ii.
par l;i Snrii'li- tir (ii'-oi/r!ij)liif.l
LE MOXD«E ET LES SPORTS
LA LUTTE ET LES LLTTEIR;
nepuis miel(|iies années, pendant le mois
de déceniljie, on peut assister, dans cer-
tains établissements de Paris, à des cham-
pionnats de lutte t|ue les amateurs de ce
genre de sport suivent avec le plus grand
intérêt. Ces luttes sont à demi sérieuses;
mais le seul fait que les combattants agis-
sent pendant la moitié du temps pour la
gloire suffit encore pour attirer les vrais
amateurs. Il n'est pas douteux que les
directeurs de ces établissements publics
ont pour principal souci de voir grossir
de la série des soirées, les suivantes per-
draient une grande partie de leur intérêt,
et la recette en souffrirait. Il est donc
certain ([ue les luttes ne sont pas toutes
sérieuses et que les résultats ne sont pas
tous décisifs.
Afin d'augmenter encore le prestige
d'une séance et d'enlever l'enthousiasme
de la salle, on s'arrange, à prix d'or, pour
que tel lutteur - ne citons pas de nom
— qui est considéré comme imbattable se
laisse vaincre par quelque nouveau venu
■ i: I s E D i:
la recette et de prolonger le nombre des
représentations le plus possible, afin de
retenir le spectateur pendant plusieurs
semaines, tout en maintenant à peu près
fixe le déboursé qu'ils ont fait pour l'en-
semble des engagements. Si tel lutteur
réputé était Inmhé dès le commencement
autour duquel on a fait beaucoup de ré-
clame et de tapage. A part ces faits qui
heureusement ne sont pas constants, les
luttes sont sérieuses, et la prime promise
au vainqueur de la soirée est véritablement
octroyée à celui qui a pu se montrer supé-
l'ieur à ses collègues.
i.K MoMu; Kl i.i;s
UMiHTS
La lutlc est un véritable coiiihal dans
lequel la force, l'adresse, la science el la
loyauté sont aux prises. La force est
donnée en grande |)arlie par le poids de
l'individu, cotte qualité a même une telle
importance qu'il serait injuste de mettre
en face l'un de l'autre deux hommes pré-
sentant un écart de poids trop considé-
r:il)li»: l'adresse est ac(|uise p.irune grande
sont fliterdits et entraînent immédiate-
ment l'arrêt de rengagement.
En France, on ne distingue que deux
catégories de lutteurs; ceux dont le poids
est inférieur à 170 livres et ceux dont le
poids est supérieur à ce chiffre; ce sont
les poids légers et les poids lourds, (^etle
classiOcation est sujette à revision, car il
est absolument injuste de faire concourir
LA CKIXTIMI E TAU D E R R I iï li K
liabiluile (lu spiirt i;l par des (nullités na-
turelles de vitesse, d'agilité, de pré-
voyance des coups à venir, etc. ; la science,
à elle seule, peut déterminer la supério-
rité d'un sujet: celui qui connaît bien les
coups, (pii sait les moyens de les éviter,
qui arrive à engager son adversaire, par
des feintes ou des surprises, à se livrer
est à peu près sûr de la victoire: la loyauté
enfin a son importance, car si la lutte est
un combat, ainsi (lue nous le disions plus
haut, elle n'en reste pas moins un sport et
tous les moyens (pii auraient pour résullijt
de blesser ou de meurtrir l'adversaire,
un homme de l'2 livres |)ar exemple avec
un lutteur, comme Pons, qui pèse 2i-0 livres.
Kn Amérique, la division des sections
est plus rationnelle; il y a quatre classes :
les poids iilumes, pour les hommes ne
pesant pas IDO livres; les poids légers,
compris entre 100 el liO livres; les poids
moyens entre 120 ot 110, el les poids
lourds, pour les hommes supérieurs à
I iO livres.
En France, la lutte est essentiellement
courtoise; il existe dès règles dont on
ne connaît guère l'origine ; malheui'eu-
semenl, elles sont toujours violées, aussi
i.K MiiXDi: i:r i.i:s spohts
I2S
compte-t-on installer piocliaincmenl un
comité composé d'hommes de sport con-
naissant bien la question, qui aura pour
mission de reviser les règles et de trou-
ver des moyens pour que leur application
ne soit point soumise au caprice des
lutteurs et des arbitres doccasion.
Les principes qui régissent les règles de
la lutle française, i|ui n"est, somme toute,
dites cravates, le renversement des doigts,
etc., qui provoquent une grande douleur
et forcent le patient à abandonner la par-
tie. Nos professionnels ayant eu souvent
f» supporter les mauvais traitements de
leurs adversaires moins courtois, ont em-
ployé à leur (our les mêmes procédés, ils
s'y sont habitués petit à peti(, si bien
([u'aujourd'hui telles prises interdiles [jai-
LE B F. A s R 11 U L K
qu'une copie de la lutte gréco-romaine,
sont d'interdire les coups produits par des
chocs, les lâchers qui entraînent des chu-
tes à terre, et, en général, toute manœuvre
pouvant occasionner des blessures ou un
tort physique quelconque ; malheureuse-
ment, les entrepreneurs de grandes luttes,
afin de corser leurs programmes, ont
engagé des combattants américains et
turcs ((ui ont moins d'égards que les nôtres
et qui n'hésitent pas à employer tous les
moyens possibles pour avoir raison de
leur adversaire, y compris les luxations
des bras, les torsions du cou, autrement
les règlements, sont tolérées par les arbi-
tres, qui' ont peur de se mettre tout le
monde, y compris le public, à dos en se
montrant trop sévères.
I.e résultat de la lutte dépend souvent
de l'engagement, c'est pourquoi on assiste
au commencement du combat à ces prises
de mains qui semblent toujours un peu
ridicules à ceux qui ne sont pas de la
partie. On voit le lutteur qui connaît les
règles et qui sait profiter de ses moyens
physiques, offrir souvent un bras afin de
provoquer un coup qu'il possède bien et
d'où il est sûr d'avance de pouvoir sortir
101
I.K Ml)\I)K KT I.KS SIM lier S
à son avaiilafje ; celui qui ne conuail pas la
feinte s'y laissera prendre, mais un autre
plus adroit cherchera également de son
côté à fournir un départ à son profit, si
bien qu'au commencement, on voit i|ue le
souci des adversaires n'est point de
chercher à s'éviter, mais au contraire à se
livrer ninluellenienl.
Nous n'avons pas la prélenlion d'iiuli-
cuisse droite; il est alors facile de l'ac-
compagner jusqu'à terre en posant l'épaule
droite sur sa poitrine pour l'empêcher de
se retourner. La parade de la ceinture par
devant est classique et connue de tous les
lulleurs; au moment où l'on cherche à
vous entourer la taille avec les hras,
portez les deux poings sons la mâchoire
de l'adversaire pour le forcer à renverser
LA CItAVATE (COri' Df;KKN[)|-)
quer ici Imis les couijs possibles; ils va-
rient même à l'infini , mais d'une façon
générale ils se résument à deux mouve-
ments, tous les autres n'étant que des va-
riantes : la reinliire et les tours.
La (Pinliirr par devant, qui esl une opé-
ration très couranle dans le cours dune
lutte, consiste à entourer la taille de l'ad-
versaire avec les deux bras, à l'enlever de
terre, aie balancer légèrement à gauche el
fortement à droite pour se débarrasser de
ses jambes ; on [)orle ensuite le pied
gauche en arrière et on met le genou droit
à terre de façon à tenir l'adversaire sur l.i
la lèle en arrière; si vous en avez la fnrce,
allongez les deux bras en avaiil el vous
serez dégagé.
Les loiii-s sont de dilTérentes espèces :
il y a le loiir ilf It'lo, le loiir île liras, le
/')(;/■ ilr hanrlir, etc. Ils consistent à ame-
ner ro|)posanl derrière celui qui engage,
el, dans celte position, i\ le prendre par
la tête, par la hanche, par les deux bras,
ou même lui seul bras ; puis, tout en le main-
tenant dans celte position, à se mettre ;'»
genoux el exécuter une tension de corps
(pii lui fait faire un grand arc de corde en
l'air; Il retombe alors sur le sol, où il esl
I.1-: MoNDi: KT i,i;s
facile de lui appuyer les deux épaules. Ces
tours font beaucoup d'effet dans les assauts
et sont très en usage chez les lutteurs. La
parade est également amusante à regar-
der ; ([uaud Tadversaire se sent pivoter en
Tair, il doit chercher à se raidir de façon
à ne pas tomber allongé, mais à rester
dans la position dite rlu [tonl, la tète et
les pieds seuls louchant la terre; un pi vo-
lage rapide permet alors au lutteur de se
dégager.
Le père des lutteurs modernes est un
nommé Herpin, qui resta champion pen-
dant bien des années; toute la période du
second Kmpire lui appartient : il ne connut
ladéfaitequ'en I8ti7.
battu par Marseille
aine, ;i la salle Mon-
tesquieu ; le frère
do ce dernier, Mar-
seille jeune, qui est
resté également
champion pendant
longtemps, est le
fameux entropre-
neur de luttes qui
firent courir tout
Paris à la foire de
Neuilly ; il est mort
depuis deux ans.
Nous avons eu en-
core, comme célé-
brité, Faouet, qui a i v i v
remplacé Marseille
comme poids lourd, puis le pâtre Etienne
et ensuite François le Bordelais. Ce dernier
est resté sur la brèche pendant des années ;
il a commencé d'abord comme lutteur
en 1847, puis il est devenu arbitre et pro-
fesseur; aujourd'hui, il est considéré
comme un des maîtres les plus réputés
du sport. Il fut champion pendant dix ans,
et" fut remplacé par Piétro. C'est lui qui a
bien voulu poser, avec un de ses élèves,
les différentes photographies qui accom-
pagnent ce texte.
Aujourd'hui, l'étoile de la lutte qui attire
le public dès que son nom parait sur une
afflche, est le fameux Pons, un des plus
lourds lutteurs connus ; il est, pour ainsi
dire, impossible de le tomber: s'il l'a été,
raconte-t-on, c'est' par courtoisie pour des
adversaires étrangers qui étaient venus en
France se mesurer avec lui et qu'il n'a pas
voulu laisser retourner dans leur pavs
sans un semblant de victoire! Parmi ces
derniers, il faut nommer le turc Kara
Amed, qui eut l'honneur de tomber Pons
après avoir été /oHffci' par lui. Un des plus
terribles lutteurs fut Yousouf, qui mourut
dans le naufrage de la Bourgoijne ; il n'était
qu'au commencement de sa forme, mais
tout présageait qu'il n'aurait jamais trouvé
son maître. Pitlazenskî est également un
des étrangers venus à Paris et qui tomb.i
Pons après avoir
été battu par lui.
Les lutteurs ga-
gnent beaucoup
d'argent... quand
ils en gagnent; dès
qu'ils arrivent à être
Lonnus, ils n'accep-
tent pas d'engage-
ment à moins de
loO francs par soi-
rée ; s'il s'agit d'une
représentation sen-
sationnelle, les di-
recteurs doivent
augmenter les ho-
noraires, qui mon-
K r li ; tent alors jusqu'à
500 francs. On nous
a dit que certains lutteurs avaient aussi
été paj'és 4 000 francs pour des luttes
devant faire époque.
Jusqu'à ces derniers temps, la lutte sem-
blait être un sport exclusivement réservé
aux professionnels ; aujourd'hui pourtant
bien des jeunes gens et même des hommes
d'âge mûr prennent des leçons de lutte,
non pour en faire un moyen de défense
naturelle, mais comme sport pur; il serait,
en effet, difficile de trouver un exercice
plus profitable à la dépense physique ; tous
les muscles agissent en même temps,
ceux des bras, des jambes, du cou, du
torse.
Eu.NST NoMis.
MÉMENTO ENCYCLOPÉDIQUE
Événements de Novembre 1900.
1, — Inaugura
nionuiiteut élevé
soldats morts
M. lîallav. gnuv.r
rsl nommé gou
que occidentale
m
tion. à liivsl. du
à la mémoire des
poui- la patrii'. —
V '" iiourilc la (luincr.
t->>,W verneur de l'Afri-
mm '■" ■■'-''"'-""■"*
MiiNUMEXT nu l'UfcslDENT CARNOT, A LYON
proportionnel et d'ëicctinn du OpuxiI ledrral
par If peuple, repousse ces deux projets.
5. — Encyclique du pape auv évêques sur
le Hédempteur. Le pape conclut en invitant
les évèques à faire connaître au monde
(pie le Hédempteur, pourra seul conquérir le
salut et la paix.
6. — .\u Sénat cl à la Chambre, reprise
des travaux parlementaires. — M. Jonnarl
ari-ixeollicirIK-inenI A .\l|.'er prendre possession
du gouvernement général de l'Algérie.
7. — M. Mac-Kinhy c-sl réélu président de
la République des États Onis par l!'.i2 voix
eniitie .\I. liryaii. «pu ulitienl i:)r> voix.
8. - A la Chambre, I interpellation sur la
politique du gouvernement se termine, après
une vive discussion, par l'adoption d'un ordre
du jour de confiance, voté par :iU7 voix
contre 237. — Moyennant une indemnité de
loonim (lollais, l'Espapne cède aux l'Hats-Unis
de M. C.liaudié. M. Cous-
luiier rsl nommé gouver-
neur de la Guinée en lem-
plaeemeul de M. Ballay.
2. — l"n |)iésenee de
rixtension du mouvement
carliste en Espafjne. le
gouvcinement proclame
toute la Péninsule en état
de siège.
3. — MorI, à Paris, du
critique Pierre Véron. -
.V Saint- Pélersbouru, |>nse
de la première pierre de
l'asile de nuit l'onde avec
les 2r) 000 roubles donnés
par M. Félix Faure, pen-
dant sa visite en liussie.
4. - I.e président de la
liépublique, accompagné
<lu président du conseil
des ministres, des ministres
du commerce, de la marine
et des travaux publics,
arrive à Lyon pour pré-
sider la cérémonie d inau-
guration du monument
élevé à la mémoire du
présidentCarnot, as>avsi]ié
à I-\on le 2 1 jum IM'i. Le
monunienl est l'œuviv de
MM. (iauquier, statuaire,
et Nodin, arehiteetc. — Le
peuple suisse, appelé à se
prcitioiu'er sui" les jirojels
d'éleelifui du Conseil na-
tional Nuiv.int le s\sli''nii'
M. .M.^e-Kl^L^.^ , iiil.>iiiKNT uk i,.\
DKS KTATS-rXIS
M KM KNTO K.NC.VC.I.nl'KlHiJlK
ses dernières possessions en Oceanie, les iles
Ca(;adan et Libut.
9. — Au Parlement, clistiihiitiun d'un livre
jaune sur les affaires de Chine. Les docu-
ments publiés font ressorlir lo courage et la
clairvoyance de M. Pichim, ministre de France
en Chine, et Ihéroïsme
des soldats français à
Pékin dans la lutte con-
tre les Chinois pendant
le siège des légations.
Les ministres des puis-
sances à Pékin adoptent
les prnpiisitions de la
Note du gouvernement
français sur les condi-
lions à imposer au gou-
vernement chinois. — Le
gouverneur portugais de
Mozambique démis-
sionne, donnant comme
molif la pression exercée
sur lui par le consul
anglais et par les auto-
rités de Lisbonne. — Le
cabinet anglais est re-
constitué : lord Salisbury
est premier ministre, lord
du sceau privé.
10. — La cour d'assises
de la Seine condamne
aux travaux forcés à per-
pétuité le nommé Saison,
auteur de la tentative
d'assassinat contre le
schah de Perse.
11. — Un terrible tam-
ponnement se produit
en gare de Choisy le-Roi
entre un train omnibus
et un train express lancé
à toute vitesse. Huit
voyageurs sont tués et un
grand nombre blessés. —
J89 44S visiteurs à l'Exposition pour le dernier
dimanche.
12. — Clôture définitive de l'Exposition
universelle de Paris. Les entrées se sont
élevées, pendant toute la durée de l'Exposi-
tion, du 15 avril au 12 novembre inclus,
à D0.S39 955. alors qu'en 18S9 elles n'avaient
pas dépassé 30 millions. Sur 65 millions de
tickets émis, IT millions DUt été utilisés. —
La Chambre et le Sénat votent des félicita-
tions aux organisateurs et collaborateurs de
l'Exposition. — Le Maroc refuse de faire droit
à une réclamalion îles États-Unis exigeani
une indemnité pour l'assassinat d'un natura-
lisé américain.
13. — Adoption, par le Sénat, du projet
de loi permettant aux femmes licenciées en
droit de jirèler le serment d'avocat. — La
Chambre vote le projet de loi créant un
budget spécial pour l'Algérie.
14. — Ouverture du parlement allemand
— Le Monileur n/firiel île l'empire allemam
publie une lettre de l'empereur de Chine .'
l'empereiu' Guillaume. Kc»uang-Sou promet 1«
LE F U É S I D E N T K R V (i E R
châtiment des dignitaires ayant pris part au
meurtre du baron de Ketteler.
15. — Terrible accident de chemin de fer
sur la ligne de Bordeaux à Bayonne, près de
la station de Saint-Geours. Le Sud-Express,
déraille à la vitesse de ino kilomètres à
l'heure; 13 voyageurs sont tués et 14 blessés.
16. — A Berlin, une femme Schnaplee jette
une hachette dans la direction de la voiture
dans laquelle se trouvait l'empereur Guil-
laume. La hachette n'atteint personne.
17. — Le prince Georges de Grèce, gou-
verneur de Crète, visite le pavillon de la
Grèce à l'Exposition, laissé intact après la
clôture.
18. — Inauguration du nouvel Hôtel de Ville
de Versailles.
19. — La Chambre adopte le projet de loi
12S
M É M K N T I » K N C 'i C L ( ) l' K U I y U K
sur le régime fiscal des successions. — Morl
de M»'' Robert, évéque de Marseille.
20. — Le ministre de la guerre dépose sur
le bureau de la Chambre un projet de loi
accordant une lécompensc nationale aux
nienibros de la mission Foureau-Lamy. — En
Chine, les troupes franvai.-ics occupent Houo-
Lou. à loucsl de Tclieni,'-Ting.
2d. — .Vrrivée à Bordeaux du lieutenant
Meynier qui accompagnait le colonel Klobb
au moment de sa rencontre avec la mission
Voulcl-C^hanoine.
22. — Arrivée à Marseille du croiseur hol-
landais Gehierland, ayant à bord M. Krùger,
président de la Hépubliquo du Transvaal. .\u
moment du débarquement, une foule énorme
accueille M. Kriiger par de chaleureuses
acclamations. .\ l'hôtel, M. Kri'iper doit pa-
raître plusieurs fois au balcon. Hcpondant
aux discours qui lui sont adressés par les
délégués des comités pour l'indépendance des
Bocrs, M. Kri'igerdit: " la guerre qu'on fait
aux réiiubliques sud-africaines est barbare:
mais, quoi qu'on fasse, nous lutterons jusqu'au
bout. Si le Transvaal et l'État libre d'Orange
devaient perdre leur indépendance, c'est que
les deu.v peuples boers auraient été détruits
avec Icius femmes et leurs enfants. ■■
23. — Le Sénat adopte la proposition
^^.-
-■\
d'amnistie en l'étendant aux délits commis à
l'occasion des troubles d'Algérie. — Les mi-
nistres étrangers réunis à Pékin examinent
un décret impérial frappant les princes Tuan.
Traings, Tsa'i-Lien et plusieurs autres per-
sonnages ayant poussé au meurtre des étran-
gers et à l'insurrection des Boxers. Les minis-
tres trouvant les peines énoncées insuflisanles,
décident à l'unanimité d'exiger que la peine
de mort soit appliquée à ces personnages,
ainsi qu'au général Tong-Ku-Siang.
24. — Le président Kriiger, venant de
Marseille et Dijon, arrive à Paris. Il est reçu
i\ la gare par de nombreuses délégations.
Autour de la gare, et sur tout le parcours
jusqu'à l'hôtel Scribe, la foule lui fait un
accueil enthousiaste. Devant l'hôtel, les ma-
nifestations sont tellement chaleureuses que
M. Kri'iger doit paraître plusieurs fois au
balcon. Dans la journée, M. Kri'iger est reçu
par le président de la République avec les
lionneurs dus à un chef d'Élal. M. Loubet
rend la visite avec le cérémonial d'usage.
— Le capitaine Joallaud, de la mission \'oulet-
Chanoine. après avoir quitté ses compagnons,
dans la région du Chari, revient au Soudan
par le Niger et le lac Tchad. Il arrive à Say.
— La commission des Philippines, instituée
par les .\niéricains. promulgue son premier
décret établissant un gouvernement civil et
provincial. Le décret nomme un gouverneur,
définit ses pouvoirs et édicté des châtiments
pour ceux ipii lui refuseraient obéissance.
25. — Élection sénatoriale dans le Lol-et-
.\ un i\ kK vr ni fcsi dknt k u i
A M ;V II H ['. I L I. E
M i-;mi:n m knc. vc.i.oi'KDigr !■;
Garonne. M. Giresse, républicain, élu par
361 voix, remplace M. Fayc, décédé.
26. — Le président Kriiger visite les pa-
villons du Transvaul à l'Exposition.
27. — Le président Kiûger rend visite à
M. Waldeck-Rousseau, président du Conseil.
Il reçoit ensuite le bureau du Conseil muni-
cipal de Paris, auquel il rend sa visite à
IHôtel de Ville.
28. — Le comte de Munster, ambassadeur
d'Allemagne à Paris, prend sa retraite. Il est
remplacé par le prince Radolin.
29. — La Chambre vote une motion de sym-
pathie au président Krùger et au Transvaal.
30. — Le Sénat vote une adresse de sym-
pathie au président Krùger el au Transvaal.
— Le gouvernement français l'ait publier au
Journ.ll ofjficiel un décret rendant exécutoires
pour la France les actes de la Conférence de
la Haye. Cette publication a pour but de
.Mil. — '1
LE PRÉSIDENT KRLGER A PARIS
permettre à la France de participer à un
ai bitragc entre l'Angleterre el les Républiques
sud-africaines si une autre nation en prenait
l'initiative et si les parties y consentaient.
— Le président Krùger fait sa visite d'adieu
à M. Loubel, à M.M. Falliéres et Deschanel.
présidents des Chambres. Il quitte Paris
le 1'^' décembre, au milieu des acclama-
tions de la population. — L'état du Tsar
Nicolas II, atteint d'une fièvre typhoïde qui
a mis ses jours en danger, s'améliore sensi-
blement. — Lord 'Wolseley, feld- maréchal,
commandant en chef de l'armée anglaise,
prend sa retraite. — Lord Roberts remet le
commandement en chef do~ liiiii])es anglaises
de l'Afrique du Sud à lord Kitcheuer. nommé
au grade de lieutenant général, et rentre en
Angleterre pour prendre le commandement
en chef de l'armée anglaise. — MM. Léon
Bourgeois, d'Kstournelles, de Laboulaye et
Louis Renault sont nommés membres de la
Commission permanente instituée par l'acte
de la Conférence de la Haye.
LA MODE DU MOIS
Les paletots-sacs, les rcdinfjotos et les ja-
quettes ne sont pas parvenus à dctrônor le
collet et toutes les formes de vêtements qui
en dL'COulent. entr'autres la cape, dont nous
donnons aujourd'hui in» 1 un niod<ilc à la fois
lions. Voici donc une toiletlc n» 2 qui peut
se porler aussi l)ien pour un );rand diner que
pour un bal. Elle est en satin Liberty vert
d'eau, très souple par conséquent. lé}:érenicnl
lonf.'ue,et forme tunique ouverte sur un tablier
élégant et pratique. Tel qu il est. ce mo-
dèle est en drap bei(;e, légèrement fermé de
côté, mais il peut également se faire en noir
ou en toute autre nuance. On le double soit
en soie ouatée, soit en fourrure. Il est plissé
et piqué autour de l'empiècement et garni
par des biais piques et posés en pente. Un
col et {les revers en velours cama'ieu en achè-
vi'nt l'ornementation.
Ce vêlement est û la fois simple cl babillé.
11 peut se porter à la ville comme le soir et
même en voyage, car il est assez long. Sur
notre figurine, il relondjc sur une robe de
veliiuis ou de satin, bordée par une guipure
ancienne, ficelle, sur l'ourlet de la jupe. Toque
de velours empanacliée de coté et gants dcmi-
teinle en chevreau glacé.
Avec janvier commence la série des récep-
de soie brochée vert et blanc. Le corsage, dé-
coUcté en rond, se compose d'un corsage plat
en salin Liberty et d'un boléro découpe en
pointes, en soie brochée, posé sur le premier.
Les manches bouffantes, genre Lavallière,
sont coupées par un brassard en soie brochée.
Collier de perles au co\i. ou collier île ruban
coupé par des barrettes en diamants ou en
strass. Jupon de dessous en lalTelas blanc cl
mousseline de soie. Bas de soie blanche, sou-
liers de satin vert d'eau et ganls longs eu che-
vreau blanc glacé. Dans les cheveux, souples,
des fleurs â la mode ou simplement des orne-
ments en bijouterie. Conmie sortie de bal. une
longue pelisse en soie brochée mauve, doublée
de fourrure blanche, avec encolure et revers
en mongolie. également blanche.
Pour matinée, HiéAIre, concert ou toute
I, A MODE DU moi;
131
autre cérémonie du même genre , la toi-
lette n" 3) est tout indiquée. Elle est en
drap pastel bleu paie, ornée d'entre-deux de
dentelles lisérés d'or. Le corsage forme deux
plis en biais qui se continuent sur les man-
ches et simulent un empiècement. Des revers,
des parements aux manches et une ceinture
en velours bleu foncé en achèvent l'orne-
mentation, avec des boutons d'or. Le gilet,
Enfin, pour la ville n" 4). ce costume tail-
leur est d'un genre tout à fait nouveau et
très distingué. 11 se fait en drap noir, prune,
bleu marine, gris fer ou havane, la jupe rasant
terre, ornée seulement, au-dessus de l'ourlet,
d'une broderie en soutache formant trèlles.
La veste-habit est à pans derrière, avec
revers de satin blanc soutache; un liséré
de velours noir rappelle le col aiglon .
tombant en blouse, est composé de tulle et
d'cnlre-deux de dentelles. Les manches avec
bouffants de tulle et mancherons de dentelle
le rappellent agréablement.
Sur la jupe, un entre-deux de dentelle et
deux biais piqués posés en seconde jupe
lavandière rendent cette robe beaucoup plus
élégante.
Quant au chapeau, c'est un ravissant loquet
en velours bleu foncé gracieusement drapé
et orné sur le côté d'un piquet de plumes
bleu pâle desquelles s'échappe une aigrette
blanche, en paradis. Un peu de dentelle dans
la draperie rappelle la garniture du costume.
Jupon de dessous en soie souple, tilleul,
garni de rubans tilleul et de dentelle blanche
en volants. Bôs de soie noire. Souliers vernis
boutonnés et gants de Suède fauve pâle.
et les parements des manches, desquelles
s'échappent de petits bouffants à poignets, en
mousseline de soie. Le gilet, plat, est égale-
ment en mousseline de soie plissée. Chapeau
de fantaisie, en velours ou en feutre, orné à
volonté de fleurs, de choux de ruban, ou de
plumes. Gants de chevreau mi-teinte. Bas
noirs en mi-soie, bottes boutonnées en che-
vreau glacé, et parapluie de soie cuite, à
manche de fantaisie.
Jupon de dessous en satin noir. Lingerie de
batiste blanche ornée de broderies et de ma-
tines anciennes.
On peut, sur cette robe, mettre simplement
une pèlerine étole, un beau skungs, ou un
collet court en fourrure quelconque.
Berthe de Pkésili.y.
f' y );,.^
ii^t?W#^
I.KS TIMiniKS-POSTE DT MOIS
Eu Crèlo, le timbre lilcu
(lu bureau italien parait
des plus sérieux : on peut
Icjoindre à ceux du Levant
italien.
On annonce, en Bosnie, des timbres
de 1 et i couronnes, de dimension plus
grande que ceux en cours et un 40 sem-
blable au type 1000.
Nous avons déjà signalé des surcharges
de Grèce; ce pays veut liquider sans doute
tout son stock ; en voici quel(]ues nou-
velles : 30 1. sur 40 violet, de 1876, non
dentelé; 40 1. sur 2 bistre, de 1802, den-
telé; KO sur 40 rose, de 1870, dentelé:
1 dragrae sur 40 violet, de 1880, dentelé;
enfin, 5 dragmes sur 40 violet, de 1802,
dentelé et non dentelé. Ces timbres au-
raient été surchargés en grande ipiantité;
il n'y a donc peut-être pas spéculation,
mais réellement utilisation.
Au Paraguay, on utilise les timbres télé-
graphes, pour la poste, un de 40 cent, tel
quel et deu.v transformés, au moyeu de sur-
charges, en !) et 10 centavos.
Le Queensland émet ses timbies patrio-
tiques (?), 1 penny rose et 2 peiue \iolet;
ils sont peu arlisti-
cpies, ainsi qu'on peut
•< en rendre compte.
l.:i Houm.iuie av.TJI
annoncé un timbre de 30 c. pour l'inaugu-
ration de l'Hôtel des Postes de Bucarest;
le projet a été abandonné et remplacé par
une émission spéciale des timbres en
cours, imprimés sur papier blanc au recto
comme les ordinaires, et rose au verso
avec de plus un grand filigrane dans la
feuille représentant les armes du pays et
couvrant environ vingt-cinq timbres. Le
tirage aurait été très restreint.
A la dernière heure nous avons enfin
les timbres français dont l'émission offi-
cielle a été faite le 7 décembre.
L'ensemble n'est pas heureux, ui comme
dessin, ni comme couleurs, ni comme ho-
mogénéité. Ils sont de trois types : le pre-
mier, 1 c. gris, 2 c. brun violet, 3 c. rouge,
4 c. bistre rouge, ;> c. vert, dessiné |)ar
G. Blanc, est artistique, mais d'une im-
pression généralement trop pâle.
Le deuxième type comprend les 10 c.
rose vif, l.'i c. rouge, 20 c. mauve, 211 c.
bleu et 30 c. lilas;<lus h M. Mouchon, ils
font regretter leurs affreux prédécesseurs.
Les hautes valeurs, 40 c. rouge, :i0 c.
bistre, 1 fr. rose, i» fr. bleu, d'un remar-
([uable dessin, montrent qu'il ne suffit pas
d'être un peintre de grand talent tel que
leur auteur Luc-Olivier Merson, pour réus-
sir un timbre-poste.
.li:.\N Hi:i>.vi lu:.
TABLEAUX DK STATISTIUIK
Résultats financiers du service postal
en 1898.
Dtrptust!^. Recette».
Allemaguc 438.21B.630 81
Amérique (Et.-Unis). 507.012.476 60
Argentine (Bépnb.). lî.Ml.SlO »
Autriche 89.449.019 »
Belgique 12.723.330 70
Bosnie- Herzégovine, 1.165.507 »
Bulgarie 3.127.722 84
Canada .. 23.274.545 98
Chili î. 122. 193 05
Danemark 9. 838. 718 63
Egypte 2.591.940 »
Espagne 11.411.988 29
France 181.394.532 53
Algérie 3.326.933 B
Grande-Bretagne . . 231 .699.812 4u
Grèce. 1.S70.963 60
Hongrie 3J. 134. 266 36
Inde Britannique . 27.623.448 »
Italie 56.186.047 02
Japon 29.966.352 »
Lu.\embourg 1..525.129 90
Mexique 9.966.524 33
Norvège 5.810.030 39
Pays-Bas 15.012.168 14
Péron. 676.889 40
Portugal 4.543.363 66
Roumanie 8.276.183 10
Russie 137.562.160 »
Siam 243.660 »
Suède J3. 545. 879 22
Snissî 30.204.417 41
Tunisie 1.123.229 31
Turquie 1.875.072 86
Uruguay 1.944.426 B
Australie Méridion''. 5.197.600 J>
N'l<--&alle3 du Sud.. 17 161.630 »
Nouvelle-Zélande . . . 3.433.538 42
Victoria 12.772.168 »
Cap de B.-Espéranc .'. 8.124.440 18
Chypre 64.228 67
Gambie 31.984 54
Natal 990.091 »
Sarawa)^ 13.408 j
îles Turques 12.847 05
Antilles Danoises .. . 55.120 )»
Annam-Tonkin 2.022.726 50
Cochinchine, Cam-
bodge et Bas-Laos. 2.402.543 48
Guyane 68.066 »
Inde 9.714 81
Océanie (E" franc.). 172.620 »
Sénégal 342.741 50
Curaçao 57.903 18
Indes 4.126.492 74
Surinam 24 . 600 n
494
.419
.445
11
461
.2U5
.277
46
7
31«
989
>
102
397
889
n
22
711
571
75
1
178
681
75
2
.921
.830
53
23
766
618
27
1
791
880
96
10
022
049
69
3
194
.542
D
24.817
693
96
24.1
716
510
33
4
723
.S09
96
328
842
788
40
1
789
236
32
43
016
278
92
30
624
.383
^
55
163
834
76
32.809
541
j,
1
527
812
83
7
986.013
n
6
247
038
68
18
953
996
17
605. OCO
n
6
010
938
63
9
953
409
28
182
2X7
416
1,
114
304
1,
14
824.084
53
31
248
664 08
1
230
822
51
5
419
4(U4
52
1
786
186
),
6
21B
330
09
13
269
962
t
7
571
987
01
17
536
012
^,
8
129.880 33
79
612
22
57
065
44
265.694 34
47.528 51
9.196 67
15:943 04
228.000 1)
73.494 87
.786.2US 12
106.089 2.)
Consommation du thé en France.
Importations en kilogrammes.
18811,
1885
1890.
1891
408.885
473.641
603.399
602.051
645.641
676.205
1894 692.872
1895 718 486
1896 734.816
1897 765.698
189S 826.616
1899 876.900
Les aveugles dans les divers pays
du monde.
Proportion par 100.000 habitants.
Bulgarie 315
Irlande 260
ludes anglaises. . . . 224
Portugal 205
. Argentine 202
Russie 196
Finlande 1.56
Cap. l.J3
Espagne 150
Norvège 130
-\utriche-Hongrie . . . 91
France
Angleterre
Suède
Belgique
Etats-Unis
Italie
Allemagne
Colonies anglaises
(Amérique du Nord).
Danemark
Pays-Bas
La nnarine marchande belge.
1860.
1866.
1870.
1873.
1880.
1885.
1890.
ToUicrs.
28.857 4.264
35.509 4.220
20.618 9.301
14.766 36.430
10.442 66.234
5.033 79.809
4.393 71.353
917 86.296
917 84.822
917 84.510
1.734 89.237
Les grandes Compagnies de chemins
de fer aux États-Unis.
Longueur des réseaux en milles (1 mille ^1010 mètres.)
New- York Central (ligues Vauderbilt) 10 410
Pennsylvania 10 . 392
Canadian Pacific 10.018
Southern PaciSc 9.392
Chicago and Xorthwestern 8.463
Chicago. Burlington and Quincy 8.001
Southern 7.-887
Atkinson Topek» and Santa-Fé 7 880
Chicago Itlilwankee and Saint- Panl 6.437
Union Pacific 5 . 684
Northern Pacific 5 . 449
Missouri Pacific 5.324
Illinois Central 5 . 253
Great Northern- 5.201
Louisville and Nashville 5 .077
Grand Trunk 4.65G
Chicago Rock Tsland and Pacific 3.771
Baltimore and i.»hio 3.605
Boston and Maine 3.243
Colorado and Southern 2.584
."^eabord Air Line 2. 340
Erié 2.507
Missouri ICansar and Texas 2.406
Wabash 2.358
Atlantic coast Line 2 . 278
Lehigh Valley 2.178
Plant System 2.140
New- York, New Haven and Hartford 2.047
Au total. 147 061 milles ou 236 768 kilomètres.
G. Fn.i>çois.
(J r EST IONS I- I X A N C I K H KS
Étant doiiiR-e rt'iuirmilé des caiiilaux
français engagés dans les valeurs russes,
et qui varie approximativement entre
7 et 8 milliards de francs, — chiffre qui
constitue à peu près le tiers de notre propre
dette nationale ! — il n'est pas surprenant
que notre dernier article sur les valeurs
mosoovitesnousaitaltiré un grand nombre
de lettres. Songez (|uc l'argent par nous
exporté en Russie représente une moyenne
de 200 francs par tête de Français, homme
ou femme, vieillard ou enfant. La question
intéresse donc tout le monde, et à un
degré que le chiffre que nous venons de
donner indique suffisamment.
Nous nous hâtons de dire que nous
n'avons pas h nous plaindre de la lUissie
et n'étaient l'importance des capitaux cpie
nous avons chez elle et l'inconvénient qu'il
v a à mettre, comme on dit, tous ou beau-
coup de ses œufs dans le même panier,
nous n'aurions même qu'à nous louer
d'avoir trouvé chez nos amis du Nord le
placement de vastes disponibilités que,
malheureusement, notre commerce et
notre industrie nationale ne suffisent pas
à employer. Tant que la situation politique
actuelle subsistera, tant que nous vivrons
en paix avec nos voisins, tant que la
Russie sera pour nous « la nation amie et
alliée ■■, nous pourrons dormir sur nos
deux oreilles. La probité et la ponctualité
de ce pays sont au-dessus de toute discus-
sion ; il a loujoui-s tenu ses engagements
avec une exactitude rigoureuse et nous
fournit pour notre argent des revenus qui,
sans être copieux, sont, à tout prendre,
suffisamment rémunérateurs, plus rému-
nérateurs que ceux que nous lirons de la
plupart des autres fonds d'État. Il ne
découle pas de ceci que nous soyons ses
obligés. Si la Hussie nous donne un assez
confortaljle revenu, il ne faut pas perdre
de vue ([uc heaucoiq) de nos milliards,
pour lesquels elle nous assure un rende-
ment variant entre 3 1/2 et i %. ont servi
.•I amortir et à convertir îles dettes an-
ciennes pour lesquelles elle payait jusqu'.-i
6, voire jusqu'à 7 çé. En sorte i|ue, grâce
à nous, elle réalise des économies nota-
bles et que, tous comptes faits, il y a
échange de bons procédés. Ajoutons que
la Russie est, financièrement, sagement
administrée — autant qu'on peut le savoir
quand il s'agit d'un pays sans Parlement
et dont les budgets, par conséquent, ne
sont soumis à aucune discussion publique.
D'autre part — nous avons constaté cela
en notre précédent article — nous voyons
que la Russie consacre régulièrement des
sommes considérables à des travaux pu-
blies importants et notamment à des
réseaux de chemins de fer traversant des
contrées dotées d'inépuisables richesses
minéralogi(iues dont l'exploitation bien
entendue constituera [ilus tard, pour le
pays, des ressources inappréciables.
Mais nous tenons à insister sur ce point
que, dans les circonstances actuelles, il
ne faut prêter de l'argent qu'à la Russie
elle-même et non pas aiix affaires particu
lières qui se présentent à nous revêtues
de l'étiquette russe : on en a abusé.
Épiloguer Ih-dessus nous entraînerait
trop loin et nous ferait d'ailleurs retom-
ber dans des redites. Rornons-nous donc
à répéter qu'en fait de valeurs russes,
il n'y a que les valeurs émanées du gou-
vernement russe ou garanties par lui. Mais,
comme nous l'avons constaté, le nombre
de celles-ci est légion, en sorte que le
capitaliste a quelque difficulté à fixer son
clioix. Pour l'y aider, nous avons examiné
une à une les différentes valeurs qui figu-
rent sur la cote officielle des agents de
change, et avons dressé le tableau sui-
vant où ces valeurs sont rangées, non
selon la classification acceptée parla cote,
mais selon les avantages qu'elles repré-
sentent :
Le < % Cdimoliilé «;• IS!)f rapporte
4,27 9é aux cours actuels, taux identi(]ue
il celui des nhlii/ntiomt île Donclz IS!),'i,
et supérieur de 0,07 % à celui des obliif.i-
Q V !■: s r 1 () N s !• 1 N A N < M i: H !•:
Éà
1^
(Le rouble vaut environ 2 fr. Cj.)
lions I89i ilr nii/a-Drinsk. Les obliga-
tions 4 % I S9i de ICourok-Karlow-Azoïv
rapportent i.lO ^. Pour les tletles de
f/age de hi B:inijue impériale foncière delà
noblesse, les obligations du Transcaucasien
et celles de Dvinsk-Vilebsk, le revenu
varie entre 3,'.i''> et 4,02 9^ des prix actuel-
lement cotés. Cn trouve des revenus à
peu près identiques avec les Emprunts
1867 et IS69. VEmprunl ISSO. l'Emprunt
1 SS9 et les cinq émissions des Emprunts
I S90 et IS9S. La sijcième émission, ainsi
<iue les séries 1, 2 et 3 des Consolidés
i % donnent un peu moins de 3, 9') à
3,98 o/c. Le 3 % IS9i. 3 1/2 % vient
ensyite avec un rendement de 3,68 9e; et
enfin, nous avons les 3 % de IS9I, I89A
et 1896, qui fournissent de 3,48 à 3,50 %.
Ce tableau n'est pas complet; mais nous
avons éliminé à dessein une quantité de
titres peu connus en France, et dont la
négociation présente en conséquence sinon
des difficultés, du moins des inconvénients
au point de vue des délais. Cela dit, nous
croyons qu'en procédant selon l'ordre
établi ci-dessus, c'est-à-dire en vendant
les dernières valeurs de la liste pour ache-
ter les premières, le capitaliste français y
trouvera son compte. Toutefois, nous
ferons observer que les 3 % de IS9I 9i
sont à 14 9e au-dessous de leur taux de
remboursement, ce qui, dans une certaine
mesure, compense la médiocrité relative
de leur rendement.
Ceci nous parait suffire pour les cas
généraux. Si certains cas particuliers
exigeaient d'autres renseignements, il va
sans dire que nous sommes, comme tou-
jours, à la disposition de nos lecteurs.
Nous leur rappelons, pour ce qui concerne
les valeurs russes, que celles-ci sont rem-
boursables par tirages, et que tout manque
d'exactitude au point de vue de l'encaisse-
ment des coupons peut entraîner des
pertes d'intérêt parfois sensibles. Le por-
teur de valeurs russes fera donc bien de
surveiller attentivement ses titres ou de
nous en envoyer les numéros pour vérifi-
cation.
E .M I I. E B E N o I s T ,
Directeur du Sfoniftiir économiqu-' »'' ^ttunncUr
ir, rue du Pont-Neuf.
LA CUISINE DU MOIS — J.A V I K IMIATIQUE
Pudding â la neige. — I'urmile. — in
maiTons glacés: 120 grammes île liiscuils à la
cuiller; 200 j^rammes de sucre cassé à la main:
300 trrammcs de nci^re naturelle: lâO grammes
lie i^voa si] de cuisine ; 4 blancs d'u'ul's moyens ;
1 décililre de kirscli ou de marasquin: un cl
demi décilitre d'eau fdlrce: 1 moule à char-
Idtle de 12 centimètres de diamètre: 2 kilo-
[irammes de glace ou de neige.
OnhiATioN. — Mettez les marrons à tremper
une heure dans le kirsch ou le marasquin dé-
tendu avec le quart de l'eau et couvrez-les.
Mouillez le sucre casse avec l'eau qui reste
et faites-le cuire au soufflé, c'est-à-dire jus-
qu'au moment où trempant une écumoire de-
dans et en soufflant au travers. le .sucre sort
en bulles légères; faites -vous-le verser lente-
ment sur les blancs d'icufs montés bien fer-
mes, toyrnez vivement et du même enté ;
évitez que le sucre ne tombe sur le fouet, ce qui
ferait des boules et alourdirait les blancs.
Passez les marrons au tamis. Mélangez-les
au.v blancs encore chauds, avec une spatule et
non avec le fouet, .\rrnscz les biscuits avec
la marinade des marrons.
Sanglez le moule avec de la glace cassée
ou de la neige, soupoudrée avec le sel.
Mettez au fond du moule une couche de
biscuits, le côté bombé en bas.
Mélangez les 300 grammes de neige bien
blanche dans l'appareil et très rapidement
finissez de remplir le moule en alternant.
Appareil et biscuits jusqu'en haut, couvrez
avec un papier et le couvercle, puis mettez
par-dessus île la glace ou de la neige.
Fa"ites une crème légère avec trois jaunes
d'œufs, trois cuillerées à bouche tle sucre se-
moule, bien travaillés ensemble, ajoutez un
grain de sel, un quart de litre de lait, faites
sourire sur le feu tout en tournant avec atten-
tion, retirez du feu, parfumez avec kirsch ou
marasquin cl laissez refroidir.
Salmis de Perdreaux. — I'ohmiu.e. —
X perdreaux. .1 petites bandes de lard, une
cuillerée de graisse, une carotte moyenne, un
oignon moyen, un petit bouquet garni, un
demi-litre de bouillon, un quart de litre de
vin blanc, 20 grammes <lc farine, 10 grammes
de beurre, 150 grammes de champignons.
3 grammes de sel, muscade et poivre.
()ri':riATioN. — Plumez, flambez, videz les
perdreaux comme pour les servir rôlis.
Mettez la graisse dans une casserole un peu
grande, où les perdreaux soient à l'aise; aus-
sitôt que la graisse est chaude, mettez les
perdreaux sur le dos et ralentissez le feu
s'il est trop vif; dans cinq minutes, retour-
nez-les sur un côté, dans quatre minutes sur
l'autre et finalement laissez-les dorer sur l'es-
tomac trois minutes, presque sans feu.
Coupez la carotte en dés, faites-la dorer à
moitié, ajoutez l'oignon, dorez très peu, sau-
poudrez avec la farine, 'mouillez avec le vin
blanc et le bouillon, assaisonnez et laissez
cuire tout doucement.
Découpez les perdreaux en cinq morceaux,
deux cuisses, deu.x ailes et l'estomac, hachez
les carcasses et ajoutez-les à la sauce, laissez
cuire toujours très lentement deux heures.
Mondez, lavez et laites cuire les champi-
gnons avec liés peu d'eau, quelques gouttes
de citron et le beurre: mettez-les de côté.
Passez la sauce salmis au tamis de fd de
fer. faites-la boidilir dans ime casserole plus
pelite. eu la remuant à la cuiller de bois;
lais'iiv-l.i niijnlcr sur le cicvant de la casse-
role |H.iii rameniT l,i ^lai^sc en arrière, dc-
g^n^-.■/. ^iiiilr/. iriilhv 11 - champignons et le
jus, bii^sc/ I mil- qurlques instants, relirez
du feu, faites bien ehaulfer les perdreaux
sans laisser bouillir et dressez-les.
Les six cuisses en rond, quatre ailes, les
trois blancs, les deux ailes par-dessus ; les
champignons entiers autour, saucez très peu
et envoyez le restant de sauce i\ part.
A. Cot. osiniÉ.
Nettoyage des lampes à pétrole. — On
frotte les réservoirs avec île la cendre de
bois bien sèche au moyen d'un papier doux.
On essuie avec un linge sec.
Ce procédé est excellent.
Pour empêcher les verres de lampes de se
briser, d faut, avant de s'en servir, les faire
bouillir dans de l'eau contenant un |)eu de
sel mai'in. Après tpioi on laisse sécher et on
frotte avec un linge bien mouillé.
On jieut cncors les fendre avec un diamant
le long d'une des lignes verticales de la sur-
face. Ils peuvent ainsi se dilater liliremcnt.
Caractéristique d'un alcool absolu. — ^'ou■
Icz-vous savoir si im alcool l'cnfcrme de l'eau'.'
Mettez dans une cuiller un peu de poudre de
chasse, recouvrez-la d'alcool suspect et cn-
llammcz ce dernier. Quand il est consumé, si
la poudre s'enflamme, c'est que l'alcool était
absolu ; sinon, on peut être certain que l'al-
cool contenait de Icau.
In procédé |)lus exact consiste A calciner
du sulfate de cuivre en poudre jusqu'à ce
qu'il soit dcvciui blanc : prenez-en alors une
pincée et faites-ln tomber dans l'alcool. La
poudre devient-elle bleue .' l'alcool est addi-
tionné d'eau. Hesle-t-elle blanche'.' l'alcool est
absolu. Le troisième procédé que nous indi-
quons est encore plus exact. Dans l'alcool,
on verse quelques gouttes de benzine el on
agite le fout foricment : il se produit un
Iroublc quand il y a eu aildition d'eau. Au
contraire, a\ri de l'alcool absolu, le mélange
reste limpide.
\" 11, Ton m: (". 1. i:vBS.
Jeux et Récréations, par m. g. Beudin
N" 3S9. — Haut : Noirs. — Bas : Blancs.
i m
'§ ^Œ '^'w ^W-
Les blanos jouent et font mat i
N-^ 390. — Haut : Noir
Les blancs jouent et gagnent.
N** 39 1. ~ Mathématiques.
Ou a placé eu ligue droite, à la suite les unes des
autres, 40 pièces de 2 francs ou de 1 franc, formant la
longueur d'un mètre. Combien a-t-on mis de pièces de
chaque espèce ?
NO 392. — Charade.
r,ir A. T.
— Comme une douce voix de femme,
Mère chérie, amante ou sœur,
La musique parle à notre àme
Et sait consoler la douleur.
— Si TOUS assombrit la tristesse.
Dînez vite. — Qaittoz le rfciur.
Puis attardez-Tous, rien ne pres^îp,
Cliez Colonne ou chez Laniuurcux.
— Mou tout, héros plein de courage.
Sans cesse eo avant bataiUait,
Lorsque la mort, qui le guettaif,
Le faucha dans la fleur de Tiige.
N« 393. — Curiosité.
Un Arabe sur le poiut de ujourir fait le singulier tes-
timent que voici : Ne poîsédant pour toute fortune que
17 chameaux valant chacun 1 296 francs, il en Jaisi>e la
moitii^ à sa femme, le tiers à son flls et le neuvième A
sa fille. Les trois héritiers ne pouvant se mettre d'accori
conviennent de soumettre le cas au Cadi et d'accepter
la sentence qu'il rendra. Ce dernier les renvoie tous
satisfaits après un partage équitable. Comment s'y
est-il pris?
N° 394. — Chronologie.
Quelles sont les cinq villes Ue Fran<'e qui donnent I.i
date du traité de Paris ?
5. — Devinette-Calembour.
Ami lecteur, dis-moi pourquoi
Mon enfant (fiUetiot aimée)
Pourrait être utile à l'armée V
Ami lecteur, ah ! dis-le moi î
SOLUTIONS DES PROBLEMES DU DERNIER NUMERO
N» 385- -
1. (• 1 ï R 1. i: D joue.
2. C 3 T D échec et mat.
1. (J R joue.
2. F 1 F R échec et mat.
1. T pr P D.
2. G pr T échec et mat.
1. MSme T joue.
2. F 7 D échec et mat.
1. T pr P r- K ou
2. D 3 D échec et mat.
joue.
N" 386. -
1. 33 30 I. 33 1.)
2. 37 3i 2. 27 3S
'3. 30 2t 3. 16 33
4. 49 44 4. 33 50
5. 1 6 gagne facilement.
3. 1!) 20
4. 1 40 4. 45 34
5. 49 44 gagne.
An lien d'attaqner le pion blanc 21, les noirs auraient
pn aller à 2K attaqner le pion 37 qui ne pent être sauvé.
Ils auraient
ensuite fait une autre dame a 50 ou
à 46,
annulant ain
=i la partie.
N° 387.
— Cor; beau. — Corbaau.
N» 388.
— SAONE
B K R R Y
• M A I NE
C 0 S N E
L I L L Y.
ujiiat/ion;, pour IfS Jeux et lîtcràttions, à M. (!. li'-nilci
BUtancoufl (HHw).
i!ii!i.i()(;nAriiii;
Les librairies Firinin-Didol el Challamel
inau(.'urenl, avec un superbe volume sur
Madagascar, une série qui doit comprendre
tout I empire colonial de la France.
Le H. P. l'iolel a écrit le texte consacré à
Madafascar; M. Ch. Xoufïlard, celui de la
Héunion, des Comores el de la Cote des
Somalis qui terminent le volume. La compé-
tence des auteurs s'y afllrmc d'une façon
claire et précise el on éprouve le double pro-
lil d'apprendre beaucoup de choses et de les
trouver littérairement exposées.
M. Cliaillcy-Iîert exprime courageusement
dans une fure préface des idées que nous
nvons souvent défendues ici. Notre empire
territorial est créé, immense. Que reste-l-il à
faire ? Tout. Kn France, le parti colonial
n'existe pas. Le gouvernement ne procède
que par hésitations. Mais cet état déplorable
va cesser. Encore un peu — les signes précur-
seurs de l'opinion publique permettent de
l'ailirmer — et les choses changeront du tout
au tout. Nous y verrons clair, et quand le
Français voit clair il va de lavant.
Quant à l'illustration de ce volume, elle est
de luemier ordre: c'est >L Gervais Courtelle-
mont qui s'en est chargé. Il est allé sur les
lieux avec ses appareils photographiques
qu'il avait cachés à La Mecque, mais que,
là, il pouvait montrer sans danger, non sans
fatigues toutefois, car on s'imagine ce qu'elles
furent à travers ces pays presque sans routes.
Mais l'artiste a le feu sacré. 11 a aussi un joli
brin de plume au bout de son objectif et il
est à souhaiter que son rôle littéraire soit
grand dans les volumes qui suivront.
Ces belles gravures, qui prouvent une fois
de plus que vérité et art sont synonymes,
sont et demeureront vraiment précieuses. Ce
n'est pas la nature truquée et exprimée par
à peu prés, c'est la réalité même que l'on a été
chercher A des milliers de lieues et qui est
mise toute vive sous les yeux dos lecteurs.
Pourquoi les éditeurs n'ont-ils pas com-
plété ce beau livre par un appendice do ren-
seignements détaillés et nc'oessaires qu'un
texte courant ne pouvait pas contenir?
Les colonies ont la part lai'gc dans les livres
de lin d'année, et la librairie May publie aussi
un très beau volume sur le Tonkin en 1900.
L'auteur, M. linb,'.! l)ulu.i>, a illustré son
texte de photogi':i|.liir., in i-os également par
lui surplace, el d anliinl plii^ iiu'ieuses qu'elles
représentent les indigènes so livrant aux fonc-
tions habituelles de leur existence.
Les titres des cinq divisions de l'ouvrage
indiquent combien le plan est simple et bien
compris : la conquête, les ressources du sol,
la vie indigène, l'influence française, la vie
européenne. C'est une succession logique. La
vio indigène, très étudiée, montre toutes les
lossoiiioos de la race qui ne demande qu'A se
relever d'une antique op])ression et qui est
propre & toutes les besognes. L'Européen doit
arriver là comme conducteur.
L'auteur n'a pas craint de citer de nom-
breux établissements privés. Montrer les
résultats obtenus par l'initiative, c'est le meil-
leur appel à la colonisation.
Il ne saurait d'ailleurs y avoir de surprise.
L'auteur déclare franchement qu'il n'y a rien
à faire en ce moment au Tonkin pour les
personnes qui ne disposent pas de capitaux.
C'est toujours -la même vérité. Aux colo-
nies, plus que partout ailleurs, un pauvre
restera pauvre. Seuls, de gros capitaux, des
capitaux de sociétés, peuvent mettre en va-
leur nos colonies. LTne fois laite cette pre-
mière mise en état, les travailleurs pouri-ont
arriver. Le capital et le travail seront ronui-
nérés. Cela finira bien par entrer dans l'opi-
nion publique et, de là, dans les conseils il\i
gouvernement de la métropole. L'n livre comme
celui-ci est pour aider à l'œuvre commune.
M. Armand Dayot poursuit la ])ublicatiiMi
de ses albums historiques et le Second
Empire, qui vient de paraître, ne sera pas le
moins intéressant de la collection, l'n demi-
siècle s'est écoulé bientôt depuis le 2 dé-
cembre 1851; trente ans nous séparent du
•1 septembre 1S70. Les sociétés vont vite: on
s'en aperçoit en regardant les ligures de cet
album, qui nous paraissent déjà lointaines.
L'auteur a eu le bon goût de ne faire de
cette réunion de documents ni une apologie,
ni une satire. Il a montré seulement les
hommes et les faits. Les femmes aussi, car
elles ont joué un grand rôle à la cour impé-
riale. Au bal costumé de la duchesse d'AII>o.
M. de GallifTet apparut en coq. L'oiseau gau-
lois vaut bien les petits cochons fêtés aujour-
d'hui et ce n'est pas sa courtoisie galante que
l'on reprochera à cette époque. Une pareille
sélection demande beaucoup de goût, une
grande sûreté de discernement, et M. Dayot
légitime le mot de M. Lavisse : ■ L'image re-
nouvellera l'enseignement historique. ■•
La caricature ne s'est jamais épanouie
comme aujourd'hui : en France conuiie à
l'étranger elle surabonde. La quantité vaut-
elle la qualité.' Le beau volume la Caricature
et les Caricaturistes, que M. Emile lîayard
vient do publier chez Uclagrave, facilitera la
réponse à celte question.
L'auteur ne s'est pas contenté, en cITel, de
faire défiler un grand nond>re d'images plus
ou moins bien choisies, couune cela se pra-
tique parfois. Il a étudié chaque maître avec
soin. 11 a apporté sa compétence de lettré cl
d'artiste à le pénétrer et à en faire ressortir
l'esprit el les moyens, l'ne caricature est vite
vue; le sourire qu'elle provocpu'. vite éteint
pour ceux qui n'y recherchent ipie l'amuse-
ment. Nous ne parlons pas des dessins gros-
siers que ce livre dédaigne avec raison.
Mais on doit, au contraire, s'y attai-tler
pour réfléchir. Hien n'est plus suggestif
qu'une bonne caricature. M. ICuiile Hnyard
prouve avec excellence qu'on peut philoso-
pher en anuisant, I.éandre a calligraphié pour
l'ouviage une préface peu banale.
La nu''me librairie publie les ouvrages sui-
vants que nous sonuiios lieure\ix de signaler.
BIBLIOGH A fil lli
U'abord un Voyage au Japou. par I. Eggcr-
monl.
Les diploniales. par I élendue de leurs rela-
tions et i)ar l'indépendance de leur situation,
sont à même, mieux que personne, de péné-
trer le caractère des pavs qu'ils visitent, d'en
étudier à fond le réf.'imc moral et politique,
d'en suivre les développements industriels, en
un mot, d'apprécier avec une réelle impartialité
tout ce qui tend à constituer le signe distinclif
des peuples au milieu desquels ils ont vécu.
Un récit de voyage, conçu dans un pareil
esprit d'observation et de sincérité méticu-
leuse, est appelé A réunir tous les suffrages,
surtout quand l'auteur est doublé, comme
M. I. Eggermont. d'un artiste et d'un lettré.
Telles sont les principales qualités de ce
volume, illustré d'innombrables gravures sur
bois, de caries et de plans.
Petit Marsouin, pai- le capitaine Danrit, est
le dernier volume de ce triptyque d'histoire
militaire qui commence aux grandes guerres
de la Révolution, pour finir de nos jours. La
Famille de soldais a pour premier chef Jean
Tapin. petit tambour à Valmv. colonel de la
garde à A\aterloo. — Ses deux fils, Henri et
Jean. Filleuls de Napoléon, remplissent de
leurs faits d'armes la deuxième partie de l'ou-
vrage. Pelil Marsouin, c'est Georges Cardi-
gnac, le petit-lils de Jean Tapin; lui. a choisi
l'infanterie de marine et il se montre le digne
héritier des vaillants, dont il est issu. — Le
récit court à travers les aventures et les péri-
péties les plus dramaliques. de Bazeilles au
Tonkin. — La vérité est respectée, puisque
c'est pour apprendre l'histoire aux jeunes lec-
teurs que sont écrits ces livres bien français.
C'est aussi un livre patriotique que le Pays
des Touaregs, où ^L Léo Dex nous montre
une mission scientifique luttant contre l'hos-
tilité armée des pirates du désert, les dilli-
cultés du climat saharien, pendant qu'elle
établit, dans l'étrange région des chotls tuni-
siens, d'immenses signaux lumineux destinés
à un essai de correspondance avec... les ha-
bitants de la planète Mars. Une idylle amou-
reuse est mariée au récit et tout 'finit bien,
grâce à l'intervention des troupes chai-^ées
de la construction du Transsaharien, dont on
voit poser les rails au cours du roman.
Une gracieuse édition de la Mionette, le
délicat chef-d'œuvre d'Eugène MuUer si sou-
vent réimprimé, se recommande par les char-
mantes illustrations de A. Bertrand. Cet ar-
tiste, dont les lecteurs du Monde Moderne ont
souvent pu apprécier les compositions, sait
pénétrer dans l'intimité des personnages qu'il
faut représenter, et son talent anime leurs
figures de l'expression même de la vérité.
De son vivant, Victor Hugo n'admettait
point des extraits de ses œu\res. Ils abon-
dent depuis sa mort, heureusement d'ailleurs.
M. Hippolyte Parizol achève, avec un volume
de théâtre, sa collection des Morceaux choisis
du maître. Le choix est fait avec beaucoup
de goût et les fragments sont reliés entre eux
par de compréhensivcs notices.
La préface de l'ouvrage de M. André Godard.
Le positivisme chrétien, chez Bloud et Barrai.
j contient celte remarque très profonde : ■• Le
1 malheur de l'Eglise est de manquer d'apôtres
I qui aient débuté par l'incroyance. ■• L'auteur,
qui est de ceux-lA, veut parler de l'Eglise con-
temporaine et de la situation contemporaine
de la religion. Il ajoute : « Les deux tiers des
incroyants le sont de bonne foi. »
Les causes de l'incrédulité actuelle sont com-
plexes. Objections du matérialisme, du trans-
formisme, du spiritisme, de l'exégèfe alle-
mande et de la théorie générale des religions,
tout concourt à entraver la conversion non
seulement des intellectuels, mais de la masse
des esprits, atteinte par les sopliismes de la
vulgarisation scientifique.
C'est à les réfuter que M. André Godard
s'applique. Il a prétendu écrire un abécédaire
à mettre aux mains de l'incroyant on quole
d'une certitude religieuse. Ce n'est pas abécé-
daire qu'il faut dire, mais traité profondément
pensé où se complairont les esprits sérieux.
M. Edmond Thiaudière continue, chez
Fischbaclier, ses Soles d'un pessimiste par
un nouveau recueil de maximes : La fierté
du renoncement. Comme le dit M. II. Chan-
tavoine dans sa préface, c'est un pessi-
misme d'une essence rare, parce qu'il est gé-
néreux et salutaire et qu'il vient d'un esprit
courageux et d'une conscience difficile.
L'n index termine le volume. On y lit. par
exemple. ■. Esprit de pau\Teté ■• ou' « Fièvre
du lendemain ■.. et l'on n'a qu'à recourir au.x
pages indiquées pour voir ce que l'auteur
pense de ces états d'àme.
Il n'est pas facile de rendre compte du
curieux roman. Blancador l'Avantageux, que
M. Maurice Maindron donne, aux éditions de
In Revue blanche, comme suite à son Sainl-
Cendre. dont le succès a été vif. C'est une
suite en ce sens que les scènes se déroulent
toujours au .wi» siècle, mais seulement en
cela. La félonie succède à la bonne humeur
et la cruauté à la bravoure; on y trouve des
physionomies qui inspirent la terreur et des
tortures qui donnent le frisson.
L'auteur poursuit une idée historique, vou-
lant montrer ce qui pouvait se passer en
France il y a trois cents ans. Mais il aurait
dû faire précéder ce récit d'un avant-propos
explicatif. Pour qui ne connaît pas le souci
d'exactitude que >I. Maindron apporte à tous
ses travaux, les événements semblent Imagi-
natifs, ce qui est permis, mais improbables,
ce qui est plus grave.
Trois autres volumes sont en préparation
et les titres font supposer qu'ils se maintien-
dront dans le même cycle.S'ousy demandons
des explications, dût notre ignorance faire
sourire l'auteur. Elles serviront à mieux goû-
ter son style savoureux, dont l'ironie cachée
portera ainsi des coups plus certains.
Les ouvrages de M. Slaindron ne peuvent
pas se résumer, car ils sont eux-mêmes une
quintessence. Ils sont riches en faits et en
pensées. Il faut les lire soi-même, et non à
travers l'appréciation d'un critique, pour les
pénétrer et les goûter.
L' Éditeur-Gérant : A. Quasti.v
VOYAGES ORGANISES
P;ir LE MONDE MODERNE ol 1 AGENCE DES VOYAGES MODERNES
VOYAGE EN ALGÉRIE et en TUNISIE
Vacances de Pâques
Itinêra.ire
Paris, Marseille, Alger, Blidah, Alger, Bougie (l'inversée en voilure îles célèbres
f,'orf{cs du (:hal)cl-el-Aklir;i), Sétif, Coiistantine. Batna (i-2xcursion en voilure aux
ruines de Lambèse et de Timyad), Biskra (Mxcursion dans le déscri à l'oasis de
.Sidi-Oki)a el aux Dunes de sable), Constantine, Tunis (l-2xcursion en \oilurc à
Carlhnii^e. Siili-Hou-Saïd, La Marsa), Marseille, Paiis.
—^■•— OiipAitT Di: Paris le 2 Avun. I'.)l)l O I'etolu a Paris m-: 21) Avril — ^-«^
Prix et Conditions du Voyage :
1'* classe 875 francs — 2"' classe. 795 iVanis.
Excursion facultative à SOUSSE. KAIROUAN ei BIZERTE
PiiîTOriî A Paris u: 27 Avmi.
Sup|ilcmenl de Prix : I" cla>se, 145 li'. — 2'^' classe 135 l'r
{-ies prix com|)rcnnenl loules les dépenses du Voyage : h'rais tie Iransporl,
d'hùlcls, de voilures, de guides, pourboires etc.
Les adhésions sont reçues dès maintenant et jusi|u'im 2(» Mars. Nous cni^afieons
vivement nos lecteurs à ne pas attendre la dernière minute pour se faire inscrire,
car dans le bul d'assurer aux voyageurs le plus tle conlbrlablc possible, nous
limilerons leur nombre à ^lO. — D'autre part, pour le choix des cabines nous nous en
r;ip|)oi-leron;; à l'ordre des inscriplions. Nous avons fait choix pour les trn\crséesde
Marseille à Alger cl de Tunis à Marseille des excellents pacpicbols tle la C-ompagnie
(îéncralc Transallant ique.
Les programmes et renseignements concernant le voyage seront envoyés
graluitemeiil à toute personne qui en fera la demande — .S'adi'csscr dircclcnient
aux « Voyages Modernes» I, rue de ri£chclle, Paris.
NOTA. — l'oiil soiisciip'.our .tu voy.igc <t'.\tj;ério ;uira dioil ;i une .iiini'c d\it)i)iini'ineiU :i t:i
Hc\uo " Le Monde Moderne ».
Le
Mon de Modem e
Février 1901
DANS LAlilMK
I.c lieuleiuuil se tenait debout devant
la sphère d'acier et mordillait un éelat
de bois.
— (^ue pensez-vous de ça, Steevens?
demanda-t-il.
— C'est une idée comme une autre,
(lit Steevens, du ton de quelqu'un qui
veut se faire une opinion siucère.
— Je crois que ça s'écrasera à plat,
dit le lieutenant. .
— 11 semble avoir calculé son alfaire
soit,'^neusemenl. dit Steevens encore im-
partial.
— Mais pensez à la pression, dit le
lieutenant. A la surface de l'eau, elle
est d« quatorze livres par pouce ; trente
pieds plus bas, elle est double ; soixante,
triple; quatre-vingt-dix, quadruple;
neuf cents, quarante fois plus grande ;
cinq mille pieds, trois cents fois... c'est-
à-dire qu'à un mille de profondeur, la
pression est de deux cent quarante fois
quatorze livres; c'est-à-dire... atten-
dez... un quintal... une tonne et demie,
Steevens, une tonne et demie par pouce
carré. Et l'Océan a ici cinq milles de
profondeur. Il subira une pression de
sept tonnes et demie...
— Uri joli sondage 1 dit Steevens. .Mais
il est protégé aussi par une jolie épais-
seur d'acier.
Le lieutenant ne répondit pas et se
remit à mâchonner son bout de bois.
L'objet de leur conversation était une
immense boule d'acier, d'un diamètre
extérieur d'environ neuf pieds, et qui
semblait être le projectile de quelque
litanique pièce d'artillerie ; elle était fort
laborieusement nichée dans un échafau-
dage monstrueux, élevé dans la char-
pente du vaisseau, et les espars gigan-
tesques qui allaient bientôt la faire
glisser par-dessus bord donnaient à lar-
rière du navire un aspect qui avait ex-
cité la curiosité de tout honnête xnarin,
depuis le pool de Londres jusqu'au tro-
pique du Capricorne. l']n deux endroits.
l'un au-dessus de l'aiitre, lacier faisait
place à une couple de fenêtres circu-
laires, ferméee d'une paroi de verre
d'une épaisseur énorme, et l'une d'elles,
enchâssée dans un cadre d'acier d'une
grande solidité, se trouvait pourlinslanl
en partie dévissée.
Le malin même, les deux hommes
avaient vu, pour la première fois, l'inté-
rieur de ce globe. II était soigneusement
matelassé de coussins à- air, garnis de
petits boutons Hxés entre les saillies, et
qui constituaient le simple mécanisme
de la chose. Tous les objets étaient, de
même, soigneusement capitonnés, même
l'appareil Mvers, qui devait absorber
l'acide carbonique et remplacer- l'oxy-
gène inspiré par l'habitant du globe,
quand, s'y étant introduit, l'ouvei'ture
vitrée aurait été vissée.
Tout était si parfaitement capitonné
cjunn être humain aurait |)u supporter,
en toute sécurité, d être lancé avec la
sphère par un canon. Et il fallait qu'il en
fût ainsi, car bientôt un hommeallait s'in-
sinuer par l'ouverture; il serait enfermé
solidement à l'intérieur et lancé par-
dessus bord pour s'enfoncer dans l'I )céan
jusqu'à une profondeur de cinq milles,
comme le lieutenant l'avait dit. L imagi-
nation de ce dernier était exclusivement
occupée de cet objet ; c'était devenu pour
lui une obsession, même aux repas, et
Steevens, le nouveau venu, était un com-
pagnon inattendu auquel il allait pouvoir
tout à son aise causer de sa préoccupât ion.
— J'ai idée, dit le lieutenant, que
ces hublots de verre fléchiront simple-
ment, crèveront et s'écraseront sous
une pression pareille. Daubrée a liquélié
des rochers sous des pressions énormes...
et, remarquez bien ceci...
— Si le verre casse, dit Steevens,
qu arrivera-t-il ?
— L'eau entrera comme un jet de fer.
Avez-vous jamais reçu, bien droit, un
jet à haute pression? Ça vous frappe
DANS L A H I M I :
L-oniine un LouIl'I. I! serjiil .^implenicnl
écrasé el aj)lali. L'eau entrerai l tlans sa
},'orge, dans ses poumons, pénétrerail
dans ses oreilles...
— Quelle imagination détaillée! s'é-
cria Steevens, qui se représentait vive-
ment les choses.
— C'est le simple exposé d'une chose
inévitable, dit le lieutenant.
— Kt le globe?
— Il laisserait s'éch;ip|)er quelques
petites bulles et s'installerait conl'or-
tablement, jusqu au jour du jug'emenl,
parmi la vase el le limon du fond... avec
le |Kiuvre Hlstead étalé sur ses coussins
aplatis, comme du beurre sur du pain.
Il répéta cette image, comme si elle
lui eùl plu beaucoup :
— Comme du beurre sur du jiain.
— Un coup d'd'il au (apc-cul, dit
une voix.
Et l'^lslead parut derrière eux, \êtu
d'un complet blanc, une cigarette aux
lèvres et les yeux souriants sous les
amples bords de son chapeau.
— Qu'est-ce que vous dites, à propos
de pain et de beurre, \\'eybridgc? Vous
grommelez, comme d habitude, sur la
paye insuffisante des officiers de ma-
rine? — Il n'y a plus qu'un jour à
attendre avant (jue je parte maintenant.
Les élingues vont être prêtes aujour-
d'hui. Ce beau ciel et cette houle tran-
(piille sont juste ce qu'il faut |)0ur lancer
par dessus bord une douzaine de tonnes
de picindj cl de fer, n'est-ce pas?
— \ nus ne \ous apercevrez pas
bcaucdup de la houle, dit ^^'eybridge.
— Non. A soixante ou quatre-vingts
pieds de pi-ofondeur — et j'y serai dans
dix à douze i?econdes — pas une molé-
cule ne bougera, quand le vent hurle-
rait et que l'eau s'élèverait juscju aux
nuages. Non. I^à, au fond...
Il s'avanva jusipi'au bastingage, et
les deux autres le suivirent. Tous trois
se penchèrent sui- leurs coudes et con-
templèrent leau, d'un vert jaunâtre.
— ... La paix, dit Elstead, en ache-
vant toul haut sa pensée.
— Etcs-vous absolument certain que
le mouvement d'horlogerie marchera?
demanda toul à coup NN'eybridge.
— 11 a marché trente-cinq fois, dil
Elstead. Il est tenu de marcher.
— Mais s'il ne fonctionne pas?
— Pourquoi ne fonctionnerait-il pas?
— Je ne voudrais pas, pour vingt
mille livres, descendre dans celte mau-
dite machine, dit AN'eybridge.
— \ ous êtes toul à fait encourageant,
dit Elstead.
— Je ne comprends pas encore com-
ment vous pourrez faire fonctionner la
chose, dit Steevens.
— l'.h bien ! d'abord, j'entre dans la
sphère, et 1 on visse l'ouverture, dit
l'.lstead. El quanti, Irnis fois de suile,
j'ai allumé et éteint la lumière élec-
trique pour montrer que toul va bien,
je suis lancé jiar-dessus le bastingage par
celle grue, avec tous ces gros fonceurs
de plomb suspendus au-dessous de moi.
Le gros poids de plomb, qui est lixé sur
le dessus, est muni d'un cylindre sur
lequel s'enroulenl cent toises de solide
cordage, el c'est tout ce qui lie les fon-
ceurs à la sphère, sauf les élingues qui
seront coupées quand la sphère tom-
bera. Je me sers de cordes plutôt que
de câbles de fer, pai'ce que c'est jdus
facile à couper el plus llottanl -.-condi-
tions nécessaires, comme vous allez voir.
\'ous remarquez que tous ces fonceurs
de plomb sont percés d'un trou : une
tringle de fer y sera adaptée, (|ui dépas-
sera de si.\ pieds sur la face inférieure.
Dès i|ue cette tringle sera en contact
avec le fond, elle frappera sur un levier
qui déclenchera le mouvement d'horlo-
gerie placé sur le côté du cylindre sur
let|uel les cordes s'eni-oulent... \'ous
suivez? (In descend genlimenl dans
l'eau tout le système. La s()lière llollc
— avec l'air qu'elle renferme, elle esl
plus légère que l'eau — mais les poids
de plomb conliiiucnl à s'enfoncer, el la
corde se déroule jusiju'au bout. (Juand
la corde est enlièrenient lilée. la splièiv
s'enfonce aussi.
n.WS r.ARIMK
— Mais ,'i quoi sert
la corde? demanda
Sleevens. Pourquoi
ne pas fixer direele-
nient les poids à la
sphère ?
— -Mais à cause du
cliocprobalileauloud.
I.a sphère cl ses poids
vont s'enfoncer rapi-
dement, atteindre peu
à peu une vitesse ver-
lifCineuse. Klle serait
mise en pièces en lou-
chant le fond, si ce
n'était cette corde.
-Mais, dès que les poids
reposeront sur le fond,
la légèreté de la sphère
h.
entrera en jeu. Elle conti-
nuera à s'enfoncçr de plus
en plus lentement, s'arrêtera
i^nliii, puis se mettra à remonter. C'est
là que le mouvement d'horlog-erie in-
''■i-vient. Aussitôt que les fonceurs s'apla-
tiront sur le fond de la mer, la trin-le sera
heurtée et déclenchera le mouvement et la
corde sVnroulera de nouveau sur le cylindre
Je serai ainsi amené jusqu'au fond Là je
resterai une demi-heure, la lumière électrique
allumée, exammant ce que j'aurai autour de
moi. Puis le mouvement d'horlofrerie met-
tra en jeu un couteau à ressort, la corde
sera coupée, et je remonterai à la sur-
face, comme une bulle dans un siphon.
La corde elle-même aidera la
flottaison.
— Et si, par hasard, vous
remontiez sous un navire?
demanda A\'eybridn-e.
— J'arriverais avec une
telle vitesse que je passerais
simplement au
travers comme
un boulet de
lannn. dit El-
t.
.'««!«
u A N ? I. ■ A n I M 1 ;
stead. Vous n'avez pas hesoiii di" vous
lourmenler à ce sujet.
— Supposez que quol(|uc ailif petit
cruslacé s'insinue clans vulic mouve-
ment d'horlogerie...
— Ce sérail pour nioi une espèce
d'in\itation un peu pressante à rester en
leur eompaiLjnie, dit Elstoad eu tournant
le dos à la mer et eoiitemplaul la sphère.
( In avait jeté Elstead par-dessus bord
à «m/e heures. C'était une journée calme
et brillamment sereine et l'horizon se
perdait dans la brume. L'éclat des
lampes électriques avait joyeusement,
par trois l'ois, a|)pai-u dans le petit com-
parliuient supérieur. .-Mors on l'avait
descendu lentement jusqu'à la surface
de l'eau, et un matelot se tenait près des
sabords d'arrière, prêt à couper le palan
([ui i-etenait l'ensemble des l'onceurs et
de la sphère. La sphère, qui sur le pont
a\ ait j)aru si énorme, semblait mainte-
nant un inimaginable petit objet sous
l'arrière du na\ire. l'allé se balança un
peu, et ses deux hublols sombres au-
dessus de la ligne de llollaison sem-
blaient des yeux ahuris contemplant
l'équipage qui se pressait contre le bord.
Lue voix s'éleva, demandant ce qu'Els-
(ead devait penser de ce balancement.
— r,lcs-vous prêts? lit le comman-
dant.
— ( tui, capilaino.
— Lâchez tout.
Le table du ])alan se raidit contre la
lame et fut coupé. In remous tourbil-
lonna sur la sphère d'une l'açon grotes-
(luemenl impuissante. Quelqu'un agita
un mouchoir; un autre tenta une accla-
mation vaine ; nu quai-lier-maitrc compta
lentement... huit, neuf, dix. Il y eut un
autre remous, puis avec un bruyant
clapotis et un large éclaboussement, la
s|)hère re])rit son aplomb.
b'ile sembla ivster slalinnnairc un
instant, puis devenir ra])iclenient plus
|)elite; cnliM l'eau la i-ecoii\ril. et elle
resta visililr an-ilessuns do l.i SMi'face.
imprécise et agrandie par la réfraction.
.\vanl qu'on ait |)n compter jusqu'à
trois, elle avait disparu. Il y eut un
tremblement de lumière blanche dans
les profondeurs de l'eau qui diminua
jusqu'à n'être plus qu'un point et s'éva-
nouit. Puis, il n'y eut plus rien que
l'abime des eaux ténébreuses dans lequel
un requin nageait.
Soudain l'hélice du croiseur se mil en
mouvement; leau bouillonna : le requin
disparut dans la confusion des vagues,
cl un lorreul d'écume s'étendit sur la
cristalline liinpidil('' (|ui avait englouti
Elstead.
— Qu'est-ce qu <in fait maintenant ?
dit un matelot à nu antre.
— On va s'éloigner dune couple de
milles |)our ne pas nous trouver sur son
chemin quand il remontera, dit son
camarade.
Le navire gagna lentement sa nouvelle
position. A bord. Ions ceux qui n'étaient
pas occupés restaient à surveiller l'en-
droit houleux où la sphère s'était
enfoncée. Pendant la demi-heure qui
suivit, il est douteux qu'un seul mot ait
été prononcé qui n'eût pas rapport à
Elstead. Le soleil de décembre était
maintenant haut dans le ciel, et la
chaleur était fort grande.
— .le crois qu'il n'aura pas trop chaud
là-dessous, dit W eybridge. On prétend
que, passé une certaine profondeur,
I eau de la mer est presque toujours à
une température g'Iaciale.
— .\ quel endroit \a-t-il ressortir? de-
manda Sicevens.
— C'est là-bas, dit le commandant,
qui s'enorgueillissait de son omnisciencc.
II indiqua d'un doigt pi-écis le sud-est.
Et, ajouta-t-il, il ne va pas tardcrmain-
lenant. Il y a déjà trente-cinq minutes.
— (Combien de tem|)s faut-il pour
atteindre le fond de l'Océan? demanda
Steevens.
— Pour une pi'olbnilein- Ac cin(|
milles, en tenant com|)te, comme nous
l'avons l'ail, d'une accélération de deux
pii'ds par seconde, à la fois à l'aller et
DANS L AHIME
au retour, il lui laut environ trois ([uarls
de ininule.
— Alors, il est en retard, dit ^\'ev-
l)rid-e.
— Mais... presque, dit le comman-
dant. Je suppose qu'il faut quelques
minutes pour que sa corde s'enroule.
— J'avais oublié cela, dit ^^'eybri(lge,
évidemment soulagé.
.-\lors commença l'attente. Lentement,
une minute s'écoula, et aucune sphère
ne sortit des flots. Une autre minute
suivit, et rien ne vint rompre la houle
huileuse. Les matelots s'expliquaient
les uns aux autres l'importance de l'en-
roulement de la corde. Les agrès étaient
pleins de figures attentives.
— Montez, Elstead, monte/. ! cria im-
patiemment un matelot à la poitrine
velue, et les autres reprirent et crièrent
comme s'ils réclamaient la levée du
rideau au théâtre.
Le commandant leur lança un regard
irrité.
— Naturellement, si l'accélération est
moindre que deux, dit-il, il sera plus
longtemps. Nous ne sommes pas abso-
lument certains que ce soit là une donnée
exacte. Je ne crois pas aveuglément aux
calculs.
Steevens donna brièvement son assen-
timent. Personne sur le gaillard d'ar-
rière ne parla pendant une couple de
minutes. .Alors 1 étui de la montre de
Steevens cliqua.
Lorsque, vingt et une minutes plus
tard, le soleil atteignit le zénith, ils
attendaient encore l'apparition de la
sphère, et pas un homme à bord n'avait
osé murmurer que tout espoir était
perdu. Ce fut AN eybridge qui le premier
exprima cette certitude.
— Je n'ai jamais eu confiance dans
ses hublots, dit-il tout à coup à Steevens.
— Grand Dieu I dit Steevens, vous
ne croyez pas que...
— Ma foi... dit AA'eybridge, et il laissa
le reste à son imagination.
— Je n'ai pas grande foi dans les cal-
culs de ce genre, fit le commandant sur
I un (nu de doute, de sorte que je n'ai pas
encoie perdu tout espoir.
.V minuit, le croiseur évoluait lente-
ment autour de l'endroit où la sj)hère
s'était enfoncée. Le rayon blanc du
foyer électrique se promenait et s'arrê-
tait indisconlinùnient sur l'étendue des
eaux phosphorescentes, tandis que scin-
tillaient de minuscules étoiles.
— Si sa fenêtre n'a pascédéet qu'il ne
soit pas écrasé, dit AN'eybridge, sa mau-
dite situation est pire encore, car alors
ce serait son mouvement d'horlogerie
qui n'aurait pas fonctionné, et il serait
maintenant vivant à cinq milles sous
nos pieds, là-dessous, dans le froid et
les ténèbres, à l'ancre dans sa petite
boule d'acier, là où jamais un rayon de
lumière n'a brillé, ni un être humain
vécu depuis que les eaux se sont ras-
semblées. Il est là sans nourriture,
soulfrant de la faim et de la soif, épou-
vanté et se demandant s'il mourra de
faim ou détouffement. Laquelle de ces
deux morts sera-ce? L'appareil Myers
doit s'épuiser, je suppose. Combien de
temps peut-il durer?
— Tonnerre! s'exclama-t-il, quelles
petites choses nous sommes ! quels au-
dacieux petits diables ! dans 1 abinie !
des milles et des milles de liquide — rien
que de l'eau au-dessous de nous et
autour de nous, et ce ciel I Des goulfres 1
Il leva les bras, et au même moment
une petite traînée blanche monta sans
bruit dans le ciel, ralentit peu à peu sa
course, s'arrêta, devint un petit point
immobile, comme si une nouvelle étoile
avait pris place dans le ciel. Puis cela
se mit à dégringoler et se perdit bientôt
dans les réflexions des étoiles et la pâle
et brumeuse phosphorescence delà mer.
A cette vue, il resta stupéfait, le bras
tendu et la bouche ouverte. Puis il
ferma sa bouche, l'ouvrit de nouveau, et
agita ses bras avec des gestes désor-
donnés. Enfin il se tourna et cria :
I' Elstead, ohé 1 » à la première vigie, et
courut jusqu'à Lindley, puis au loyer
électrique.
DANS I.AlMMi;
— Ji- ]\i\ \ II, (lit-il. il trilinnl, hi-lias !
Se» lampes sont allumées, l'-t il vient
juste (le sortir. Cherchez de ce coté avec
le ravon, nous allons bien le voir flotter
quand il réapparaîtra à la surface.
Mais ils ne le trouvèrent pas avant
Taurore. Même alors ils manquèrent de
le couler bas. La grue l'ut préparée, et
avec une chaloupe on agrafa les chaînes
à la sphère. Quand ils l'eurent remontée
à bord, ils en dévissèrent l'ouverture el
explorèrent des yeux l'obscurité de l'in-
térieur, car la chambre du foyer élec--
trique était arrangée de façon à illumi-
ner l'eau seulement autour de la sphère
et était interceptée de la cavité générale.
]/almosphère intérieure était très
surchauflée, et la gutta-percha qui gar-
nissait les bords de l'ouverture était
molle. Leurs questions impatientes res-
tèrent sans réponse et aucun bruit ne
leur parvint. I']lstead était inanimé, re-
plié sur lui-même au fond de sa cabine.
Le médecin du bord s'y introduisit el le
passa à ceux de l'extérieur. Pendant un
certain temps, ils ne purent se rendre
compte si l'ilslead était vivant ou mort.
Sa figure, à la lueur jaunâtre des
lampes, était toute brillante de transpi-
ration. On le descendit dans sa cabine.
Il n'était pas mort, comme ils purent
bientôt s'en apercevoir, mais dans un
éliil d'affaissement nerveux absolu et,
de plus, cruellement contusionné. Il lui
fallut, pendant plusieurs jours, rester
couché et parfaitement tranquille. Une
semaine se passa avant qu'il pût raconter
ses expériences.
Dès les premiers mots, il déclara qu'il
allait recommencer. La siihère avait
besoin d'être perfectionnée, dit-il, afin
de lui permettre de se débarrasser de
la corde, s'il le fallait, et c'était tout,
{"avait été la plus merveilleuse aven-
ture.
- N'ous |)piisicz, dil-il, ip}c je ne
trouverais rien que de la vase. Vous
vous moquiez de mes explorations, et
j'ai découvert un nouveau monde. Il
raconta son liisluiri' par frai;mcnls sans
suite, cl pi-csipic toujours en comnien-
Vant l)ar la fin, de sorte qu'il est impos-
sible de la répéter dans ses propres ter-
mes. Mais ce qui suit en est l'exacte nar-
ration.
Son voyage commenta atrocement,
dit-il. Avant que la corde fût entiè-
rement filée, la sphère ne cessa d'être
ballottée. Il eut la sensation d'être une
grenouille enfermée dans un ballon sur
lequel on s'acharne à coups de pied. Il
ne pouvait voir que la grue et le ciel
ju-dessus de sa tête, avec un coup d'œil
occasionnel sur les gens qui garnissaient
le bastingage, et il était incapable de
prévoir de quel côté allait se balancer
la sphère. Tantôt il levait le pied pour
marcher et il était culbuté en tous sens
contre les coussins. Toute autre forme
eût été plus confortable, mais aucune
n'aurait pu supporter l'immense pres-
sion de l'abîme. Soudain le balancement
cessa ; la sphère se mil en équilibre, et,
quand il fut relevé, il aperçut tout au-
tour de lui le bleu verdâtre des Ilots
avec la lumière du jour atténuée filtrant
de la surface et une multitude de petites
choses flottantes qui passaient vertigi-
neusement contre les vitres, montant,
lui semblait-il, vers la lumière. Puis, à
mesure qu'il regardait, 1 obscurité s'ac-
crut jusqu'à ce que l'eau fût, au-dessus
de sa tête, aussi sombre que le ciel de
minuit, bien que d'une teinte |)lus verte,
et, au-dessous de lui, absolument noire.
De temps en temps, de petites choses
transparentes avec un scintillement
lumineux faisaient au long des hublots
de légères traînées verdàlres.
Ht la sensation de chute! l^lle rappe-
lait le départ soudain d'un ascenseur,
dit-il, avec cette dilTérence qu'elle durait
plus longtemps. Il faut réfléchir un ins-
tant pour réaliser ce que ce doit être.
Ce fut alors, et seidement, qu'Iîlstead
se re|)entif d'avoir tenté celte aventure.
Il vit sous un aspect entièrement nou-
veau les chances qui se dressaient contre
lui. Il pensa aux énoi-mes poissons ;"i
scie (jui existent dans les profondeurs
moyennes, à ces spécimens lerriljles
qu'on trouve parfois à demi digé-
rés dans l'estomac des grands cé-
tacés ou flottani morts, décompo-
sés et à demi dévorés.
11 s'imagina l'un d'entre eux
s'attaqua nt à la sphère et ne
voulant plus la lâcher. Et
le mouvement d'horlogerie,
lavait-il suflisamment éprou-
vé ? Mais qu'il voulût mainte-
nant descendre ou remonter,
c'était absolument la même chose.
Au bout de cinquante secondes,
tout, à l'extérieur, fut aussi noir que la nuit, sauf
ce que le rayon de son foyer électrique éclairait et
dans quoi apparaissaient de temps à autre quelques
poissons et passaient quelques fragments d'objels qui
s'enfonçaient. Tout cela disparaissait trop vite pour qu'il lui
fût possible de distinguer ce que c'était, lue fois, il crut voir
un requin. A ce moment, la sphère commença à s'échauffer
par le frottement. Il lui parut que cette donnée n'avait
pas été suffisamment évaluée. La première chose qu'il
put remarquer fut qu'il transpirait; puis il perçut sous
ses pieds une sorte de sifflement qui s'accrut, et il vit
une foule de petites bulles, de très petites bulles qui
montaient en éventail vers la surface. De la va]ieur 1
Il tàta le hublot, la vitre était brûlante. Immédia-
tement, il alluma la lampe électrique qui éclairait sa
cabine, regarda la montre encastrée dans le capiton-
nage, et il vit que son voyage durait déjà depuis deux
DAN? I, AIÎIMK
miiuilps. Il lui vint à l'esprit que le hu-
blol pouvait craquer dans le condit des
températures, car il savait que les eaux
dans les grandes profondeurs sont gla-
ciailes. Puis tout à coup la paroi de la
sphère sembla presser le dessous de ses
pieds ; au dehors la cdurse des bulles
se ralentit et le sil'llemenl diminua. La
sphère se balança légèrement. Le hublot
n'avait pas craqué, rien n'avait cédé, et
il savait que, dans tf)us les cas, le
danger de couler bas était passé.
Encore une minute et il reposerait sur
le fond de l'abime. Il songea, dit-il, à
Steevens, à ^^'eybridge et aux autres
qui étaient à cinq milles au-dessus de
sa tète, plus haut pour lui que ne le
furent jamais au-dessus de nous les
plus élevés des nuages qui llotlèrent
dans le ciel, à eux tous naviguant len-
tement, cherchant;! pénétrer la profon-
deur des eaux et se demandant ce qui
pouvait lui être arrivé.
II se mit à regarder par le luiblol. Il
n'y avait j)lus de bulles maintenant, et
le sifllement avait cessé. -Au dehors,
c'étaient do profondes ténèbres d'un noir
épais comme un velours, sauf là où le
rayon électrique pénétrait l'eau et en
montrait la couleur: un gris jaunâtre.
Alors, trois choses, comme des formes
de feu, nagèrent en vue, se suivant.
11 ne pouvait distinguer si elles étaient
petites et proches ou énormes et éloi-
gnées.
Chacune d'elles se dessinait avec des
contours bleuâtres, presque aussi bril-
lants que les feux d'une barque de pêche,
des feux qui semblaient répandre beau-
coup de fumée, et ils avaient, de chaque
côté, des taches de cette lumière, comme
des sabords de navire. Leur phospho-
rescence sembla s'éteindre quand ils
entrèrent dans le rayonnement lumineux
tlesa lampe, et il vit alors que c'étaient de
pelitspoissons de (piclque étrangeespèce,
avec des yeux énormes, cl dont les corps
cl les queues se terminaient brusque-
ment. Leurs yciw étaient tournés vers
lui. ri il jMi;c',i q\i'il- sin\-;iiriil sa des-
cente, les supposant attirés par sa clarté.
D'autres du même genre se joignirent
bientôt à eux. A mesure qu'il descendait,
il remarquait que l'eau prenait une
teinte pallide et que de petites taches de
lumière scintillaient dans son rayonne-
ment comme des atomes dans un rais
de soleil. Cela était probablement du
aux nuages de vase et de boue que la
chute de ses fonceurs de plomb avaient
produits.
Fendant tout le temps qu'il fut en-
traîné vers le fond par ses poids de
plomb, il se trouva dans une sorte de
brouillard blanc si dense que son pro-
jecteur électrique ne réussissait pas en-
tièrement à le percer au delà de quel-
ques pieds. Et il se passa quelques
minutes avant que les couches de sédi-
ment en suspension fussent retombées
au fond. Alors, à la lueur de ses lampes
électriques et à la passagère phospho-
rescence d'un banc éloigné de poissons,
il lui fut possible de voir, sous l'im-
mense obscurité des eaux supérieures,
une surface ondulante de vase d'un
blanc grisâtre, rom])ue çà et là par des
fourrés enchevêtrés de lis de mer agi-
tant leurs tentacules all'amés.
Plus loin se trouvaient les gracieux
et transparents contours d'un groupe
(l'éponges gigantesques. Sur ce sol
étaient dispersées un grand nombre de
touifes hérissées et plates d'une riche
couleur pourpre et noire qu'il décida
devoir être quelque espèce d'oursin, et
de petites choses avec des yeux très
larges ou aveugles ayant une curieuse
ressemblance, les uns avec les cloportes,
les autres avec les homards, rampaient
paresseusement dans la traînée de lu-
mière et disparaissaient de nouveau
dans l'obscurité en laissant derrière eux
des sillons dans la vase.
.Mors soudain la inulliludc voltigeante
des petits poissons vira cl s'avança vers
lui comme une volée d'élourneaux pour-
raient le faire. Ils passèrent au-dessus
de lui comme une neige phosphorescente,
cl il vit alors, derrière eux. une crénlurc
DANS L ABIME
de dimensions plus grnndes qui s'avan-
çail vers la sphère.
D'ahord, il ne put la distinguer que
vaguement, figure aux mouvements
indécis et suggérant de loin un homme en
marche; puis elle entra dans le rayon-
nement lumineux que projetait la lampe.
Au moment où la lumière la frappa,
elle ferma les yeux, éblouie. Elstead la
contempla avec stupéfaction.
C'était un étrange animal vertébré.
Sa tète, d'une pourpre sombre, rappe-
lait vaguement celle d un caméléon,
mais le front était si élevé et la boîte
crânienne si développée qu'aucun rep-
tile n'en possédait encore de semblables.
L'équilibre vertical de sa face lui don-
nait la plus extraordinaire ressemblance
avec celle d'un être humain. Deux yeux
larges et saillants se projetaient des
orbites à la façon d'un caméléon et sous
ses petites narines s'ouvrait une large
bouche reptilienne aux lèvres cornées.
A l'endroit des oreilles étaient dqux
énormes ouïes hors desquelles flottaient
des filaments nombreux d'un rouge de
corail, rappelant les ouïes que possèdent
les très jeunes raies et les requins.
Mais ce que cette face avait d'humain
n'était pas le trait le plus extraordi-
naire qu'olTrait cette créature. Elle était
bipède ; son corps, presque sphérique,
était en équilibre sur une sorte de tré-
pied composé de deux jambes comme
celles des grenouilles et d'une longue
queue épaisse, et ses. membres supé-
rieurs, qui caricaturaient grotesquemenl
les bras humains, beaucoup à la manière
des grenouilles, portaient un long dard
osseux garni de cuivre. La couleur de
cette créature était variée; sa tête, ses
mains et ses jambes étaient pourpres,
mais sa peau qui pendait flottante au-
tour de son corps comme des vêtements
le feraient, était d'an gris phosphores-
cent. Elle restait là, aveuglée par la
lumière.
. A la fin, cet habitant inconnu de l'aliîme
cligna des paupières et les écarquilla ;
puis, portant sa main libre au-dessus de
ses yeux, il ouvrit la bouche et articula
à la façon humaine un cri (jui pénétra
même 1 enveloppe d'acier et le capiton-
nage intérieur de la sphère. Comment
un cri peut être poussé sans poumons,
Elstead ne se préoccupa pas de l'expli-
quer. La créature sortit alors du rayon-
nement, rentra dans le mystère téné-
breux qui le bordait de chaque cùté, et
Elstead la sentit plutôt qu'il ne la vit
venir vers lui. Certain que la lumière
l'avait attirée, il interrompit le courant.
Un moment après, des coups sourds
résonnèrent contre l'acier et la sphère
se balança.
Alors le cri fut répété. ICt il sembla à
Elstead qu'un écho lointain y répon-
dait. Les coups sourds reprirent et la
sphère se balança de nouveau et grinça
contre le pivot sur lequel la corde était
enroulée. Il demeura dans les ténèbres,
cherchant à pénétrer du regard l'éter-
nelle nuit de l'abîme. Et bientôt il vit,
très faibles el lointaines, d'autres formes
phosphorescentes el quasi-humaines se
hâter vers lui.
Sachant à peine ce qu'il faisait, il
tàta contre les parois de sa prison in-
stable pour trouver le bouton du pro-
jecteur électrique extérieur et pressa
accidentellement celui de la petite lampe
qui éclairait sa cabine capitonnée. La
sphère roula et il fut renversé. Il enten-
dit comme des cris de surprise, et quand
il fut relevé, il vit deux yeux attentifs
qui regardaient par le hublot inférieur
et qui en réfléchissaient la clarté.
Au même instant, des mains heur-
taient vigoureusement l'enveloppe d'a-
cier et il entendit — impression suffi-
samment horrible dans sa position —
des heurts réitérés sur l'enveloppe de
métal qui protégeait le mouvement
d'horlogerie. A ce bruit, vraiment, l'an-
goisse l'étrangla ; car, si ces étranges
créatures parvenaient à arrêter le mou-
vement, sa délivrance était impossible.
A peine avait-il pensé cela, qu'il sentit
la sphère se balancer et la paroi sembla
peser lourdement contre ses pieds.
DANS L AlUMK.
Il <'tei};iiit la pelile lampe intérieure
cl ri'lablil le courant du réflecteur exté-
rieur. Le fond vaseux et les créatures
qnasi-humaines avaient disparu, et un
couple de poissons se poursuivant pas-
sèrent soudain contre le hublot.
11 pensa aussitôt que ces étranges
habitants avaient rompu la corde et
qu'il avait échappé. 11 remontait de
plus en- plus vile, puis il s'arrêla avec
une secousse qui l'envoya heurter la
paroi capitonnée de sa prison. Pendant
une demi-minute, poul-étre. il fnl trop
étonné pour réfléchir.
.Mors il sentit que la sphère tournait
lentement sur elle-même avec une sorte
de balancement, et il lui sembla aussi
qu'il avançait horizontalement dans
l'eau. En se blottissant tout conlre le
hublot, il parvint à rétablir de son poids
l'équilibre et à ramener vers le fond
cette partie de la sphère; mais il ne put
rien voir que le pâle rayonnement de
son réllecteur frappant inutilement les
ténèbres. Il lui vint à l'idée qu'il pour-
rait mieux, voir s'il éteif;nait la lampe.
En ceci, il fut sai;e. Au bout de quel-
ques minutes, les ténèbres veloutées
devinrent une sorte d'obscurité trans-
lucide, et alors, dans le lointain, et
aussi imprécises que la lumière zodia-
cale d'un soir d'été, il vit des formes se
ninn\oir au-dessous de lui. 11 jug;ea
que ces créatures avaient détaché son
câble et le remorquaient au long du
fond de la mer.
.Mors, par delà les ondulations de la
[)laine sous-marine, vague et lointaine,
il vil un immense horizon d'une lumi-
minosilé pâle qui s'étendait de chaque
ci'ilé aussi loin que sa petite fenêtre lui
])ermettait d'apercevoir. Vers cet hori-
zon, il était remorqué comme un ballon
i|u on ramènerait de la plaine vers la
ville. Il (Ml approchait très lentement,
cl 1res Irnlement la vague irradiation se
précisait en des formes plus délinies
Il était pres[|ue cinq heures lorsqu'il
alteignitceltc aire lumineuse ; et, vers ce
momonl, il put distinguer une soi-le d'ar-
rangement qui suggérait des rues et des
maisons groupées à l'entour d'un vaste
édifice sans toit, qui rappelait grotesque-
ment une abbaye en ruine. Tout cela
s'étendait au-dessous de lui comme une
carte. Les maisons étaient toutes des en-
clos de murs sans toits, et leur substance
étant, comme il le vit plus tard, d'os
phosphorescents, donnait à cet endroit
l'apparence d'être bâti avec du clair de
lune noyé.
Parmi les cavités inférieures, des vé-
gétations crinoïdes étendaient leurs ten-
tacules, et de grandes, svelteset fragiles
éponges surgissaient comme des mina-
rets brillants et comme des lis de
lumière membraneuse hors de la clarté
générale de la cité. Da'ns les espaces
ouverts, il pouvait voir une agitation
comme de foules de gens, mais il se
trouvait trop élevé pour distinguer les
personnages qui composaient ces foules.
Alors, lentement, il se sentit tiré vers
le .fond, et, à mesure, les détails des
lieux apparaissaient plus clairement à
sa vue. Il distingua que les rangées de
bâtiments nuageux étaient délimitées par
des lignes pointillées d'objets ronds, et
il s'aperçut qu'en plusieui-s endroits
au-dessous de lui, en de larges espaces
ouverts, étaient des formes semblables à
des carcasses pétrifiées de navires.
Lentement et sûrement il descendait,
et les formes au-dessous de lui deve-
naient plus brillantes, plus claires et
plus distinctes. On le dirigeait vers le
large édifu-e qui occupait le centre de
la ville, et de temps en teni])s il pouvait
apercevoir la multitude de formes qui
tiraient sur sa corde. 11 fut étonné de
voir que le gréement de l'un des vais-
seaux qui formait un des principaux
trails (le la place était couvert d'une
c|uaiililc dClri's gesticulants qui le re-
gardaicnl, |)uis les murs du grand édi-
fice monlèrenl silencieusemenl aiiloiir
de lui et lui (.•aclièrent la vue de la cilé.
Les murs étaient de bois durci par
l'eau, de câbles de fer tressés, d'espars
de cuivre et de fer, d'os el de crânes de
n.\NS I. A 1! iM i:
crânes cou-
raient au Ion;;
des murs de
édilice en /ij;- / ' '
aj^'s, en spirales
en courbes fantas-
tiques. Et dans leurs
orbites vides, et sur toute
la surface des murs jouaient
et se cachaient une multi-
tude de petits poissons
arjjenlés. Soudain se;
s'emplirent d'un bour
siiurd, d'un bruit
violent des cors,
rent bientôt de fan
meurs. La sphère
jours, passant de
l'enètrcs en pointe
oreilles
donnement
comme le son
auquel succédè-
t as tiques cla-
senfonçait lou-
vantd'immenses
à travers les-
quelles il apercevait vaguement, le re-
j;ardant, un j^rand nombre de ces étran-
f;es et fantomatiques créatures. Et il
vint enlin se poser, lui sembla-t-il, sur
une sorte d autel au centre de la place.
Maintenant il se trouvait à un niveau
qui lui permettait de voir distinclenienl
ces étranges habitants
de labime. A son grand
étonnement, il s'apervut
qu'ils se prosternaient de-
vant lui, tous, sauf un, vêtu,
semblait-il, dune robe d é-
cailles superposées et cou-
ronné d'un diadème lumi-
neux, et qui se tenait debout, ouvrant
et l'ernianl alternativement sa bouche
de reptile, comme s'il dirigeait les can-
tiques des adorateurs.
Une curieuse impulsion fit allumer à
Elstead sa lampe intérieure, de sorte
ciu'il devint visible à ces habitants de
DANS I, ABIMi:
l'ahiiTie el que celte clarté les fit immé-
diatement disparaître dans l'obscuritc.
A cette soudaine transformation, les
cantiques firent place à un tumulte
d'acclamations exultantes, et Klstead,
préférant les observer, interrompit le
courant et s'.évanouit à leurs yeux. Mais
pendant un moment, il fut trop aveuglé
pour percevoir ce qu ils faisaient, et
quand enfin il put les distinguer, ils
étaient de nouveau agenouillés. I''t ils
continuèrent à l'adorer ainsi sans répit
ni relâche pendtint trois heures.
Elstead lit un récit des plus circon-
stanciés de cette cité surprenante el de
ces gens qui nonl jamais vu ni soleil,
ni lune, ni étoile, aucune végétation
verte, ni aucune créature i-espirante, qui
ne savent rien du feu, et ne connaissent
d'autre lumière que la clarté phospho-
rescente d'organismes vivants.
Si saisissante que soit son histoire, il
est encore j)Ius saisissant de trouver
que des hommes de science aussi émi-
nents que Adams el .lenkins n'y décou-
vrent rien d'incroyable. Us m'ont dit
qu'ils ne voyaient aucune raison que des
créatures vertébrées, intelligentes et res-
pirant l'eau, accoutumées à une tempé-
rature très basse, à une pression énorme,
et d'une slructure si pesante que, vivants
ou morts, ils ne jieuvent flotter, que de
tels êtres ne puissent vivre au sein de la
mer profonde, inconnus do nous, et,
comme nous, descendants du grand Thé-
riomorphc de l'.Agc de la Terre Hougc.
Ils doivent nous connaître cependant
comme des créatures étranges el météo-
riques, accoutumées à dégringoler, acci-
dentellement mortes, à travers les mys-
térieuses ténèbres de leur ciel liquide,
et non seulemcnl nous-mêmes, mais
nos vaisseaux, nos métaux, nos appa-
reils c|ui pleuvent incessammcnl dans
leur nuit. Quelquefois des objets dans
leur chute doivent les atteindre, les
écraser comme |)ai" le jugement de
(|uelque invisible pouvoir supérieur et
jiarfois il doit leur en venir d'une rareté
iiu d'iMK» iilililc iiiappi-rcinblcs. ou de
formes suggestives et inspiratrices. On
peut comprendre, jusqu'à un certain
])oint, leur conduite à l'arrivée d'un
homme vivant, si l'on pense à ce qu'un
peuple barbare ferait à une créature
brillante et auréolée qui descendrait
soudain dans notre ciel.
l'Hslead dut probablement compléter
une fois ou l'aulre aux officiers du Ptar-
migan chaque détail de son étrange
séjour de douze heures dans l'abîme. Il
est certain aussi qu'il eut l'intention
d'en rédiger lé récit, mais il ne le fit
jamais. El il nous faut donc malheureu-
sement rassembler les fragments dis-
joints de son histoire d'après les souve-
nirs el les réminiscences du commandant
Simmons, de ^\'eybridge, de Steevens,
de Lindley et des autres. Nous pouvons
nous représentervaguement, par images
fragmentaires, l'immense et lugubre
édifice, les gens agenouillés et chan-
tants, avec leur sombre lèle de i-anié-
léon, leur espèce de vêtement faible-
ment lumineu.x, el l'^lslead, ayant ilc
nouveau allumé sa lampe intérieure,
essayant vainement de leur faire com-
prendre qu'il fallail détacher l;i corde
qui retenait la sphère, l'ne à une, les
minutes passaient, et Elstead regardant
sa montre, découvrit avec terreur qu'il
ne lui restait d'oxygène que jiour quatre
heures encore. Mais les canli(|ues en
son honneur continuaienl aussi impi-
loyabli's que s'ils avaient été la marche
funèbre de sa mort prochaine.
Il ne com])ril jamais de quelle façon il
fut délivré, mais à en juger par l'extré-
mité de la corde qui restait attachée à
la sphère, elle uvail dû être coupée par
le constant frotlement contre le rebord
de l'autel. Tout à coup la sphère roula,
el il bondit hors de leur monde, comme
i\i\o créalure éihérée, envelo|)pée de
vide, traverserait noire atmosphère pour
retourner à son éther nalal. Il dul dis-
paraître à leurs yeux comme une bulle
d'hydrogène monte dans L'air. I"'l ce dut
leur paraître une étrange ascension.
I.a sphère monlail avec une vélocité
1) A N S L A B I M !•:
A- plus grande encore
™ celle de la descente, quand
elle clait alourdie par les
fonceurs de plomb. Elle dc-
\int excessivement chaude. Elle mon-
tait,-les hublots en l'air, et il se rappelle
le torrent de bulles qui écumait contre
la vitre. A chaque instant il s'attendait
à la voir voler en éclats. Tout à coup
(|uelque chose comme une immense roue
sembla se mettre à tourbillonner dans sa
tête, le com])artinient capitonné com-
mença à tourner autour de lui, et il s'éva-
nouit. Puis ses souvenirs cessent jusqu'au
moment oii il se retrouva dans la cabine
mais ce
Il n'est pas re
l'/aimicjan louvoya
point de sa submersion,
chant euA-ain, pendant
jours. Puis il revint à Rio
nouvelle fut télégraphiée
amis. L'affaire en reste là
présent. Mais il est peu
ble qu'aucune nouvelle
tive soit faite pour véri
étrange histoire des
qu ICI insoupçon
bime des mer;
qui est arrive,
venu. I.e
autour du
le cher-
treize
et
à
poi
proba-
tenta-
lier cette
rites jus-
ces de l'a-
il. G. Wells.
DANS L AH1M1-:
Les débuts de Mr. H. G. Wells datent
de 1800, époque où Mr. l'iank Marris ac-
cepta pour la Fnrlnighlly Rrview une sorte
de discussion paradoxale sur l'absurdité
de la logique, premier (ravail imprimé de
notre iiuleur. Knsuite, il collabora occa-
sionnellement à la Pall Mull Gazette, au
(ilobe, à la Saiiil-Janiea Gazette, à la .S.i-
tiirday lierieir, à \ature. En 1894, il reçut
de précieux encouragements de Mr. \V. K.
Ilenley et de Mr. Lewis Ilind, et, sous leur
bienveillant patronage. Mr. II. Ci. Wells
rencontia bien vite le silices que méritait
M i;. u. «. «• ELLS
son t.ilcnt iliino si singulière originalité.
Le \ali(i!i:il Oliserver, la \ew fiecieir, le
l'ail Mail Bnthiel publièrent ses nouvelles
et ses récits fantastiques.
Ml'. IL G. Wells est né en 1866. Après
avoir liésité quelque peu dans le choix
d'une carrière et en avoir essayé plusieurs,
il finit par s'inscrire eu 1885 au Hoyal
Collège of Science de Londres, où il fit de
sérieuses études scientifiques sous la di-
rection de Huxley, de Lockyer et d'autres
savants moins universellemeiH fameux.
Ku I88'.i, il prend son dii^lome et entre
dans l'enseignement. Quand ses travaux
littéraires, accueillis avec tant de succès,
lui eurent assuré d'appréciables ressources,
il abandonna le professoral et se consacra
exclusivement au genre de fiction qu'il
a\ait clioisi. Son premier volume, la Ma-
iliiiie ;i rxiiloirr le Teniiis, dont une traduc-
tion française parut l'an dernier, l'avait
rendu notoire. Il acipiit ensuite une rapide
célébrité avec la Visite MerreiUeuse, fan-
taisie pleine d'humour et d'ironie ; /'//<■
lia Docteur Moreaii, leuvre puissante et
curieuse dont une version française est
sous jiresse ; tes Houes île la Furluiie, rela-
tion divertissante des aventures d'un
cycliste trop entreprenant ; illmitme Inri-
sihle, histoire mouvementée d'un malheu-
reux savant malintentionné; /a Gi/e;vc (/es
Mondes, récemment traduite en français,
récit passionnant d'une invasion des habi-
tants de .Mars et de la destruction de
Londres |)ar ces êtres formidables; Quanti
le honneur s'éveillera, description du
monde au xxiT' siècle, alors (|ue certaines
théories sociales aujourd'hui à la mode
auront été poussées à leurs pires consé-
quences; Love ami Mr. Leirishani. histoire
d'un très jeune couple, luttant l'ipremenl
pour la vie au milieu de l'effroyable enfer
londonien: dans cette (envie toute d'émo-
tion dramatique, Mr. Wells s'est éloigné
de la fiction fantastique à laquelle il re-'
vient avec un ouvrage prochain qui est le
récit d'une expédition humaine dans la lune.
Trois autres volumes rcnt'erment les
nombreuses nouvelles que Mr. Wells publia
dans les périodiques et magazines anglais;
ce sont : The Stulen llacillus. The Pinllner
Sti/ry. et les ('.unies <hi Temps et de l'ICs/iace
(\u\ viennent de ])arailrc en français sous
le titre de : l'ne liistnire des Temps il
Venir. Mr. Wells . est indiscutablement
un des meilleurs conteurs que ])Ossèdc à
l'heure actuelle l'Angleterre, sachant inté-
resser le lecteur dès les premières lignes
et l'entrainanl jusqu'au bout de son récit
avec une précision et une clarté malhé-
maliques. Il en est de même dans ses ro-
mans, où sa merveilleuse imagination est
plus à l'aise encore, et où se développent
plus librement sa fanlaisii' et son talent.
Trois noms surtout viennent à l'esprit
en lisant les œuvres de Mr. Wells : ceux
d'iidgar Poe, de Villiers de l'Isle-Adam et
de .Iules Verne, encore qu'on puisse y
ajouter ceux de Camille l'iammarion, de
,1.-11. Hosny et" d'autres. Sans doute,
Mr. Wells se rencontre en certains cas
avec ces auteurs, puisque sa fiction est
toujours basée sur des données scienli-
licpies générales; mais il n'a emprunli' à
persmine, et son talent est liii'ii à lui.
Ui
1)
lîEMlMl A.XDT
La Uiéoric de M. ïaine sur la race,
le moment cl le milieu aurait à se mon-
trer très subtile et très ingrénieuse pour
s'appliquer, sans qu'on la violentât, au
•i;énic d'Armcnz Rembrandt van Hyn,
peintre magnifique et triste, qui hante
plus despotiquement peut-être que le
A'inci lui-même 1 imajjination et le rêve
de ce temps-ci. Comme tous les artistes
de première grandeur, ni sa race, ni son
milieu, ni l'heure de sa venue ne l'ex-
pliquent. La contingence à laquelle
M. Taine soumet les floraisons d'art ne
semble point atteindre son ombre.
Que les Brauwer, les Sieen, les Cracs-
bekc, les \'an Oslade subissent ces lois :
on l'admet. Ils sont les expressions de
leurs pays calme, propret, sensuel, bour-
geois. Ils viennent en un temps de liesse
et de vie grasse ; le luxe, le commerce,
la prospérité, le bien-être récompensent
la Hollande de sa lutte séculaire contre
la nature et contre les hommes. Ils ont,
ces petits maîtres, toutes les qualités et
les défauts de leurs concitoyens. Leur
cerveau ne les tourmente pas : ils ne se
haussent point jusqu'aux grandes idées
que proclament la Bible et l'Histoire; ils
n'ont point senti la détresse et le deuil
filtrer à travers leur chair : ils ne con-
centrent point l'universelle humanité
dans l'abinie d'un cœur: les cris, les
pleurs, lei atTres qui roulent de siècle en
siècle et dont les patriarches Abraham,
Isaac, Jacob, les rois Saiil, David et
.\ssuérus, les apôtres, les saintes femmes,
la \ ierge, le Christ, ont recueilli le tor-
rent dans leur âme, ne les inquiètent
guère. Aussi, parmi tous les peuples du
xin*" siècle hollandais. Rembrandt appa-
rait-il comme un miracle. Il aurait pu
naître n'importe où. A n'importe quel
moment, son art aurait été pareil. Peut-
être eût-il omis de peindre une Uonde
de nuit. Peut-être en son leuvre eût-on
rencontré moins de bourgmestres et de
syndics. Mais le fond n'eût point changé,
xm. - 11.
Il se serait peint lui-même, avec un
égoïsme admiratif et puéril ; il aurait
multiplié les traits des siens ; enfin, il
eùl recueilli partout, à travers le monde
pathétique des légendes et des textes
sacrés, les larmes et les beautés de la
douleur. Il a réalisé, à son heure, l'œuvre
du Dante xni" siècle), l'œuvre de Sha-
kespeare et de Michel-Ange I xvi« siècle ,
et quelquefois il fait songer aux pro-
phètes. Il est debout sur les grands som-
mets qui dominent les temps, les races
et les pays. Il est de nulle part, parce
qu'il est de partout.
Son histoire s'explique aisément si
l'on tient compte de la spontanéité et
de l'individualité élargie des génies.
Certes, nul artiste n'échappe radicale-
ment aux ambiances, mais la part tic
lui-même qu'il leur abandonne est va-
riable indéfiniment. Telles natures ar-
demment trempées marquent la réalité
à leur effigie, au lieu d'en recevoir l'em-
preinte. Ils donnent beaucoup plus qu il>
n'acceptent. Si plus tard, dans l'éloigne-
ment des siècles, ils semblent traduire
mieux que personne leur temps, c'est
qu'ils l'ont créé d'après leur cerveau et
que l'étudier c'est apprendre leur àme.
La France du xrx' siècle fut bien plus
façonnée qu'exprimée par Bonaparte
ou Honoré de Balzac.
La Hollande au \vii<^ siècle ne déter-
mine point Rembrandt. Au contraire.
Elle ne l'a ni compris, ni soutenu, ni
célébré. A part quelques élèves et quel-
ques amis, le peintre ne range autour
de lui personne. Lui vivant, Mii-evelt,
et plus tard \'an der Helst, représentaient
aux yeux du monde l'art néerlandais.
Si aujourd hui ces portraitistes sont des-
cendus des sommets de la renommée
pour s asseoira mi-côte de la montagne,
c'est que l'Europe entière a reconnu et
proclamé la maîtrise de Rembrandt.
Tous ses rivaux instauraient dans
leurs toiles la gaieté facile, l'espièglerie.
HKMBHANDT
Portrait de Rembrandt. (Musce ilu Lo
la grivoiserie, l:i farce, la fêle. Leur
humeur olait celle des buveurs francs,
des lurons endiablés, des coureurs de
llllcs. Us élaienl bons enfants. Si leurs
études de mœurs frisaient le péché,
cncoj'e le coloyaiciil-ils en souriant et
en chantant. Ils n'y mettaient aucune
outrance. Certes, VIvrognesse de Steen
ne convenait guère à la sévérité d'un
appartement bourgeois ; mais, après tout,
quel vieil Anisterdammois ne s'était
oublié h boire jusqu'à choir par terre.
REMBRANDT
en des jours de ripaille, au fond d'un lurent des artistes nier\eilleux. Ceux
bouge des quartiers borgnes? Le vice j qui les aimaient d'un amour exclusif
national se mirait, comme en un miroir, | appuyaient leurs préférences, solide-
dans les panneaux des peintres de genre, j ment.
On les excusait en public ; on les ado- | Rembrandt, géant farouche, surgis-
Rembrandt.
JîaeJl. (Musée d'Amsterilam.)
rait en secret. Leur jolie peinture, aux
tons nacrés et fins, au dessin surveillé,
au fignolage précieux, charmait. Quel-
ques-uns d'entre eux, tels Pieter de
llooge, Terburg, Vermeer de Delft,
sait au milieu de ces apprivoisés. Quand
il riait, il scandalisait par l'audace de sa
folie. Aucune retenue. On pouvait, à la
rigueur, excuser Ganymède, mais Aclènn
surprenant Diane et ses nymphes '.'
liKMUli ANIlT
Ceci n'clait plus la farce, c'était le ensnnçjlanlce de Joseph, c'ctail l'cxcôs
vice dans son impudeur la plus crue. du désespoir; dans les Diseiples d'h'ni-
D'oulre en outre, le peintre traversait maûs, c'était l'excès de l'ineiruble. La
norme était fran-
chie constaninienl.
Itr. la norme — ni
trop, ni trop peu —
c'est l'idéal même
do cet ('Ire tran-
quille, modéré,
lent, pratique et
hourj^eois qu'est
au fond tout vrai
et a n thon I iquc
Hollandais. Cal/,
le poète moraliste,
le comprit intel-
ligemment. Son
u'uvre est d'accord
avec sa race et
son pays, comme
l'est celle de tous
les autres peintres
de la Noerlande.
D'ordinaire, on
explique par de
petites raisons la
défaveur qui ac-
cabla Itembrandl,
aprosl'achèvenienl
do la Iliindc île
iiiiil. Les notables
qui lif;uront dans
la liiinde auraient
blâmé publique-
nioiil le peintre
d'avoir pris trop
ilo liberté dans la
conception et l'ar-
rangement «le sa
toile. Us ne se se-
raient point recon-
nus dans tel ou
tel personnage. La
répartition des
places n'aui-ait point été faite cquitable-
ment, d'autant (|u'ils avaient chacun
payé cent ilorins pour être au premioi-
rang. Ce son! là des raisons à Heur de
peau. Si Hetnhi-aiidt ^'esl brouillé avec
Kk M DU A N I)T. — l'rrsfiitadon au Tempir. (Musi'c .le La Ha
les cloisons des conventions el des pré-
jugés. Il froissait, heurtait et boulever-
sait. En tout, il allait jusqu'au bout.
'Aclèon, c'était roxeès du vice:
Dan
dans .larol) ree(iini;iiss;iiil /.i Iiiiik/ii
K V. M H H A N 1) T
ses conciloyens sur une question d ;irl
el si celte brouille s'est perpétuée jus-
([u'à la fin de sa \ie, c'est qu'il y avait
entre eux désaccord fondamental. La
Ronde de nuit fut le prétexte et l'occa-
sion. I-e génie de Rembrandt fut la
cause.
S'il est au monde un artiste qui puisse
être étudié — comme je le disais — en
quefois, surtout ilans ses eaux-l'ortcs.
Mais, au fur et à mesure qu'il se con-
quiert, le monde ima;,^inaire et merveil-
leux que son imagination porte en elle
devient son vrai pays, el la légende éter-
nelle abolit à ses yeux son siècle. Il
crée des architectures profondes et folles,
il se promène en des paysages de rcve
et de son,i,'c, il vêt ses personnages de
Rembrandt. — La Lex
dehors de son temps et de son milieu,
c'est assurément Rembrandt. Toutefois
ne faut-il point l'en arracher ; ce serait
tomber dans une erreur aussi nette que
ceux qui ne lexpliquent que par son
siècle et par son pays. Pendant toute sa
jeunesse, il subit l'influence de certains
maîtres de son terroir. En plus, la Hol-
lande lui fournit des mises en scène pit-
toresques où il se plait à traduire soit une
Sainte Famille, soit certains traits de vie
familière. Enlin, le paysage éventé de
grandes ailes de moulin le tente quel-
costumes baroques ou somptueux : des
hommes en or — grands prêtres, rab-
bins et rois — surgissent dans son art.
11 invente comme Shakespeare toute une
région de chimère et de poésie, et, tout
comme Shakespeare, il reste, dans ces
débauches de rêve et de splendeur,
aussi profondément et foncièrement
humain qu il est possible.
Oui, tous ces fabuleux agencements
de décors, de lumières et de toilettes,
oui, tout ce voyage, le cerveau fou,
hors du temps et de l'espace, oui, toute
liE.MlîHANDT
celle ivresse, qui semble le douer du
vertige des voyants, ne le distraient
point un seul instant de Ihumanité éter-
nelle, de la réalité psychologique, de la
vie. Il unit tous les contrastes en une
leuvre, il mêle en un sujet la vérité la
plus saignante et crue à la fantaisie la
plus imprévue et la plus libre, il est le
passé, le présent. le futur ; il est, pour
tout dire, un de ces hommes prodigieux
tune le torture, la clientèle s'éloigne,
des peintres secondaires se substituent
à lui dans la faveur publique, la faillite
l'accable, la vieillesse le ruine. Il achève
sa vie, dans un coin, dédaigné, délaissé,
oublié, n'ayant plus à côté de lui qu'une
servante, llendrickje Stolfels, dont il a
l'ait sa compagne. Il est né à Leyde en
1607 ; il meurt en 16(>y, à Amsterdam.
Mais pendnnt ces soixante-deux ans
Rem buandt. — l.e Chanr;eiir. (Musée de Berlin.)
et rarissimes, où respire, se développe
et se manifeste pour tous l'idée que les
poètes aiment à se faire de quelque
Dieu, s'incarnant de siècle en siècle en
des êtres surhumains.
Sa vie se dessine comme luic mon-
tagne: jeune, il en gravit la pente heu-
reuse et fleurie ; il parvient au sommet
vers l'âge de trente-cinq ans, en com-
pagnie d'une femme, Saskia van Uilen-
burgh, qui lui donne quatre enfants,
dont seul, le dernier, Titus, lui restera;
puis il descend l'autre versant, celui de
l'ombre. Sa femme est morte, l'infor-
d'existence, qu'il soit heureux ou ac-
cablé, son travail ne s'alentil. Il peint
et grave toujours. Sa nature l'exige et
l'y condamne. Aussi longtemps que cou-
lera son sang dans ses veines, que ses
muscles se nourriront pour dépenser
leur force, que ses nerfs seront sensi-
bles, il faudra que son cœur et sa pensée
s'expriment. Mourir sera pour lui:
cesser de créer. Et la marche de son
esprit sera, sans relâche, ascendante.
Si sa vie se dessine en angle aigu, son
art ne connaît ni fortune, ni misère. Il
s'avance en ligne droite, continûment.
HEMBliANDÏ
Il est marqué de trois grands jalons ; la
Leçon d'analomie (163"2), la lionde de
iiiiil (164'2i, les Syndics ( IGfil ..
Aux yeux des critiques, ces trois loiles
célèbres représentent les trois manières
de Hembrandl. Ces divisions ont Tavan-
lage d'imposer une méthode dans l'ex-
ploration touffue de l'œuvre totale, mais
dans la mise en scène. La lumière frap-
pant abondamment les objets le préoc-
cupe. Feu à peu, la volonté de serrer
de près la réalité le conduit à un art
soigné, propret, lisse. Une harmonie de
bleus, de verts pâles, de jaunes rosaires
le requiert. Certaines toiles [Vlscariolc
venant rendre les trente deniers : \c
Rembrandt. — La Fiancée inive. (Musée d'Amsterdam.)
elles nous paraissent dangereuses et su-
perficielles.
Rembrandt n'a point changé brusque-
ment de peindre d'une façon pour en
adopter une autre ; il n'a jamais subi, à
part celle de Latsman, aucune influence ;
il s'est développé logiquement, ne trou-
vant matière à changement qu'en lui-
même.
Il commence par peindre sec et dur
et minutieux, le Changeur (1627', le
Saint Paul en sa prison ( 1027 . La fac-
ture est lourde, la couleur épaisse,
brûlée, cuite. Mais la surprise apparaît
Christ et les disciples d'Emmaiis, pre-
mière versioji) renseignent sur celte
manière.
\'ient ensuite l'influence de Latsman,
le maître amsterdammois qu'il s'est
choisi. La Présentation au Temple, du
musée de La Haye, semble composée
sous l'insUbiration directe de celui qui fit
la Nativité du musée de Haarlem. Lats-
man, en ce dernier tableau, donne à son
élève l'exemple des compositions pitto-
resques, des personnages étages, non
pas au centre, mais à droite ou à gauche
de la toile, des éclairages en dessous.
IIKM liH ANDT
llEMiiHANDT. — L'Aitff Rapharl quillanl Tnhie. ( Mu3« du Louvre.)
(les comparses vus à mi-corps, des gens
vêtus il l'orienlalc. Peut-êlre esl-cc :■
l^alsman que Rembrandt est redevable
de ses fjoùts d antiquaire.
Tous ces voyages en des voies non
pas diirérentes, mais successives, lecon-
(luisent Icnlemciil à la Leçon il'ann-
lomie, qui, tout à coup, le met en grande
lumière, comme les personnages de son
tableau. Ce fut un émerveillement, bien
que de nombreux défauts i inallentioit
de quelques personnages qui regai-Jent
le spectateur, au lieu de suivre la démons-
tration du professeur ; [leinture troj)
sèche dans les avant-plans ; peinture
trop molle dans les chairs forcément
rigides du cadavre) em[>éclient de rangei-
parmi les chefs-d'u'uvre ce g'ravo cl
liEMBRANDT
It K.MlUi ANDT
déjà puissant morceau d'art. Il est cer-
tain que tels portraits faits à la même
époque prouvent, mieux que la Leçon
d'analomie, quel peintre et quel obser-
vateur était Rembrandt, vers l'âge de
vingt-cinq ans.
Elargir sa manière, libérer son dessin,
se réjouir les yeux par l'emploi des cou-
leurs généreuses et riches, s'habituer
aux pâtes grasses et profondes, se donner
tout entier à la vie, voilà ce qu'il se
propose immédiatement après. Il ose
s'écouter: il va se comprendre. Il s'est
rapidement conquis ; le peu qu'il doit
au voisin, il se l'est si profontiément
assimilé qu'il se l'est l'ait sien. Dès ce
moment, il ne sera plus qu'un génie qui
exprime son évolution, c'est-à-dire le
vrai et grand Rembrandt qu'atteignent
les remarques faites au début de cette
élude et que viseront celles qui la ter-
mineront.
Les commandes affluent. La Bible
entière et la mythologie le soUicilenl.
Frédéric-IIenri d'Orange lui demande
une suite d'oeuvres sur la Passion du
Christ. C'est un chemin de croix, signé
Rembrandt.
En Ifii'J, la Bonde de nuit fut ter-
minée. Le maître avait rom[)u avec les
canons sacro-saints de la tradition en
peignant la corporation des arquebu-
siers, non pas au repos, aulour d'une
table chargée de victuailles, comme
liais ou Van der Helst, mais marchant,
allant, venant à travers les rues, dans
l'agitation qui précède une prise d'armes.
Ce furent de grands cris. On ne com-
prenait pas et l'on blâmait. La vérité
était facile à saisir. Par ce seul fait qu'il
s'agissait de la milice active, le net et
clair jugement de Hembratidl lui con-
seillait do la représenter sur la toile en
plein mouvement, ou, pour employer un
banal cliché, » dans l'exercice de ses
fonctions ». En outre, ses dons de
peintre pittoresque s'accommodaient
mieux de cette disposition nécessaire-
ment heurtée et surprenante, que de la
placide et niélhodiquo représentation
des soldats-citoyens, autour de belles
vaisselles, dans une salle lambrissée et
décorée d'armoires.
La logique était donc la force de
Rembrandt ; l'habitude, le déjà-fait, la
mode fut celle de ses ennemis. Aucun
d'eux ne rendit hommage à la splen-
deur de couleur, à la prise sur le vif des
gestes et des allures des archers, à la
merveille de vision qu'est la petite fille
en jaune, sorte d'infante de Velasquez,
introduite dans ce rassemblement de
tons noirs et sombres, à l'inquiétude et
à l'agitation qui animent la scène, en
un mot à 1 étonnante nouveauté de
conception et <le mise en page. La
Ronde de nuit est un tableau d'histoire
pris dans l'existence quotidienne, qui
confesse mieux qu'un livre ce qu'était
au xvii" siècle la bourgeoisie. La Leçon
d'anatomie nous avait renseignés sur la
science, la Ronde nous renseignait sur
la guerre et les Syndics nous rensei-
gneront sur le commerce.
.Vprès l'échec de la Ronde de nuit,
Rembrandt commence sa vie doulou-
reuse pour la finir dans le dénuement
absolu. C'est la période la plus haute de
son art. Malheurs de fortune, d'amitié,
d'amour ; mise à l'index par la société ;
saccage, par les créanciers, de sa de-
meure ; colères autour de lui en tourbil-
lons grondants, rien ne le vainc. Il se
retrouve, se ressaisit, se retrempe dans
son travail.
Les commandes ne s'éloignent point
tout à coup. \'ers cette époque, il |)eint
encore la matronale effigie A' Elisabclh
Bac, qu'étale à une place d'honneur le
musée d'Amsterdam, il multiplie très
abondamment le nombre de ses propres
images et sa seconde compagne I lenrickje
StolTels, s'élaiit introduite dans son mé-
nage, il achève, d'après elle, des oeuvres
nombreuses : la Rethsabée, de la galerie
Lacaze, la liaigncuse, de la National
Gallery et plusieurs autres compositions.
Le paysage lente Rembrandt comme
la nature entière le tentait. La vision
(|u'il a des champs, des ruisseaux, des
liEMBRAXDT
montagnes et des
bois lui esl impo-
sée par sa façon de
ramasser tout ce
qui est épars sous
l'unité de la lu-
mière. Il né{,'lige
les détails au fur
et à mesure qu'ils
s'enfoncent dans
l'ombre. C'est d'a-
près ce principe
que s'imposent à
l'attention : l'O-
rage, du musée de
Brunswick, le
Moulin à cent et
la Ruine, du mu-
sée de Casse). La
réalité 1 inquiète
médiocrement. Il
campe des moulins
en des vallées avec
de hautes monta-
g'ries qui les do-
minent. Il mêle
des motifs italiens
à des décors hol-
landais. Preuve
entre cent que
c'est sa vision in-
terne qu'il con-
sulte et que le lieu
ou le pays qu'il
voit devant ses
yeux ne domine guère son art. Il
célèbre — la chose apparaît aujour-
d'hui comme un projet de concours
entre peintres — la paix de Munster
par une allégorie obscure dont l'ébauche
est conservée à Rotterdam ; il reprend
certains sujets, tels le Bon Samaritain
et les Disciples d'Emmaûs, qui l'ont
sollicité sa vie durant. Le Louvre possède
ces deux toiles, où toute l'âme bonne
et miséricordieuse de Rembrandt semble
s'incarner. D'un côté, la pitié simple,
presque triste : de l'autre, l'ingénue et
calme et pure bonté du Christ, ouverte à
tous, en ce geste d'accueilqui partage le
Rejibraxdt. — Rabbin, i National Gallery, Londres.)
pain ! Et le respectueux effroi des dis-
ciples et les yeux du maître, qui devine
et comprend tout, sans regarder!
Pendant les dix-neuf années qui sépa-
rent la Ronde des Syndics, Rembrandt
a signé ses toiles les plus parfaites. Il u
poussé toutes ses qualités jusqu'à leur
développement suprême. Il les a unies
en faisceau. Comme tout peintre d'origi-
nalité profonde, il se devait de réaliser-
un idéal, pour lequel aucun élément
étranger ne pouvait servir. Il le lui
fallut atteindre sans aucun secours. Il y
est parvenu. Que d'autres, doués de
personnalité forte, sont restés en route!
ItlîMIillANDT
l.c domuinc de l'îii-l est encombré de
génies incomplets, moitié sublimes,
moitié ^Tolesques. Pour s'élever jus-
(|u';ui sommet de leur destinée, deux
ailes leur étaient nécessaires : ils en
avaient une, ;i droite, mais à f,'auche il
ne leur poussait (ju'un moignon. C'est
avec lenteur, :i force de travail assidu,
à force d'entêtement {^lorieu.x que Rem-
brandt se définit, et, en quelque sorte,
s épuise lui-même. Au Ryksmuseum,
en 189.S, une série d'oeuvres s'étalait,
irréprochable. Elles dataient de la pé-
riode que nous analysons. Une, entre
autres : Vieille femme lisant un livre,
manifestait une perfection si égale et si
tot:i!c qu'on s'arrêtait devant elle comme
devant une teuvre quasi divine, llien
n'était à reprendre ; toute objection
tombait. Le livre que la vieille femme
tenait en main et d'où la clarté semblait
sortir éclairait par contre-cou|), de bas
en haut, son visage et l'ombre (|ue la
grande coilTe projetait sur son front
s'animait de lueurs. Le modelé de la
face cl des mains, le calme des yeux
attentifs, l'allure grande et simple im-
posaient l'admiration entière. On se
trouvait en présence d'une merveille et
la foule, qui, devant des n-uvres voi-
sines, commentait et papottait, se taisait
devant celle-ci. Le phénomène était
curieux à noter, d'autant que devant les
Syndic.'' il se reproduisait. Dans la
dernière salle, où les cinq drapiers occu-
paient tout un panneau, la même per-
fection d'art se prouvait et le même
silence régnait. Oh ! la virile peinture!
Largeur d'exécution, tons riches, pro-
fonds et d'inlinie concordance, absence
entière de tape ù Wn'û, sévérité et splen-
deur, vie si vraie, si prise en pleine na-
ture, si complètement et aisément réa-
lisée, qu'elle parait supérieure à celle
qui passe devant clic, regarde, admire
et s'en va.
On ne sait trop comment cette com-
mande dernière lui était venue. Les
Syndics ne firent naître rien ; ni colère,
iii enthousiasme. I..es Van der ^X'crf, les
Mieris accaparent l'attention, lîem-
brandl, délaissé et honni, dont l'art
suprême protestait contre le maniérisme
et l'airéterie courante, n'intéressait plus.
Les dernières années de ta vie furent
aussi fertiles que les autres. De plus en
plus il s isola et se grandit. Son art fai-
sait désormais partie de sa chair, de ses
muscles, de ses nerfs ; il le conçut aussi
libre, aussi spontané, aussi individuel
qu'était n'importe lequel de ses gestes,
de ses désirs, de ses paroles, de ses
caprices. 11 ne pouvait pas, grâce à son
colossal acquis, grâce à sa force toujours
nette et vivace, ne pas être admirable.
-Aussi ne peint-il plus que pour lui-
même et peut-être — qui sait? — pour le
triomphe posthumequ il sent inévitable.
Les ors qu'il ne piossède plus, mais qui
l'hallucinent encore, les reflets et les
éclairages beaux comme des trésors ren-
versés sous des flambeaux, les coulées
énormes des pâtes où ses doigts, son
couteau et jusqu'au manche de sa brosse
s'ébattent et dessinent des creux et des
reliefs de bijouterie et d'ornementation
richissime, le séduisent et le grisent
plus que jamais. Il possède quelque
part un vieux buste d'Homère. Les traits
ravagés, les yeux éteints, le drame im-
primé sur l'image, la déréliclion qui
tua, d'après la légende, le poète, lui
rappellent sa propre destinée. Une sym-
pathie nail soudain. El le voici peignant
le vieil aveugle, vêtu de vêlements de
clarté, assis largement dans un fau-
teuil, tel qu'il se rêve lui-même devant
l'avenir. Cette œuvre, récemment dé-
couverte, appartient au musée de La
Haye.
D'autres fois, c'est l'image diiiie jeune
fille, toute recueillie dans son innocence,
toute pure de vice, qu'il pare de belles
robes de noce et dont lui-même ou
quelque autre, paternellement, s'appro-
che pour parler d'amourcl de maternité
future. Ses mains, avec un inlini respect,
avec une tendresse profonde, attouchenl
la jeune poitrine cachée sous la robe,
réalisant un des gestes les plus viais.
HE.Mlîli ANDT
les plus chastes et les plus liL-aux de la
peinture. L'homme et la femme — on
intitule énif^matiquement le f,'rnupe : la
Fiancée jiiire — déploient un luxe d'or,
<le \elours et de soie qui contraste avec
l'intimité de la scène, mais (|ui explique
d'autant mieux la passion de richesse et
tle pompe, restée intacte dans le ciL-ur
(le Rembrandt.
11 réalise encore, avec la même liberté,
allant jusqu'à la témérité suprême, avec
la même vision magnifique et folle, la
Lucrèce, de l'ancienne collection I)o-
nato, le David et le Saiil. récemment
acquis par M. Breduis et surtout sa der-
nière grande (cuvre, Eslher. Assucru.s
cl Aman, que possède la reine de Hou-
l,a plus grande révolution accomplie
par lui dans son art me semble être
celle-ci: l'unité réalisée, non paf une
harmonie de lignes, non par une hai--
monie de tons, mais par une harmonie
de lumières. C'est d'un point lumineux
dominant qu'il part, comme ceu.x qui le
précédèrent— Italiens, .Allemands, Fla-
mands, Français — partaient d'une cou-
leur déterminante ou d'une ligne iinpé-
rative. Leur œuvre entendue ainsi se lie
très intimement à la ])lastique et à la
matière : celle de Rembrandt s'en dégage
pour se rapprocher de l'intellcctualité
et du mystère. Elle flotte, semble-t-il,
au-dessus de la réalité directe; elle est
moins contrôlable, moins analysable.
Eembrandt. — Acs '^i/ndics. (Musée d'Amsterdam.)
manie. La mise en page est unique, la
violence des argents et des pierres
brûle la toile, la psychologie des trois
personnages est shakespearienne, les
couleurs sont fastueuses, le dessin sûr
comme au temps de la maturité. Rien
de sa force n'est perdu et il meurt i dans le concret — que c'est par l'étude
après ce dernier chef-d'ceuvre. de l'éclairage à la lampe, de l'éclairage
Elle s'adresse à la vision plutôt qu'à la
vue.
Si l'on se demande par quels moyens
il est arrivé à un tel résultat, on est
tenté d'admettre — toutes choses trou-
vant leur point de départ nécessaire
lîKMHIi ANDT
R E M B R A X n T.
(MusLS du Louvre.)
nocturne, indépencLiiil de (oiile lumière
naturelle. Le soleil tlilTusc, la lampe
concentre. Elle lui semblait le vrai loyer
lumineux dun tableau, morceau d'es-
pace limité par un cadre, isoléde l'éten-
due infinie. Plusieurs de ses prédéces-
seurs ou de ses cfinlréres — Gérard Dow,
par exemple — lui avaient donné
l'exemple. Seulement, Rembrandt ne
s'en tint pas à leurs tentatives. Il pro-
longea jusque dans le domaine moral
leur observation trop précise, l'nechan-
ilclle. un llanibcau, un fover réalisaient
certes des jeux de noirs et de clairs fort
pittoresques; mais leurs lueurs lui sym-
bolisaient également le mystère inté-
rieur, celui de l'esprit et de l'âme. .Après
tout, les saints, les anges et les christs
ne sont-ils pas, eux aussi, des lumières
quand ils apparaissaient quelque |)art ?
Et n'avait-il point raison de faire surgir
parfois un soleil de leur corps? L'au-
réole dont la croyance populaire les
entoure n'est-elle point un pressenti-
ment? De plus, certains objets, un
sceptre, une couronne, grâce â l'aulo-
li E M B H A N D T
rite et à la puissance qu'ils confèrent,
ne sont-ils et clairs et foudroyants?...
Dans Esihcr, Assuérus cl Aman, le
sceptre se darde comme la foudre. Dans
les Disciples d'Emmaûs, le Sauveur
dégage de lui-même toute la luminosité
de la toile.
De cette idée naissent donc, dans
l'œuvre de Rembrandt, ces éclairages
soudains, profonds, étranges, mystérieux
qu'on a peine à s'expliquer et qui mar-
quent si spécialement toute la série de
se peuplent de reilets et de nuances, se
vivifient et se colorent. L'opacité, la
lourdeur, la mort, il les ignore. Non pas
qu'il se soit un instant occupé des re-
cherches modernes sur les décomposi-
tions du ton à contre-jour, mais son
elfort a constamment tendu à glisser le
mouvement et la diversité dans chaque
louche qu'il posait.
C'est également son originalité pro-
fonde dans l'éclairage qui le guide dans
ses quelquefois étranges mises en page.
Rembrandt. — Jacob bénissant les Jils de Joseph. (Musée de Cassel.)
ses pages. Et de même que les clartés
le sollicitent, les ombres qui toujours
les accompagnent le requièrent. Il les
fait vivre. Rien de plus faux que de le
définir : un peintre noir. .Au contraire.
Les ténèbres sous ses doigts s animent,
L'asymétrie y règne souvent. On dirait
qu'il connut celle des Orientaux. A
preuve : David chantant devant Saûlel
Eslher, Assuérus, An\an. .Assurément,
n'ignorait-il pas les miniatures indiennes
et persanes, puisqu'il en a copié plu-
UKMUnANDT
sieurs. I.â Hollande leiianl en main le
commerce du monde et celui surtout de
l'extrême Asie, on peut admettre qu'il a
rencontré, un jour, certains spécimens
lie l'estampe chinoise, très llorissante au
xMi" siècle. Ceci, je le sais, est de la
pure hypothèse; mais quelles nouvelles
et inattendues questions ne se |)ose-t-on
point devant l'univre entier d un tel
peintre ? C'est le propre du génie
d'éveiller dans l'esprit le nombre illi-
mité des conjectures. Ceux qui visitè-
rent la dernière et très renseignante
Exposition d'Amsterdam (1898 n'ont pu
s'y défendre dune émotion profonde à
voir par quels honneurs les Hollandais
d'aujourd'hui ont réparé 1 crreurde leurs
pères à l'endroit du plus grand peintre
quenfanta la Néerlande. .Mais ce qui
les charma plus encore, ce fut de voir
lombien ce peintre, si haut placé dans
l'admiration, avait dû être et pour les
siens et pour ses élèves et peut-être
pour ses ennemis un brave homme.
Oui, cette expression banale arrive for-
cément à l'esprit. Le romantisme a sub-
stitué à l'idée simple qu on doit avoir
du génie je ne sais quelle idée théâtrale
et fausse. Panache, allure fatale, dés-
(irdre et grandeur sous la foudre 1 Or
c'est le contraire qui est vrai, pour
Hembrandl. Tel que celui-ci nous appa-
raît, il semble avoir été un époux char-
mant, un père attendri, un ami sûr, un
maître bon enfant. C'est naïvement
qu'il se déguise en grand seigneur, c'est
pour l'éclat et la beauté des choses
qu'il adore les ori]>eaux et les richesses.
Il ne parade pas, il vil intensivement dans
In bonne et virilement dans la mauvaise
fortune. Son père, sa mère, son frère,
s;i sifur, sa femme, son enfant, sa ser-
vante, il les peint cent fois comme il se
peint lui-même, soit par goût de travail
incessant, soit par atleclion ingénue.
Ijuand il a des plumes, des joyaux et
des casques, il se traduit vêtu en sei-
gneur: qunnd il n'a plus qu'unf houp-
pelande usée, une palette, des pinceaux,
un appui-main et un ridicule casque à
mèche, il se portraicture encore. Il se
montre fringant, clair et conquérant à
trente et quarante ans ; tout comme il
s'indique, ridé, flétri, la peau inculte
et le nez trognonneux à soixante. Il lui
est indifférent d'être jugé beau ou laid.
Il aime en lui l'être humain, voilà loul.
.Après avoir épousé une jeune lille noble,
il vivra avec une servante, l'adorant, la
parant et la montrant tout comme
l'autre. La chair lui semble admirable
autant dans ses lares que dans ses
splendeurs; ses deux femmes lui servi-
ront de modèles et jamais, par des em-
bellissements factices, il ne trahira le
nu.
Très simplement, il introduit sa vie
intime dans son art et l'idée de mal faire
ne lui arrive jamais. Quand des élèves
l'entoureront, il lui semblera que sa
famille s'agrandit. Il en fera ses compa-
gnons. Lui, leur maître? leursupérieur?
leur impératif et majestueux professeur?
.Allons donc I Quand l'un d'eux, un tout
jeune homme, Fabricius mort à vingt-
neuf ans), aura besoin d'un modèle,
dans sa Décollalion de saini Jean-Bap-
tisle, ce sera lui, Rembrandt, le grand
peintre, qui lui posera la figure xlu
bourreau.
Ce sera lui, Hembrandt, manches
retroussées et le col de la chemise ou-
vert sur les poils de sa poitrine, qui se
cam|)era, dans cet accoutrement et dans
ce métier vils, devant le public.
Telle fut sa vie. Les légendes absurdes
qui l'entouraient sont, les unes après les
autres, tombées. Aujourd'hui, il appa-
raît en pleine apothéose. Il n'en des-
cendra plus. Il fut de ces hommes dans
lesquels l'humanité, de siècle en siècle,
se rellète et qui demeurent une des
phases de sa conscience. Ses u'uvres
dussent-elles toutes périr, son nom res-
tera éternel.
l'^MII.l: N'icnll \RRRN.
!■ A N O 1! A M A D K
PROMENADES EN POITOU
Pour faire ce voyage dans une des
contrées de la France les plus riches en
vieux souvenirs, point n'est besoin d'une
automobile, ni même d'un billet circu-
laire. In livre suffira.
Il est vrai qu'il s'agit d'un ouvrage
hors ligne et comme il s'en édite rare-
ment. 11 ne s'en était point publié de
semblable depuis les Voyscjes romaii-
lujues et pilloix'scfiies dans l'aicienne
France, dirigés par le baron Taylor, qui
sont un chef-d'œuvre et dont il a été
plusieurs fois parlé dans cette revue;
seule, la Normandie pi(lnresf/ue de
M. Lemale peut lui être comparée.
Un homme s'est rencontré, photogra-
phe à Fontenay-le-Comte, qui s'est épris
de son pays et a voulu élever un monu-
ment au Poitou et à la Vendée. Rien ne
l'a arrêté, ni ses modestes ressources, ni
les diflicultés matérielles. Il est parti,
avec son appareil sur le dos et il a pris,
avec un sens parfait du pittoresque et
de l'archéologie, une incomparable série
de photographies. Entraînés par son
ardeur et par sa foi, des hommes faisant
autorité, comme M. le marquis de Roche-
brune, M. René \'allette, M. Bélisaire
Ledain, et beaucoup d'autres que nous
ne pouvons citer ici, lui ont apporté leur
XIII. - 12.
précieuse collaboration pour rédiger un
texte de haute valeur. L'ouvrage, for-
mant plusieurs volumes in-folio, a été
fabriqué avec les procédés les plus par-
faits de la photogravure.
Nos lecteurs verront avec plaisir quel-
ques réductions des gravures de cet
ouvrage, bien que très inférieures à ce
qu'elles sont dans leur grand format.
Nous les avons prises comme au hasard
au milieu de centaines de planches, et
notre texte n'est qu'une causerie à bâtons
rompus.
Il est facile de rappeler l'histoire du
Poitou dans ses grandes lignes.
A l'époque gauloise, le peuple piclon,
qui l'occupait, était puissant, puisqu'il
envoya une armée de huit mille hommes
au secours d Alésia. Lors de la réorga-
nisation de la Gaule sous Auguste, une
vingtaine d'années avant notre ère, le
pays fut détaché de la Celtique pour
contribuer à la formation du royaume
d'Aquitaine. De l'époque gallo-romaine
il a gardé de nombreux monuments et
des routes encore faciles à reconnaître.
Au iv" siècle, le christianisme s'y dé-
veloppa avec saint llilaire,- dont un très
vieux temple porte encore le vocable
dans Poitiers, qui s'appelait Limonum
l'IÎOMKNADKS KN POITOf
jusqu'il celle époque. En i l'.l, l'empereur
llonorius céd;i le pays aux rois visif^olhs
(|ui le conservèrcnl un siècle environ,
juscjuau jour où Clovis le leur reprit,
en .")07. par sa vicloire de \ ouille.
l'endanl 1 époque mérovingienne. Foi-
tiers passa successi\ement à de nom-
breux rois; mais ses fortifications lui
permirent de résister aux Sarrasins, que
(Charles Martel chassa en 73:2.
Imi 778. Cliarlemagne créa avec la
terre poitevine le royaume d .\quilaine.
pour son fils 1-ouis, qui le transmit plus
lard à son fils Pépin. Après ce prince,
vinrent de nouvelles divisions jusqu'au
I. ' H 0 T E I. K I' .M f: K , n r E n k h r I! ft v o t ft
jour où, en ISt>7, Charles le (Jhauve
donn;i le pays à HanuH'e, qui fonda la
puissante dynastie féodale des comtes
de Poitou, ducs d'.Aquitaine.
Elledevait se perpétuer jusqu'en 1 137,
où le Poitou fut apporte à la France
par -Aliénor, tille de ("luillaume ^'1II,
dixième duc d .Vquitaine, [lar son ma-
riage avec le roi Louis \\\.
Itépudiée en II,'')"i, .Aliénor épousa
presque aussitôt Henri Plantagenet,
alors duc de Normandie. I )eux ans après,
ce prince était roi d'Angleterre el le
Poitou passait pour la première lois aux
Anglais. .Aliénor, qui s'occupa beaucoup
de son comté cl y
fit élever de nom-
breux monuments,
est restée popu-
laire en Poitou, un
peu comme .Anne
en ISretagnc, elle
aussi tille du der-
nier duc. Mais
.Vliénor ^tail plus
hautaine et son
nom est entouré
(le moins de ten-
dresse.
l.e 10 août 12114,
Philippe - .Auguste
entrait en vain-
([uenr dans ' Poi-
tiers. (|ui faisait
ainsi retour à la
couronne de
Prance. Ses l'orti-
licalions furent
augmentées e telles
lui permirent de
résister aux An-
glais revenus el dî-
ne pas être entraî-
née dans la funeste
défaite de Poiliers-
.Mauperluis. Mal-
gré sa défense, le
traité de Hrétigny,
en I3()0, donnait
une seconde fois
l'HOMKNADKS KN PO 11' OU
1> Il I T I E R s — f: (; L I S E s A I X T - H I L A I K E I, E
la ville à IWiigletene. Elle fut enliii
reprise en 1372 par Du (iuesclin.
Jean de Berry fut créé comte de Poi-
tou par son frère Charles \ et, dès lors,
l'histoire du pays se confond avec This-
toire de France.
De tous les monuments de Poitiers, le
[jIus vénérable est celui qui sert actuel-
lement de palais de Justice.
" S'il est un monument historique,
c'est bien celui-là», a dit \'iollet-le-Duc
en parlant de sa f^rande salle, construite
au XII'' siècle, dans le vieux palais des
comtes de Poitou, et qui fut terminée, à
la fin du xii'" siècle, par la triple che-
minée, surmontée d'une claii-e-voies'éle-
vant jusqu'au faite en dentelle de pierre,
admirable envolée de l'art gothique.
.\ux temps sinistres de l'histoire de
France, après la mort de Charles VI,
(|uand les Parisiens venaient d'acclamer
comme roi Henri \l d'Angleterre, le
palais de Poitiers devint l'asile du Par-
lement, le refuge de la royauté et parut
être ce qui restait de la patrie française.
C'est dans la grande salle, en mars
1429, que Jeanne fut interrogée par un
tribunal, quelque peu ridicule, de ma-
gistrats, de théologiens et de matrones.
Sa foi et sa virginité triomphèrent et
elle fut ramenée le 15 avril à Chinon,
pour partir à la délivrance de la France.
La Cour d'appel de Poitiers est in-
stallée dans le vieux donjon, que le peu-
ple appelle encore la tour de Mauber-
goon, du vieux mot franc Mallberq (en
latin Mauberquin), qui voulait dire col-
line du tribunal, et M. de I.a Ménardière
a pu justement dire dans sa notice :
« C'est donc là que, depuis bien plus de
mille ans, a été rendue la justice, non
pas seulement la justice du Parlement
ou des grands jours, celle des présidiaux
de la royauté ou de nos cours souve-
raines, mais la justice des hommes libres
des temps mérovingiens, les plaids des
PUOMKN Al)i:S KN IMUTOr
comtes de (>liarlcniagne. » El. faute de
crédits, ce monument auj^uste des temps ■
passés reste encombré de masures, mal ;
restauré, menacé de ruine.
Il exi.>ite une Commission des monu-
inonls historique.'^, établie dans les plus
louables intentions, mais les hom'nics i
fenêtres de la cour a|j|jarlieimetil encore
aux formules fjothiques : une f^alerie
intérieure, ajoutée après coup pendanl
la Renaissance, n'est pas pour f,'lorilier
le style nouveau qui devait arrêter le
nia},Miilique élan de larl ojjival.
Pnilieis csl ricin- en vieilles éfrlises.
roiTiEus — .s.iLLK iiiis r.v.<- ri; i; Il r S nf r a i. a i < n k ,i r - r 1 1
émnienls qui la composent sonl bien à
plaindre. Ils disposent de ressources
ridicules et n'ont pas même l'autorité
nécessaire pour empêcher les actes de
vandalisme fréquemment accomplis par
les propriétaires ou les municipalités.
Dans les rues silencieuses du vieux
Poitiers, de vieux hôtels attestent avec
quel souci de l'art s'édifiaient au temps
passé les demeures non seulement de la
noblesse, mais de la hante bourj,'eoisie.
L'hôtel l'umée, entre autres, fut con-
struit dans les premières années du
xvT siècle, par François Finnée, licencie
c.r loi.r : sa curieuse façade (-1 les jolies
parmi lesquelles il faut surtout citer le
Haptistère Saint-Jean et Notre-Dame
la Grande. Le Baptistère Saint-Jean,
témoin du zèle religieux des premiers
temps de la chrétienté, est un monu-
ment unique en France. La fondation en
a été attribuée à l'empereur Constantin,
dont on y a retrouvé une image équestre :
mais il a été remanié au xn" siècle et fut
décoré, à cettcepoque.de peinluresniu-
rales dont plusieurs subsistent encore
La construction était menacée d'une
ruine absolue quand la Société des an-
tiquaires de l'thiest la lit acquérir par
ri'"(al en \X'M pniir la restaurer.
l'KOMKNADES KN l'OITDU
POITIERS — NOTRE-DAME LA GRANDE
Une piscine octogonale existe en avant : vaisseau; là venaient, les hommes et
de l'abside et deux absidioles circulaires les femmes à part, la foule des nouveaux
s'ouvrent dans les petits côtés du grand ! chrétiens recevoir l'eau du baptême, et
l'HOMKNADKS KN POITOU
nul endroit ne se prêle mieux à révo-
cation de ces temps de foi ardente.
La façade de Noire-Dame la (irande,
ajoutée au xii" siècle au vaisseau con-
slruil pendant le xi"", est justement cé-
lèbre. Celle admirable page de stulplure
est le plus beau spécimen du roman
poileviii, bleu cpi'elle s'écarte un peu des
divers étapes, elles olFrent un exubérante
succession de .symboles de toute fantaisie.
On peut s'imaginer l'elTel au temps où
toutes ces (leurs de pierre étaient poly-
chromes et dorées.
I/hisloire de Niort ne saurait trouver
place ici. Elle se confond d'ailleurs sou-
vent avec celle de Poitiers. Le lourd
^r^V»^
1 I N T • A N D lî É K T I. E I) () N .1 1
Iradilions do l'école poitevine propre-
ment dite pour se rap[)roclier de celle
de la basse Saintonge. L'auréole ovale
du pignon renferme le Christ accom-
pagné des quatre évangélistes; les arca-
tures, qui se développent sur deux rangs
superposés, contiennent les statues des
douze apôtres et de deux évoques; entre
ces arcalures et les voûtes des porches
se présentent Adam et Eve, Nabucho-
donosor, dont la présence est inattendue,
quatre prophètes et des scènes de la vie
de la Vierge. Quant aux arcalures des
donjon (pii subsiste a été construit sous
la domiualion anglaise, et l'église Saint-
André, dont les fins clochers se prolîlent
au lointain, esl un joli édifice moderne
dû à l'architecte Segrelain.
Quand on pénètre à Parthenay par
la porte Saint-Jacques, bâtie à la fin du
xii'' siècle, après avoir passé sous l'ogive
surbaissée défendue par ses hautes tours
crénelées et sous la herse dont la coulisse
existe encore, on entre dans la rue de
la V'aull-Sainl-Jacques. I'',lle monte à la
ville, par une pente raide, avec ses deux
l'IiUMKNADKS KN l'OlTOr
Ih.l
ruisseaux de pavés disjoinls. C'est une arriva à Parlhenav en 1 i'Il pour lullcr
évocalion saisissante du moyen âge. ' contre les déprédations de Georges de
Rien n'a changé depuis des siècles. Les la Trémoille. On croit voir encore le
PARTHENAT — LA RUE DE LA VArLT-SAINT-JACgUES
maisons de pierre et de bois ouvrent
leurs boutiques du rez-de-chaussée, où
il ne manque que les étalages de jadis.
C'est par là que le connétable de
Richemont, plus tard duc de Bretagne,
peuple mettre la tête aux fenêtres des
étages surplombants, la foule apeurée
se ranger le long des murs et entendre
les chevaux d'armes mêler le bruit de
leurs fers au cliquetis des armures.
l'HDM ICNADKS KN l'OlTOU
La figure du cardinal de Uichelieu
apparaît dans cet ouvrage à Lii^-on dont
il fut évêque ;i vingt-deux ans en l(j(W
et dont il ne se démit qu'en Kil'.H. à
J.oudun et à liichelieu niénie.
(rliain (Iraiidier, le curé do Lniidun,
raconte encore dans le pays que la
descendance de ses juges doit s'éteindre
il la septième génération et qu'ils sont
reconnaissables à leurs ongles eu forme
de griffes de loup.
Peut-être faul-ii voir un autre témoi-
It I C H E L I E r
Téivail luiinliii' aloi-s (ju'il élail évéquc
de I-uçon cii lui dis|)utant le pas dans
une cérémonie religieuse. Grandier,
esprit distingué et charitable, fut accusé
d'être troj) apprécié de ses paroissiennes.
Laubardemont mena le ])rocès; (îran-
dier était condamne à l'avance. On lui
présenta le crucifi.v, poui- une suprême
et publique é()reuve. Le pauvre prêtre
embrassa le Sauveur de ses lèvres ar- 1
(lentes de lièvi-e, mais, à l'effroi de tous, |
il se recida avec horreur : le crucifix !
de fer avait été chauffé au feu. Le [
19 avril l(),'}i, les jambes brovées pai- la 1
(|ucstion, il fut conduit au bûcher. On |
gnage, plus certain, de l'expiation dans
ce qui reste du châleau <le Hichelieu.
Les ancêtres de l'iùninence rouge
possédaient là un assez, modeste (ief qui
faisait piètre ligure à côlé des soni])tueux
châteaux voisins, surtout celui de Cham-
pigny qui appartenait à la Grande Made-
moiselle. Le tout-puissant ministre"
exigea la démolition de ce dernier, et la
merveilleuse chapelle qui en subsiste
ne fut sauvée que par l'rbain V'III.
l"]n 1()2(), deux mille ouvriers commen-
cèrent la construction d'inie demeure
qui ne devait point avoir de rivales.
Un château ne lui suffisant pas, le
l'UOMENADKS KN l'OITOIl
Cardinal voulut édilier une ville enlière
là où il n'y avait rien. En 1639, elle
était peuplée, munie de privilèi,a^s.
En 11)42, tout était achevé.. Mais
Richelieu venait de mourir, ;)yant eu
le temps de faire deu.\ seuls séjours de
superbe, silencieuses comme si elles
craignaient d'éveiller le passé.
Entre ïhouars et Moncontour de
Poitou s'élève la masse du 'château
d'Dyron, témoin désolé de splendeurs
disparues. Le petit parc, sous les
' H A T E A L' D
. I I, K II I T 1
quelques heures dans ces lieux où il
comptait reposer sa vieillesse.
En l'an XI, le domaine appartenait
encore au dernier duc de Richelieu qui
le vendit à la Bande noire. La démoli-
tion commença, interrompue un instant
par une idée de Napoléon d'y créer un
majorât, et poursuivie depuis à tel
point que rien ne reste aujourd'hui et
que, pour retrouver les pierres, il faut
les chercher dans les fermes voisines.
Par une ironie dernière, la ville est
restée presque intacte, mais c'est une
ville morte. Les maisons et la grande
rue demeurent dans leur ordonnance
fenêtres du château, a été morcelé, et
les paysans qui le détiennent aujour-
d'hui ne le rendront jamais. Guillaume
Gouffier, chambellan de Charles VII et
de Louis XI, possesseur d'Oyron, laissa
un fils, Artus, qui suivit Charles \'III à
la conquête de Naples. Sa veuve, Hélène
de llangest-Genlis, et son fils Claude
achevèrent l'église, rebâtirent le château
sur les plans probables de Philibert
Delorme. Il occupa ses loisirs à créer
les fameuses faïences, dites de Henri H,
plus rares que belles, et dont un chan-
delier, acheté 50 francs par un habitant
de Thouars, devait atteindre plus tard
PItOMENAUKS KN POITOU
le iirix excessif de It) 000 francs. C/.h/c/c
Gouftier, qui avait épousé cinq femmes,
mourut en ibl'2, laissant une fortune
territoriale immense et des richesses
artistiques qui furent dispersées.
l.c duc de l.i l'V'uillade, celui qui
couverte de sujets tirés de l'Enéide et
que Ton a attribués à Lebrun.
L'hospice, fondé par M""-' de Montes-
pan, existe encore, avec ses revenus.
Dans le parloir se trouve le' portrait de
la fondatrice par Mi^'nard. Perdu dans
•HATE .ir DE TEKKE-
dépensa un million pour élever au yrand
roi la statue que Ton voit sur la place
des Victoires et qui était entré par
mariaf^e dans la famille de (louffier,
alourdit Oyron des massives construc-
tions du style du .w n" siècle.
C'est à Oyron, qu'elle avait acheté
310 000 livres, que mourut la marquise
de Montespan, rachetant par des bien-
faits et des fondations qui existent
encore les erreurs de sa première vie.
Enfin, en 1772, le chevalier de Roi-
sairault-d'Oyron acheta le domaine au
niaréchal-dui' de Villeroy.
La plupart des constructions de la
Henaissance ont disparu et les immenses
pièces inhabitables sont décorées de
peintures du xvn'' siècle fort lourdes.
Une paierie, lonj^ue de ^^^ mètres, est
cette solitude, il produit un étrange
effet. La f^racieusc attitude de la mar-
quise et son regard ému feraient croire
aux sceptiques que l'amour de Dieu
n'avait pas encore totalement chassé de
son cœur le dieu de l'amour.
Les paysages se déroulent nombreux
dans cet ouvrage et choisis de façon à
évoquer, eux aussi, les souvenirs de
jadis. Ici, c'est Hxoudun, célèbre autre-
fois par ses fouasses ou galettes de
beurre, de sucre et de fine Heur de fro-
ment. On les distribuait aux fêtes, entre
autres à la Charilè de l;i Blce, à Niort.
On trouve dans les comptes de dépenses
de cette institution de bienfaisance,
en I1H7, que le pain venant à manquei-,
on acheta » à Jehan .lidy et à Pierre
.losepht, fiinnssicrs (ri'"xondnn. huit cent
PROMEN'ADKS KN POITOU
tienle fouasses, qui coulèrent 2 deniers
la pièce 'i. C'est le cas de dire que faute
de pain, on mangje du g'àleau.
raines en jouissaient comme usagères el
même véritables propriétaires.
Depuis 1850, ils furent en partie
: U A T E A U DE T I F r A U G E S — LA C F. T 1' T E DE LA C H A F E L L E
Voici les curieux marais de Benêt. Ils
appartenaient autrefois aux Templiers,
et, depuis 1470, les communes rive-
desséchés et donnèrent à cette contrée
une physionomie de Hollande. C'est
dans ces humides parages que vivaient
i'1{(imi:nai)KS i:n I'oitou
les Colliberls, disputant les poissons
aux loutres. Leurs descendants, les
Hullierx, ont continué leur existence;
mais leurs maisons sont aujourd'hui
plus confortables.
Hien n'est plus intéressant que de
passer en revue, en tournant les pages
de ce bel ouvrage, les nombreux châ-
teaux qui peuplent encore, restaurés ou
en ruine, la terre poitevine et ven-
déenne. Nous rendrons visite à quelques-
uns, et l'on ne peut mieu.x débuter qu'en
entrant, à Fontenay-Ie-Conite, au châ-
teau de Terre-Neuve, l'antique manoir
de Nicolas Hapin.
Nicolas Uapin naquit à Fonlenay, en
1539. Ce fut, comme on sait, un des
auteurs de la satire Ménippée qui rendit
plus de services à Henri H' que nombre
de ses victoires. Il lit construire, en 1595,
dans sa métairie de Terre-Neuve, une
demeure appropriée à ses goûts où,
comme Ronsard à la Poissonnière, il fit
graver des devises dans le goût de
celle-ci :
Vents, Koufllcz en loulc suisiiii
lin bon ayr cn-ccHe niayson.
Que jiimnis ni iiévie, ni peste,
Ni les niiiiil.\ qui viennent d'exeez.
lùivie, querelle ou |>rocc/
<Vu\ (jui s'y tiendront, ne niolesle.
.Après Rapin, la terre passa de main
en main jusqu'en 18^0, époque où elle
fut acquise par le grand-pèro du pro-
priétaire actuel, qui est M. le mar(|uis de
Rochebrune et, vraiment, on peut faire
aujourd'hui une heureuse application
des vers gravés jiar le poète.
M. de Rochehrune est un sa\ant et
un artiste hors ligne, dont les eaux-
fortes sont des œuvres d'une puissance
extraordinaire. Nul, aussi bien que lui,
n'aurait pu conduire la restauration de
cette demeure ainsi qu'il l'a entreprise et
menée à bonne lin, y ajoutant même des
(iMni'Cs in-ises à des châteaux voisins en
. u - G r I I, I. A u M K — I.
(HAT K A U
ph()Mi:nai)i:s en ponor
POrZAUOES — I,E CHATEAf DES ÉCHAIIDIÈRES
ruine et sauvées ainsi de la destruction.
C'est un cas peu banal que celui de ce
g^entilhomme imprimant lui-même les
map:nifiques planches dues à son burin
dans un atelier établi sous les belles
voûtes du château, et apparaissant, dans
ce cadre approprié, comme une des belles
lig^ures des artistes de la Renaissance.
Pour chercher un contraste violent
nous irons jusqu'à TilTauges. TilTauges,
c'est le château de Barbe-Bleue. Il occu-
pait léperon formé sur le confluent de
la Crûme avec la Sèvre-Nanlaise et
dominait le pays, avec son enceinte de
\ ingt-quatre tours, sans compter d'au-
tres travaux et son donjon énorme.
Gilles de Rays devint possesseur de
TifTauges par sa femme qui apparte-
nait à la maison de Thouars. Descendant
des Montmorency-Laval et des maisons
de Machecoul et de Craon. il combattit
avec Jeanne d'Arc et s'illustra au siège
d'Orléans. A vingt-six ans il était maré-
chal de France et escorta Charles VII
au sacre de Reims. Mais, après la mort
dj la Pucelle, il alla s'enfermer à TilTau-
ges, y vécut de débauches et se livra aux
pratiques de la sorcellerie. La légende
veut que ses pourvoyeurs, La Mellraye
entre autres, lui amenaient de jeunes
^enfants qu'il mettait à mort, exaspéré
par ses pratiques d'alchimie.
Arrêté, condamné à Nantes et gracié,
il fut poursuivi à nouveau par le duc de
Bretagne et enfin pendu et brûlé le
26 octobre l44t).
Il subsiste des ruines importantes de
cette demeure, entourée d'une sinistre
légende.
Aux confins du Poitou, du Berry et
de !a Marche, entre le Blanc, Montmo-
rillon et .Argentan s'élève le château
l'IiiiMKNADKS i;.\ l'DlTOU
(îuillauinc, un ck's plus éloniianls lé-
moins de la vie féodale. Guillaume I\,
duc d'Aquitaine el comte de Poitou,
retour des Croisades, en commença la
construction en 1101, le château fut
conservé par les comtes de Poitou pen-
dant lo \n" siècle,' entra dans la famille
poussés dans les tours; seuls l'entrée,
la lour Trémoille et le donjon restaient
debout. Mais, sous la végétation qui
recouvrait les décombres, les disposi-
tions des murailles se reconnaissaient.
El le chartrier, complet dans le désordre
de son amas de manuscrits, était intact.
; M I K 1! k T A i; K 1
des l.a rrémf)ille qui le conserva trois
siècles durant cl |)assa en l,"):2() comme
(lot de Jacqueline de la Trémoille à
Claude Gouflier déjà propriétaire du^
château d'Oyron. En 16(10, il sort de
cette famille pour a|ipartenir aux lîif-
fanll, puis aux l,n l'\iirc. I.e 2'.) pluviôse
an \ 1 ( 171)8), il est vendu comme bien
national, mais pas pour longtem|)s, car
les l.,a l'aire peuvent le rc|)i-eti(lrc en 1 802.
En 1878enlin, il enirc dans la famille
Koberl de Heanchanip cpii a entrepris
une restauration à peu près terminée.
Le château n'était alors qu'une im-
mense ruine; de i;inn(ls ai'bres étaient
La restauration dura dix ans et elle
mérite la reconnaissance de tous les
g-ens de goût.
La Rochefaton rappelle le souvenir
du marquis d'Autieham[) qui y mourut
en 18.")',). Lieutenant de Honcliamp, sa
conduite généreuse el dévouée a laissé
intacte sa mémoire à travers les cruelles
péripéties des tristes guerres de l'Ouesl.
Le château n'a conservé de sa physio-
nomie belliqueuse au moyen âge que
sa porte crénelée.
.Au pied de Pouzauges, qui s'élève
au-dessus du Bocage vendéen dans une
situation comparable à celle d'.\vi-an-
l'UOMKNAUKS K N IMUTOT
ches moins la mer, est le vieux Pouzauges
et son éj;lise. Son dallaf;e est entière-
ment formé de pierres tombales des
anciens seigneurs de la contrée au milieu
desquelles se sont placés, plus modestes
dans leurs inscriptions funéraires, les
curés de la paroisse. L'éylise est sombre
. l<e château de Dampicrre-sur-Hou-
tonne a été construit au xm'" siècle et
la ;;alerie que représente notre gravure
a remplacé des dispositions défensives
construites au xv" siècle. Jeanne de
\'ivonne et sa lille Claude-Catherine de
Clermont-Dampierre ont dirigé la con-
C II .4 T E A r DE M A U C O X X A 1
et humide ; le froid descend de ses
voûtes et des verdeurs de mousse pas-
sent à travers les tombes que Ton ne
peut, en marchant, s empêcher de fouler
aux pieds. Nulle part la tristesse des
choses disparues ne paraît plus mélan-
colique et le passé plus définitivement
aboli.
Les anciens manoirs de la contrée
presque tous aujourd'hui à l'usage de
fermes, inspirent les mêmes regrets.
Nous avons choisi la gravure représen-
tant les Echardières, dont les construc-
tions datant de diverses époques ont
gardé leur aspect pittoresque.
struction de cette galerie et inspiré sans
doute les allégories figurées dans les
quatre-vingt-treize caissons de sa voûte
merveilleuse. La pierre sculptée y parle
un langage plutôt mélancolique : " Le
sort n'est pus le même pour tons. L'or
ouvre les portes fermèei. Trop Inrd
connu, trop lot laissé. » Mais il n'est
pas sans courage, car on y lit aussi :
<i Frappé, je me lève ; heurté, je rebondis.
— Plutôt mourir que se déshonorer. ••
-Mon Dieu ! J'ai comballu soixante ans pour ta gloiro,
.l'ai TO tomber Ion temple et périr ta mémoire ..
Ruiné aussi le château de Lusignan,
PHOMENADKS EN l'OITOT
bâti, (lit la légende, parla fée Mélusine,
qui était la merveille du Poitou et que
Henri III fil démolir. De là était parti
Amaury de Lusif,'nan pour la Palestine
où il devait épouser la sœur de Bau-
douin, devenu roi de Jérusalem et fon-
dateur du royaume de Chypre.
Le château de Marconnay, un des
soixante cl un fiels qui relevaient de
de rivière, des hôtelleries s'étendant
sur un terrain d'environ '.i hectares, un
théâtre pouvant contenir à ])eu près le
même nombre de personnes que le
temple, d'antres subslructions encore,
telle fut, en quelques années, l'œuvre
acharnée d'un seul homme, faiblement
aidé par le gouvernement et entravé
par (les difficultés sans nombre.
iriNKS G AL L il-Rl] M Al N KS DK S AUX A V
. i', r FI f: A T U F.
Lusignan, subsiste encore, mais aban-
donné à des usages rustiques.
ICnfin, pour clore ce voyage aux
temps de nos pères, nous remonterons
plus loin encore dans le passé. C'est
non loin de Lnsignan, à Sauxay, que, le
H lévrier ISMI, le H. P. Camille de la
Croix commençait des fouilles qui pas-
sionnèrent le monde savant et mirent à
découvert des constructions gallo-ro-
maines dune extrême importance.
Un temple, |)onvant contenir 8000 per-
sonnes, des llieiMiics, un balnéaire d'eau
Va l'd'uvre du U. P. de la Croix nous
permettra de terminer comme nous
avons commencé en parlant de M. Ro-
buchon. Dans une patrie qui fut la plus
belle et où, dans toutes ses provinces,
les monuments i)roclament la grandeur
du passé, l'inilialive courageuse de (piel-
ques hommes peut nous réconforter,
mais non pas nous consoler de la mes-
quinerie générale née d'une politique
sans aiii|il(~iir et sans courage.
A . C,> I A N T I \ .
L'ARMADA
Soub les yeux tristement ingénus des étoiles
L'invincible Arnnada de mes rêves lendit
A des souffles d'espoir la blancheui' de ses toile?^
Ah ! que soit à jamais par nna bouche m^audit
Cet admirable soir de printemps où ma flotte
Veps l'incoiinu du large, au jusant, descendit.
Mes vaisseaux n'av
Tant les havres rêv
Pour boussole ils n
Mais ils voguaient vers l'île heureuse où les des
Font régner tendrement la Princesse lointaine
Dont les poètes sont les sujets clandestins.
Mon orgueil pour drapeau, mon cœur pour
(Capitaine novice et qui voilait en vain
Ses timides candeurs sous sa_morgue hautai
Mon Armada vers le pays d'amou
Chaque vaisseau glissant sous la brise jol
Ainsi que vers Léda le grand cygne divin.
HU I. ARMADA VAINCUE
Et, naïf, je croyais les vents coalisés
Pour hâter le voyage, et, de ma tour d'ivoire
Suivant les chers vaisseaux que j'avais nolisés.
D'avance j'écrivais leur merveilleuse histoire
Et prévoyais déjà leur retour triomphant
Sous des ciels sonnplueux parés ï>our ma victoire!
Mais la nner, que l'on croit soumise, se défend.
La paix qu'elle nous offre est à peine une trêve...
Et mes vaisseaux n'étaient que des bateaux d'enfant '
Bateaux frêles, pour qui les mares de la grève
Étaient un océan et la voile un fardeau...
Voici ce qu'il advint de mes vaisseaux de rêve :
Le premier s'éventra sur un roc à fleur d'eau...
Le brouillard, ténébreux complice du naufrage,
Sur les yeux du second appliqua son bandeau...
Un troisiènne, tenté d'on ne sait quel mirage.
Changea de route et se perdit vers l'horizon...
Et sur ceux qui restaient la tempête fit rage
Si formidablement qu'on eût dit qu'un Samson,
De la voûte céleste ébranlant les pilastres.
D'une outre Dalila vengeait la trahison.
Oh! la pitié charmante et très douce des astres!...
Les étoiles, là-haut, avaient fermé les yeux
Pour ne pas voir se consonimer tant de désastres!...
Mais, lorsque le soleil s'épanouit aux cieux,
Je vis, avec les flots encor blanchis de bave.
Rouler tout un ramas de débris précieux...
Des morceaux de carène et des lambeaux d'çtrave.
Des ruines sans nom, sans forme, sans couleur...
L'invincible Armada me revenait... épave !..,
Ah! j'en criai de rage et hurlai de douleur
Et j'accusai le ciel, et la mer, et vous-même ,
Qui, lointaine, ignoriez sans doute mon malheur
Et, dans mon désespoir du désastre suprême.
Demeurant le vaincu mais non l'humilié,
Mon orgueil vous jetait un injuste anathème.
//'
De voire chaniie
Mais je compris,
Que mon cœur, e
L" ARMADA \* AINCUIO
,e alors je m
s délié.
;up fut assagie,
vait pas oublié..
Votre image tenait ma prunelle élargie...
Et, des premiers espoirs toujours féru, mon cœur.
Si loin de vous, se languissait de nostalgie.
De quelle annère et douce et subtile liqueur
Aviez-vous donc grisé ce cœur vierge, ô Sirène,
Qu'ainsi l'iinllucintit un mirage moqueur?...
Vous allez, n'est-ce pas, bien rire... Voici, Reine,
Que, pour parachever ma défaite d'aniour.
J'ai refait un c^not d'un débris de carène...
Un tout petit canot étroit, grotesque et lourd...
— Vagues, vous pouvez bien réserver vos colères,
Il n'en a pas besoin pour sombrer à son tour!
J'ennbarqueral tel un forçat sur les galères
Qui résigne son cœur aux. pires désespoirs
Sachant que son labeur n'a plus droit
A Di
Com
X sais
L.'allégresse intinie des beaux
premier départ à chf
run va pleurer demai
ivertue...
les bossoi
A Dieu vat!... Je suis fils d'une race têtue
Que sa foi mit toujours à hauteur du péril.
Et puis, de tant d'amour je vous ai revêtue
O Princesse lointaine, ô poème d'avril,
Que, malgré tout et tous, et malgré vous p«
Je vous apporterai le don d'un cœur viril.
Et que l'esquif soit frêle et que le flot soit
Comme au pôle ignoré se dirige l'aimant.
Si lointaine que vous vouliez bien m'appar,
ENTRÉE UE I,'f:iOI.E
L'ECOLE NATIONALE 1) A( ; li I CULTU KE
UK CHKiNoN
1mi 1826, le célèbre ingénieur Polon-
ceau se préoccupa de créer aux envi-
rons de Paris un grand élablissenienf
agricole. Il intéressa à cette idée des
savants, des propriétaires fonciers, et
fonda avec eux la « Société royale agro-
nomique ».
11 fallait trouver un domaine qui put
servir à la fois d'établissement d'ensei-
gnement et de démonstration. Le do-
maine de Grignon, appartenant à la
veuve du maréchal Bessicrcs, fut acheté
par Charles \ et cédé p:ir lui à la nou-
velle Société.
.Auguste IJella fut nommé directeur,
et l'organisation fonctionna pour le
compte de la Société agronomique jus-
qu'en 1819. A cette date, Grigno:i
di'vini inslilution de ri'"(al. l,'oti>eiL'iie-
nienl était alors réparti en six chaires :
Kconoinic el législation rurales.
.\griculliire.
Zootechnie ou écunomiedu bétail.
Sylviculture et botanique.
Chimie, physique, géologie.
Génie rui-al.
Les améliorations successives appor-
tées à l'enseignement en lirenl la pre-
mière des l''.coles régionales, puis natio-
nales, d'agriculture. Ces établissemenl>
d'enscignenieiil agricole supérieur sont
actucllenu-nt an nombre do trois : (iri-
gnon. .Montpellier cl Menues ancien-
ncmcnl ' iranil|ou.ui .
Le domaine de (îrignon fait partie du
hameau du mcme nom, situé sur la
LKCOLE NATItiNAI.K I) A (1 H ICC LT U li K DK (JKKÎNON
iDimminc de Thi\er\al, ;i 'A'2 kilnuiMi-cs
à l'uucsl de Paris, à H> Ivilomèlres do
\ersaillcs; il appartient au canton de
Poissy et à l'arrondissement de \'er-
sailles ; on s y rend de Paris (Montpar-
nasse) par la ligne de Granville, station
de Plaisir-Grif,''non.
La superficie totale, entourée de murs
sur près de 11 kilomètres d'étendue, est
d'environ 3'JO hectares comprenant :
l"J9 hectares de terres cultivées, liOhec'-
tares de bois, 71 hectares occupés ])ar
les bâtiments, pelouses et chemins.
La terre de Grignon fut érigée en
châtellenie en 1585; depuis le milieu
du \u'' siècle jusqu'à cette date, ce
En 1585, la seigneurie de (irignon
lut transformée en châtellenie en faveur
de Pomponne de Itcliièvre, chancelier
de l'"rance. De cette époque date la pro-
spérité du domaine. M. Le Chenetier,
curé de Thiverval, qui a étudié l'his-
toire de Grignon et des fiefs voisins, ne
peut préciser exactement la date do la
construction du château actuel, ni lo
nom de celui qui l'a fait bâtir. La tra-
dition assure que c'est un Pomi)onne
de Hellièvre ; est-ce le père dont nous
venons do parler, ou le fils pour qui
Grignon fut, en 1651, érigé en mar-
quisat ?
Le style du château indique l'époque
■ R I N C I !• A L E
n'était qu'un simple fief de médiocre
importance. La duchesse d'Etampes,en
1546, et Diane de Poitiers, en 1556, re-
vurent Grignon de la munificence royale,
eu compagnie d'autres petits fiefs des
alentours qui rachetèrent par leui'
nombre le peu d'étendue et de rapport
<lc chacun d'eux.
Louis XIII; il paraît avoir été édifié
dans la première moitié du xviT' siècle.
Guillaume de Balard, comte de Hrassac,
en était propriétaire lors de la Révo-
lution : il émigra ; ses biens furent
vendus : Grignon fut acheté par Auguié,
administrateur des postes, beau-père
du maréchal Xov. cpii fut marié à Thi-
19S I. ÉCOLE NATIONAl.l-: 1)' A G U 1 C. f LT U R E DE CKICNON
vervjil 1p 17 lliermidor an X (180"ii i n'en a que [leu :i11i'il' la ])livsionnniie.
(Le Chenetien. I,e chàlcau, niodilié inlérieiii-ciiienl pour
Napoléon I'''^ acheta le domaine de recevoir environ cent élèves, a cfinservc
Grifrnon pour en faire don au niaré- ses belles li^'nes architecturales, ses
chai Hessièrcs, duc distrie. Celui-ci briques rouges mêlées de pierres blan-
donna de belles fêtes et reçut plusieurs
fois l'empereur; une des chambres du
château posséderait encore le lit où le
ches, son haut toit d'ardoises et ses
fossés. Les avenues et les pelouses res-
tent bordées de grands arbres. On a
■ K !■; .M 1 K TL K
I U R n F. LA l' i; K M E
j;rand lionime a reposé. Plusieurs
pièces, qui sont maintenant des salles de
cours ou des dortoirs, ont conservé les
sculptures et les ornements dont on a
revêtu leurs murailles au temps du duc
d'Lstrie. (]elui-ci fut tué d'un coup de
canon, le l'"'' mai 1813, la veille de la
I)ataillc de Lut/en. Sa veuve vendit le
(lomaiMc |)(inr 7(t(M)()() francs au roi
('.iKirlcs \, qui le céda, a\oiis-nous dil,
en I.S2<'), à riiislilution ro\alc agrono-
mique.
I.a Iransl'ormadon dn il(iinai[ie (
élahlissemenl d'onseiLmenicnl aL'rici
ajouté en face du corps principal, sui-
une petite émiiience. un hàtinicnt spé-
cial pour l'habilaliou du directeur et
les services de la direction, .\u-dessous,
devant la grande façade, un modeste
monument rappelle aux jeunes agro-
nomes la mémoire d'.VugusIc lîella, ])re-
mier organisaleui- de renscigncnienl à
d'ignon : on a voulu aiii^i pci^péluer le
souvenir des sit\ ii-cs ipie \r londaleur
de ("ii-ignon a r('n(hÈ>^ à lagriculture en
lirésenlanl cl en .ippliipiant ce précepte :
I. L'anu'lioraliou dn sol est la source là
plus féconde de la production à bon
marché. •• « I,e soi, c'est la pairie, disait
aussi licUa; anicliorei- l'un, c'est servir
I. ÉCOLE NATloNAl-K 1) AGR ICU LT L' I{ E DE GHIGNON
l'aulre. » L'ne promenade dans le parc
par une belle journée de printemps ou
une claire soirée dété procure quelcjucs
heures agréables. On s'égare volontiers
dans les allées percées en tous sens,
dont les unes, dans le voisinage du
château, sont très fréquentées, dont
d'autres plus éloignées, ou grimpant
remarquables que l'orme en question.
l ne autre curiosité du parc, c'est
l'allée au\ Buis. Le sol de Cirignon con-
vient on ne peut mieux à la pousse de
cet arbre, que l'on rencontre rarement
avec les dimensions qu'il atteint ici.
L'hiver de 187'J a détruit les plus vieux
troncs; malgré cela, les rejets qui da-
XOrVEArX L A BilU ATOIRE.S DE CHIMIE ET TECHXOLO'ME
sur les coteaux, ont toute la saveur des
endroits peu visités; en quittant les
chemins sablés, c'est un charme de plus
que de fouler une épaisse couche de
gazon souple entre les bordures de lilas
et de tilleuls.
Des arbres géants ont été conservés
et contribuent à l'ornement de ces belles
futaies où dominent l'orme et le hêtre.
Tous les anciens Grignonnais connais-
sent le gros orme situé près des labora-
toires ; il mesure 33 mètres de hauteur
et 5"', 80 de circonférence, à 1"',20 du
sol ; le long du ru de Gally qui traverse
tout le domaine croissent des pla-
tanes, dont quatre sont presque aussi
lent de vingt ans sont encore assez
forts pour former de chaque côté de
l'allée une bordure ayant de 2 à 4 et
j mètres de hauteur. Plus loin, sur un
coteau aride, le buis forme un taillis
en toylfes vigoureuses : c est la " cote
aux Buis ».
L'allée de Thiverval. qui mesure
1 80(t mètres en ligne droite sur une
largeur de plus de 30 mètres, le jet
d'eau avec son grand bassin circulaire,
les prairies établies sur l'emplacement
d'anciens bassins sont des restes du
domaine seigneurial.
On rencontre dans le parc plusieurs
sources : la Cressonnière, dont l'eau est
I, KCOLK NATIONAI.li l)' A G H 1 C. f I.TU U K DE GKICNON
dérivée sur les terrains de la slatioii
agronomique; la source du Maréchal,
qui alinienle le jet deau; la petite
source de Chantepic: la source de la
Mare, doul l'eau est distribuée dans
riicole et les différents services.
lîrignon présente encore pour le tou-
riste et pour le chercheur un attrait
que peu lui connaissent : c est lamas
étonnant de coquilles fossiles que ren-
ferme son parc. Le calcaire grossier,
jaunâtre, sableux, friable, s'y montre
avec une quantité prodig'ieuse, des en-
tassements, des filons de coquillages
bien conservés et faciles à détacher de
leur gangue.
I,amarck a décrit cl ligure près de
six cents de ces espèces : on a découvert
douze cents nouvelles formes : et l'on
peut ajoulei' que les conchyliologistcs
n'épuiseront jamais la richesse des falu-
nières de Grignon, dont l'exploration
se fait parallèlement aux fouilles prati-
quées pour l'extraction du sable.
Ce grand gisement appartient au ter-
rain tertiaire inférieur ou éocène. Le
nom de falunière qui lui est donné pro-
\oquc une confusion entre 1 âge géolo-
gique de ces sables coquilliers et l'âge
des faluns, si connu en Roumanie et
dans le Bordelais; cependant il peut
être justifié par la grande ressemblance
des sables de (îrignon avec les faluns
proprement dits.
C'est une roche ]iulvérulente. essen-
tiellement calcaire. ])étrie de débris fos-
siles dont les plus nombreux sont des
coquilles de mollusques, des oursins et
des dents de requin, l'aile dépend de la
formation du calcaire grossiei-, gt c'est
d'une manière tout à fait exceptionnelle
que la roche, au lieu d'être douée de
la cohésion qu'on lui connaît dans les
moellons, est |)idvérulenle: la cause de
celte différence n'est pas bien connue.
M. Stanislas .Meunier, qui en a l'ail une
élude allenlive, reniiii-qne tpie, dans la
faune malacologique de Crignon, il n'v
a pas une espèce /.oologiquemenl iden-
tique:'! celles {pii pullulent dans nos mers.
Ces sites variés, ce milieu accidenté
et pittoresque, au fond de celle petite
vallée fertile, forment une situation fort
convenable pour de futurs agriculteurs
aimant les champs, les bois, la vie au
grand air. Le nombre des élèves a tou-
jours été en progressant. Il était, en
188(1. de 90, tous internes; de 135 en
18U(i (H)(l internes, 35 externes : de 2i(l
en 18ll() i H'.'') internes, 130 extei'nes ;
il est actuellement de •2'M\ ^M internes.
'.)6 externes, 1 7 auditeurs libres, '2t\ élèves
en congé d'un an pour service mili-
taire!, répartis en trois promolions.
«
• •
L'admission dans les l'.coles natio-
nales d'agricullure a lieu |iar voie de
concours. Les candiilats doivent être
âgés de dix-sept ans accomplis au l'^ivril
de l'année d'admission et adresser leur
demande, sur timbre, au ministre de
l'agriculture, avant le 15 juin.
Les épreuves écrites ont lieu le pre-
mier lundi de juillet et le jour suivant,
dans les villes désignées par le ministre
et dont voici la liste actuelle : Alger,
Amiens, Bordeaux, Clermont, Dijon,
Lyon, Marseille, Montpellier, Nancy.
Nantes, Paris (à l'orangerie du Luxem-
bourg), Rennes, Toulouse, Tours. Ces
épreuves, ainsi que les orales, portent
sur le programme ci-après :
.\rilhnié(ique, algèbre, géométrie,
physique, chimie, zoologie, botanique,
géologie, et comprennent :
1 " Une composition françaiso:
^^ . > 2" I.a solution d'un probli-me d'à-
1 rillimt'liquc ou d iiljîèljrc cl d'un
' problème de j;éonn.Hrie:
/ 3" Une composition de physique cl
„ . 1 de cliimic:
2'' jour. - , , ,, ■,. ,
) 1" I ne composition de sciences
( naturelles.
Les épreuves orales sont au nombre
de trois : malhéinaliques, [ihysique cl
chimie, sciences naturelles; elles ont
lieu en août à "Angers, Lyon, Toulouse
cl à Paris à l'Inslilul national agrono-
mique.
I, KCOLK NA'llONAI.K 1) A 11 K 1 r.U I, TU II K DK Hlili'.MlN
Lcb divers titres des canclidats leur
assurent d'avance les iioints suivants :
Diplôme des licoles nationales vétrii-
naires -'"
Diplôme de licencie es sciences ou es
lettres • '■">
Certificat d'études physiques, ehimiriues
et naturelles 1-
Diplome de bachelier m
Certificat des Écoles pratiques d'agricul-
ture **
lirevet supérieur de l'enseignement pri-
maire '^
l'remière partie du diplôme de bachelier. j
C.ertifical des fermes-écoles :>
lîrevet élémentaire de l'enseipnement pri-
maire ■'
Les élèves sont internes . denii-in-
lornes ou externes : l'Ecole reçoit des
but de l'ournir au\ jeunes j^cns qui se
destinent à l'aj^'ricullure l'cnscnible des
connaissances scientifujucs cl pratuines
qui conduisent à la bonne e.\pl(iitation
du sol et du bétail: de former des
hommes connaissant, avec leurs procédés
et leurs conditions d'e.\istcncc, les res-
sources des industries ajîricoles; avec les
détails techni([ues de la profession la
science économique qui en régit la mise
en œuvre. Il convient pour ceux qui se
destinent soit à l'enseignement agri-
cole, soit à la gestion des domaines ru-
raux, pour leur propre compte ou pour
autrui.
L'enseignement de Grignon est donc
à la fois théorique et pratique. Les
leçons données dans les amphithéâtres
LABOIiATOIRE DE CHIMIE
auditeur^
admis à
lernes.
libres : les étrangers sont
:e titre et aussi comme ex-
I, enseignement de Grignon a pour
demeureraient stériles si elles n'étaient
complétées par les travaux pratiques
effectués dans les laboratoires et les ob-
servations quotidiennes recueillies dans
les champs d'exercice, les jardins bota-
nique, dendrologiqne , maraîchers et
I. KCOLK NATIONALK ir A G lU C.U LT Uli K D K GUIGNON
fruitiers et dniis une iniportanlc exploi-
tation rurale. Celle-ci, installée clans
l'enceinte des murs, à coté du château,
comprend, avec une surface cultivée de
plus de 100 hectares, une vacherie, une
beuverie, une écurie, une berf^erie, une
porcherie, une basse-cour. A tour de
rôle les élèves sont chargés des diffé-
rents services de l'exploitation ; ils pé-
nètrent dans les détails de l'exécution ;
ils acquièrent par l'habitude des diverses
opérations le savoir-faire et l'autorité
indispensables à tout chef d'exploita-
tion.
Les nialières de l'enseignement sont
réparties en cours et en conférences.
Cours: agriculture; botanique; chi-
mie générale et agricole ; économie et
législation rurales: jénie rural; géolo-
gie et minéralogie agricoles; sylvicul-
ture, viticulture et pomologic; techno-
logie, zoologie et zootechnie.
(Conférences : entomologie, extérieur
des animaux domestiques, horticulture
et arboriculture, pathologie végétale,
hygiène humaine, coni|)tabilité. Les
élèves sont astreints à des exercices
militaires.
A ri'x'ole est annexée une station
agronomique qui comprend un champ
d'expériences et un laboratoire d'ana-
lyses. Le laboratoire fournit aux culti-
vateurs tous les renseignements de na-
ture à les éclairer sur la composition
des terres, des engrais et dos produits
de la culture. Le champ d'expériences
a été installé pour l'essai des diverses
espèces d'engrais et pour l'exécution
des expériences de culture dont les ré-
sultats sont mis sous les yeux des élèves.
Des excursions complètent les appli-
cations données à l'intérieur de l'éta-
blissement ; elles sont faites dans de
grandes ex[)loilalions et des usines agri-
coles des environs de Paris. L'I'CcoIe est
^i favorablement située qu'on trouve
dans un rayon de "20 kiloniètres toutes
les variétés de len•aln^ : les vallées de
la Seine et de l.i .Maulilie, les coteaux
siliceux de Sèvres, de SaiMl-Ccrmaiii,
les collines calcaires de Chavenay, les
plateaux argileux, etc.. offrent des études
de climats variés et des caractères spé-
ciaux des différents terrains. De grandes
industries, brasseries, sucreries, distille-
ries sont installées dans le môme rayon.
Des visites au marché cl aux abat-
toirs de la Villette permettent aux élèves
d'étudier sur place les caractères des
races animales et les transactions dont
sont l'objet les bêtes de boucherie. Dans
les grandes écuries de la caiiilale Omni-
bus, Petites Voitures et autres grandes
industries de transport , ils étudient les
divers types de chevaux qu'ils auront A
produire ou à utiliser.
Presque tous les ans, sous la conduite
de plusieurs professeurs, un certain
nomljre d'élèves s'en vont, pendant les
vacances de Pâques, pour un long
voyage d'instruction. L'ivcole a ainsi
successivement visité la Belgit]uc et la
Hollande, la Suisse et l'est de la France,
la Provence et la Corse, et en dernier
lieu la Tunisie. De ces voyages, maîtres
et élèves rapportent des souvenirs agréa-
bles et des documents importants.
Il serait sans intérêt de relever les
indications du règlement intérieur:
mentionnons, pourtant, ce qui a trait
aux services de l'exploitation : ces ser-
vices ont une durée de dix jours, au
cours desquels les élèves qui en sont
chargés doivent tenir note de tous les
faits qu'ils ont observés et remettre un
rapport cjui est noté. Ces services com-
prennenl :
Le service des cultures ;
Le service des animaux et de hiconr;
Le service du génie rural cl dn fonc-
tionnement des machines;
Le service des champs d'élndcs l'i
des jardins;
Le service dn jardin liolauiiiuc et des
collections ;
Le service des observations méléoro-
logi(|nes.
LÉCOLK NAriONALli 1) AGll ICf LTU li E DU CHIGNON
Les élèves subissent des examens par-
ticuliers et des examens -^'énéraux. Les
examens particuliers sont faits par les
répétiteurs et les maîtres de conl'é-
rences; ils sont combinés de façon que
chaque élèveen subisse un par semaine.
Les examens généraux, théoriques et
])raliques sont subis devant les prn-
mériler le di[)lôme, ont fait preuve de
connaissances suffisantes, peuvent rece-
voir un cerlilical d'études.
Ce diplc'ime, quoique délivré par le
ministre, ne confère aucun droit à une
place ou un emploi déjjendant de I ad-
ministration de l'afjriculture ; celle-ci
n'assure aucun poste aux élèves sortis
fcsseurs. à la lin de Tannée scolaire.
Les notes prises au cours sur des
cahiers spéciaux sont l'objet d'une ap-
préciation qui compte pour le classe-
ment.
Pendant les vacances, les élèves doi-
vent rédiy^er un rapport, sur un sujet
de leur choix, mais d'après un pro-
j^'rammc qui leur est remis ; la note de
ce travail équivaut à celle d'un examen
général.
.A la fin de leurs études, qui durent
deux ans et demi par exemple du mois
d'octobre 1899 au mois de mars 1902 .
les élèves reçoivent le diplôme des Ecoles
nationales d'agricullure : ceux qui, sans
diplômés de ses établissements d'en-
seignement agricole. Nonobstant, ce
diplôme, ainsi que ceux de l'Institut na-
tional agronomique et des Ecoles natio-
nales vétérinaires, j)rocure une avance
de dix points dans les concours pour le
poste deprofesseurdépartemental d'agri-
culture.
Aux termes du décret du 23 no-
vembre 1889, rendu pour lexéculiou
de la loi du 15 juillet 1889 sur le recru-
tement de l'armée, les jeunes diplômés
des Ecoles nationales d'agriculture, com-
pris dans les quatre premiers ciiif/uiémes
de la liste de mérite de ceux des élèves
français qui ont obtenu pour tout le
201 LKCOLE NATIONALE I) A G l( 1 CU I.T L' l{ IC DK (jHlC.NON
cour.-^ de leur scolarilt- 6j pour 1(10 au
moins du total des points que l'on peut
obtenir d'après les règlements desdites
l-lcoles, ne sont astreints en temps do
paix qu'à un an de présence sous les
<li-apeaux.
Les élèves qui accomplissent leur
service militaire soit aussitôt après leur
admission , soit pendant la durée de
leurs études, sont renvoyés au bout d'un
an dans leurs foyers; mais ils doivent
piodnirc leur diplôme dans les condi-
tions rec|uiscs avant 1 àj^e de vingt-six
ans. sous peine d'être rappelés pour
deux autres années de service.
Soixante-treize promotions se sont
succédé à Grignon depuis la fondation
de l'Ecole ; 1 .'J30 élèves, environ, en
sont Sortis di])loniés ; ItiO font partie,
en France ou à l'étranger, des admi-
nistrations de l'agriculture et de l'en-
seignement agricole ; (i(Ht sont des jiro-
priélaires ou des agricullcnrs : il faut
remarquer que ce dernier clulFre est
certainement inférieur à la réalité, car
la situation do beaucoup d'anciens élèves
est restée inconnue.
La dure loi de la concurrence et de
la lutte pour la vie qui restreint sou-
vent, dans d'autres écoles profession-
nelles, les relations des anciens élèves,
ne se fait pas sentir ici avec la même
sévérité : il existe une grande solidarité
entre les anciens et les jeunes; ceux-ci
mettent souvent à profit l'expérience et
les conseils de leurs aines.
L'Kcole de (îrignon a du son dévelop-
pement et ses succès à sa situation favo-
rable et à l'orientation de son enseigne-
ment. On s'y est toujours proposé, en
donnant les meilleurs exemples de cul-
ture, d'élever l'instruction des élèves,
fie répandre les progrès de la science
moderne. Elle reste ainsi, suivant la
pensée de ses organisateurs, une pépi-
nière d'agronomes insli-uils.
1'. Di-cn A MHICK.
MAISONS DE PARIS IIISTOUIUIKS .^ CT UIKI'SKS
Paris est pour le curieux, pour celui
même qui seulement sait voir et re-
garder autour de lui, une mine inépui-
salile de sujets d'observation.
11 existe en quelque sorte deux Paris :
ce que Ton [)ourrait appeler le Paris cou-
rant, le Paris usuel, qui est celui des
alFaires journalières, celui de la vie uti-
litaire et des plaisirs ; et, à côté de celui-
là, le Paris pittoresque, tout aussi vi-
sible mais non regardé, que ses habi-
tants remarqueraient et connaîtraient si
justement ils n'y habitaient pas.
Car, à force d'avoir toujours certaines
choses devant les yeux, on finit par ne
plus s'apercevoir qu'elles sont là: et
(piant à celles que l'on sait exister, que
l'on n'ignore pas être belles ou curieuses,
mais qu'il faudrait rechercher et ex-
jilorerun guide à la main, comme si l'on
débarquait un beau matin dans n'im-
porte quelle ville étrangère, on songe
rarement à s'en inquiéter et l'on en
riMuet toujours le souci à la semaine
suivante. Il y a de tout dans Paris!
Chacun y peut trouver son compte.
Que d'industries bizarres s'y exercent 1
que de mœurs diverses à étudier! que
d'œuvres d'art entassées!
Prenez simplement les maisons : ces
grands cubes de pierre, ces boîtes ali-
gnées où, dans des cases superposées,
s'entasse plus ou moins incommodément
sa population, se ressemblent toutes à vol
d'oiseau et à première vue. En chacune
d'elles cependant revit une époque dif-
férente, chacune d'elles est un différent
tvpe de notre architecture et de son his-
toire. En vain le vandalisme de l'homme
a détruit, et détruit toujours, on peut
suivre, aujourd hui encore, la transfor-
mation de l'habitation parisienne 'en sa
forme extérieurei à peu ])rès saiis la-
cunes, depuis le temps où s'éleva Noire-
Dame, c'esl-à-dire depuis six siècles en-
viron.
Devant nos yeux étonnés délileronl la
maison à pignon pointu du vieux llouen,
la pierre et la brique de la Touraine.
l'architecture puissante de Versailles el
celle, plus légère, de Trianon, le style
néo-grec du premier Empire. C'est — en
nous tenant strictement à l'habitation
particulière, à la maison privée — c'est,
dis-je. cette succession de styles, cet en-
chaînement de types que nous vou-
drions montrer aujourd'hui, aidé par la
photographie qui est le document gra-
phique par excellence.
Nous n'étonnerons personne, j'ima-
gine, en disant qu'il ne subsiste aucun
type de la maison gauloise, alors que
Paris s'appelait Lutèce et n'était, au mi-
lieu de marécages et de forêts, qu'une
bourgade dans l'ile actuelle de la Cité:
les maisons étaient des huttes, et voilà
tout.
Les premières constructions en pierre
datèrent sans doute des Romains. Il nous
en reste un vestige avec les Thermes de
.Julien, aujourd'hui attenant au Musée
de Cluny ; c'était une sorte de maison
(le plaisance que s'était l'ait bàlir là cet
empereur, attiré, a-t-il dit lui-même,
par la beauté du site, la douceur du
climat, l'excellence des vignes et la
pureté de l'eau de la Seine. Les ruines
du lepidarium (salle des bains chauds,,
et celles surtout du frigidarium (salle
des bains froids'l, qui est demeuré à
peu près entier avec ses huit colonnes
sculptées en proue de navire cl sa voùle
de 18 mètres de haut, sont encore fort
imposantes.
MAISONS 1)K l'AlilS II ISTdliliOlKS KT C.riUKr
Mais les F"raiics remplacent les Ho-
mains, et l'on recommence à b.îtir en
bois; rien ne demeure des maisons de
celle époque, que des incendies détrui-
saient d'ailleurs réLTulièrt-nioiit . Il en fut
M \ I S 1 1 N .
l: i: K l'iiANi
V 1 11 MIN-
US - M I n I
ainsi pendant des siècles, et aucune ha-
bitation contemporaine des Mérovin-
ffiens ni des Carlovinpicns n'a subsisté.
Cependant Paris j;raiidil sous les Ca-
pétiens; Philippe-Aujjuste l'entoure d'un
l'ossé. à partir du pont actuel d'Austei'-
lit/. jusqu'au Pont-Uoval approximati-
Ncnient ; les i-ues en sont pavées et les
maisons se bâtissent en pierres que 1 on
tire des carrières de la montagne Sainle-
(jeneviève; on y voit déjà comme prin-
cipaux monumeuls ; Sainl-Julien-le-
Pauvre, le collèfje d'IIarcourt, une Sor-
bonne. un I>ouvre, la Tour du Temple,
et Notre-Dame qui s'élève.
C est I époque de la maison à |ii;;Mi>n,
dont le toit à angle aif,'u sur|)liind>ait
souxenl sur la rue et rejoif^nait presque
celui de la maison d'en face, l'époque
clés portes oj^ivales et des tourelles.
Il existe encore à Paris quelque.s-unes
(le ces maisons, qui se font chaque jour
de plus en plus rares.
Nous en trouvons rue Galande iqui
\a de la rue Saint-.Iactpies ;i la rue l.a
Grande, entre la place Manbcrt et Notre-
Dame, l'^n cherchant bien, on en trouve
I ncore quelques-unes éparses derrière
I Hôtel de N'ille et la caserne Lobau,
1 ne François-Miron par exemple, où est
~ituée celle que nous donnons ici.
Dans ce même coin, la rue Crenier-
sur-l'Eau, (|ui aboutit à l'abside de l'éffliSb
Sainl-Cervais et Saint-Protais dont la
lour et les •jarffouilles fjothiques com-
plètent son aspect moNen-àj.i:eux, nous
lionne une idée assez exacte des ru,clles
iVtides d'alors, espèces de tunnels hu-
mides et gluants. Qui croirait que l'on
rst là à trois minutes de la rue de Mivoli
il de ses tramways?
Des constructions que nous venons de
rilei-, les plus anciemies ne doivent pas
iiiiiiinlir plus haut que la lin du
\i\' siiH-ic ; mais c'était à peu près sur
ce modèle ([ue l'on bâtissait tlepuis long-
lemps. Ajoutons {pie des décorations
\ariées ornaient les fa^-ades, poutrelles
sculptées cl enseignes plaisantes : la
Truie i/iif /Ile: l'Ane (/ni jutie Jf la
MAISONS IiK PAlilS 11 ISTdiiKjrKS KT C, f li 1 K T S KS
tielle: h- Ch;il </iii pOchc: la
Femme sans léle, elc. l ii
iirnenienl IVéqueiil était Var-
l)re de Jessc. « Dans la vue
Saint-Denis, à lanfjlc t\e la
luc des Prêcheurs, on iioiil
voir l'arbre généalogique de
.lésus-Clirist sortir du (lanc
de Jessé, portant sur ses bran-
ches latérales douze rois de
.luda, et sur son rameau le
plus élevé la mère du Sau-
^•eur; il monte ainsi jusqu aux
combles d'une maison de la
lin du x\'' siècle. »
Voilà pour les maisons du
peuple ou des bourgeois de
celte éi)oque ; des hôtels par-
ticuliers à l'usage des grands,
des hôtels ;i tourelle, il nous
reste un remarquable spéci-
men avec l'hôtel de Sens qui
porte aujourd'hui le n" 1 de
la rue du Figuier, à quelques
jias du quai des Céleslins,
entre la Seine et le l'aubourg
Saint-.\ntoine. Il est en eiret.
ainsi que l'hôtel Clunv que
tout le monde connaît, de-
meuré intact dans ses grandes
lignes, et une quantité desou-
\enirs précis s'y rattachent.
11 a paru ici même une
étude spéciale sur cette de-
meure seigneuriale, bcàtie de
147,") à l.")19 par l'archevêque
de Sens, Tristan de Salazar.
Nous rappellerons seulement
([u'après avoir été habitée par le car-
dinal Duprat, chancelier de France sous
François I"'', par le cardinal de Pellevé,
ligueur infatigable, par AJarguerite de
France, femme divorcée de Henri IV et
dont les frasques amoureuses ne le
cédaient en rien à celles de son roval
époux, la vieille maison gothique devint
— déchéance des choses ! — le bureau
lie la diligence de Lyon et des carrosses
d Auvergne: les routiers séchèrent leurs
bottes sales devant les grandes chemi-
< \ TOURELLE, RUE H .1 U T E f E U I L L E
nées au feu desquelles les archevêques
chauffaient jadis leurs mains gantées de
violet. En 1830, la Révolution de Juillet
planta un boulet dans sa façade, et
aujourd'hui, dernier mépris de son
passé, l'immense tableau d'une Com-
pagnie d'affichage s'y étale impudem-
ment.
N'oublions pas, avant de quitter le
Moyen Age, de citer l'élégante tourelle
gothique qui se trouve au coin de la rue
des Francs-Bourgeois et de la rue^"ieille-
MAISONS iiK l'Aiiis II is ri)i(iori:s i;r cr uikisks
(lu-Tem[)le. Peul-('tre,petulaiil In nuit du
"JO novemlirc I i(>7, vit-elle le duc d'Or-
léans, qui sortait de l'hôtel Harbette
situé un peu plus loin, assailli, renversé
de sa mule et abaltu à coups de hache
et d'épée [wr les hommes de Jean sans
1 U II C H A K L F, M A G N K ,
Peur; pcut-èli-o ceu\ tpii riiaiiitaicnl cl
<l(int la tèlc elfarce s'était mise à ses
éti'oitcs fenêtres entendirent-ils l'homme
de haute taille, au chaperon rnu^e baissé
sur les yeux, qui avait présidé au mas-
sacre, dire : « hUei^^ne/. tout et allons-nous-
en, il est mort! " Ce que fwent alors les
assassins, c|ui s'enfuirent en criant : " Au
feu! ,ui feu! " el se sanvèrenl.
Nous donnons une autre tourelle du
même f;enre el de la même époque, moins
connue, elqui se trouve rue llautel'<'uille,
près i'Kcole de médecine.
.Avec l'hôtel de Sens nous étion;-. tout
à l'heure, encore dans l'arcliilecture
golhi(iue el l'i''o-
dale: nous avons
vu cependant qu'il
ne l'ut achevé de
bâtir qu'en lôlll,
c'est-à-dire sous
François 1" , en
pleine Reniris-
sance : et c'est un
fait assez curieu.v
que ce soit jusle-
menl ce dernier cl
tardif spécimen
d'un style prêt à
disparaître qui
nous ail été con-
servé, l.es j,'uerres
d'Italie avaient, en
elTet. amené en
France des nid'urs
et un art nouveau
inspiré de l'anli-
qiiité grecque el
du paganisme. Au-
tres temps, autres
usages, autre litté-
rature, autre archi-
tecture , tout se
tient dans l'his-
toire des civilisa-
lie ins humaines.
Il nous reste re-
lalivemenl peu de
" ^ M" I ">■!■: maisons privées <le
(l'Ile période si fé-
inndi' |i(inrl;inl. pérlnde de laquelle dalc
la picmu'rc spiiMidour du Louvre. Hean-
coup onl été démolies ou défigurées.
Ine maison bien curieuse nous marque
d'abord la transition du gothique au style
nouveau, cai- rien ne se fait par brusques
sauts dans la nature ni dans l'.'u-l . l-'lle est
située cour (-harlemagne, laquelle doinie
i-uc Sailli- Antoine : on y pénélre p.irune
entrée étroite, on suit une sorte de pas-
sage d aspect rébarbatif", avec des grilles
et une herse de fer, et, dans la troisième
ou quatrième cour, l'on se retourne et
Ion se trouve en face de ce monument
intéressant. Dans une épaisse tourelle
octogonale monte 1 escalier dont la fe-
nêtre supérieure a conservé la l'orme ogi-
vale du Moyen Age ; mais de chaque côté
se développent deux bâtiments ornés
d'architecture ionique et de cariatides
semblables à celles que Jean Goujon
sculptera pour l'hôtel Carnavalet. Quant
aux fenêtres de la toiture, elles portent
déjà le large fronton à la Du Cerceau.
Singulier mélange dont l'unité prouve
cependant que l'on n'est point là en face
de morceaux juxtaposés, mais bieri en
face d'une œuvre de transition.
La maison dite de François l'"'' et qui
se voit au Cours-la-Reine nous donne,
par un contraste immédiat, le type com-
plet de l'art de la Renaissance, l'anti-
pode absolu de la maison gothique. Au
lieu du toit pointu, le toit plat, terrasse
même plutôt que toit; au lieu de l'écra-
sement entre les maisons voisines, la
forme carrée et quatre claires façades ;
au lieu des grimaçantes figures d hier,
une ornementation élégante et joyeuse,
symbole vivant de la délivrance des an-
ciennes terreurs et de la joie de vivre
qui reprenait les hommes.
Pour ce qui concerne le gracieux mo-
nument dont nous parlons, c'était pri-
mitivement, comme chacun sait, un pa-
villon de chasse que François I" avait
fait bâtira Moret, en 15-2.3. Il y demeura
MAISONS 1>K PAlilS II ISTolUgLlCS KT C. LMt I K f SKS
jusqu'en 1823 . époque où il fui trans-
porté el rebâti, à Paris, pierre par pierre.
I)ans la corniche, on lit en lalin :
Qui sait réfréner sa lant/ue et tlumpter »es gens
Est plus puissant que celui dont la farce iviicerwi
les villes.
Lallique est orné de bas-reliefs re-
présentant des Génies et des f^uirlandes;
les angles sont décorés de pilastres, et
au-dessus des arcades du rez-de-chaussée
est une frise que 1 on adribue à Jean
Goujon. Quant aux niédaiil(iii> rcpri--
sentanl Louis Xll, Henri 11, l'raii-
çois II, la reine Marf;uerite, Amie de
lîretagnc el Diane de l'oiliers, ils sont
d'une époque postérieure.
De l'hôtel Scipion Gardini, gentil-
homme italien, écuyer de Hein-i II, el qui
se trouve rue Scipion, entre le .lardin
des Plantes et les Gobelins, il i-esle un
corps de bâtiment mélancolique, en
brique et pierre, avec quelques bustes
écorniflcs et des arcades, en |)artie ob-
struées par des constructions parasites,
sous lesquelles on aperçoit circuler silen-
cieusement des gens enfarinés. Là. en
effet, est établie aujourd'hui la Boulan-
gerie centrale des hôpitaux. Les autres
constructions qui englobent ce ilébris
sont du x\n'' siècle, épocjue à laquelle
riIôtel-Dieu acheta la
maison et \- établit une
de ses annexes.
1 >ans le même quar-
tier, rue de la Heine-
Hlanche. était, parait-il.
l'hôtel où Charles NI.
déguisé en homme sau-
vage, faillit être brûlé
vif ; je n'en ai j)lns trouvé
aucun vestige.
Cependant le mélange
(le la bri(|ue rouge et
<le la pierre de taille, que
MOUS avons vu apparaître
avec 1 hi'ilel Sci|)ion, va
se généraliser de plus en
plus et devenir la grande
mode; deux places, dif-
féremment célèbres cl
bien connues, nous ont
conservé à peu près
intactes leurs maisons
de cette éprique. L'une
est la place Hojale ,
dite ])lace des N'osges ;
l'autre est la place Dau-
pluMC.
La place Movale est,
coinnie chacun sait,
<'nlre la iin- \ieille-dn-
TcMipIc el la Bastille, dans ce quartier
Saint-. \nloine qui \a nous fournir, avec
le quailier du Temple el celui du Ma-
rais, les ty|)es de maisons ol d'hôtels
les plus intéressants |)endanl près de
deux siècles: là, durant tout ce temps,
se •concentrèrent la vie riche et la vie
intellectuelle. |)i'|)uis longtemps iléjà
MAISONS UK l'AItlS II ISrolilQL'KS KT Cl" 1{ I KU SKS
les rois ;ivaieiil leur palais ilans ce
quartier. Ils avaient habité d'abord
l'hôtel Sainl-Paul, bâti par Charles \'
<' pour ses j^rands ébattenienls et plaisirs
divers », en 1364, et qui allait
à peu près de la rue Saint-
Auloine actuelle jusqu'à la Seine,
avec ses immenses jardins plan-
tés d'arbres fruitiers et de
vignes, avec ses basses-cours et
sa ménag;erie d'animaux féroces,
dont les noms des rues actuelles
ont conservé le souvenir (rue de
la Cerisaie, rue Beautreillis, rue
des Lions-Saint-Faul), Là pas-
sèrent Charles VI et Isabeau de
Bavière, Charles VII, Louis XI,
Charles VIII et Louis XII. Mais
il fut délaissé, et de l'autre côté
de la rue Sainl-.Antoine, où se
donnaient toutes les fêtes de la
cour, joutes, courses de baji^ues,
s'éleva l'hôtel des Tournelles,
qui, abandonné à son tour à la
suite de la mort de Henri II, tué
involontairement par Mont<;o-
merv dans un tournoi, fut rem-
placé ])ar la place Royale.
Dans les ruines dudit hôtel des
Tournelles, en effet, Henri W,
ayant résolu d'établir en France
une manufacture d'étoffes de
soie, avait installé deux cents
ouvriers qu il avait fait venir à
cet effet. " Bientôt les entrepre-
neurs, se trouvant trop à l'étroit,
remplacèrent les anciens bâti-
ments par des constructions
nouvelles ayant au centre un
pavillon magnifique faisant face
à une vaste ])lace. La situation
et l'effet du pavillon donnèrent
l'idée d'entourer la place de
constructions semblables; Henri I\' lit
construire à ses dépens l'îin des quatre
côtés qu'il vendit à des particuliers, à
charge d élever les trois autres selon ses
plans. » On nomma pavillon du Roi ce-
lui qui regarde la rue Saint -.Antoine,
pavillon de la Reine, celui d'en face, et
la place prit le nom de place Royale.
Elle fui achevée en 161:2 et inaugurée à
l'occasion d'un grand carrousel exécuté
en avril de cette année. Trente-cinq pa-
PLACB KOTALK
villons uniformes, en pierre et brique,
l'entourent, soutenus par des arcades.
Les toits sont de forme haute, diffé-
rente de la forme aiguë du gothique.
La place Royale, où eut lieu le duel
tragique de Montmorency-Bouteville,
auquel Richelieu donna pour épilogue
MAISONS L)I-: l'AMIS 11 I STO 1! I g f KS ET CU lU liU SES
la place de Grève et la hache du bourreau,
a, comme nous le disions, conservé à
peu près intact 1 aspect de ses maisons;
elle a été malheureusement défigurée
par une rue circulaire, par des fon-
taines ridicules, et par un square orné
d'une foule d'in^frédients modernes qui
ne sont pas là à leur place. Il y a trop
d'arbres aussi, et tout cela lui retire une
partie de sa grandeur. Quant à son
nom, elle fut, sous la Révolution, bap-
tisée place des Fédérés et de l'Indivisi-
bilité, puis, sous le Consulat, place des
\'osges. On avait abattu la statue de
I.f)uis \ II I cl (iM v avait iiislallé un parc
d'artillerie. La Restauration y rétablit
une autre statue et lui redonna son an-
cien nom. que la troisième Réimblique
a fait disparaître une fois de plus.
M""-" de Sévigné naquit dans une de
ces maisons: dans
une autre habita
Marion Delorme,
puis \'ictor Hugo
C|ui y écrivit le
(iranie de ce nom.
La place Dau-
piiine date de quel-
ques années seule-
ment de plus que
la place Royale, et
ses maisons, moins
monumentales tou-
tefois, sont dû
même style archi-
tectural ; elles sont
construites sur le
terrain de deux
îles, l'île au.\ Bu-
reau \ et l'île aux
Juifs, où fut brûlé
le grand maître du
Temple, Jacques
Mdlay. le i;{ mars
1314, et qui furent
réunies lors de la
construction du
HonlNeuf. On l'ap-
pela I)auphine en
l'honneur du dau-
phin Louis XIII;
sous le premier
empire elle se nom-
ma place de Thion-
ville et fut ornée
d'une fontaine surmontée du buste de
Desaix. Au xvm'' siècle, il s'y tenait,
dans les baraquements, une exposition
de peinture à l'usage des débutants, le
jour de la Fête-Dieu; le principal attrait
en était la présence des modèles-femmes
aux balcons des maisons avoisinantes ;
'i ces jeunes personnes étaient parées les
unes de leurs charmes naturels (?), les
autres de tous les cnd)ellissenu'nts de la
i II K N E L L E
MAISONS Di; l'AlilS HlSTORIQl'HS ET C.U It 1 ET SES
toilette : on pouvjiit ainsi t<imparer
lœuvre au modèle. Cette nouveauté a
attiré beaucoup d amateurs plus empres-
sés de regarder les originaux que les co-
pies. » Mémoires secrels, '2b juin 1783.)
Enfin les vieilles maisons bâties par
Henri I\' virent un des premiers attrou-
pements de la Ré-
volution, et, en
17y"2. se dresser
devant elles un
grand amphithéâ-
tre à banderoles
tricolores pour les
enrôlements volon-
taires.
L'n certain nom-
bre d'autres mai-
sons de cette épo-
que et de ce stvie
se trouvent encore
assez bien conser-
vées en ditïérents
endroits de Paris ;
citons l'Abbaye,
adossée à l'église
Saint-Germain des
Prés, prison de si-
nistre mémoire, et
rue de Fursten-
berg, 6, la maison
où est mort Eu-
gène Delacroix.
Cet usage de la
brique mêlée à la
pierre se prêtait
peu toutefois à la
décoration sculp-
turale, et la pierre
seule est employée
dans l'hôtel de Bé-
thune que Maximilien de Béthune. duc
de Sully, ministre et ami de Henri W, se
fit bâtir par Du Cerceau. Cet hôtel est
fort bien conservé, malgré une saleté
exagérée qui recouvre les façades de sa
grande cour carrée et leur donne un
aspect noir peu agréable ; toutes les
fenêtres sont entourées de rinceaux et
de mascarons richement sculptés, et de
grandes statues en bas-relief représen-
tant les Saisons. Dans les frontons des
deux pavillons en façade sur la rue
Saint-Antoine sont des enfants tenant
des casques et des armes. Au .x^ni" siè-
cle il appartint aux Boisgelin et aux
Turg^ot. Presque en l'ace est l'hôtel de
■ I K I 1. 1, i: -M
Charles de Lorraine, duc de Mavenne,
lieutenant -général de la couronne de
France, chef de la Ligue, et dont il est
fort parlé dans le Catholicon. Cette
grande construction, œuvre également
de Du Cerceau, a été tout à fait défigu-
rée par les industriels qui l'habitent.
Mais un nouveau style, expression
d'un nouvel état de choses et d'une
MAISONS i)K PAiils iiisTdiiiQiKs KT c.rniiasi;
iiciTKi, m-; iif:Tiii'\K, ii ii k sa i nt- a ntdi nb
iiulrc'sociél('',.ill;nl ii;u(rc;iv(H- Louis \ i\ ,
On |)C'Ul cilcr l'oinnie momimeiil de
Iransilion l'iiôlel de Moiilmnrcncy, 'l(i,
rue (les Nouiiains-d'llyèrt'!;, où nous
(l'on vous encore la brique ronj^e, mais I périslvle circula
(liiiil l'arcliilecturc se modifie, et l'hôlel
(le l{eau\ ais, ()8, rue François-Miron.
La cour inlérieurc de ce dernier est
surloul roniar(|ual)lc jiar une sorle de
es ioniques.
MAISONS l>i: l'SKIS II ISIiilMiJIKS KT I'. C U I K l' S K^
it rr H E i; I I
ilcrivanl directement de la Renaissance,
et d'un assez pittoresque aspect. Aujour-
d'hui un marchand de meubles y range
des bulîetj. La distribulion et i'ordon-
MAISONS DE PAHIS H I STO H I QT KS KT C T lU K U S K
nance des appartements avaient été
chanffées en 1704 par le président à
mortier Jean Orry qui en était devenu
propriétaire.
Avec l'hôtel de Juigné, rue de Tho-
rif,'ny, 5, au Marais, nous sommes en
plein dans la noble splendeur du grand
siècle, il était d'ailleurs célèbre en son
fants; enfin elle appartint à la maison
de Juigné.
Presque aussi majestueux devait être
et est encore l'hôtel Saint-Aignan, rue
du Temple, 71, bali par Pierre Lemuet
en ItJfM). La porte, sous laquelle on passe
pour entrer dans une large cour entou-
rée de bâtiments à pilastres corinthiens.
HOTEL MOLE, BOULEVARD S A I X T -0 E H M A I N"
beau temps, quand les carrosses dorés
faisaient résonner le pavé de sa vaste
cour entourée dune terrasse circulaire.
Sa façade postérieure n'est pas moins
imposante; elle donnait sans doute jadis
sur un grand parc dont il ne reste plus
qu'un nibre aussi haut que l'antique
maison que pilla la Révolution. l'A\e
avait été bâtie par le riche traitant
Aubert dont le sel avait fait la for-
tune, d'où le nom d' « Hôtel Salé »
qui lui fut donné alors; elle passa en-
suite à Lccamus, secrétaire du roi,
mort en 1688, ù quatre-vingts ans, qui,
venu à -Paris avec 20 francs dans sa
poche, partagea 9 millions ù ses en-
est à elle seule un monument. L'en-
semble n'a malheureusement pas con-
servé l'intégrité de l'hôtel de Juigné:
sur une partie des anciennes construc-
tions, on a superposé toute une mai-
son.
Beaucoup d'autres hôtels ou maisons
privées de cette époque subsistent un
peu partout dans Paris. CrosI riiôtel de
Hollande où l'ambassade de ce pays
était établie sous Louis \I\"; l'hôtel de
Ninon de Lcnclos, rue des Tournelles
et boulevard IJeaumarchais, (vuvre de
Mansart, occu]ié et repeint en couleur
crème par un fabricant de bronzes d'art.
C'est, dans le quartier Saint-IIonoré, une
MAISONS DK PAHIS II I STOU IQUKS ET CLTUKrSES
grande partie des
maisons particu-
lières, et celles de
la place \'end6me,
commencée en
1685 sur les dessins
du même ilansart ;
ce sont encore les
maisons de la place
des\'ictoires.C est,
dans l'ile Saint-
Louis, riiôtel Lam-
bert, pittoresque-
ment situé au bord
de la Seine qui
se partage là en
deux bras, et dont
les quais sont gar-
nis de peupliers
loulTus : on trou-
vera partout des
renseignements
sur sa fondation
par le président
Lambert de Tho -
rignv, sur le sé-
jour qu V lit Yol-
taire chez M"»"^ du
Châtelet. sur la
conférence qu en 1815 Napoléon dés-
espérer tint avec M. de Montalivet, et
sur les peintures de Lebrun, restaurées
par Delacroix, dont il est orné. Il est
seulement regrettable que la pierre en
ait pris une sorte de ton jaune sale, qui
n'a rien d'agréable à voir et que n"a pas
l'hôtel de Lauzun situé deux ou trois
maisons plus loin.
Enfin Ion rencontrera un grand
nombre de maisons et d'hôtels de cette
période dans le faubourg Saint-Germain,
et c'est rue de Grenelle, 73, qu'est situé
un des moins connus et des plus remar-
quables. Cette sorte de palais, dont la
colonnade rappelle celles du Louvre et
de Versailles, n'a point en effet sa façade
sur la rue: il est entre une vaste cour
et de splendides jardins, et l'on y ac-
cède par un passage très long. « Il fut
bâti vers 1680 par le cardinal d'Eslrées,
MAISON DU XV ni" SIÈCLE, KTE RABELAIS
à la mort duquel il fut divisé en deux
parties, dont l'une fut louée au duc
d'.Albe, ambassadeur de Philippe \, qui
y mourut en 1711. L'autre partie appar-
tenait au ministre Philyppeaux de Mau-
repas qui s'y délassait de ses graves tra-
vaux en y faisant de petits vers légers.
Pendant la Révolution, le ministère des
relations extérieures s'y établit. Garât,
Barthélémy, Talleyrand l'habitèrent et
une grande partie de la décoration inté-
rieure date de cette époque du premier
empire. A la Restauration, il fut vendu
aux Du Plessis Richelieu ; il eut ensuite
pour hôte la comtesse de la Roche ja-
quelein et fut acheté par M. de Galliffet,
grand-père du général. .Actuellement il
est occupé par l'ambassade d Italie.
A côté de ces belles et même de ces
splendides demeures, on n'en avait pas
moins continué pourtant à bâtir comme
MAISUNS DE l'AlilS II I STO li IQ T KS lOT Cl H I K ISK
;iu Moyen Af;e des rues étroites et sales,
fie noires et basses bicoques.
Kl par un contraste curieux, nous
(lonneronsl hôtel du Cheval blanc îhotcl
meublé, celle fois, on s'en doute tout
de suite à son aspect), qui se trouve rue
Mazel, entre le Pont-Neuf et le boule-
vard Saint-dermain. Cl'élait là, sous
l.diiis \l\'. le sièfjp d une entreprise dp
^9
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fcllYPTIENNE, PLACE H
carrosses pour Orléans cl le centre de la
France ; elle fut remplacée au xviii"-' siècle
par le service fçénéral de la poste aux
chevaux qui y resta jusqu'à la dévo-
lution. .Vujom-d'hui c'est encore une
soi-te d'auberfcc qui sert aux paysans
des environs de Paris.
Avec Louis Xl\' nous avons déjà
mordu sur le xvin"' siècle, car les choses
ne suivent pas les classements arbitraires
de l'homme et ce n'est qu'après la mort
du Hoi-Soleil que nous allons voir appa-
rnilrc ce (pion n])pclle le slvle du xyu!*".
Plus léf,'er, jilus
éléf,'ant , il aime
les maisons plus
basses, il les en-
toure de jardins.
Tel est l'hôtel de la
Heynière, au n° '2
de la rue Hoissy-
d'.An^'las, à l'anj^le
de la place de la
Concorde et des
Champs - Elysécs,
et occupé aujour-
d'hui par le Cer-
cle de l'Union ar-
tistique; il fut
construit pour le
l'ermier et admi-
nistrateur des
postes Griniod de
la Reynière qui,
issu d'une famille
(le charcutiers, de-
\inl fantastique-
ment millionnaire.
Son lils, {jastro-
nonie émérite, far-
ceur sans pareil,
pria un jour à son
enterrement si-
mulé tous ceux
qui fréqucnlaient
sa lable, et n'in-
vita plus jamais
ceux qui ne se dé-
ranj^èrrnt pas.
De l'anlre côté
de la place di' la Concorde, à l'anfrle de
la rue de Hivoli et de la rue Saint-Flo-
rentin, un hôtel a|)|)artenanl aujourd'hui
à M, de lîothschild dresse sa masse im-
MAISONS I)K l'AlilS II 1 SIO lU Q l' K S KT C. T 11 IK T S KS
posanle et la pureté de ses lignes. Rap-
pelons qu il l'ut construit, sur les ilessins
(le Chalgrin, pour Saint-Florentin, mi-
nistre de Louis XV; qu'il a|)partinl
en 177tî au ducde Filz-Janies, ami intime
de Philippe-Éf,'alité ; que pen-
ilantla Révolution la section des
Tuileries y établit une l"abri(|ue
de salpêtre, et qu'en 181'-2 il l'ut
vendu à l'évêque d'Autun, M. de
Talleyrand. Ce fut dans eel
hôtel que descendit l'empereur
de Russie Alexandre et que se
tint le Conseil qui décida du re-
tour des Bourbons.
Le faubourg Saint-Germain
surtout est riche en construc-
tions de celte époque; un grand
nombre de beaux hôtels s'y élè-
vent encore, entre cour et jar-
din le plus souvent, générale-
ment bien conservés. Nous
citerons l'hôtel de l'ambassade
d'Autriche, rue de V'areunc,
l'hôtel Biron, aujourd'hui occupé
par le couvent du Sacré-Civur,
l'hôtel Mole, anciennement rue
Saint- Dominique, aujourd'hui
boulevard Saint-Germain dont
la trouée l'épargna et le mit à
son alignement.
Ce dernier fut bâti en 17"i6
pour le duc de Roquelaure,
petit-fils de celui qui accompa-
gnait Henri I\' dans son car-
rosse lorsqu'il fut assassiné par
Ravaillac, lîls du fameux Roquelaure,
dit (1 l'homme le plus laid de France »;
lui-même, pair et maréchal de France,
se signala dans les guerres de Louis XIV
et fut un de ceux qui « dragonnèrent »
les Cévennes protestantes. Il mourut
en 1738, ne laissant que deux filles, dont
l'une fut mariée au duc de Rohan,
l'autre au prince de Pons; elles ven-
dirent l'hôtel en question au président
Mole de Champlàtreux qu'il ne faut pas
confondre avec son ancêtre, le fameux
président Mole, qui vivait un siècle
avant lui, ni avec son fils, ministre
successif de .Napoléon 1'', de Louis .WIII
et de Louis-Philippe. Ivmigré à l'époque
de la Révolution, et rentré imprudem-
ment en France, il périt surj'échafaud
en 17Ui. Son nom est généralement
.MAISON .STYLE EMPIRE, RUE DE P E X T H I È V R K
resté à l'hôtel, lequel est formé d'un
bâtiment principal, flanqué de deux
ailes et précédé d'une vaste cour carrée;
ces deux ailes ont été surchargées ulté-
rieurement d'un étage parasite. A l'in-
térieur, l'intéressante décoration an-
cienne a subsisté : hauts plafonds, glaces,
trumeaux, peintures représentant des
scènes bucoliques, etc. C'est actuelle-
ment le ministère des travaux publics.
Nous donnons encore ici un monu-
ment moins connu et plus bizarre qui se
trouve à l'angle des rues de l'IIôtel-CoI-
bert et de la Bucherie, tout près du quai
MAISONS DE l'AHIS HISTOIUQUES ET CL'IUKUSES
Montebello, non loin de Notre-Dame;
c'est un chanoine de la cathédrale qui
lit bâtir cette construction singulière,
avec son dôme couvert d'ardoises, pour
y établir un amphithéâtre d'anatomie.
Mais, avec la fin du siècle, l'architec-
ture se modifie de plus en plus, et sous
Louis XVI perce 1 influence néo-grecque
et néo-romaine qui fera florès sous le pre-
mier empire : j)elites colonnades, bas-
reliefs rectangulaires, et. sur les toits,
bordures de grands vases et de statues
antiques. A ce style appartient le char-
mant palais de la Légion d'honneur,
bâti en 1786 pour le prince de Salm, ha-
bité par M""" de Staëi,-jadis voisin de la
Cour des Comptes, et qui ne semblait
pas fait pour voir se dresser en face de
lui une gare bruyante. Quelques maisons
privées nous ont conservé ce type; il en
est peu dans le faubourg Saint-Germain.
La plupart se trouvent dans le quartier
Saint-Honoré et des Champs-Elysées,
rue Rabelais, par exemple.
L'expédition d'Fgypte ne fut pas sans
laisser sa trace dans les maisons de l'épo-
que du Consulat ; il y eut le style égyp-
tien.
Telle est la maison de la place du Caire
que nous donnons ici.
Une frise d'hiéroglyphes rouges et
noirs orne la façade, soutenue par trois
têtes de sphinx; quant aux fenêtres,
elles ont un vague style musulman.
On rencontre dans Paris un certain
nombre de maisons de ce genre auquel,
chose curieuse, on trouve comme un
précurseur dans une sorte de stvle,
égyptien déjà, qui lleuritsous LouisXVl,
bien avant qu'il fi'il question de l'expé-
dition d'Egypte, l'ne maison de ce
genre, décorée de colonnes à chapiteaux
en feuilles de palmier, se trouve au
Marais, rue de Sévigné.
L'empire fit, comme nous le disions,
triompher le grec et le romain, qui dans
certaines maisons se trouvent unis à
l'égyptien; mais d'autres sont d'un tvpe
très ])ur. Telle est une maison rue de
Penthièvre, aux Champs-Elysées, assez
curieuse avec le portique et le fronton
triangulaire qui la couronnent. Depuis
cette époque jusqu'au second empire et
à la transformation de Paris par llauss-
mann, on a généralement bâti d'une
façon très laide ; la période de Louis-
Philippe s'est particulièrement distin-
guée par des productions décoratives
affreuses.
.Aujourd'hui l'on ne peut nier qu'il
n'y ait un style architectural, car les
maisons que l'on élève ne ressemblent à
celles d'aucune période; depuis quelque
temps surtout il se masque de plus en
plus sous le nom d'Art Nouveau.
En feuilletant ces pages et à l'aspect
des reproductions que l'on y voit, ne
semble-t-il pas que l'on traverse d'au-
tres lieux que ceux auxquels nos yeux
de Parisiens sont journellement accoutu-
més? Cependant tout ce que nous avons
cité et reproduit existe à cette heure ;
quiconque s'intéresse à ces sortes de
choses peut refaire « de visu » cette pro-
menade archéologique.
Paris a donc vu l'aspect de ses mai-
sons singulièrement changer, et l'on
peut dire qu'elles ont toujours été en
élargissant leurs ouvertures et en s"as-
sainissant. Loin de nous également de
méconnaître l'œuvre de déblaiement
accomplie surtout depuis le milieu du
siècle cl qui se continue aujourdhui ; ce
qui est déplorable, c'est la destruction
d'ceuvres d'art et de morceaux docu-
mentaires non remplaçablcs, c'est le
non-entretien de ce qui subsiste. Pour-
quoi l'œuvre utile du présent ne res-
pecte-t-elie [>as l'uMix-rc belle ou curieuse
du passé?
1'ai;i. (îiu ver.
Terle et phol'irirai>liies.
UTILITE DES OISEAUX
Lorsque le célèbre voyageur Bougain-
ville débarqua avec ses compagnons sur
l'une des îles Malouines jusqu'alors inha-
bitée, il fut frappé de voir les oiseau\
s'approcher des marins sans la moindre
crainte et se poser sur le bras qu'on leur
tendait. On sait la douce confiance que
les promeneurs des grands parcs de l'An-
gleterre inspirent aux rouges-gorges et
les habitués de nos jardins publics, aux
pierrots, aux merles et aux ramiers.
Celte confiance envers l'homme est na-
turelle à presque tous les oiseaux.
.Aux avances des oiseaux, presque par-
tout l'homme répond à coups de fusil,
et il encourage les tentatives qu'ils font
de se rapprocher de lui en leur tendant
des pièges et des embûches. Les lacets,
LA V I G N I
les filets, les trappes, certains poisons
même les attendent auprès des maisons
ou des fermes quand le froid et la faim
les V poussent. Dans quelques endroits,
cette œuvre de destruction est complétée
à l'aide de gluaux plantés par centaines
autour des abreuvoirs où les oiseaux
viennent se désaltérer au point du jour.
En hiver, ce sont des claies qui empri-
sonnent sous leurs mailles les troupes
de bruants, ou des trappes grossières
creusées dans la neiije, et dans lesquelles
une tuile, en retombant, fait prisonniers
les moineaux alfamés ; au printemps, ce
sont des trébuchets ou cages à plafond
mobile qui capturent les rossignols ; en
automne, de vastes filets doubles se
rabattent sur les alouettes fascinées par
le jeu du miroir. En cette saison, les pau-
vres oiseaux migrateurs, les hirondelles
qui ont franchi les .Alpes, bravant le
vent contraire, affrontant la neige qui
commence à tomber sur les hauts som-
mets, échappant à force de prudence à
l'œil perçant des rapaces, loin de trou-
ver un refuge sur la terre d'Italie, y
sont au contraire guettés, traqués sans
merci par une nuée d'oiseleurs et de
chasseurs qui, de septembre à février,
se chargent de fournir des >i oiseaux
délicats » aux gourmets du continent. 11
y a quelque temps, lors d'un dîner à la
cour de Rome, le roi d'Italie a offert
plus de deux mille roitelets, mésanges
et autres petits oiseaux à ses invités !
Les oiseleurs sans entrailles qui amon-
cellent ces hécatombes tirent parti con-
tre ces êtres charmants de l'esprit de
charité qui les fait accourir au moindre
cri de détresse d'un compagnon en péril.
Il leur sufiît, par exemple, de placer au
milieu des filets une hirondelle captive
pour forcer toutes les voyageuses im-
prudentes qui passent à portée du coupe-
gorge à s'y précipiter. C est sur des
milliers d'existences que dans le nord
d'Italie s'étendent ces persécutions.
Mais les contrées baignées par la Mé-
diterranée, depuis Gênes jusqu'à Cette,
n'ont rien à reprocher à la Lombardie
ni au Piémont. Tout ce que peut ima-
UTILITÉ DKS OISKAUX
giner une intelligence humaine doublée
de ruse quand elle veut arriver à ses fins,
tout est employé. Sur ces rivages, où
le ciel est bleu et le climat tiède, des
L' fc C 1 D O M I E U U II L É
1 . Femelle très grossie. — 3. Màlc
très grossi. — 3. La ponte sur
épi. — 4. Grain attaqué par les
larves.
engins sournois attendent les cailles, les
alouettes, les chardonnerets, les fau-
vettes, les traquets-motteux et même
les rossignols. Dans certains endroits ce
sont de véritables croisades. Les enfants
d'un même hameau se divisent en deux
bandes. Klles se défient à qui rapportera
If plus beau chapelet d'œufs et le plus
grand nombre d'oisillons.
Ces tristes hécatombes mutilent et
supplicient les meilleurs serviteurs de
nos champs. La nature les avait placés
à côté des animaux dévastateurs comme
un modérateur nécessaire à rétablisse-
ment de l'équilibre général. L'homme,
en intervenant et s'acharnant contre les
oiseaux, a rompu cet équilibre cl laissé
sans frein le furieux épanouissement de
la tribu grouillante et dangereuse des
grat, il subit aujourd'hui le contre-couji
de cette infraction ; il voit ses champs
ravagés, ses semailles dévorées, ses ré-
coltes détruites. Depuis trente-cinq ans
le viticulteur lutte pied à pied contre le
phtjl taxera qui a causé [)our plusieurs
milliards de dégâts et a failli anéantir
notre vignoble. In autre insecte, la
pyrale, quoique moins funeste, n'est
guère plus tendre pour cet arbuste. Sa
chenille coupe les grains, ronge les
feuilles et entrave la végétation des
[)ampres en les reliant par des fils sans
nombre. La vigne en souffre d'autant plus
que d'autres dégradateurs, tels que le
cochylis, l'écrivain, le cigareur, l'altise,
etc., viennent à la rescousse.
Depuis que les rangs des oiseaux in-
sectivores s'éclaircissent, les attaques
contre toutes les cultures se multiplient.
Les arbres fruitiers languissent sous les
morsures de l'antonome, des teignes, des
pucerons. Des espèces ténébreuses fai-
sant œuvre de mineur creusent le cœur
el boivent la sève de nos plus grands
Il an.vktcjn
arbres. Des processionnaires, des coi-sus
et d'autres chenilles voraces menacent
les érables, les peupliers, les aunes, les
insectes envahisseurs. lm|)rii(leiil el in- | saules. La nonne el les bosiriches élio-
UTILITÉ DKS OISIÎAUX
Iciil dans quelques mois les pins et les
résineux les plus robustes. En (>orse et
en Provence, les kermès de l'olivier et
les cochenilles du citronnier et de l'oran-
ger détruisent parfois le tiers de la ré-
col te. Partout les céréales sont rongées par
charançon_^ du Irèlle, des chrysomèles de
l'orge, des allises, des choux, que des
sauterelles ou criquets d'Algérie...
De savanlsslatisticiens nous affirment
que la dîme prélevée tous les ans dans
nos campagnes par ces malfaisantes lé-
gions atteint le dixième et [)arfois même
le cinquième de nos récolles, souvent
près d'un demi-milliard.
Dans ce chifTie ne sont
pas compris les ra-
vages de'- rongeurs.
Et cependant les
rat'', les souris, les
mulots, qui ne sont
pas moins
une menace
Ç-^ perpétuelle
.'A.MPAGNOLS DES CHAMPS
le vei' blanc, la larve du terrible hanne-
ton, qui contrecarre les espérances les
mieux assises. Plus tard, des mouches
comme la cécidomie et le chlorops, ou
bien des larves voraces de la noctuelle
ou de l'alucite, prélèvent aux moissons
une dîme triple et quadruple. A côté,
des cultures de betteraves et de belles
prairies succombent sous l'assaut de
milliers de bataillons de vers blancs,
véritable cauchemar du cultivateur. Et
je ne parle pas plus des courtilières, des
pour l'agriculture, peuvent en quelques
jours anéantir les récoltes d'une année
entière. Par leurs désastres, les campa-
gnols ou souris des champs constituent
une véritable calamité périodique. Leurs
invasions bouleversent la terre ensemen-
cée sur toute son étendue. ,\ ces habi-
tudes fouisseuses ils réunissent une vora-*
cité sans bornes. Deux et quelquefois
une nuit leur suffit pour dépouiller les
champs les plus plantureux de céréales.
Une fois la moisson finie, ils se jettent
UTILITE DES OISEAUX
UN DUEL — CIGOGNE ET VIPÈRE
dans les prairies, dont ils coupent les
liges et rongent les feuilles. Dans chaque
département, les pertes qu'ils entraî-
nent se chiffrent par dizaines de mil-
lions 1
Le cultivateur lutte avec acharnement
contre ces armées insatiables, contre ces
bataillons gris qui s'étendent, telles des
nappes d'huile corrosive. Mais, loin de
faire appel, pour cette lutte, aux bons
offices de ses auxiliaires naturels, aux
oiseaux rapaces, aux échassiers, il s'en
prive comme à plaisir : il poursuit sans
relâche les hiboux, les chouettes, les
effraies et jusqu'à cette douce cigogne
qui ne se souvient de posséder une for-
midable épée, en guise de bec, que
lorsqu'elle se trouve en présence d'un
malfaisant rongeur ou d'un dangereux
serpent.
Si l'on n'y prend pas garde, au bout
de cinquante ans, le dernier des oiseaux
utiles aura vécu en France. Et alors,
d'iinnionses et subites migrations jette-
ront des légions innombrables d'insectes
sur tout le territoire et livreront à leurs
ravages les contrées qui se flallent d'y
échapper. Doués d'une clfrayante puis-
sance de reproduction, admirablement
armés pour le mauvais combat, ils ne
font du reste que se mulli])!ier à me-
sure que le nombre de petits oiseaux
diminue et que les cultures s'étendent.
Le gouvernement, ému par ces per-
spectives, décida de prendre des mesures
législatives. Déjà un projet de loi a été
déposé par M. de Larsan. Ces bonnes,
mais tardives, intentions gouvernemen-
tales ont besoin d'être secondées par les
particuliers. Le temps presse, les dégâts
s'aggravent. Les agriculteurs auront tort
d'attendre, comme une manne provi-
dentielle, l'intervention de l'Ktat. A
cette œuvre de protection ils sont les
principaux intéressés. Plutôt que de
faire de ces vaillants auxiliaires ailés
robjot de poursuites incessantes et d'une
guerre d'extermination, qu'ils prennent
leur défense ; qu'ils placent dans leurs
jardins, sur leurs arbres, des nichoirs où
les insectivores trouveront un abri ;
qu'ils ménagent dans les murs de leurs
propriétés, ou sous les toitures de leur
ferme, des cachettes destinées à recevoir
de copieuses et bienfaisantes couvées.
L'instituteur a aussi là un très beau rôle
à remplir. Il lui incombe, en effet, de
frapper l'imagination de 1 enfant en lui
faisant ressortir toute l'ineptie et toute
la lâcheté de ces massacres, qui font la
joie des insectes en leur permettant de
paralyser les efforts et les travaux du
cultivateur. Déjà quelques-uns d'entre
eux, en comprenant toute l'importance
de cette œuvre, ont dirigé la fondation
de sociétés protectrices de petits oiseaux
parmi leurs élèves. Les plus avancés de
ces derniers sont nommés membres du
bureau et se réunissent un jour lîxe,
ordinairement le samedi, pour contrôler
et inscrire les résultats obtenus par
leurs camarades. Sur le carnet de chaque
enfant on inscrit les résultats de son ac-
tivité, afin de récompenser les plus zélés.
Voilà bien une institution à propager:
elle ne coûte rien à l'I^tat cl pourrait
soustraire tous les ans des millions de
francs à la dent des rongeurs et aux
déprédations des insectes.
J. DE LoVERDO.
LKS TOMBEAUX DES EMPEREURS MIN(;
Parmi les points stratégiques occupés
par les Puissances dans la dernière expé-
dition de Chine, (îgurc remplacement
des tombeaux de la dynastie des Minc^.
Les Français et les Italiens se sont éta-
blis dans la vallée où se dressent depuis
des siècles ces monuments l'unéraires,
et, tout en les respectant, ils agissent
puissamment sur les populations indi-
gènes qui ont le culle des morts. C'est
là, si je puis dire, de la stratégie mo-
lale. Elle vaut bien l'autre. Lorsque
l'attaque de nos légations sera punie,
c|ue la Chine aura donné les satisfac-
tions et les garanties nécessaires, le
peuple se rappellera que nous avons eu
en notre pouvoir le dépôt sacré des sé-
pultures où dorment les grands empe-
reurs de sa race, et que nous l'avons
conservé intact. Cela ne sera point
pour diminuer notre prestige et notre
influence dans ce monde de l'Extrême-
Orient, bloc qui semblait aux yeux
inexpérimentés homogène et compact,
mais qui, en réalité, se compose de
tant d'éléments diirércnts et hostiles
et présente tant de fissures où les
nations européennes ont enfoncé des
coins qu'elles s'efForcenl à l'envi de
faire pénétrer plus avant, tout en pro-
clamant leur volonté de maintenir l'in-
tégrité de l'Empire. Il semble que l'Eu-
rope aille au-devant du h péril jaune ",
dans le dessein de le mieux conjurer.
Puissent les routes qu'elle ouvre à ses
marchandises et à sa civilisation, à tra-
vers ces contrées si longtemps confinées
et murées, ne pas devenir les voies par
où leurs habitants se répandront en un
débordement irrésistible, non par la
conquête brutale, sans doute, mais par
l'activité et le bon marché industriels,
sur notre insatiable Occident !
Ces tombeaux des empereurs Miug
étaient déjà connus de ceux qui s'inté-
ressent à l'art oriental. Depuis que
Pékin est plus ou moins accessible aux
étrangers, ce lieu funèbre est un but
d'excursion qui s'impose. Il est situé à
45 kilomètres nord ouest de In capi-
tale, en passant par Cha Ho et Tchiang
ping Ichio, dans la direction de la
I.KS T0MIU-;AU\ des KMI'KHKI ItS MING
L AVEN Ul. Dl.i
A s 1 M A u A
(îrande Muraille. Un descendanl de la
dynastie des Ming, qui porte le titre
(le marquis, a la char^re héréditaire de
veiller à l'entretien des tombeaux. Cette
charge a été instituée au milieu du
xvii" siècle, lorsque les conquérants
mandchous furent définitivement les
maîtres en Chine.
On n'a que des notions fort incom-
plètes sur les trésors artistiques que
recèlent ces immenses réglions à peine
ivplorées. Depuis un demi-siècle, il
o^t vrai, les découvertes s'accumulent
cl -se développent en s'expliquant les
unes par les autres. Mais bien des sur-
prises nous sont encore réservées. Les
tombeaux des Ming nous ap|)rennonl
en tout cas que les Chinois ont eu le
f^nùt de la sculpture {,'igantesque à l'éj^al
(Ici Assyriens et des Ef;ypliens, et
qu'un trouve chez eux des imaffcs en
pierre qui, avec un souci |)lus grand de
la réalité et moindre du symbole, rap-
pellent les .sphinx de la vallée du Ni!
cl IcH taureaux à lèle d'homme du pays
d'Assur. Ce qu'on appelle vulgairement
le style chinois, c'est-à-dire cette orne-
mentation tarabiscotée, d'une bizarrerie
minutieuse et d'une recherche maladive,
est peut-être le dernier, mais n'a sûre-
ment pas été le premier ni le plus im-
portant ell'orl de l'art dans ri'"mpirc du
.Milieu.
.Aujourd'hui, dans les manifeslalion>
qui nousen parviennent, l'arlchiiioisdé
forme tout : il grossit invraisemblable-
ment les petits êtres etra[)elisse ridicule-
ment les grands. La Chine est le pays des
énormes poussahs, chimères et dragons
de porcelaine ou de bronze, et des
chênes nains, hauts comme un plant ilc
géranium. L'arlisie chinois ne Iravailh'
])ltis guère que dans le monsirueux.
Tous les modèles oITerIs par la nature
se compliquent, se conlourneni, se con-
vulsent et s'exagèrent dans le laid ou
l'horrible, en passant par son imagi-
nation et en étant interprétés par ses
doigts. Les letlrés lii'cnt de Confucius
une morale à la l'ranklin; mais leur
LES TOMIîEAUX DKS EMPEHEUHS MINC.
loiiipérainent eslhélique n'aspire qu'au
(lifTormo, au f,'i'imaçant, à l'airreux, aux
créations du cauchemar, de la ierocité
cl de la peur.
Il n'en fui |)as toujours ainsi. Avant
la dominalion mandchoue, les Chinois
(le la Chine propre avaient, il est facile
de s'en convaincre, le sens du f,'randiose
pur (le tout mélange caricatural.
La dynastie des Ming succéda aux
princes mon<îols en 11568, lorsque l'an-
cien bon/c Tchou Yuen tchan^',
aussi appelé Thai Isou et lion
ffoou, se fut emparé di
Nankin et eut chassi l'em
larj^e, et l'enlr 'e en élail autrefois close
par une nuirail c dont il ne resie plus
que quelques pan< en ruine.
On Miel iirlinaircment deux jours
j)oiir fraiK lui' les douze lieues qui sépa-
rent Pi'kiii lie la vallée funèhre.
Au bniii de la première étape, on
trouve une soi le de f,''rande porte à cinq
baies, do ,1 le nom est Pé loh et qui
> T A r u E ,s A l'entrée d e -
pereur Choenli, dernier représentant
de la dynastie des Yuen. Elle réy:na
jusqu'en 1()48, époque où la dynastie
mandchoue actuelle la remplaça violem-
ment. Tout d'abord elle eut pour capi-
tale la ville de Nankin. Ce ne fut que
sous le troisième empereur Ming,
Yong lo, que le sièg-e du gouvernement
l'ut transporté à Pékin (H09). Yong lo
et ses douze successeurs eurent pour
lieu de sépulture un fond de vallée,
non loin de la capitale nouvelle. Cette
vallée, à laquelle les montagnes qui
l'enferment donne la figure d'un fer
à cheval, ne s'ouvre qu'au sud. Elle n'a
pas tout à fait sept mille mètres de
pusse pour la plii> belle de ce genre qui
soit en Chine. i'.We marque l'entrée de
la vallée saiiilf . lil'e se dresse, dans un
état de consi 1 v;i(i'Mi presque parfait, au
milieu di-sruiiu- i-nvii-onnautes, jusqu'à
une lianleiir dr! I ."> mètres, sur une lar-
geur de 27 m -II- 'S et demi environ.
I/ouvirlu e piin.i|)ale, au centre, est
flanquée de chaque i;ôlé de deux ouver-
tures plus |)"lili-. Elle est construite en
blocs de marbre, dont les parois sont
couvertes de lias- idiefs représentant des
drai;oiis cl autres èirei fantastiques.
A
!, 1 Muètres au delà, se
troLive la Grandi- Porte-Rouge. Lorsque
la mni-aille d'eni ointe exi>tait encore,
i.KS Ti)Miii;Ai \ in:s KM ri; u KL' us M IN G
celte ])orle, peinte de brillantes couleurs,
donnait accès clans l'enclos funéraiie
|)roprenient dit.
De lautre ciUé , on rencontre un
pavillon ou kiosque ouvert. Ce pavil-
lon contient une tablette de pierre re-
posant sur une énorme tortue marine,
de pierre également, emblème d'endu-
rance et de longue vie. Sur la tablette
est gravé un poème, composé par un
des empereurs Ming qni sont enterrés
auprès. Le pavillon est orné en son pour-
tour de quatre piliers de marbre sculp-
tés, surmontés chacun d'un griiîon.
C'est là que commence l'étrange et
célèbre avenue des Animaux.
Sur une longueur de plus d'un kilo-
mètre et demi, des deux côtés de la
route, à des intervalles de 36 à 37 mè-
tres, s'alignent, taillées dans la pierre,
des ligures gigantesques de lions, de
lionnes, de chameaux, d'éléphants el
de la bête fabuleuse appelée tchi liiin.
Elles sont disposées par paires de la
même espèce, alternativement debout et
à genoux.
Plus loin, les animaux sont rempla-
cés par des ligures de guerriers, de pré-
Ires et d hommes d'p]lal, gigantesques
aussi, également disposées par ])aires,
un guerrier faisant face à un guerrier,
un prêtre à un prêtre, un mandarin à
[\n niandaiin, mais toutes debout. C'est
vraiment un spectacle merveilleux el
imi)osant (pic celui de cette longue file
d'êtres énormes, muets et immobiles,
montant une garde séculaire devant les
sépulcres des anciens empereurs.
.\u bout de l'avenue, la route fran-
chit une rivière par un pont jadis ma-
gnifique, maintenant aux trois quarts
ruiné, et, .5 kilomètres plus loin, elle
s'arrête à une porte de pur et vieux
style, derrière laquelle est le tombeau
majestueux de l'empereur Yong lo.
Il s'élève au milieu des arbres et con-
tient dans son enceinte plusieurs salles
et des constructions diverses, toutes
(■ouverl(!S de tuiles d'un jaune éclatant,
(^ette couleur. <|ui est la coideur " im-
périale ". contraste heureusement ave
le vert des feuillages et les tons sombro
des montagnes (|ui ferment l'horizon.
La salle principale est en retrait sur
une terrasse de marbre, à laquelle on
monte jiar un double escalier de marbre,
à balustres élégamment travaillés. Elle
a plus de '20 mètres de long. Son toit,
peint et orné de sculptures, repose sui-
des piliers en bois brut, hauts de 9 mè-
tres environ et formes chacun d'un seul
tronc d'arbre. A l'inlérieui' se trouve
une châsse en métal, jaune comme les
tuiles du toit, où le nom de l'empereur
est inscrit. Devant cette châsse, qui est
protégée par une grille, on voit la table
des sacrifices avec des vases pour les
fleurs, des flambeaux el une urne à en-
cens, sorte de brasero où se brûlent
ces petits bâtons odoriférants dans la
combustion desquels les prêtres boud-
dhiques savent lire les destins cl que
l'on connaît sous le nom de " bâtons à
oracles •..
Cette grande salle est entourée de
pavillons somptueusement décorés, en-
cadrant des cours plantées de chênes
et de pins. Du haut de la terrasse, on
a une vue d'ensemble, non seulement
de ce tombeau, mais des douze autres
qui sont groupés là et dont les toit-
jaunes scintillenl au soleil.
On aperçoit aussi un monticule fait
de main d'homme, couvert d'arbres cl
de broussailles, et l'on apprend, non
sans surprise, que c'est là, sous ce
tumulus, que reposent réellement les
restes des empereurs en l'honneur de
qui toute cette vallée a élé |)euplée de
statues et semée de magnifiques monu-
ments. Pour les corps de ces « Fils
du Ciel », un amas de terre, sans orne-
ments ni inscriptions, a suffi. Pour leurs
esprits, pour la mémoire, de leurs
grandes actions el de leurs vertus,
toutes les ressources (|ue l'art peut
mettre au service de l'or n'ont pas éli'
de trop. N'est-ce |ias là un haut cl nobli'
symbole?
H -II. lÎAl SSl HON.
TABI.i:Ar\ PAKISIKNS
l!
DICPAUT POUR LA lîANLIEUE
Chaiilo, 6 Muse, Muse dos basliiugiies
ol des orchestres eu plein vent, toi qui
peuples les " bouchons » de banlieue et
i|ui souris au\ fanfares municipales, chante,
sur tes instruments primitifs et variés, les
amusements des foules parisiennes. Et
prête-moi tes accents discordants pour cé-
lél)rer, comme il se doit, l'exode des lon-
gues théories endimanchées vers les coins
de soleil et de poussière où, seulement,
les simples âmes populaires peuvent
i>oùter la joie et le repos mérités par les
durs labeurs.
Uegarde. Les voici qui se hâtent vers
l'embarcadère et qui l'encombrent de
leur précipitation affolée. Car ils sont en
retard, inévitablement. Ils auraient pu
partir plus tôt, ayant sacrifié au train à
prendre toutes les menues occupations de
la matinée. Ils ont bu leur café au lait
froid et se sont vêtus dans une bousculade
maladroite. Mais ils sont en retard, parce
que la course folle aux abords de la gare,
les regards anxieux jetés sur les hor-
loges contradictoires, la sueur qui désem-
pèse les plastrons, le ballottement des
paquets alourdis et, planant sur le tout,
l'angoisse horrible du train peut-être
manqué, tout cela est bon comme début
d'une journée de repos. Et il faut cela
pour qu'on se sente vivre, et jouir des
heures de congé ; et aussi — philosophie
superbe en son inconscience — pour se
trouver bien, une fois la place conquise,
dans les affreuses caisses, à l'air raréfié,
aux émanations mystérieuses, à l'espace
illusoire, qu'une machine, capricieuse en
ses arrêts, traînera de mauvaise grâce
jusqu'en des stations heureusement pro-
chaines; et enfin, pour préparer douce-
ment le coup-d'œil de belle nature des
banlieues endormies sous leurs tonnelles
en bois, peintes du vert reposant des
feuillages.
TAHLKAUX l'AHISlKNS
I M H M( ( • ( 1 M 1 \ I
I OU H
Ce iH- sont point des marquises fraiche-
miMil poudrées, ou les pers()nna<jes falots
(l'on n(! sali <[Uolle comédie do rêve, ipii
s'installent en un cocpiel escjuir pour y
voguer nonchalamnienl vers quelipie alli-
lanl Autre-part. Les toilettes sont l(-};cres
et un peu rechercliées, mais simides, et
l'on va vers un de ces plaisiis à hon
marché, <pi'on prend en las.
Knlre des bari'es qui semlileul un rudi-
mentaire parc à moutons, ils ont piéliiu'
lonulemps, le nez dans un chapeau in-
connu, un para|)Iuie étranj^er conlie leurs
épaules, gajjnanl un pas par ipiart d heure,
el, comme dans la vie, relardés |)ar les
humanités qui les précèdcnl, poussés par
celles <p]i les suivent. Souri.inis toutefois,
ils ont franchi le fuf;ilif m.d de mer du
iionton el sont installés, en un "rouillc-
ment humain, près de la chaudière odo-
rante ou sous la tente ensoleillée.
El des paysafrcs se déroulent, parisiens
toujours, et (pi'ils nomment, f^ràce à des
souvenirs fidèles et aussi à de prévenants
écrileau.x. Ce sont des arbres de honle-
vaids el des cheminées d'usines qu'ils
n'ont jamais vues (piendorniios dans le
repos dominical. I.a route élarf;ie, les ter-
rasses abondantes en fritures commencent
ft pulhder, en des horizons familiers de
balançoires et de jeux divers. Kl de la
musi(pic leur arrive par boufl'ées, comme"
sur l'esquif cvtliéréen, mais tout autre.
Ce sont, pour ceux de Paiis (]ui le fuient,
au cornant du lleiive, les derniers refrains
des cafés chantants du faubourp;.
ICI dès (pie cela va devenir de la eam-
papne, la nef louide de fo\ile el de soleil
s'arrête déliniliremenl, car elle sait <pie
tous ces f;ens (pii la charf;ent n'iraient pas
|)lus avant et ne voudraient pas fuir Paris
plus loin que ce qui le rap|)elle.
TAliLKAL.X l'ARlSIEN:
'lIV •■
Ici, Muse, je nrarrèterai. pour donner
un homraa<;e senti à lune des plus admi-
rables vertus de la foule parisienne : la
Patience. Le vent des révolutions l'agite
moins, la passion même la tient moins
seri'ée en ses griffes que ne la domino,
impérieuse, liourrue, sarcasiique, la voix
du conducteur d'omnibus, du haut de ce
rostre qui est sa plate-forme encore vide.
Nul ne souffle mot, nul ne proleste. Ils
ne trouvent messéànt, ni d'avoir le O.'IO,
série verte, quand ■< on en est » au 122,
série rouge, ni de partir à midi trois
quarts quand ils sont venus à neuf heures
vingt, ni même d être rudoyés parce
qu'on leur a donné, par erreur, leur nu-
méro pour la Villelle quand ils le vou-
laient pour l'Etoile. Ils sont très patients,
parce qu'ils sont très philosophes, et
que, allant à un plaisir, ils trouvent haute-
ment juste de le payer d'un petit ennui.
Seules, parfois, des femmes prolestent.
Elles ont plus de nerfs et sont, étant plus
près de l'instinct ou de l'enfance, plus fan-
tastiquement exigeantes. Elles conçoivent
comme très injuste qu'on leur ail dévolu
un pareil numéro, qu'elles seront pourtant
hères d'avoir, dans deux heures, et qu'elles
arboreront comme s'il était décerné à leur
vertu. D'aucunes, qui sont accompagnées,
songent sournoisement qu'en se déclarant
incapables d'attendre, elles amèneront ([ui
de droit à leur offrir un fiacre, ce qui est
leur plus cher désir depuis le départ de
la maison.
Tous, d'ailleurs, sont d'accord pour
trouver la vie exquise, quand ils ont trouvé
sur l'impériale, ou en dedans s'il pleut, les
trois places voisines qu'ils attendent de-
puis dix-huit voitures.
^ V ^1
!A'
IhlE lOIiAIM-,
Mais point n'est l)ost)iii d'allt'i- si loin
clicrclior dos plaisirs, et soit dans Paris
même, soit en ses plus immédiats envi-
ions, tu sais, ô Muse des l'ouïes, garder à
tes adorateurs les joyeuses cohues qui leur
sont clières, — elières Ji tous égards.
Je ne m'arrêterai point, par pitié, de-
vant les |)auvres entants (pii sont censés
V trouver de ramusemenl. .le glisserai,
prudent, sur l'immoralité que leur oll'renl
les divers spectacles, pour ne parler — el
encore ! — que des tarifs (pii rendent ina-
liordables ceux où ils goûteraient quelque
joie, et des fâcheuses suites gastri(pies
que présentent à leurs jeunes tempéra-
ments les in((uiétantes promiscuités de
tant iralimenls hétéroclites et superflus.
Mais je songe aux diverlissements va-
riés (pii sont poui- les gens réputés plus
raisonnahles, et (pii n'ont de dilTi'renoe
ave<' les enfants (pie de voir dans la foule,
étant grands, et de choisir eux-mêmes ce.
(lui peut les amuser. lUipii dira — malgré
1 édiliaiile conriision de loiiles les cisles
el de toutes les toilettes, de la rolie à la
culotte, de la redingote au veston les
distinctions ipii se l'ont (|uanU même, el
les élans c|ui poussent : d'un C('>té, l'élé-
gante, délicate mais curieuse, vers les
aguichants tréteaux où la lutte étale des
robustesses inconnues de son monde ; de
l'autre, la faubourienne, forte, mais sen-
sible, vers les tableaux naïvement gro-
tesques et hideux où se peignent les
enfants martyrs el les plus ri'cenles guil-
lotines?
El (pli chantera, enlin, pour toi, Muse
égalitaire, les jeux (pii les unissent, el
comment ce sont soit les loiirniquels où
l'on gagne (("i universel esprit de lucre ! ,
soit ces manèges dans les(piels les che-
vaux de bois, candides et amorphes où
notre enfance eut mal an en ur, ont été
remplacés par les vaches aux yeux pen-
sifs, les pores bourgeoisement gras ou les
lapins aux pieds agiles, (pii sont, parait-il.
des svmboles (|ue l'on entend danv tous
les mondes?
gUATORZi: JUILLET
(a'IIc l'ois, en nii-iiu' tom])s que je lin-
\ni(iu'ini. Muse, j'invoquerai aussi Clio,
<{ul |Mvside à 1 Histoire. Et c'est elle qui
m'expliquera les motifs patriotiques de
l.mt de trémoussements au son d'orchestres
l'èlés, de tant de stations soi-disant rafrai-
rliissantes devant des breuvages difficile-
ment analysables, de tant de chemin fait
au soleil pourvoir ceux qui assistent à une
revue des troupes, de tant de lampions
iiifin, sans le ja])onisrae ou le vénilianisme
desquels il n'y aurait pas de fête fran-
l'.iise.
lille me dira comment la vieille inscrip-
lion plantée sur la Bastille démolie : Ici
l'un danse, se perpétue en sauteries où
l'idée du ]ilaisir immédiat prime assuré-
ment celle d'un rétrospectif civisme; —
comment les boissons ingurgitées aux ter-
rasses symbolisent : par leurs couleurs, les
plus démocratiques fusions; par lenr prix,
le développement de l'impôt, cette force
des Ktals; par leur composition, le pro-
grès des sciences chimiques depuis un
siècle de Révolution ; — comment enfin,
.iprès la patriotique courbature gagnée
autour du chanqi où délile l'armée, la joie
populaire s'éclaire avec les mille lanternes
qui, fabriquées dans les i)risons, sont assez
philosophiquement indiquées pour illumi-
ner un jour de liberté.
Et tu ajouteras sans doute. Muse boniu'
enfant, que c'est aller chercher bien loin
des motifs à ces anmsemcnts; que la
grande raison est que les ateliers ont'
chômé, et qu'en règle, par une rapide et
consciencieuse pensée, avec le grand
anniversaire qui en est cause, le bon
Parisien n'a songé — et bien il a fait —
qu'à profiter le plus am|)lement possible
du repos qui lui était donné.
11 a été voir, avec une conviction an-
nuelle, les divertissements fidèlement re-
commencés que la Ville de Paris, i;éné-
reuse, offre à sa rieuse badauderie.
marché, quoique éreinlé, bu, malgré ((uil
n'ait j)lus soif, dansé, bien qu'il fasse atro-
cement chaud, et illuminé, encore qu'il
habile sur la cour. Mais c'est un jour où
l'on doit faire tout cela, et c'est dans cette
communauté de plaisirs acceptés que se
manpie la fraternité des hommes.
TABI.KALX IVMUSIKNS
Il li'^^^filf^^*
MATINHE (llîATIITi:
Cuiniiu' il f^l (lil i|iu- loiil s':u-ln'to, cl
(|iie les cliosc's f^raliiili-s ncii s.Tiiraiciil
être exemptes, c'est avec beaucoup de
cette admir:il)l(! patience poiuilaire, pous-
sée là juscpi'à riiéroicpie résistance <ies
troupes au feu, (pie se conipiiert une place
aux matinées où l'on ne paye pas.
Douze heures sonneront aux horloi^os
entre le nionienl oiï le premier postulant
se sera assis sur les maiches du contrôle
et l'instant béni où les portes s'ouviiront
pour laisser |)asser tout le Ilot de ces cou-
lages et de ces abnéf;ations. Pendant ces
dou/.e heures, ils seront venus, peu :"i peu,
de plus en plus abondants à niesm-e (pie
la période (rallenlc deviendra normale,
pullulant d(''S (prelle aura atlciiil les
limites du relard.
V.l alors commenceront d'entrer en
action les mille moyens iiifjénieux qu'ont
les foules de tuer le temps, (pii n'en peut
mais, et (pii d'ailleurs n'eu va pas plus
vite. Jamais les ioiirnanx n'ont été lus, les
annonces y eompiiscs, avec une Jibis
absolue conscience; jamais les prospectus
n'ont été dévorés pbis coinplètemenl ou
n'niil plus ini;(''iiieuseniciil servi à simuler
des \olaliles ou dos embarcations; jamais
enfin les conversations voisines, fussent-
elles insipides, n'ont été accueillies avec
plus d'empressement courtois.
lilles sont tout, depuis le terrible et
impitoyable calemboiu-, depuis le mot à la
mode cent ime fois répété, jus(pranx con-
fidences stupidement prolixes on aux dis-
putes exag<?rément conjugales. Heureux
vraiment celui (pii n'est pas îi e(')té du très
vieil habitué (|ui " les suit toutes ",et (pii
liasse en revue des souvenirs ipii ne le
rajeunissent <;uère, et (]ui détlore, eu nue
diction ipie de loiiffues études ont reiidui-
péniblement fausse, les plus beaux endroits
de l'(euvre affichée!
i lintré enfin, après ce slafre pénible, la
lête vide et les jambes doulo\ireuses. ou a
gagné, courant, une place (pii aurai! (h'i
cire bonne, cependant (|u'un étal d'espril.
spéci.il aux foules, s'établit, et se sépare
d'après l'étage occupé, les bourgeois m-ihis
tard étant méprisés par les spectateurs de--
lo^;es, les(piels sont les sans-le-sou posant
depuis la nuit, et (pii ont pris .lUX place-
des criti(pies ce (pi'elles exilaient de pro-
fessionnel dédain.
TAIJMCA r\ 1> A mSlKNS
GRAND PRIX
Il m'eût fiillu, jadis, 6 Musc, me servir
(le ()uek|iie habile IraHsition pour en venir
des fêles populaires aux distractions aris-
tocratiques, telle celle-ci. Mais, a vrai
dire, aujourdluii, depuis que la fièvre hip-
|)ique s'est infiéré d'aiçiter les plus mo-
destes citoyens, la grande journée des
élégances peut, comme le reste, être
chantée par ta voi.v.
Si le coin dit Pesage a conservé encore
de ses anciens charmes, il s'y mêle pour-
tant, comme en toute chose payante, des
étalages de mauvais aloi, ce que peut
donner lor (piand il est seul à inspirer le
goût et ((u'au lieu de parer une grâce
il se borne à maquiller une vulgarité. Mais
ne Dous y attardons point, retenons-en
seulement les jolis détails; le reste s'étale
davantage : mais nous avons, ô Muse, la
faculté de tourner la tête»
C'est à la Pelouse, d'ailleurs, qu'est
maintenant la vraie journée, pour tout ce
qui s'y mêle d'ardeurs, d'espérances, de
superstitions folles, de na'ives and)itions.
pour le battement intense de ce cnui- de
plèbe, unifié dans l'attente d'une foulée île
cheval, du passage en éclair d'uiu' tète
devant un poteau.
Telle l'absurde bicyclette donne, au
moins par instants, la sensation grisante
de la vitesse, tel le jeu idiot des courses
procure, pendant le moment où les chances
se combattent, un décuplement d'existence
qui l'explique et peut l'excuser. Ce seiail
aller trop loin que de chercher si uni-
décuple existence cuvant dix. Cela, Muse,
n'est point de notre tâche.
Disons seulement combien il part d'es-
poirs et combien il revient de désenchan-
tements, combien il se change de belle
humeur contre la grinche amèro des slu-
pidcs déconfitures, et combien, une fois
encore, l'argent, qui est censé circuler,
sera allé dans la poche, habituée à
ces aubaines, des seuls qui n'ont rien
risqué.
TAlîLK.Vl \ l'A m SUONS
'^-.MrPi
I Test pourlaiit sur une note J'éléjfaiiec
i|iic je iiiiirai, Musc béui-vole, ce dithy-
i:iiubi' havanli'. (^'esl, si tu lo veux, aux
( JiMuips-Klysées, dont nous dédaignerons
liniM- un joui- les palissades depuis si long-
leuips provisoires, (|uc nous rcj^ardcrons
défiler le Retour, comme le dit, en une si
jolie simplicité, notre parisianisme argo-
li(|ue.
Ici. liai^rioiis nos yeux dans ces agréables
^piilaclcs. Délouruons-les des horribles
ouples, cossus el coupablcmenl laids,
{ui croient être élégants en passant à un
■ndi-oit d'élégance, sans comprendre
pi'étant là ils l'empèclu-nt d'être élé-
iaid. Regardons seulement les fraîches
'illioueltcs fanfreluchces, soyeuses, fleu-
ies, exipiiscmeni ébourifTées par le veut
Ml par- une main savante. Kt regardons,
dus longuement encore, les plus femmes
l'eidre ces femmes, celles à qui le ré-
(M-élicnsible sport n'a pas donné l'idée
IciMc^tc i\r VI- masculiniser, celles inii
savent sondigncr, a\ec inliuimi'ut de «o-
quetlerie et de l'rancliise perverse, l'c que
la nature leur a dévolu de formes souple-
el rondes et de finesses délic.ites.
Ne méprisons pas pour cela le Peuple,
(jui a ses beautés, d'une aristocratie cpiel-
(piefois troublante pour la superficielle
logique; mais ne prenons de lui, pour
finir, (|ue ce <|u'il a de vraiment joli, que
ce (pii, auréolé de mèches blondes, brunes
ou rousses, coill'c de pailh- et de lleurs, et
|iaré avec le moins d'élotfe possible, eu
représente si dignement l'alVriolante ver-
deur.
Kl maintenant. Muse, voici l'heure où
se termine le défilé. Hentrés h-s élégants,
comme les faubomiens. Délaissons nos
instrmnents familiers (pii troubleraient
les âmes populaires en train de couronner
par un dîner biuyant ces journées de joie
et de re|)os méritées par les durs labeurs
Pli
V.<
11. \ \ I I T.
LK MOUVEMENT LITTKRAIRK
Dans les papiers d'Alexandre Dumas
père, oii retrouvti celte pape bien pitto-
res(iue, pleine de saveur, et qui vaut d'être
conservée et d'être lue.
Une idée nous est venue, qui nous a paru
grande et nationale; la voici :
L'n voyage tout de poésie, d'Iiistoire et de
science, exécuté autour de la Méditerranée,
manquait, non seulement à la France, mais à
l'Europe.
Plusieurs ont bien feuilleté, comme l'ont
l'ait Chateaubriand, Champollion et Volney,
(juclques pages de ce grand livre où l'histoire
du monde est écrite tout entière; mais nul
ne l'a lu de suite, depuis Homère jusqu'à
lîyron, depuis Achille jusqu'à Bonaparte,
depuis Hérodote jusqu'à Cuvier.
C'est, dans une époque où l'on dit l'art et la
science étouffés par la politique, une expé-
dition d'art et de science que nous allons
tenter. A ceux qui accusent notre âge d'être
matériel et antipoétiipie. nous répondrons
que dans cet âge, cependant, nous avons
trouvé un gouvernement qui nous accrédite...
Notre relation, comme on doit le penser à
la vue de pareils noms, sera donc moins un
voyage proprement dit qu'une histoire uni-
verselle: nous prendrons le genre humain à
sa Genèse et. le suivant des yeux au sortir
de l'Arche, nous descendrons des montagnes
de l'Arménie avec les trois frères ancêtres
(]ui ont peuplé la terre. Nous fouillerons la
cendre des nations qu'ils ont engendrées et
les ruines des cités qu'ils ont bâties.
Uien ne nous échappera de ce qui fut
grand.
En poésie, nous ouvrirons le monde à
Homère et. passant par Virgile et Dante.
nous le fermerons à Chateaubriand.
En religion, nous aurons Mo'i'se pour pro-
phète, le Christ pour Dieu, Mahomet pour
réformateur.
En histoire, nous retrouverons la trace des
phalanges d'Ale.xandre, des légions de César,
des armées de Cliarlemagne. des croisés de
saint. Louis, des flottes de Charles-Quint et
des grenadiers de Bonaparte.
En géographie. Hérodote nous dira quel
était le monde connu des Grecs et Strabon
le monde connu des Romains.
En architecture. l'Egypte nous ouvrira ses
musquées, la Grèce 'ses temples, l'Italie ses
basiliques. Nous chercherons les rapports
mythiques qui existent dans toutes les
époques de foi entre les monuments et les
mystères qui s'y accomplissent, et nous ver-
rons sortir les ruines de trois civilisations et
de trois croyances, Sainte-Sophie de l^onstan-
linoplc avec sa croix grecque et Saint-Pierre
de Kome avec sa croix latine.
Toutes les villes qui, tour à tour, ont été
reines passeront découronnées devant nous,
Rome, avec ses faisceaux consulaires, son
bandeau césarien et sa tiare papale.
Syracuse, avec son volcan endormi, son
port à demi comblé et les dalles de ses rues
qui conservent la trace des chars qui y rou-
lèrent il y a deux mille ans.
Venise, avec son double conseil des Trois
et des Dix, son pont des Soupirs et son esca-
lier des Géants.
.Vthènes, avec sa face antique et moderne,
courtisane qui s'est couchée dans la tombe
avec le miroir d'.\spasie. vierge qui en est
sortie avec le yatagan de Botzaris.
Constantinople, avec sa croix et son crois-
sant, tenant dune main le labarum de ses
empereurs, de l'autre les queues de chevaux
de ses pachas.
Jérusalem, avec son calvaire sanglant, sa
mer Morte et son sépulcre vide.
Thèbes. avec sa ville des vivants si déserte
et sa ville des morts si peuplée.
Alexandrie, avec son triple souvenir <i'.\-
lexandre, de Pompée et de Bonaparte.
Cartilage, avec son berceau d'.\nnibal et
sa tombe de saint Louis.
EnQn Grenade, avec son Généralife et son
Alhambra, palais merveilleux bâtis par les
Péris sur la terre des fées.
C'était là comme une poétique fantaisie
qui fait songer à la délicieuse poésie di'
Théophile Gautier, les Ilirontlfllps qui,
sur leurs ailes rapides, visitent, en hiver-,
Malte, Smyrne, l'Egypte :
.. Oh! que dans Athènes
Il fait bun sur les vieux remparts!
Tous les ans j'y vais et je niche
Aux métopes du Parthénon.
Mon nid bouche dans la corniche
Le trou d'un boulet de canon.
Sauf qu'il n'y a pas de " vieux rem-
parts » à Athènes, le tableau est joli. Il
éveille un monde d'impressions voya-
geuses, qui sont le grand charme d'une
des plus importantes collections qui aient
été publiées sur les pays riverains de la
Méditerranée. Ce recueil considérable a
été commencé, il y a dix ans, et a paru
avec une régularité tenace chez l'éditeur
LE MOL'VKMKNi I. Il TKK A I II K
II. Lauki-ns, réalisant le vœu de Dumas.
I.Vuvre est arrivée à bonne fin, et elle
mérite sans conteste l'encouragement et
I éloge par le bel exemple quelle donne
d'un travail soutenu, informé, sérieux et
colossal. La collection porte le titre gé-
néral : Anlniir dr h, MâJilerranéc, et com-
prend neuf gros volumes divisés en trois
séries : Cô/m fiarharpsques, côles LalinoR,
rôles Oripnlales. Le texte est de M. Ma-
rins Bernard, qui connaît de visu ce dont
il parle. Des cartes et de nombreuses illus-
trations précisent les impressions du
lecteur.
L'idée était heureuse, de faire ainsi ce
voyage de circumnavigation autour du
grand lac des Trois-Continenis dont les
bords sont si riches en merveilles artis-
tiques ou naturelles Ah! le beau, varié
et séduisant périple! Et comment résiste-
rait-on au plaisir de suivre un tel itiné-
raire : Tripoli, Tunis, Alger, Blidah, Té- j
luan. Fez, Tanger, les côtes d'Espagne, [
Séville, Grenade, les iles Baléares, Barcc- ;
loue, Port-Vendres, les côtes de Franco, !
la Côte d'Azur, dont la description se fait
lire agréablement même après Dumas
père, Stephen Liégeard et aussi le général
Bourelly; la côte Italienne, la Sardaigne, :
Rome, Naples, le Vésuve, la Sici'e et
l'I'^Ina, la Calabre, l'Adriatique, Rimini,
Ravennes, Venise; la côte Autrichienne, ;
le Frioul, l'Istrie, Fiume et a Croatie, la
Dalmalie, l'Herzégovine, la Bosnie,' le
Monténégro, l'Albanie, l'Acarnanie, la
Grèce, le Péloponèse, Sparte, Athènes,
l'Archipel, la Macédoine, Conslantinople, (
le Bosphore, la mer Noire, la mer d'Azofi
les ruines de Troie, Brousse, Smyrne, k I
Syrie, Beyrouth, Damas, Jérusalem, Bc-
thiéem, le Sinaï, le Caire, le désert de |
Libye, et nous voilà revenus à Tripoli, '
point de départ. C'est une œuvre d'une
importance qui mérite d'être signalée.
Pour être parfaite, il eût été préférable
que lauleur voulût bien rétrécir la zone
riveraine où évolue son excursion. Il s'en-
fonce trop avant dans les terres, il oublie
son bateau, et il charge h plaisir un sujet
déjfi immense par hii-nu"me. Quand il
nous mène à Saragosse. à Cordoue, à
Avignon, à Andrinople, au lac Mœris, au
Sinaï ou à Suez, il nous entraîne trop loin
de noire rive. En Algérie, nous allons
jusqu'à Touggourt, et nous pouvons crain-
dre un instant d'être partis pour un voyage
d'études du Transsaharien! De même
quand on mène à Gardaia ou à Figuig. On
nous dira : Mais le pays est si curieux!
Soit, mais ce n'est plus votre sujet, et
vous manquez à l'ordre de la composition.
1 II faut savoir se borner. In simple tour
de cabotage fournissait déjà aisément la
j matière de tous ces volumes et, le sujet
I se trouvant allégé, on eût pu faire une
j place plus large aux notions d'art, d'ar-
j chéologie, d'histoire qui sont le véritable
I condiment des voyages.
Cet ouvrage est néanmoins précieux et
j d'une utilité que je ne cesse de préco-
I niser. La géographie est la plus char-
I mante, la plus amusante des sciences. Les
I programmes des lycées la font sèche, re-
I butante, et c'est là un crime. On apprend
la géographie aux élèves avec des atlas
et des abrégés, alors qu'il faudrait com-
mencer par jeter au feu tous les manuels
j et tous les atlas. La géographie est la
science de la Terre, et on ne connaît la
Terre qu'en voyageant, ou en écoutant et
en lisant des voyages. Supprimez le
tableau noir et les cartes; animez les
leçons de géographie par des projections
et des lectures de voyages, ei tout ehan-
Sera ; la classe sera attendue, aimée, amu-
sante, et on ne dira plus qu'on reconnaît
les Français à leur ignorance de la géo-
graphie. La publication des volumes :/!(;-
lo„r <lpla MMilonanfin. servira celle cause
qui doit nous être chère h tous - et cela
vaut un compliment.
Tout ce (pii assure un progrès en ma-
tière d'éducation a droit à l'attention, car,
rien n'est grave comme léducalion : c'est
elle qui prépare l'avenir. Chaque géné-
ration est responsable de celle .pii la suit.
Aussi voulons-nous signaler et encou-
rager les publications de l'éditeur F. Na-
than,en tant qu'elles coniribuentà résoudre
un délicat priit proMéiiu- ilc famille. Il v
LE MorXKMKNT 1. Il T K It A 1 li K
;i deux méthodes, relativement à l'emploi
(lu temps pour les petits enfants. Il y a
(■«•lie de Fénclon : ■' Laissez-les s'arranger;
ils s'amuseront d'eux-mêmes, et sauront
liien se créer des divertissements simples
«•l de leur f;oûl. ■■ Il disait et pensait cela
«■n protestation contre les amusements
<lispcMidieux et malsains qu'on prodiguait
inaladroilemenl à l'enfance de son temps.
Il y a, à l'opposé, la méthode do
.l.-J. Rousseau, de Pestalozzi, de Krœhel :
■ N'abandonnez pas l'enfant à lui-même
ol sachez l'occuper constamment de telle
sorte qu'il s'instruise en s'amusant. ■ Ce
n'est pas ici le lieu de discuter celte ques-
tion si grave; mais nous signalons les
rocherchos, les elTorts, les travaux de ceux
ot do celles que préoccupe le souci do
l'enfant. C'est une difficulté délicate d<"
l'occuper saiis le fatiguer et de trouver
;nissi lo moyen de le faire s'amuser tout
seul. • Maman, je ne sais pas quoi faire. ■■
Que do fois cette plainte gémit dans les
familles ! M"° S. Brès a eu l'heureuse idée
do réunir un certain nombre de ces Jeuj^
ri iircui):ilinns pour les petils qui ont garni
do délicieux ouvrages les panneaux des
classes de l'enseignement primaire à l'Ex-
position universelle. A lancer et manier
<Ies balles, à enfiler des perles sur des
pailles, h faire des constructions, des
figures, des carrelages, à combiner des
bâtonnets, des anneaux, h faire du piquage,
<le la broderie, de l'enlacement, du tres-
sage, du tissage, du déchiquetago, du dé-
coupage, du pliage, du tricot, des ouvrages
<lo papier, des objets en cocons, des mar-
rons, des nattes-tapis, etc., l'enfant peut
]>asser dos heures amusées; dès qu'il sait
faire un genre de travail, il l'applique tout
soûl à l'infini; c'est la tranquillité des
parents, et aussi l'auto-inslruction de l'en-
l'ant qui, en maniant ces accessoires do
tontes formes, apprend une vaguo géo-
métrie ot aussi l'usage expert de ses petits
doigts. Et l'on est étonné des résultats
surprenants qu'on obtient avec ces minces
riens, ot do l'ingéniosité des auteurs,
oomnio M"' M. Kœnig, bien connue par sa
collection <\i' poupées en costumes natio-
naux, qui avec quelques bibelots usuels
réunis dans une boite, fait l'éducation des
tout petits en quelques leçons réunies
dans une brochure qui accompagne ce
compendium. On n'imagine pas tout ce
que l'on peut suggérer et apprendre d'utile
à des enfants avec ces petites leçons ilo
choses.
M"" Kœnig est également l'auteur d'un
manuel, Le Monde en l'npier (.leandé, édi-
teur\ qui est une merveille d'ingéniosité.
Si les enfants connaissaient et pratiquaient
tous ces beaux exercices, ils trouveraient
i l'enfance trop courte.
' C'est la vie qui est courte. Où trouver
le temps, par exemple, de relire tout son
Balzac ? C'est pourtant le moment.
Les a-uvres de Balzac sont <. dans le do-
maine ». Cela veut dire que, Balzac étant
mort depuis plus de cinquante ans, ses
héritiers n'ont plus aucun droit à perce-
I voir sur les éditions de ses œuvres, et
j aucun éditeur ne peut plus en rovendi-
j quer le privilège. Tout le monde à le
' droit d'imprimer et de vendre du Balzac,
i sans rendre de compte à personne, pas
plus que quand il s'agit d'une tragédie de
Corneille ou d'un sermon de Bossuet.
Ce moment était guetté. Le jour même
de la déchéance des droits, on mettait en
vente des collections nouvelles d'oeuvres
complètes de Balzac de tous formats ot de
tous genres. Il faut s'en féliciter, car ce
nombre même servira à la propagation de
ces romans robustes et forts. Jamais on
ne sèmera trop loin ni trop nombreux les
chefs-d'œuvre de notre littéialuro ; c'est
de la vulgarisation féconde!
Do toutes les éditions complètes, la
meilleure me parait être celle de la Société
d'Editions littéraires^et artistiques, d'un
format élégant et commode, avec des
illustrations sobres et un aspect très ave-
nant. 11 est bon que la forme fasse aimer
le dedans ; c'est le cas ici. Jusqu'à pré-
sent, il a paru, sans ordre chronologique
et en volumes séparés pour faciliter les
acquisitions isolées : La Peau de Chagrin :
(Cousin Pons, Cousine Belle (Parents pau-
vres ; César Biroll"au ; le Père Goriot,
I.K MOIVKMKNT I. ITTi; H AI It F.
Siilfnilfurs ri Minrres îles courtisanes ; h
Lijs ihiiis l.i valli'v, cl Kii(ji'-nii' Cranili'l. Il
l'st évident que les éditeurs ont tenu à
publier d'abord les nnivrcs les pins allé-
chantes, plutôt que les plus anciennes,
ces volumes étant plus " de vente » ; la
colleclion comiiK'ncée sera une raison de
la finir.
Quelles évocations et quel prestige dans
tous ces noms d'héroïnes et de héros qui
nous ont captivés, qui ont vécu et soufTert
devant nous avec une inlensilé telle qu'il
pourrait nous seml)ler que nous les avons
réellement connus! Quelle vie intense,
(|uelle vérité et quelle pénétrante obser-
vation! t-et homme avait un regard d'aigle
qui fouillait et sondait les profondeurs cl
les mystères do l'âme. Quelque chose le
montre exactement sous ce jour et fût ar-
rivé à bien peu d'autres romanciers.
M'"" d'Agoult voulait accaparer Liszt en-
core jeune dont elle prévoyait le brillant
avenir, (^clui-ci regimbait contre cet ac-
caparement de la moderne Egérie. Il lui
avait même répondu assez brutalement :
- Madame, ce sont les Dante qui font
les Héatri.N, et les vraies Héatris meurent à
di.\-huilans,aprèsquoi on n'en paile plus.
Balzac fit de ce sujet, du grand homme
récalcitrant et de la femme pressante, son
roman de lli-ulrix ou les Amours forcées.
Tout le monde reconnut M™" d'Agoult, qui
se reconnut elle-même, et entra en fureur.
Elle somma Liszt d'aller gifler Balzac. Le
virtuose lui répondit :
— Donnc-l-on dans ce livre votre pré-
nom, votre adresse, votre rue et votre
numéro? Non! Alors, il n'y a rien qui
puisse justifier l'opinion où vous êtes de
vous reconnaître.
Et il ne bougea pas. Mais il disait à ses
amis :
(le Balzac est extraordinaire. Il y a
poi M'tant longtemps que je vois M"'" d'Agoult
et je la connais bien; cli bien, lui, qui l'a
si peu vue, il la connaît encore mieux que
moi !
C'est un (les |iUis beaux hommages
(|u'on puisse rendre h la merveilleuse
observation de Bal/.ac.
Nous nous attarderions volontiers dans
une étude sur ce puissant génie, au mo-
ment où les hommages des éditeurs lui
arrivent avec une profusion qui n'est pas
tout à fait désintéressée. Ce fut un homme
prodigieux par la pensée. Il était laitl.
gros, large et court, de la famille de ces
courtauds que la malice populaire désigne
avec impertinence sous le vocable géné-
rique de i)ot à tabac. On a bien vilipendé
la slatue, la fameuse statue de Uodin.
Hélas! c'était peut-être la plus spirituelle,
puisqu'elle exprimait l'impuissance à sta-
tufier un être instatu (iable, si l'on peut
dire. Il n'a jamais été réussi qu'en buste.
Au moral, cet esprit est surprenant.
Non qu'il n'ait pas ses limites : style par-
fois faible, longueurs et dissertations pré-
tentieuses, exagérations moitié romanti-
ques, moitié mélodramatiques, [jeintures
fausses de l'aristocratie qu'il ignorait. Mais
nul ne l'a approché dans le tableau des
caractères généraux du peuple et de la
bourgeoisie. Nul n'a su mieux déduire les
conséquences falales d'une seule manie
pour toute une vie ou pour toute une race,
que ce soit l'avarice de Grandet, lajalousie
de cousine Bette, le vice de Ilulol, la
folie de Balthasar Claës. Il a tellement
vécu avec ses personnages qu'il nous les
présente avec une vérité siisissante, et
nous les voyons. Il n'a pas l'air de faire
du roman, mais de l'histoire.
Il dénon)bre inventaire exact des mi-
lieux où se place l'action; on dirait (|u'il
copie d'après nature. Il expose un projet
financier dans un roman comme il l'eût fait
pour la tribune du Parlement. La question
d'argent joue un grand rôle dans ses ro-
mans; il la traite de main de maître. Il y
avait (11 lui un homme d'affaires qui ne
sommcilhiil pas. Dans la vie, il élernuait
les projets de combinaisons commercia-
les; elles fusaient de son cerveau. Tantôt
il voulait .u'heler les terrains de Sardaigne
sur lesipicls les Bomains avaient exploité
des mines houillères, persuadé que, leur
exploitation étant défectueuse, il devait
rester do riches filons. Tantôt il rêvait
d'ouvrir une épicerie sur les grands boule-
Lli M () U \- 1: M i: N T I.rrTKHAlUE
vards el d"y servir lui-même pour attirer
les clients, ou d installer aux Jardies un
dépôt de guano. Il a posé devant lui-même
bien des scènes do Mfrrailel.
Dans V Histoire (le la Société des Gens île
Lettres, dont il fit partie, chai|ue page
porte ou rappelle quelque proposition de
Balzac à TefTet de fonder une banque in-
tellectuelle, un Syndicat des lettres ou
une Encyclopédie. Son cerveau ne chô-
mait jamais. Juge, il n'aurait jamais dormi
sur son siège.
La puissance de ce génie est admirable!
Cette énorme machine de la Comédie hu-
maine, où les mêmes familles, les mêmes
individus reparaissent et suivent le récit,
il l'a maniée avec une aisance d'hercule
littéraire et avec une logique d'algébriste.
Il a été le peintre vigoureux d'un temps
ot d'une société. Il a su voir el faire voir;
il a été réaliste sans laideur, vrai sans
petitesse; au style près, l'ancêtre dont il
peut directement se réclamer, dont il a
suivi et élargi la piste, c'est l'immortel
auteur de Gil Blas de Santillane, Le Sage,
et c'est son plus bel honneur qu'on puisse
à son sujet prononcer ce glorieux nom.
Certes, il valait la peine que la librairie
Ollendorff réimprimât avec art et avec
goût les chefs-d'œuvre de ce prodigieux
cl somptueux génie.
Ne quittons pas encore le royaume de
liomancie.
Le roman de Jean Rameau , Tendre
Folie, a du pathétique, du dramatique
même. Ouvrez le livre au point saillant,
au punclum saliens. C'est dans la cam-
pagne déserte , vers les Pyrénées. L'n
simple soldat a rejoint son capitaine ; le
soldat s'appelle Romain Pradieu ; l'officier
s'appelle Larrède. A oici la scène de leur
rencontre :
— Tiens! c'est loi. Pradiou ? denianda-l-il
quand il fut à deux pas de lui.
— Oui. c'est moi 1 répondit Romain en se
précipitant.
El il le souffleta de toutes ses forces :
— C'est moi . crapule I continua Romain.
Tiens! liens! voilà qui l'apprendra à dire aux
femmes que je suis poitrinaire. Attrape!...
Ah ! misérable-! c'était pour l'épouser toi-
même, n'est-ce pas ?
XIII. — 16.
— .Mais !... mais !... grommelait le docteur
étourdi par les coups.
— C'était pour te mettre à ma place ot em-
pocher les millions? Empoche ça d'abord!
— -Vh ! mais c'est un guel-apens |... Voyou!
sale voyou 1 s'écriait le docteur en se défen-
dant mal.
Il était fort cependant: mais celle attaque
imprévue l'avait paralysé. Les coups phni-
vaienl sur sa fifrure. Il recula, les joues ar-
dentes : puis, sentant les mains de l'agres-
seur à son cou, il tomba en arriére. On en-
tendit le choc de sa tête sur quelque chose
de dur, une racine d'arbre sans doute; après
quoi son corps dégringola sur la pente du
coteau.
— Là! maintenant, va faire ta cour aux
filles millionnaires! dit Romain soulagé. Tu
as ton compte pour quelques jours.
Pourquoi ce pugilat'.' Vous avez deviné
qu'il faut chercher la femme. Pradieu
aime .Vure d'Eyrelles. Larrède ^ qui est
docteur et major — convoite la même
Aure non par amour, mais par cupi<Iité,
parce qu'elle a trois millions. Comme doc-
teur, il a trouvé un moyen simple d'em-
pêcher qu'Aure soit la femme de son
i-ival. Il a dit à la mère de la jeune fille
que ce rival est tuberculeux ; c'est, d'ail-
leurs, pure calomnie. La mère accepte ce
mensonge et l'explique un peu crûment
peut-être à sa fille qui ne veut pas renon-
cer à son amour :
— Je serai sa garde-malade !
— Tu le tueras plus vile en l'épousant.
Le propos est peut-être un peu scabreux
pour une mère, el la suite ne l'est pas
moins :
— Je me contenterai d'être une mère
pour lui, dit celte jeune fille un peu ren-
seignée. Sa mère la retorque :
— Ne sois donc pas si na'ive. 'Vous vous
aimez comme deux jeunes fous que vous êtes,
et je voudrais bien voir ce qu'ils devien-
draient, les soins de mère, sous le climat
d'Afrique après quelques jours de cohabita-
tion.
Cela ne me semble pas très bien dans
la note.
Bref, Pradieu se voit refusé, sans con-
naître la raison ; de désespoir, il va se ma-
rier à Londres. Mais voilà qu'il apprend la
vérité, c'est-à-dire le mensonge de Lar-
rède, qui est son major pendant qu'il fait
1.1-; Mm \i; mi; NT i.i i tiquai iti:
SOS livize jouis. C'est alors qu'il lo losse.
On voit que l'action est eni^agée à fond.
Ce sont de p^ros obstacles qui séparent
Pradieu et Aure, puisque Pradiou est ma-
rié, et en outre, ayant rossé son supé-
rieur, sûr de la peine de mort. Comment
sortir de là '? On en sort. Le mariage étant
anglais, se défait. Quant aux voies de fait,
le docteur craint que la belle Aure ne
raconte ses petites infamies, et il se tait,
il ne nomme pas son agresseur. Pradieu,
débarrassé de tout souci, épouse Aure. Il
peut dire qu'il revient de loin.
Il y a dans ces pages de l'allure, du
sentiment, de la psychologie, des pen-
sées éparses :
Il y a l'ivresse de la douleur comme celle
du vin;_et l'une e.vcite à s'endolorir davan-
ta};c. comme l'autre à boire encore.
Il y a de ces paysages pyrénéens où
excelle notre Landais, et un intérêt tou-
jours soutenu par le noble héro'isme, qui
inspire à Aure sa tendresse et parfois sa
folie.
On nvail le recueil des chroniques pari-
sioiiiu's la \7(> ./ l'aris. Jean Bernard nous
dimm' lii \'ie de Paris. D'une préposition à
r.iulre il n'y a pas fort loin. Son recueil
est intéressant, nourri, et apporte d'utiles
documents aux futurs historiens de notre
temps. Une ])réface de M"" Marie-Louise
Néron salue avec éclat l'avènement du
grand reportage, dont ce livre est un
modèle. Il sera bien précieux plus lard. Il
est agréable dès à présent. Jean Bernard
est un fureteur, un curieux ; il déniche les
renseignements avec le flair d'un limier
d'archives. Son portrait de Sarcey est bien
vivant ;
Sarcey, cnniiin' pmCesscui'. était passable-
ment frondeur. Une circulaire ayant prescrit
d'avoir un cnliier de classe sur lequel chaque
maître devait consigner tous les jours le
nombre de levons récitées, le nombre de de-
voirs lus, avec les notes de corrections, et
pour cli.KiMc- iiHir, les pro^rrès faits par les
élèves.
Snrce.v (il lemariiuer que les projrrùs des
élèves ne pouvaient être indlcjnés au jour le
jour, et qu'il était plus rationnel <le les mar-
quer toutes les semaines.
— ^lonsicur, lui repondit le proviseur d'un
ton sec, on ne discute pas les ordres du
ministre; le ministre veut être tenu jour par
jour au courant des projirès des élèves, il
faut donc jour par jour le tenir au courant.
Sarcey ne riposta pas; dans la colonne des
« Propres », il écrivit des adjectifs toujours
nouveaux et flamboyants ; ainsi le lundi il
mettait « incessants », le mardi •■ extraordi-
naires ", le mercredi >■ inouïs ", le jeudi <■ in-
croyables n, le vendredi « slupélianls ■., le
samedi ■. renversants i.
Toute la carrière universitaire de Sarcev
est plaisamment résumée.
Sarcey tournait le petit vers. Voici ceux
qu'il fit sur l'opération de la cataracte
qu'il dut subir en 1880 :
On a tiré le lit sous la haute fenêtre
D'où tombe en hr^e nappe un beau jour frani- et droit.
Le patient s'y coui-he; il attend, tout son l'tn'
Se raidit frifuiissant d'un mvinrible effroi.
Pcrrin est lalme. Il prend un acier fin et froid ;
S)us la paupière ouverte où son regard pénètre.
Il introduit la pointe et rlicrrhe à reconnaître
Pour frapper à coup sur, le juste et bon endroit.
Il fend l'œil d'un Irait scr, élargit la blessure.
Pince du cristallin la pellicule obscure
El l'enlève : « C'est fait ! » dit-il, l'air simple et grand.
L'autre, râle, épuisé, mais soudain, o surprise,
Il a cru voirl... Il voit, dans une lueur grise,
La main qui le torture... cl la serre en pleurant...
Sarcey poète, cela était imprévu.
Fout le livre est ainsi fourni de docu-
ments, de mots, de souvenirs.
Jean Bernard est l'inventeur de l'inter-
view par correspondance.
Il adresse une question i> des écrivains
de son choix et il coUationnc, réunit, pu-
blie les réponses les plus inlércssanles.
II avait un joui' consulté les gens de
lettres et les artistes sur la ifuestion de la
crémation, cl Sardou, qui ne répond
jamais, avait répondu celte fois ;
- Brùlél Brûlé! J'aurais beaucoup |)his
de plaisir h être brûlé I
En attendant, Jean Bernard se conslilue
une des plus jolies collections d'auto-
graphes de Paris et de Navarre.
Cl A nlITIK.
CAUSERIK SCIK.NTIKIUIK
Uni' des branches de la science nyant
donné les résultais les pins tangibles et
qui semble être arrivée à l'apogée de son
succès est la chirurgie. De nos jours, nos
opérateurs agissent non seulement avec
une sûreté de main sans faiblesse, mais
encore savent- ils toujours bien d'avance
où ils vont et peuvent-ils, dans la plupart
des cas, prévoir la réussite de leur tra-
vail. La facilité avec laquelle on peut agir
sur le malade anesthésié est, sans contre-
dit, la condition principale qui a permis à
la chirurgie de faire de si grands progrès;
toutefois le moyen courant pour produire
cette anesthésié indispensable est loin
d'être parfait. On connaît, en effet, tous
les inconvénients du chloroforme : les
révoltes du patient au moment où on le
lui administre, les conséquences dés-
agréables et, en particulier, les vomisse-
ments qui se produisent pendant plusieurs
heures, compromettent quelquefois le suc-
cès des opérations abdominales; enfin le
chloroforme n'est pas sans danger : sou-
vent le malade succombe après avoir été
endormi.
Le docteur Tul'fier, l'éminent chirur-
gien de Lariboisière, n'emploie pour ainsi
dire plus jamais cet anesthésique dans son
service. Il est devenu le propagateur d'un
procédé nouveau qui, grâce à la pratique
qu'il a mise en usage, est devenu un des
moyens les plus surs et les plus faciles
d'insensibiliser le malade sans l'endormir.
Ce moyen consiste à injecter une solution
de coca'ine dans la partie de l'épine dor-
sale où se trouve un liquide spécial, dit
liquide ci'jihrilo-rarliidipn. La solution injec-
tée vient baigner aussitôt toutes les racines
des nerfs qui, comme on le sait, pren-
nent naissance dans la substance grise
constituant en quelque sorte le noyau de
l'épine dorsale. Au bout de quelques mi-
nutes, l'insensibilité se manifeste pour
toute la partie du corps située au-dessous
de la poitrine ; on peut alors opérer dans
les bras, le ventre, les jambes sans que
le malade ressente aucune sorte de dou-
leur, et pourtant il n'est pas endormi : il
peut continuer à causer comme s'il se
trouvait dans son état normal ; il pourrait
même assistera son opération et voir tout
ce qui se passe si les aides, n'avaient soin
de lui renverser la tète en arrière et de la
couvrir.
Le seul inconvénient de ce système, qui
fait le plus grand lionneur à M. Tuffier, est
de provoquer un malaise général au début
de l'injection et des maux de tête quel-
ques heures après ; mais les avantages
de son application, qui permet d'éviter le
chloroforme, sont tellement grands qu'il
n'est pas douteux que d'ici peu de temps
son emploi ne se vulgarise universellement.
D'ailleurs plus de mille opérations faites
avec succès par M. Tuffier et ses élèves,
grâce à l'analgésie cocaïnique, prouvent lar-
gement en sa faveur.
De toutes les infirmités qui sévissent sur
notre pauvre nature humaine, celles qui se
caractérisent par des déformations de la
face nous impressionnent de la façon la
plus pénible. Dès qu'un être est atteint
d'une de ces maladies qui lui défigurent
le visage, il devient un sujet d'horreur
pour ses semblables; il reste honteux de
sa personne et, jouirait-il d'une santé par-
faite, il n'en profiterait aucunement à cause
de l'état d'isolement dans lequel il se con- ■
fine.
Tel était le cas d'une malheureuse
femme, chez qui une alTectiou spéciale
avait déterminé la destruction complète
du voile du palais, de la luette, de la
plus grande partie de la voûte palatine
ainsi que des os du nez ; en plus, de vastes
ulcérations avaient détruit et ravagé la
presque totalité des parties molles de la
face, entraînant la perte de la moitié de
la lèvre supérieure. On conçoit que, dans
un état pareil, cette personne soit deve-
nue hideuse avec un vaste trou de 3 centi-
mètres à la place du nez, sans compter que
les fonctions de la déglutition et de l'écou-
1 i\i I iiiii i:
Fig. 1 et -2. — OiJCTiition dr narinoplustie aut au 1}' Ookltiislein.
Aspeut de la malade avant et après l'opération.
lement intérieur des larmes élaient deve-
nues fort difficiles, pour ne pas dire im-
possibles : la parole elle-même était
rendue incompréhensible. Le problème à
résoudre était donc de rétablir ces fonc-
tions et de chercher à donner au visage,
sinon une apparence conforme à l'esthé-
tii^iie conventionnelle, du moins un aspect
qui empêchât cette femme d'être un objet
de curiosité malsaine pour le public. C'est
à cette solution qu'est arrivé avec beau-
coup de succès le très distingué spécia-
liste, le docteur Goldenstein ; l'opération a
été très remarquée dans le monde chirur-
gical et a i'ait rol)jet d'une communication
fort intéressante de M. Berger, à l'Acadé-
mie di" médecine.
l'rimilivemcnt, M. Goldenstein vivait eu
l'idée de i'abritiuer un obturateur en caout-
chouc qui venait remplacer la voi'ile pala-
tine al)sente. (^et appareil était supporté
par les dents, et c'est sur cet obturateur
même que le faux nez venait reposer.
Cette disposition était fort heureuse, car
elle permettait le maintien fixe de la
|)iècc j)rothétique sans avoir recours à
une paire de luneltes pour supporter l'ap-
pendice nasal. Ce dernier système est un
inconvénient de plus, car ces lunettes.
loin de dissimuler l'opération, la souli-
gnent au contraire. .Malheureusement celte
prothèse, qui avait donné de bons résul-
tats pendant plusieurs années, ne put être
conservée, car sous l'empire de la maladie
les dents tombèrent à leur tour el ne
purent continuer à soutenir l'appareil.
11 fallut imaginer autre chose.
I,e nouvel appareil se compose de deux
parties distinctes : l'une, interne, qui
forme le palais, et l'autre, externe, qui
remplace le nez et la lèvre. La difficulté
était de trouver le point d'appui intérieur,
afin de conserver à l'appareil l'avantage
esthétique de son devancier. A cet effet,
la |)ièce palatine est munie de deux cla-
pets qui s'abaissent d'eux-mêmes ipiand
on place l'appareil et qui se logent de
chaque coté de la perforation sur ie plan-
cher de^ fosses nasales. Pour faire agir
ces clapets, il suffit de mettre en place la
pièce extérieure ou faux nez ; celte petite
manœuvre fait agir un ressort qui abaisse
les clapets.
Malgré son volume el ses pièces an-
nexes, l'appai-eil complet ne pèse que
')2 grammes.
Aujourd'liui que l'opérai ion est ler-
miaée, la personne peut manger et boire
C A U SKR I E se 1 K N ï I Kl Q V I
facilement; quanta l'articulation des sons,
elle est devenue nette et perceptible; enfin
récoulcmênt des larmes se l'ait naturelle-
mont par les voies intérieures.
Quant à l'apparence extérieure, elle ne
provoque certes pas une restauration par-
faite de la face ; il est impossible de faire
disparaître tous les mouvements de la
peau, qui a subi des déformations impor-
tantes ; mais il y a un progrès immense
do réalisé : le visage recouvert d'une voi-
lette légère, cette femme peut circuler et
se promener sans attirer l'attention fig. I
el -J.)
Cette opération si réussie, qui fait le
plus grand honneur îi son auteur, est la
première qui ait été faite d'après l'ingé-
nieux procédé d'attache que nous avons
exposé.
Mis en goût par leurs <lerniers succès
militaires et pour parer contre toute éven-
tualité de l'avenir, les Américains pro-
jettent d'augmenter leurs forces mili-
taires; ainsi nous voyons que leur armée,
jusqu'ici insignifiante, va être portéa à
100 000 hommes en temps de paix; d'autre
pari, ils protègent leurs côtes, et comme
ce peuple ne fait jamais les choses à moi-
tié, c'est avec des canons d'une action
inconnue jusqu'ici qu'ils veulent se garan-
tir.
Le modèle que nous présentons , fig. 3 i et
dont un exemplaire est déjà sorti des usines
est destiné à défendre les grandes cités
d'Amérique contre les attaques par mer :
d'après le projet élalioré, New-York aura
dix-huit unités semblables, San-Francisco,
dix el Boston, huit. Sans entrer dans la
discussion, que nous ne saurions abor-
der, qui montrerait les avantages et les
inconvénients de ces colossales unités de
combat et de leur effet utile, nous nous
contenterons de décrire ce canon, le plus
formidable qui ait jamais été construit. Sa
longueur dépasse l.'i mètres et le diamètre
de son embouchure est de 40 centimètres;
on sait que ce dernier chiffre indique la ca-
ractéristique do la pièce, car il donne on
Fig. ">. — Nouveau module de cauon construit
jiDur la défense des ciiles aux aliords de»
grandes villes américaines.
même temps le diamètre du projectile. Ces
chiffres sont fort imposants, mais h eux
seuls ils ne suffiraient pas à donner une
idée de la supériorité de l'arme sur les
modèles construits antérieurement dans
les autres pays ; en effet, en France, nous
avons déjà vu une pièce de H'"",2.'i, et en
Italie, on a construit un canon de tt"",2li ;
c'est celui qui détient le record de l'ouver-
ture.
D'après les calculs des auteurs, les ell'els
de cette unité d'artillerie dépasseront de
beaucoup ceux qu'on est habitué de voir.
Ainsi, avec une charge de 2oO kilogrammes
(le poudre sans fumée ou de l'>00 kilo-
grammes de poudre ordinaire, on pourrait
lancer un projectile d'une tonne environ
avec une vitesse initiale de "/OO mètres à
la seconde; en pointant la mire suivant un
angle de 40 degrés avec l'horizontale, l'obus
franchirait une distance de X) kilomètres
en décrivant une courbe dont la flèche at-
teindrait près de 10 kilomètres. Veut-on
savoir ce que ces chilTres représentent?
Un canon de ce modèle, placé sur nos
côtes aux endroits les plus rapprochés de
l'Angleterre, enverrait des obus qui tra-
verseiaient le détroit de (Valais; quant à la
flèche, elle est le double de la hauteur du
Mont-Blanc, de sorte qu'on pourrait causer
des dégâts en pays ennemi en le bom-
bardant par-dessus les Alpes!
L'auteur ne nous explic(ue ])as à quelles
causes on doit la supériorité île sou arme
défensive, son poids très élevé de l.'ili ton-
nes est assurément un des facteurs i|ui per-
mettent d'employer des charges très fortes
de poudre, ce qui augmente naturellement
les efl'ets balistiques. On sait que tout ca-
CArj^Kim:
^c.iKNTiKiurr.
non est composé de deux parties, l'âme et
les revêtements: l'âme est une pièce
uni(iue d'acier coulé d'un seul morceau et
dont la fabrication présente les plus
^'randes iliflicultés, car toute défectuosité,
si petite qu'elle soit, dans la masse du mé-
tal pourrait compromettre ré(|uilibre du
système et par conséi|uent la justesse du
tir, sans compter les accidents d'autre
ijenre i|ui pourraient se présenter.
L'exécution des revêtements ou arma-
tures est également d'une grande délica-
tesse de fabrication ; on conçoit, en elTet,
ipie la nKjindre inégalité dans les opéra-
tions <le la fonte ou la plus petite erreur
d'ajustage entre ces pièces secondaires et
l'àme -elle-même pourrait compromettre
le travail de plusieurs mois; il faut un
soin extrême pour emmancher les arma-
tures les unes dans les autres, surtout
lnis(|ue, comme dans le cas du canon amé-
ricain, celles-ci sont au nombre de trois et
(pTellcs sont composées chacune de plu-
sieurs morceaux ajustés les uns dans les
autres; la difficulté est même ici tout à
fait s])éciale à cause du poids de ces revê-
tements ()ui, à eux seuls, ne pèsent pas
moins de lii t. 'i.
Le gi-and ennemi de la direction des
ballons est le vent, et il est peu probable
qu'on trouve de sitôt le niovcn de sup-
primer ses ellets. La résistance de sa
force augmente avec le carré de la surface
exposée ; mais comme d'autre part, la
force ascensionnelle croit avec le cube du
volume, il est ft présumer que si des
recherches doivent être faites avec espoir
(le succès, ce serait dans l'emploi d'aéros-
tats très volumineux qui permettront
(l'iMnporter des appareils puissants ainsi
que le combustible nécessaire à une étape
assez longue.
L'histoire de la navigation aérienne est
courte. Kn 1S52, M. Giffard eut l'idée
(l'eMiployer une forme allongée pour l'aé-
roslnt, l'orine <|ni a loujonr-s été' reprise
dans la suite par les antres consliucteurs.
En IK7J, Dupuy de l.onie repiil ces expé-
riences en admettant le même système
locomoteur qui était une machine à vapeur,
mais sans succès.
En 1883, les frères Tissandier exécu-
tèrent des ascensions dont on parla beau-
coup à l'épociue; leur moteur était mù à
l'électricité ; c'était un progrès, car la
machinerie étant réduite comme poids,
on put emporter un nombre d'accumula-
teurs suffisant pour donner une force qui
permit au ballon de rester en place, contre
un vent de 3 mètres à la seconde.
Les capitaines Renard et Krcps employè-
rent ensuite un autre moteur électrique,
mais ne parvinrent pas non plus à élu-
cider la question.
Nous avons parlé dans notre dernière
chronique des essais du comte Zeppelin,
en Allemagne, et de M. de Santos-Du-
mont, en France. Mais la solution du pro-
blème n'est pas encore dans ces expé-
riences, si intéressantes qu'elles soient.
D'ailleurs, la dissolution de la Société du
comte Zeppelin vient arrêter les essais qui
avaient été tentés de l'autre coté du Hliin.
D'autres inventeurs ont également cher-
ché à réaliser le difficile problème de la
navigation aérienne en employant des
aéroplanes, des/</u.s tourils rjiir l'air, comme
ils appellent leurs machines, lis ont regardé
le vol des oiseaux dans l'air et se sont
demandé pourquoi ils n'arriveraient pas
au même résultat ; mais les forces de la
nature sont immenses à coté de celles de
l'homme : les chercheurs ont eu beau
cherche à copier la mécanique de l'avia-
tion, ils n'ont pas réussi.
Voici que d'autres auteuis espèrent
réussir, en aborbant la question d'une
façon nouvelle ; ils ont une confiance ab-
solue dans leurs études et sans vouloir
donner une opinion personnelle, puisque
aucune expérience n'a encore été faite, on
peut toujours reconnaître que leur idée
est sinon pratii|ue du moins ingénieuse ;
c'est la seule raison i|ui nous engage à en
parler.
Avant de décrire leur bateau aérien
ifig. 'n, disons deux mois du principe sur
lequel repose le projcl. Le ballon, gar-
C.ArSKIUK SC.lKNTlKlgl i;
dons ce mol, n'est pas soulevé pyr un
volume plus léger que l'air, il ne se main-
tient pas non plus clans l'espace par une
large surface comme pour les aéroplanes,
non ! ce qui lui imprime son mouvemenl
ascendant, c'est la dépression atmosphé-
rique ; en d'autres termes, c'est la diffé-
rence de densité de l'air entre deux cou-
ches superposées.
Prenez un axe quelconiiue muni d'une
ailette, si vous soufflez dessus, l'ailette
tournera ; or, que signifie le mot souf/lfr,
sinon produire celle différence de pression
sur les deux faces de l'ailelte. Renversez
l'expérience, faites tourner l'ailette par un
moyen mécanique et aussitôt la dépression
se produira. Si l'appareil est libre, s'il
comporte en lui-même les éléments néces-
saires à la force pour obtenir la rotation,
s'il n'existe aucune résistance passive, la
dilférence de pression fera progresser l'ap-
pareil. En admettant que l'axe soit vertical
et que l'ailette se meuve dans un plan
horizontal, il n'es^jas douteux, qu'en prin-
cipe, le système ne s'élève dans les airs.
C'est en s'appuyant sur ces données
que MM. Filippi et Maclaire se proposent
de construire leur aérostat. La nacelle est
surmontée de quatre axes verticaux
A A' A' A" munis chacun d'un cône C qui
supporte une ailette L ; le tout est mis en
mouvement à l'aide de machines à vapeur
de 60 chevaux M. La progression et la
direction sont obtenues par deux ailettes
de même nature montées sur des axes
horizontaux et placés à l'avant et à l'ar-
rière P et P .
En tournant, les ailettes détermineront
au-dessus de l'appareil la dépression vou-
lue, et celui-ci se trouvant alors sollicité
par une force verticale de bas en haut
devra monter.
L'idée est ingénieuse assurément, mais
sans examiner ici les moyens que les
inventeurs emploieront pour faire tourner
régulièrement des axes verticauS main-
tenus seulement par une de leurs extré-
mités, il n'est pas douteux que cet aérostat
ne soit dangereux, car il ne se maintient en
suspension que grâce au mouvement d'une
ou de plusieurs machines ; or, celles-ci
peuvent s'arrêter, se casser, que sais-je
Fig. 4. — B;ite»u aérien de MM. Filippi et
Maclaire se eontenant en l'air, grâce à la dé-
pres.'ion atmosphérique produite par la rota-
tion d'ailettes.
N, Nacelle ; A A' A" A'", arbres verticaux supportant
chacun un cùiie cvidé C muni d'une silelte L; P et
P', cônes de propuUioQ en avant et en arrière; M, ma-
chine motrice à vapeur ou autre ; R R' galets pour
l'atterrissement.
encore? Et alors tout le système serait
infailliblement entraîné dans une chute
terrible.
Nous assistons depuis une vingtaine
d'années à une véritable lutte entre les
inventeurs des différents procédés d'éclai-
rage ; le gaz, l'électricité, les matières
carburées ont chacun leurs défenseurs qui
font valoir les qualités et les défauts de
ces systèmes. Le gaz est moins cher 1
L'électricité produit une lumière plus
belle et plus brillante !... Mais l'un et
l'autre ont cet inconvénient d'exiger des
canalisations importantes et la création
d'une usine centrale. Aussi, est-ce avec
intérêt que nous avons vu paraître une
invention nouvelle qui permet d'obtenir
un éclairage de premier ordre, à 1 aide
d'appareils indépendants, pouvant même
au besoin changer de place. En Amérique,
ils sont d'un usage constant, et les Pari-
siens peuvent juger par eux-mêmes de
l'efficacité de cette nouvelle lumière par
l'essai qui est fait actuellement sur les
quajs de la Seine, contre le mur de soutè-
nement de la terrasse du jardin des Tuile-
ries.
La lampe Kitson est basée sur le prin-
C.AISKIili; SC.lKNTIl-Kjri-:
c i p e d'incandes-
cence des becs
Auer, avec cette
différence qu'on
remplace Je gaz de
houille par de la
vapeur de pétrole.
Sur la figure 'i, mon-
trant Tensemble de
s T
rig. 6. l'ig. 6.
Fig. 5. — Candélabre pour l'éclairage intensif au
pétrole (système Kitson).
R, réservoir de pfttrole ; P, pompe à main pouvant provo-
quer une pression de 3 à 4 atmosphères au-dessus de
la surface du pétrole dans le réservoir ; M, manomè-
tre ; G, réservoir de gazoliae; K, batterie de piles
électriques; P, extrémités des lils électriques.
Fig. G. — Coupe intérieure de la himpe Kitson.
G, tuyau d'arrivée de Tair saturé de gazoliae; G', extré-
mité de ce tuyau d'air où se trouvent réunis les fils
électriques E ; P, tuyau d'arrivée du pétrole ; A, tube
de filtrage pour débarrasser ce dernier de ses impu-
retés: B, tube de vaporisation du pétrole; M, man-
chon d'incandescence; C, c:ilotte hémisphérique enve-
loppant tout le système,
l'appareil, le dessinateur a ouvert le sou-
bassement du candélabre de façon à mon-
trer les différents organes qu'il contient,
l'^n li, nous voyons un réservoir en tnle
contenant du pétrole et dont on peut
suivre le débit à l'aide d'un tube ;i niveau,
lue pompe à main P, située sur le devant
du réservoir, permet de comprimer de
l'nir au-dessus de la surface libre du
liquide, jusqu'à une pression de :i ou
't atmosphères, marquée par un mano-
mètre M. Cet air comprimé possède deux
usages : le premier de peser sur le pétrole
de fii(,'on à le faire monter ;i l'intérieur
d'un tuyau spécial qui ira alimenter les
différentes lampes, le second, de seivir
;i transporter des vapeurs de gazoline
jusqu'au tuyau C de la figure 11 montrant
la coupe d'un liée. Afin d'arriver , à ce der-
nier résultat, l'air comprimé passe dans
un réservoir spécial {fig. lij où se trouve
la gazoline, il se sature de matières car-
burées et débouche parle tuyau (1' fig. (i
où sont réunies les extrémités de fils
électriques provenant d'une batterie K
située à la base du candélabre.
Voyons maintenant ce qui va se [)ro-
duire : le pétrole se trouvant soumis à une
pression constante va monter dans le tube,
il commencera par traverser im tuyau hori-
zontal -\ (fig. Il dans lequel onaphicéde
l'amiante, il s'y débarrassera de ses inipu-
l'etés et poussières. Il viendra ensuite dans
une sorte de récipient allongé B directe-
ment soumis il la flamme, il s'échauffera, se
volatilisera et, une fois devenu vapeur,
agira comme un gaz, il brûlera ;'i sa sortie
d'un manchon Auer suivant le procédé
connu. Il y a un cercle vicieux dans cet
appareil, car pour pouvoir fonctionner, il
faut qu'il soit déjà allumé, afin de volatiliser
le pétrole qui sert à l'éclairage. Or pour
être allumé, il faut qu'il fonctionne déjii!...
C'est pour vaincre celte difficulté qu'on
a installé l'amorçage à l'aide de l'air
chargé de gazoline; sous l'action d'un
commutateur, l'étincelle électrique en-
flamme l'air carburé débouchant en G et
produit une chaleur suffisante pour vapo-
riser les premières couches de pétrole;
celte annexe est un véritable excitateur
et constitue l'allumage proprement dit.
La lampe Kitson a donné des résultais
merveilleux, puisque avec un manchon
Auer de grandes dimensions, on a trouvé
une intensité lumineuse horizontale de
'.Mi,.'! carcels avec une consommation de
100 grammes de pétrole par heure, ce qui
revient ïi '^,l!) grammes par carcel-heure.
Je reçois une lettre de M. Kd. Vinsol
réclamant la paternité de l'invention de
cet appareil que nous avons décril dans
notre dernière causerii' scieiilifii|ue, ser-
vant ii ficililoi' les opér-at ions des chevaux,
.le suis lr'è> licirieiix île pouvoir lui donner'
satisfaction.
.\. Il A (U'N n A.
CHRONIQUE THEATRALE
Il V a un .111, j'écrivais à cotto même
[ilaoe : " Les leltres sont en deuil, le
Théâtre-Français n'est plus! »
Aujourd'hui, nous pouvons nous réjouir,
le Théâtre- Français est ressuscité. Sur
l'emplacement et dans les yieux murs
mêmes de l'ancienne, une salle nouvelle
llamlioic cl rutile : la Maison de France
est rebâtie, la vie continue.
C'est avec une indicible émotion que
j'ai pénétré, le soir du gala de réouver-
ture, dans ce temple des lettres françaises.
Je me souvenais de cette abominable jour-
née où j'avais vu les flammes accomplir
l'œuvre de destruction et je me deman-
dais quelle impression me produirait cette
salle neuve, aux murs trop frais, aux do-
rures trop éclatantes, et, malgré moi, les
tristes pressentiments qui m'avaient as-
sailli au moment do la catastrophe se
pressaient de nouveau en foule dans mon
esprit :
Ce qu'on ne pourra jamais retrouver, écri-
vais-jo à CL- moment, c'est ce respect, cette
siilennité, cette gloire, qui tombaienldu cintre,
emplissaient la salle, enveloppaient la scène
comme d'une atmosphère religieuse , c'est
l'âme du temple, la présence du dieu invi-
sible et puissant qui envoûtait public et ac-
teurs, et donnait à tous, sans exception, cette
fui. cette ardeur, cette ferveur même, qu'on
n'éprouve que dans les demeures consacrées.
A la porte, les railleries devenaient silen-
cieuses, le scepticisme interrompait son œuvre
malsaine et la grâce descendait sur quiconque
franchissait le seuil auguste...
Voilà ce qui ne se retrouvera plus jamais,
jamais! Voilà le grand deuil des lettres... Des
pierres s'accumuleront , des tentures drape-
ront les nouvelles merveilles, mais ces pierres
n'auront pas de vie, mais ces tentures seront
inertes : ce seront des étrangères auxquelles
il faudra des siècles pour s'acclimater et pour
vivre de leur vie propre, des générations pas-
seront inconscientes, ignorantes de cet état
d'âme, le dieu restera muet pendant long-
temps encore, et nous, vivants à cette heure,
nous ne l'entendrons plus !
Oh! je ne mets pas en doute l'émulation et
le dévouement de tous. Mais ce -qui n'est plus
ne peut plus être... C'est le temps seul qui
peut cicatriser cette blessure!...
Hélas 1 mes pressentiments ne m'avajent
pas absolument trompé. Bien que, heu-
reusement, ils ne se soient pas tout à fait
réalisés, il est vrai, cependant, que l'an-
cienne demeure n'est plus et qu'elle a
emporté avec elle ce respect religieux qui
émanait de ses murs. Cette salle neuve
est encore dépaysée. Il faudra un certain
temps pour que tout reprenne sa place et
rentre dans l'harmonie accoutumée, qui
était un charme exquis. On a cru devoir
respecter l'architecture ancienne ; cela
était louable, à condition qu'on rendit à la
salle ainsi reconstruite la patine de l'an-
cienne, à condition qu'on ternit l'éclat des
pierres trop neuves et qu'on adoucit les
nuances trop vives des ors et des pour-
pres qui les décorent. Cela était impos-
sible, je le sais, et le temps pressait. On
ne pouvait laisser passer les mois et les
années dans l'élaboration de plans nou-
veaux, plus logiques, plus modernes,
mieux appropriés aux exigences actuelles
de la mise en scène et du confort. L'im-
portant était de pi'ofiter de l'émotion gé-
nérale pour reconstruire le Théâtre-Fran-
çais et ne pas se traîner dans les longueurs
de la chinoiserie administrative, dont nous
avons vu les effets déplorables avec
rOpéra-Comique... Mais alors, j'avais rai-
son de dire l'an passé : <> Quelque chose
n'est plus, qui ne peut plus revivre. »
Les lamentations sont inutiles, et nul
au monde ne peut rien contre l'inéluc-
table. Ce qui arrive maintenant s'est déjà
produit; la maison de Molière n'en est pas
à sa première transformation, et pourtant
l'esprit de la glorieuse institution s'est
toujours réveillé après un sommeil plus
ou moins long. Notre mauvaise fortune
veut qu'en tout nous ne puissions jouir
paisiblement des richesses amassées par
nos pères et que notre temps soit un
temps de transition. Acceptons, résignés,
ce que nous ne pouvons empêcher. Puisque
notre destinée est d'être des constructeurs
d'avenir et que la fatalité fait à chaque
instant table rase des choses du passé,
soyons, suivant la prophétique parole de
C.lIlidMQrK TllKATliAI.K
I.diiis Blanc, ■■ les maçons dnnc antre
l'fioque )i, cl acceptons vaillaninionl la
mission qui nous est confiée. Aussi bien
la lâche n'est pas sans granJeur ! KUe
conliaste avec nos tendances i'<;oïstes,
c|ui nous portent vers la paresse; mais,
([uoi que nous fassions, nous serons bien
contraints de l'accomplir, bon gré mal gré.
l.;i fortune du théâtre en France n'est
fait tort et, puisque nous sommes con-
traints de nous accommoder de ce qui est.
mieux vaut croire, mieux vaut se persua-
der que " tout est pour le mieux dans le
meilleur des mondes •■, que de se lamenter
perpétuellement sur les misères présentes.
Marchons donc résolument les yeux
tournés vers demain, travaillons en nous
inspirant des leçons de l'expérience et
V K 11 DV PUBLIC
iiiillement compromise, elle ne peut pas
l'iliv ; demain verra surgir de belles
Muvres et, qui sait, la catastrophe d'hier
sera, peut-être, un bienfait.
(;c n'est pas f'tre trop optimiste que de
liroi- une leçon consolaiile du pasM'. De
Idiit lenips on s'est plaiiil. de lout lemps
on a trouvé ijuc le monde allait de mal en
pis, et cependant chaque siècle a eu sa
grandeur et sa gloire que les Jérémiesdes
siè<-les suivants proposèrent à l'admiration
(le leurs conleniporaiiis. Kii dé[)il des rail-
leries (le V(iU:iin', Leibniz n'.i pas lout à
laissons venir à nous les jeunes talents
(jiii sont Iri/ion et au luimbre desquels
s'en trouvent sûrement qui occuperont un
jour une grande place. Nous les décou-
vrirons si nous savons chercher, nous
assisterons à leur gloire (|ue nous aurons
eu le mérite de prévoir et de préparer.
Voilà le rôle bienfaisant ipie doit jouer
la nouvelle Comédie-Française. Ses portes
se sont déjîi souvent entrouvertes devant
les nouveaux venus; qu'elle les ouvre à
deux battants désoiin.iis, et, puisque la
liberté d<-s théâtres a supprimé les spé-
C.mtKNKjri-: lIlKATliAI.K
cialilés de genres ([ui raisaiciil jadis de
l"()déiin, du (iymnaso et du N'audeville les
aulichambrcs de ce Louvre de la lilléra-
lure dramatique, qu'elle découvre elle-
niûmo les œuvres hardies et fortes par
Ies([uellcs elle perpétuera ses nobles et
antiques traditions... Sa tâche aussi est
grande et son dévouement à la belle
cause de l'art nous est un sur garant
TRAOKIII E.
Kllc
lauriers
I,.\ OOMliltIL.
Qu'iiuporle son |icril I
I. A TUAC. liniE.
Et nous les cueillerons ces lleui-s du jeune Avril,
Les fleurs dont nos efforts vont être la senieme,
hei fleurs naissant avec le siècle qui comnienre,
Alin i|ue la moisson nouvelle où nous voici
Pour les siècles futurs ait sa couronne aussi.
LA f tlM É D I E - F R A N (,■ A I » E
1 II A X D E 5 G A L I E U
cju elle saura l'accomplir sans défaillance...
Qu'elle s'inspire des vers que Jean
lîichepin, dans son prologue de réouver-
ture, met sur les lèvres des deux muses :
LA TKAOLrHE.
... Demain ne m'épouvante plus.
LA COMÉDIE.
S.i lieaulé luit déjà dans vos yeux résolus.
L.V Tlt.^GÉniE.
l,a vdionlé de vainci'e enfante la victoire.
LA COMÉDIE.
L'histoire de demain vaudra l'ancienne liisloire.
A ces souhaits pleins de joyeuse espé-
rance, répond le doyen de la maison :
LE DOYEN.
0 muses, la demeure ancienne
Reste avec sa couronne au front.
Et la nouvelle aura la sienne.
Toutes les deux resplendiront.
Mais l'une à l'autre entrelacées
En fleurs fulures ou pass<!es.
Ces deux couronnes de pensées
N'en seront qu'une à Fliorizon.
Cai- l'àme de gloire qui veille
Dans la demeure, jeuneou vieille,
Kn fait, toujours une et pareille,
La même immortelle maison.
ClIlKl.NKjrK TllKATHAl.K
Dans le temps comme dans l'espace,
Ou'impnrlc à celte âme ce point,
L'Iioninie ou l'objet clianjîcanl qui passe,
l'otiivu ipi'Kllo ne chanjîc point'.'
El pijiinpioi donc clMns;ei'ail-t'llo,
^i l'on sait la Iransmellrc telle
Qu'on l'a revue, celle ininiorlelle,
Si tous y làflicnt de leur mieux.
Si chaque âge au suivant s'enchaîne.
Vers ou prose, laurier ou chi'ne,
Si la postérilé prochaine
lioit Caire de nous des aïeux'?
Elle en fera, j'ai soif d'y croire.
Nos vœux l'auront tent(5 du moins.
Klle élira, l'âme de gloire,
l'armi nous aussi des témoins.
(Test l'àuic au vorhc de luinicic.
.\u ton lin de rose tréuiièn'.
Ayant pour grâce coutumicre
l'n sourire dans un éclair,
l'.'est l'àme d'ordre et d'Iiarnionic
(Jui veut que chez nous le génie,
Lac oii jamais l'eau n'est ternie,
yuand il est profond reste clair.
Ame éparse dans la pensée
De notre sol, de noirn ciel,
ll'est ici qu'elle est condensée.
La mer lient dans un grain de sel.
l'.'est ici qu'à celle âme unie,
,\vcc l'avenir communie
La tradition rajeunie.
Ici que l'esprit des vivants
Vient demander aux morls l'exemple,
lit dans sa splendeur le contemple
Au sanctuaire de ce temple
Dont nous sonunes les desservants.
Celte ànie qu'il faut qu'on mainlicnnc,
Dont nous transmettons In llanilicau,
(;'csl la notre, ensemble, et la tienne,
.Muse du vrai, du bien, du beau,
l'elilc lillc de la Grèce,
Kl lille de Ilôme, ô déesse
Dont l'autel à jamais se dresse
Dans ce Paris, seul héritier,
Ville, par loi, sacerdot.ilc
()(iniMie une .\Iccipic occidenlale,
Ville doidilenicnl capilale.
De la France, cl du monde enlicrl
Ce sont là de noljles tlesseins; il ne reste
plus qu'à les réaliser, (^es promesses, il
faut les tenir, il faut i|uc, puisque le dieu
ancien est niuel désormais, le jeune dieu
•grandisse el parle. A des lenq)s révolus
doivent succéder des temps nouveaux,
comme au.x crépuscules des beaux soirs
succèdent les radieuses aurores. Quoi
qu'on die, l'art dramatique français n'est
pas en décadence. Depuis dix ans. Il se
transforme. Aujourd'hui, de jeunes au-
teurs sont nés, qui ont déjà en partie
remplacé les anciens; d'autres, nombreux,
attendent qu'on choisisse parmi eux'.
Choisir! voilà le seul embarras. Qu'on les
accueille à bras ouverts, et bientôt, de-
main, une pléiade vivante et vibrante
chantera la ojinii-e des Icllces françaises
dont la Comédie est la Maison commune,
le clair et familial Toyer, le Temple hos-
pitalier et toujours resplendissant.
P.iL.vis-Rov.ii.. — Moins cintj ! pièce en trois
actes, de MM. Paul Cîavaull et (leorpcs
Itecr.
Connaissez-vous l'expression d'argot
boule vardier : u II est moins cinq I "'.'
Cela veut dire : il n'est pas encore l'heure,
mais elle est proche. C'est la minute ou
plutôt les cinq minutes ([ui précèdent le
moment psychologique. Une honnête
femme, par dépit, par curiosité, par entraî-
nement, va commettre une faute irrépa-
rable, mais au momcnl suprême elle se
reprend et rentre dans le droit chemin de
la fidélité conjugale : il est moins cinq,
pour elle, pour lui et surtout pour l'heu-
reux mari sauvé du danger.
Cette définition de l'expression pilln-
resque contient toute la donnée de la pièce
de MM. Paul (iavaull el Georges Berr.
Hélène et lidgard, braves et paisibles
bourgeois de Limoges, ont donné l'hospi-
talité à un de leurs amis, un avocat bam-
bocheur parisien. Ses propos, ses ma-
nières, sa gaieté ont émoustillé le ménage,
de mœurs ordinairement l)ourgeoises el
d'habitudes casanières, qui rêve, encore
que bien confusément, d'aventures fantai-
sistes et galantes. IVautre pari, Hélène
est jolie; son charme grassouillet de caille
dodue a fait impression sur Jactpies, qui
n'a plus qu'une idée: trahir sans vergogne
les devoirs sacrés de rhosjjilalité. Le
meilleur moyen d'y parvenir car, malgré
toutes ses lentalives de séduction, il est
C II K () N K) f !•: T II li AT K A L K
toujours « moins cinq " pour Jacques) est
de convaincre Hélène de rinfidélité d'Ed-
gard... Or, le pauvre est bien le plus hon-
nête innocent du monde, mais Jacques
soudoie la couturière, la cuisinière, la blan-
chisseuse delà maison, qui roulent des yeux
blancs devant Edgard et prennent à côté
do lui des attitudes de colombes pâmées.
Le coquebin se croit aimé et sa vaniti'- s\n
nante, plus caressante, moins popote, ja-
mais il n'aurait son-ré à regarder une
autre femme; aussi, quand il revient près
d'elle, elle se jette dans ses bras. Edgard,
tout surpris dune tendresse démonstra-
tive à laquelle il n'est point accoutumé,
est plus convaincu que jamais de la puis-
sance irrésistible de ses séductions. Jacques
en est donc pour ses frais d'invention et
JI ■ thcÎTtL M. iLiiiultuii. Jl ILi.w
Moins cinq! -
réjouit. Il perd même complètement la
tète quand les trois donzelles, à qui ré-
compense est promise par Jacques, se
jfltent à son cou et l'embrassent.
Hélène a été témoin de ses effusions
sur lesquelles Jacques comptait pour
inspirer à la jeune femme des désirs de
vengeance dont il profiterait ; mais, con-
trairement à son attente, la jeune femme
a été plus contristée que fâchée, elle s'ac-
cuse elle-même de n'avoir pas su garder
son mari... Si elle avait été plus prévc-
pour ses largesses inutiles : il est encore
" moins cinq » ! Sentant la partie perdue,
il se décide à lentrer à Paris.
Dans sa garçonnière de l'avenue Tru-
daine. nous le voyons faire la fête avec
quelques jeunes oiselles de bonne volonté.
Hélène et Edgard lui tombent sur les
bras. L'une a trouvé un prétexte pour
venir passer huit jours à Paris avec celui
qu elle est bien décidée à prendre comme
amant, et l'autre a profité du départ de sa
femme, qu'il croit à Bordeaux, pour venir
ciiiiiiMion; iiiKATiiAi.i:
faire la fête avec son ami Jacques. Il
s'installe sans façon dans une chambre, ne
soupçonnant pas que Ilôlc'ne est déjà en
train de se mettre en peignoir dans une
chambre voisine... Vous devinez les qui-
proquos de l'arsenal vaudevillesque, joi-
gnez-y l'esprit et la gaieté de bon aloi
qu'on n'y rencontre <|ue trop rarement et
qui abondent ici. Après mille et une péri-
péties funambulesques, au cours desquelles
Hélène est prise pour une jeune personne
légère, où Edgard reçoit force horions et
pochades, où il est finalement conduit au
poste par un gardien de la paix épique, la
jeune femme, malgré les supplications de
Jacques, qui voit encore l'occasion lui
échapper, n'a qu'un désir : rentrer au plus
vite à Limoges et reprendre sagement son
petit trantran d'existence. Quant à Ed-
gard, il est à tout jamais dégoûté de la
grande vie, et il saute dans le premier
train en partance. Il est encore « moins
cinq » pour tout le monde.
,\u dernier acte, tout s'explique. Hélène
apprend que les soi-disant infidélités de
son mari sont l'ieuvre machiavélique do
Jacques et que Edgard n'a jamais cessé
d'être un mari modèle, donne définitive-
ment son congé à l'entreprenant Parisien,
qui réintègre sa garçonnière. Il est tou-
jours " nioin.s cinq » !
VMiiiMiri . — Le ijoii ./iit/e, comédie en tmis
actes, (lo M. Alexandre Bisson.
M. Leplantois est un juge d'instruction
atteint de la moiiomanie spéciale aux gens
do justice. Il voit des coupables dans
tous les prévenus et n'hésite pas à les
faire arrêter préventivement, laissant au
hasard le soin de démontrer leur culpabi-
lité. Il lui arrive de nombreuses niésaveti-
luros et les victimes de ces arrestations
arbitraires tirent de leur bourreau des
vengeances aniusanles, grâce Ji 1 interven-
tion d'une jolie femme. M"' Luce de Per-
pignan, artisie de l'Odéon! dont le juge,
marié cependant à une fort jolie personne,
est follement (•( soltemeiil l'pris. I.es vic-
times qui s'appellent Duvigneul, reporter
consciencieux qui, pour se livrer à uni-
enquête sur le régime des prisons, se fait
arrêter comme auteur présumé d'un crime
passionnel dont tout Paris s'occu|)e; I.ajau-
nette, aimable clubman, inculpé à tort do
faux et de vol, sont relâchés faute de
preuves et se livrent contre l'infortuné
Leplantois à une série de mystifications
qui ont pour conséquence l'arrestation
même du juge par un commissaire de
police aussi féru que son supérieur de
l'idée que quiconque est accusé doit, pour
être innocenté, prouver d'abord son inno-
cence.
Les artistes du théâtre du Vaudeville
interprètent excellemment cette satire
amusante des déplorables mipurs judi-
ciaires que nous ne connaissons que trop,
malheureusement.
NinvtAiTrs. — ],e Couj) de fouel. piccc en
trois actes, de MM. Maurice llcnnequin et
(ieorges Uuval.
.\h! ici ])ar exemple, il n y a pas d'er-
reur, nous sommes en plein vaudeville.
C'est vrai ! Mais quelle joie, ([uelle gaieté,
quel entrain. Je regrette de n'avoir plus
la jilace nécessaire |)our m'étendre plus
longuement sur ce chef-d'œuvre de rire,
mais, comme dans un an on le jouera en-
core, nous aurons le temps d'y revenir. Je
n'ai pas voulu que cette clironique soil
close sans y avoir signalé ce rolentissani
succès que tout le monde ira voir et ap-
plaudii-, et dans k-i|uel les auteurs ont
si merveilleusement donné raison à mon
optimisme en prouvant ((n'en Krance la
race des hommes de théâtre n'était pas
épuisée et que ceux d'aujourd'hui valent
bien ceux d'autrefois.
Allez vousesbaudir aux exploits du nia-
chiavéliquo Barisarl. riionime génial <pii
a inventé pour tromper sa femme sansèhe
découvert un truc nouveau auquel feu
M. Scribe lui-même n'a poin! songé, et
applaudissez forme l'excollonlo liuupodos
N'ouveaulos.
M M 11 11.1 l.r I i: V II i:.
LA MrSIQl'E
H V a ([uelques mois, lors([ue je réca|)i-
Uilais les prouesses de l'Opéra et de
!'( )péra-Comi((ue, je me demandais, devanl
ces avalanches de premières annoncées,
comment je ferais poumon point omettre
une seule dans cette causerie musicale
mensuelle. L"Opéra nous avait annoncé le
/(.,(■ (/(■ P.irix de G. Hue, Asl;irU' de X. Le-
roux, le Koi (TYs de Lalo. L'Opéra-Comi-
([ue, X'Ournçjan de A. Bruneau, William
ltal<li/f de X. Leroux et la Fille île Taba-
rin de G. Pierné. Puis, pour de multiples
raisons, décors en retard, orchestration
non terminée, interprète introuvable, ou,
ce qui arrive souvent, changement de
détermination et projets renvoyés aux
calendes grecques, comme sœur Anne,
mes confrères et moi nous ne voyons rien
venir. A un mien ami, fervent amateur de
musiciue, auquel je faisais part de ces
réflexions et qui m'objectait : « Je com-
prends les directeurs de théâtre ; ils hési-
tent à risquer de grosses parties sur des
ouvrages dont l'accueil est incertain, » je
me fis une joie non dissimulée de réfuter
cet argument par cette réponse : « Que
messieurs les directeurs hésitent dans le
choix d'un ouvrage dont les chances de
succès sont plus ou moins liées aux cir-
constances au milieu desquelles cet ou-
vrage sera présenté au public, soit ; mais
pourquoi une fois les trois coups frappés
et le rideau appuyé, ces mêmes direc-
teurs laissent-ils tomber certains succès? "
Et d me fut très facile d'élablir la vrai-
semblance de ma réplique en citant,
parmi les œuvres les plus récentes ayant
eu un très sincère succès et qui pourtant
no sont pas restées sur l'affiche : (hrciulo-
liiti' de Chabricr, la Cloche ilii llliin de
S. Housseau, et la Burijtmde de P. Vidal.
De ce qu'un ouvrage ne fait pas, dès ses
débuts, le maximum, s'ensuit-il qu'il est
mauvais ".'... Et la subvention que l'Etat
accorde gracieusement aux grandes scènes
lyriques n'est-elle pas destinée, on partie,
il équilibrer les recettes médiocres qu'une
pièce nouvelle, dont le titre n'ayant pas
encore l'attrait d'un indiscutable succès,
ne peut réaliser comme Faiisl ou les llu-
</ueni)l.t — même interprétés par les gloires
du phonographe — dont l'apparition sur
l'affiche a l'irrésistible pouvoir d'encom-
brer le bureau'de location.
Aussi, à côté des compositeurs favorisés
— est-ce une faveur ? — de quehiues
représentations et d'un succès dit d'estime,
voyons-nous avec tristesse des œuvres
remarquablement belles aller ou revenir
de l'étranger, ce qui est le cas de l'œuvre
que l'on répète actuellement à la Monnaie,
le Roi Arthtis d'E. Chausson, le sympatlii-
que artiste mort si tragiquement l'année
dernière, d'.lrmor de S. Lazzari, qui triom-
pha à Hambourg, et de (iirendnlinr de
Chabrier, qui est devenue, en Allemagne —
pays où, on voudra bien me l'accorder, on
sait mieux aimer la musique pour elle-
même que chez nous — un ouvrage presque
classique. Si vous êtes désireux de passer
d'agréables heures à votre piano, en dé-
• chillranl ces trois œuvres vous trouverez
d'incomparables pages, belles parmi les
plus belles. De GirrnclnUne, assez connue
déjà, je ne dirais rien : mais je me fais
aujourd'hui un agréable devoir de parler
brièvement du Roi Arthu.t et J'Armof.
Le Roi Arthus , d'E. Chausson, a pour sujet
les amours tragiques et adultères de la
reine Genièvre et de Lancelot, sujet déjà
connu et assez heureusement traité par
M. V. de Joncières dans l'opéra Lancolot,
dont j'ai parlé en avril 1900. De même que.
par certains côtés, Annur évoque le sou-
venir de Parsifal, la physiologie esthétique
de l'œuvre d'E. Chausson est très près do
celle de Tristan et Yseull. Ce qui est
encore plus curieux, c'est cpie ces doux
œuvres semblent se compléter intontion-
nellement.
Après la mort de Genièvre et de Lan-
celot, Arthus, découragé, prédit la déca-
dence de la chevalerie, jette dans les flots
ses armes invincibles et part pour des ré-
gions inconnues. Dans l'œuvre de M. S. Laz-
zari, .\rmor, chevalier breton, vient pour
I.A MISIQLK
conquérir la couronne d'Arlliiir, que nul
n'a pu ceindre depuis la mort du fonda-
Unir de la Talile ronde. A sa vaillance, les
fées veulent la disputer : mais Ked, reine
des Korriganes, éprouve une passion subite
pour Armor et le protège. Tout l'intérêt
de cette belle œuvre lyrique réside donc
dans la lutte toute sentimentale, toute psy-
chologique qu'éprouve Arnior, et je ne con-
nais pas de ])ages plus belles que celles
où Ked, qui résistait avec orgueil aux me-
naces de l'ombre d'Arthur et aux suppli-
cations d'Armor, avoue son amour qu'elle
ne veut point renier, incline pourtant son
âme impérieuse et courbe le front en en-
tendant la voix douce et indulgente du
Rédempteur qui, l'unissant à Armor, lui
redit ces paroles évangéliques : " Bien des
pécliés seront remis à ceux qui, sur la terre,
auront beaucoup aimé ! »
.le ne veux point parler plus longue-
ment, aujourd'hui, de ces deux belles œu-
vres, car je me réserve de les étudier
cliacune séparément le jour où l'on pourra
les applaudir sur la scène de l'Opéra. Plus
ou moins lointaine, cette heure viendra,-
car il est des œuvres qui s'imposent rien
([ue par leur haute valeur esthétique.
l'ne fois de plus la direction des Bouffes
n'a pas eu la main heureuse avec la nou-
velle opérette le lioi Daijoliprt, qui fut
montée avec beaucoup de soins et de luxe.
(Jn espérait un succès, mais, espérances
déçues, ce fut tout le contraire qui se pro-
duisit, et cela d'autant plus regreltable-
nient que, fort bien chantée par M"" Lu-
ciole et A. Bonheur, la musique est assez
pimpante. Mais le livret! lui seul, le livret
a suffi pour tout gâter, car il est d'une
indigence rare. Cela est d'autant jilus
curieux qu'il est signé ])ar G.Pradels, qui,
pourtant, a une réputation d'homme d'es-
prit. Mais, que voulez-vous! le roi Dago-
hert, le commissaire de police, l'inévitable
saint Kloi, les automobiles mérovingiens,
les ministres prévai-icateurs, etc.; méli-
mélo de facéties d'un goût douteux,
charges lourdes et vieilles comme toutes
les pitreries de la foire aux pains d'épices,
tout cela nous a plus désagréablement sur-
pris qu'amusé. C'est regrettable, car la
direction avait tout fait pour décrocher
un succès. Une fois de plus, le succès,
même pour l'opérette, a déserté Paris.
Que voulez- vous ! les auteurs ne peuvent
pourtant pas attendre indéfiniment que les
grandes scènes consacrées à l'opérette,
comme la Gaité, par exemple, et qui sem-
blent être vouées aux reprises, aient épuisé
l'interminable stock des succès d'anlan
avant de songer h monter un ouvrage nou-
veau. Celte fois-ci, c'est à Bruxelles, sur
la coquette scène des Galeries Saint-Hu-
bert, que s'est afûrmé le succès d'une
charmante œuvre de MM. Beisner et
A. Sciama, musique de Gaston Meynard,
le Sire de Fntitihnisy. l'ne excellente in-
terprétation, des décors luxueux, une mise
en scène très soignée ont ébloui le public
bruxellois; mais les couplets agréables ont
bien mieux conquis encore les suffrages
de ce public qui, on le sait, est, en matière
théâtrale, un juge souvent sévère, mais
toujours très compétent.
Liiuisi% de M. (i. Charpentier, aura, à
l'heure oii paraîtront ces lignes, atteint sa
100' représentation. C'est un succès, un
grand succès qui eut ses admirateurs en-
thousiastes et ses fervents adversaires.
Je fus au nombre de ces derniers. Je
préfère de beaucoup à cette o'uvre la ten-
tative de M. G. Charpentier en faveur des
ovivrières parisiennes. M. G. Charpentier
avait demandé â ses confrères d'aban-
donner leurs billets d'auteur en faveur de
ces dernières afin (juil leur soit possible
de fréquenter gratuitement des théâtres
et, par la vue et l'audition des leuvres
artistiques, de développer leurs goûts
esthétiques.
M. G. Charpentier espérait pouvoir
lutter contre les spectacles éco-uranis de
bètisc et de grossièreté que prodiguent
les petits établissements des faubourgs
où, pour quehpies sous, on peut, en ab-
soibant une consommation douteuse, se
I.A MISUJIK
Il dit à l'enfant
fausser les idées en dégustant les produc-
tions d"un art frelaté.
I-"idée de cette lutte contre la corrup-
lion intellectuelle est des plus louables;
iuissi, bien entendu, n"a-t-elle pas été en-
couragée comme elle le méritait. Au con-
traire, elle n'a fait qu'exciter la verve
facile des uns et l'esprit satirique des
iiutros. En réponse à la circulaire de
M. G. Charpentier, M. Albin Valabrègue
a écrit un rondeau dont la note est d'un
scepticisme un peu aigre. Du reste, jugez-
en par vous-même :
Un compositeur de musique.
Charpentier, auteur éminent.
Vit une ouvrière pudique
Et pensive
" Ouvre ton âme et sois sans crainte,
■ Je suis le Maître, (Charpentier I
• Le gémissement et la plainte
• Font vibrer mon cœur tout entier!
'■ Mirbeau me donna ma devise :
■ Le peuple a droit à la Beauté 1
'. Et la Beauté, qu'on se le dise,
•. C'est le spectacle à volonté ! "
l£t le Maître, sans plus attendre.
Offrit deux billets de faveur.
La jeune fille, sans les prendre,
Lui répondit avec douceur :
■ La Beauté, c'est donc Coralie
" Et la Dame de chez Feydeau ?
'< Le Vieux Marcheur et compagnie.
•I Le Palais-Uoval et Micheau?... "
Et la jeune fille, au cœur tendre.
Prenant les billets dans sa main.
Dit au maître : " Je vais les vendre
Pour celles qui n'ont pas de pain I ■
Fausl a reparu sur les affiches des con-
certs du Chàtelet. Mais ce n'est plus celui
de Berlioz arrivé à l'apogée de sa gloire,
c'est celui de R. Schumann moins connu
on l'rance. M. E. Colonne, qui a eu la très
louable idée de monter ce bel ouvrage, a,
ni'a-t-on dit, l'intention de le vulgariser
et par cela même de 'le rendre aussi popu-
laire que celui de notre cher Berlioz qu'une
anonyme incompétence qualifiait derniè-
rement de compositeur médiocrement
instruit de son art et dénué de souplesse
dans l'invention mélodique !
Dans une étude sur les différentes inter-
XIII. — 17.
prétations musicales que le chef-d'œuvre
de Gœthc inspira, élude parue dans cette
Revue en janvier 1897, je disais : ■■ Schu-
mann fait chanter son héros par une basse
dont la voix doit être douce, ample, bonne,
aussi apte à chanter les louanges du Sei-
gneur qu'à proclamer le boidieur des
hommes ». Je ne me doutais pas qu'en ces
quelques lignes je traçais le portrait artis-
tique de M. Paul Daraux, l'excellent artiste
que M. E. Colonne a su choisir et qui a
interprété l'œuvre de Schumann avec une
perfection, un goût musical et artistitiue
dignes d'éloges. La musique de R. Schu-
mann est d'autant plus difficile à inter-
préter qu'elle fut inspirée par une musc
des plus capricieuses.
Après des phrases ii l'italienne comme
celle-ci,
K>1- ce rainourpSe'.duisaiiles caresses^
vous trouvez, quelques mesures plus loin,
un motif dont la carrure et l'énergie me
rappellent une des plus belles pages de son
Carnaval de Vienne, œuvre romantique
pour piano :
Viens donc so.leil de flamme
De cette œuvre, si belle, si noble et si
touchante, j'ai détaché l'air mystique du
docteur Marianus, où toute la poétique
contemplativité du génial Schumann
semble être condensée en quelques me-
sures.
Sait-on qu'à l'occasion de la neuvaine
de Sainte-Geneviève, solennité célébrée
en l'église Saint-Étienne-du-Mont, une
joute des plus artistiques a lieu entre les
principales maîtrises de Paris? Cette
année, c'est le chœur de Saint-Pierre de
Chaillot qui, sous l'habile direction de
M. Rocpies, a obtenu, une fois encore, le
plus de suffrages du public fervent qui
suit avec intérêt ces manifestations d'art
sacré.
Guillaume D.iNVEns.
FAUST, de Schumann (3; partie)
lov ntANTAlsi' l.l.; H. BUSSINK. i.vri.:- i. ik\ti, i.i (
Air du Docteur Marianus
Le ni
O CitI im.mtu. set ô uuit >.iiis Noi-k-s! 0 (j;!H de l'iu.fi
PiiblU avec r.mlorix.ilioii <!<• MM. A. iJuniml rt /Ils. i^ililrurx. Paris. — Toux (/roi/s réserrés.
Tu buu.
ai=:rU3i^
loi sup-pli.aii - les, Vo.laul a» ciel mts ton sou-ri-ri' Ou tout as.pi-ri!
LES RD3SES VERS PÉKIN — KIIADAUOVSK
É Y É N E M E N ï S (; É O G l\ A P H I Q U E S
ET COLONIAUX
Un ancien a dit, quelque part, que les
ambitions des conquérant s aimaient, comme
les truites, à remonter les cours d'eau.
Elles aiment aussi à les descendre ; même,
à défaut de cours d'eau, elles traversent
fort bien les déserts les plus reculés et les
plus horribles. Les Russes, en Asie, ont
traversé des déserts, ont remonté des cours
deau, en ont descendu; et ils ne se sont
pas encore arrêtés. C'est ainsi qu'ils sont
parvenus sur les bords de l'océan le plus
éloigné de leur empire, l'océan Pacifique,
et que les voici aux portes de Pékin. Le
mois dernier, ils ont fait un pas décisif en
Mandchourie ; désormais, le pays est à
eux, et ce serait aux Chinois d'en sortir,
si les conquérants, pour exploiter leurs
conquêtes, n'avaient un éternel besoin des
conquis...
11 est un peuple, entre autres, qui se
croit assuré do la domination universelle.
.\ussi, le moindre progrès d'autrui l'irrite,
comme une injure personnelle. Qui con-
quiert un pouce de terre, le fait crier;
lorsqu'il s'agit d'une province, vous devinez
le beau tapage ! C'est par l'Angleterre que
nous avons appris le tout rcconl protec-
torat russe sur la Mandchourie.
l,a Russie possédait déjà, dans celte
province vaste comme la France, une
situation privilégiée. Dès la fin de IK'Jti,
elle était autorisée à construire son Trans-
sibérien à travers la Mandchourie ; et nul
ne se méprit, dès cette époque, sur la gra-
vité de cet acte. Ses Cosaques devaient
garder les travaux de la ligne : c'était, en
réalité, un droit de continuelle interven-
tion. En 1898, de plus, les ports de la
péninsule du Liao-Toung, Port-Arthur et
Talien-Wan, lui étaient donnés " à bail ».
Désormais, la Russie, pour ainsi dire,
étreignait la Mandchourie entre ses bras
armés.
c< Le peuple au poing puissant ", ainsi
que le proclamaient les inscriptions mo-
destes de ses drapeaux, — il s'agit des
Boxers, — fournit à la Russie une admi-
rable occasion de faire un peu plus encore.
Tandis que l'Europe n'avait d'yeux et
d'oreilles que pour le drame de Pékin, la
Mandchourie était en flammes et en sang.
De toutes parts, Cosaques et Boxers com-
KV KNKMKNTS CKfXlli A l'IlIgUES
1);iII;iUmiI. A l;i fois autour d'Aiffoun, de
Saii-siug, (io Ningoulo, les troupes sibé-
riennes mobilisées s'efTorçaient de pousser
jusipi'au centre de la province, vers Ghirin,
vers Moukden. Et déjà les A'nfofli écri-
vaient :
I.a prise de possession de la rive droite de
l'Amour est la fin de ce processus historique
qui fît de l'Amour, il y a loniilemps. une
rivière russe. Cette occupation, que nous
n'avons pas cliercliée, puisque c'est nous qui
avons été attaqués, est un acte légal cl une
conqjensation pour les pertes occasionnées à
la li'ussic par la guerre.
Ainsi, dès celte époque, s'affirmait en
Hussie le désir de traiter seule à seule
avec la Chine. Peut-être faut-il s'expliquer
l)ar là cette proposilion russe, qui surprit
tant, d'évacuer, avant même que de négo-
cier, Pékin. Mais ce n'est que le mois der-
nier (jue ce désir, aux grincements de
dents de la presse anglaise, a pu se réali-
ser. In accord, annonçait le correspon-
dant du Times à Pékin, le 31 décembre,
a été conclu entre la Russie et la Chine
au sujet de la Mandchourie méridionale :
l'administration devait être remise aux
Chinois, mais — car il y a un mais — sous
la direction des troupes russes. Celles-ci
ne se retireront que lorsque la province
sern jugée par les Russes suffisamment
pacifiée. Le bon billel ! C'est l'affaire
iri'"gypte qui recommence, celle de Bosnie,
celle de tant d'autres pays qui ne seront
jamais, au grand jamais, pacifiés.
11 y a plus. A Moukden sera installé un
résident politique russe, investi de pou-
voirs généraux de contrôle, et auquel le
général tartare devra communi((uer toutes
les affaires importantes; dans le cas où la
police locale ne pourrait faire face à une
(lifficull('' occasionnelle, le résident russe
fera expédier des renforts. Ce résident a
l'air tout copié sur son collègue de liok-
hara, et c'est proprement un protectorat...
La Russie peut attendre de nouveau,
à présent : la voici installée à Niou-
Tchouang, tête de ligne du cliemiii de fer
en cxploilation, sur Tien-Sin et Pékin, cl,
de plus, la ligne est à elle jusqu'à Cliang-
llai-Kouaii. (pii esl la frontière.
A Londres, /<■ fllol.r, ;'i celle nouvelle,
écrivait :
Aujourd'hui, c'est une province de Mand-
chourie qui passe sous le protectorat russe :
dans dix ans, il se pourrait bien que ce soit
toute la Chine du nord de la rivière .launc.
Toi ou tard, les hommes d'Klal anglais seront
contraints de résister.
Il est de fait que cet accord ne s'accorde
guère avec le récent accord anglo-alle-
mand, relatif précisément au sl.ilu qun
chinois. Ainsi que le reconnaît lo T<>nips.
l'établissement du protectorat i-usse en
Mandchourie confère au tsar un avantage
territorial et politique exclusif.
Qu'est donc cette nouvelle possession,
et que vaut-elle?
L n jour de Lan de grâce Kilid, un (.Cosa-
que, parti de Irkoutsk avec quelques
chasseurs de zibeline, poussa jusqu'à mi-
chemin des villes actuelles de Rlago-
viechlchensk et de Strietensk. (^e Cosaque
ignorait qu'il donnerait, beaucoup plu-
tard, son nom à une des principales villes
de Sibérie, il s'appelait Khabarov. Il fonda
à l'endroit où il s'orrèla le premier éta-
blissement russe sur le fleuve Amour. De-
murailles, qu'il éleva pour résister aux
attaques des Chinois, il ne reste aujour-
d'hui plus rien. Peu de temps après, le
(^osaipie Stépanov voulut s'avancer plus
loin encore; il s'engagea sur la grande
rivière des Mandchous, le Soungari; il
y fut tué. Mais dès le traité de NertchinsK
,ltiS'.l), l'élan des Russes élail arrêté par la
(^liinc, La Mandchourie, durant plus d'un
siècle, ne fut ouverte qu'aux pères jésui-
tes, venus par le sud; ils y firent le-
observations astronomiques qui ont servi
de base h la fameuse carte de d'Anvillc.
Les Russes no revinrent qu'après les
traités d'Aigoun cl de Pékin (ISI'.S d
180(1. Hientôl, Niou-Tchouan, leur cou-
quête d'hier, ouvert au commerce euro-
péen, le pays au delà de l'Oussouri acquis
par eux, Vladivostok fondé : la Mandchou-
rie était tournée et prise à revers. Dès
celle heure, avec une persévérance pa-
ÉVKNEM1';N"1> (JKOdliAl'll igLKS
R U s s M E
l- N E N 0 [T V E L L K PROVINCE R l' S .s E — LA M A N D C H 0 C R I E
liente, les lUisses préparOreiit l'absor])-
lion de cette province, alors très peu
connue, mais vaste, et par où passent les
routes qui mènent du fleuve Amour à
Pékin; cette préparation se fit en partie
double.
D'un côté, on organisa rapidement les
deux provinces sibériennes limitrophes,
Province de l'Amour, Province Maritime ;
ou les dota de voies de communication,
si bien ((ue nous pouvons aujourd'hui, et
\o plus commodément du monde, revenir
du Japon par celte voie.
Tenterons-nous le voyage?
Vladivostok : maisons de bois peintes,
toits en couleur, chapelle aux bleus et ors
criards, casernes, forts, phares; dans le
port de commerce stationnent steamers
européens et barques innombrables, me-
nées par des Célestes en vêtements bleus ;
sur le mur de la gare se lit cette simple
inscription : De Sainl-Pélersbotirij, 0H77
i-ersirs. Et vous savez que la verste vaut
un peu plus d'un kilomètre ! A terre, l'ani-
mation de cette ville toute neuve nous
surprend. Interrogeons : Vladivostok
comptait, en 1868, iilG habitants, et il en
compte déjà bien près de .30 000. Voici lu
Banque, les bureaux de quatre grandes
compagnies de navigation, une cathédrale,
un musée, et le théâtre où une troupe
dramatique vient jouer, l'été; l'hiver, elle
émigré à Blagoviechlchensk, où l'appellent
les mineurs.
Les voyageurs pour Khabarovsk! 700 ki-
lomètres : nous mettrons, pour les par-
1-: \' !•; N !•: m i-: n t s c è o c, k a p 1 1 ko r i-: s
courir, (]u;irante heures. Ileuieusemcnl,
les waffonssoiit commodes, beaucoup plus
commodes qu'en Fiance, cl le trajet est
amusant : tous les 2j ou liO kilomètres,
une station dessert une colonie de Cosa-
ques, et un marché s"improvise au pas-
sage du Irain ; les paysannes apportent du
lait, des crêpes, des cornichons, des
pommes, que se disputent Coréens, Chi-
nois et Japonais, entassés avec les mou-
jilîs, dans les wagons de troisième classe.
Maintenant, nous traversons une vaste
étendue de plaines el de prairies désertes,
que limitent à l'horizon lointain les mon-
tagnes do Mandchourie; plus loin ce sont
les forêts touffues de l'Ûussouri, et la
vallée de l'Amour.
Khabarovsk, chef-lieu de la province
maritime, est proprement un centre admi-
nistratif militaire. De ses 14 SiOO habitants,
iiOOO sont des soldais; :! WIO sont des Chi-
nois. La ville s'enorgueillit do ses trois
églises, de ses huit écoles, de ses nom-
breuses casernes, de son musée d'ethno-
graphie et de zoologie sibériennes, et de
sa statue du général Mouraviev, le conqué-
rant de l'Amour; mais, surtout, le site où
elle s'élève est admirable : au delà de la
vaste nappe d'eau du fleuve, large ici de
2 kilomètres, ondulent h's hautes col-
lines verdoyantes de la Mandchourie. Le
climat est moins plaisant; le thermomètre
se permet d'ennuyeuses fantaisies, esca-
ladant, l'été, le 42° degré, dégringolant,
l'hiver, juscju'au 40'' degré.
La flotte îi vapeur de l'Amour compte
plus de cent vingt navires; il y faut ajouter
les bar(|ues (|ui servent au transport des
marchandises. Dans le même temps qu'il
favorisait l'action dos compagnies de na-
vigation, l'Ktal russe faisait baliser et ap-
profondir le chenal el organisait un ser-
vice d'inspection. C'est que le bassin de
l'Amour offre, durant cinq mois ou cinq
mois et demi, un réseau navigable d'une
longueur de i)lus de 12 000 verstes. Les
paquebots sont chauffés nu bois, cl éclai-
rés à la lumière électrique ; le paysage est
intéressant : co sont les passes du (irand-
Kliingan, (u'i le lleuve est soudain serré
entre dcu.\ niasses trapues, abruptes,
noyées dans une végétation vierge : c'est
la ville chinoise d'Aïgoun, étalant sur la
rive droite ses maisons de bois et sa cita-
delle crénelée; c'est, enfin, la capitale de
ce I''ar-Iùtst sibérien : filagoviechtchensk.
Des chalands, des vapeurs, des maisons
élégantes, les dômes de sept églises, une
façade de 8 kilomètres de long sur le
fleuve, annoncent une ville considérable.
BlagoviochtchensU, en effet, compte déjà
plus de .'i5 000 habitants. Celte fortune ra-
pide vient de l'or. Nous sommes ici dans
le voisinage des districts aurifères; pour
les mineurs, la ville est à la fois le marché
d'approvisionnements cl le lieu de plaisir,
où se dépensent à pleines mains les
richesses péniblement ramassées dans la
boue... En amont, le fleuve se rétrécit, la
profondeur diminue; nous tournons le dos
à la Mandchourie, où nous avons affaire :
disons adieu à l'Amour!
Cette Mandchourie, que nous venons de
contourner — en sens inverse de la
marche historiqviedes Russes — les Hussc^
tentèrent de bonne heure d'y pénétrer.
On verra plus loin d'où leur venait cetli-
envie. La pénétration d'abord fut scien-
tifique. Avant de conquérir, ne conve
nait-il point de voir ce que vaudrait la
conquête'? Dès 1858, Mouraviev, repre-
nant la tentative de Stépanov, tué deux
siècles auparavant, remonte le Soungari.
En 1864, Kropotkin parvient, jiarle fleuve,
jusqu'à (ihirin. Depuis cette date, le Nord,
le Centre sont parcourus par des officiers,
des ingénieurs russes dont les itinéraires
se mulli[)lient durant trente années, se
croisant ou se doublant. Officiellement,
ont été publiés les résultats aciiuis, par le
ministère des finances de Russie ; sa /)o.<i-
rriptinn ili' l.t M;uiilrhoiirie est l'ouvrage
récent ([ui nous fait connaître le mieux ce
pays encore imparfaitement connu. Mais,
parmi les explorateurs de la Mandchourie,
n'oublions pas de citer M. (^linlTanjon, un
Français, dont nous contions dans cette
Revue le lieau voyage, en avril IS".t7.
É \' 1-; N 1-: M 1-: n t s g k o g h a p i i i q l' v: s
Enfin, les travaux pour l'établissement
des lignes russes (1" Khailar-Tsitsikar-
Kharbin-Ninfjouta- Vladivostok ; 2° Khar-
l)in-Moukden-Port-Arthur) et la campagne
militaire actuelle ont eu pour premier
résultat d'avancer grandement la recon-
naissance de cette vaste province.
Elle est formée de trois régions natu-
relles. A l'est, sur toute sa hauteur, île
la plaine et le désert. Cette plaine " d'entre
les deux Khingans » est proprement l'ex-
trémité orientale du Gobi, une dépendance
des immensités mongoles ; les dunes
s'avancent jusqu'au delà de la Nonni, vers
Tsitsikar. Plus au nord, c'est la plaine
uniforme, mais fertile, que les inondations
du Soungari inférieur recouvrent l'été, au
loin. A l'ouest, la barrière du Grand-
^_^
lifilP^^l^iYi- ^-
—-.^«fe^rti-- . ^-. ."*-- - .
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«"^-■: .■■■-■' "■;i-tjkî'" -îi S—LE
LES R U S 3 E .-i S r II L AMI
- I L L A i; E DE I' A Y s A K S
Khabarovsk à la péninsule du Liao-Toung,
elle est recouverte d'un système étendu
de chaînes parallèles, orientées S.W.-N. E.,
et dont les points culminants ne dépas-
sent guère 900 mètres d'altitude. Les cou-
lées de lave y abondent. C'est l'une d'elles
qui, barrant une vallée des environs de
Gliirin, a formé le lac Birten, dont les
eaux s'échappent par une splendide chute
de 30 mètres de haut. Celte région est
coupée, d'est on ouest, par le pittoresque
cours supérieur du Soungari. Au centre,
l'aspect du sol est tout différent : c'est
Khingan sépare la Mandchourie de la Mon-
golie.
Que vaut le pays."? La population y est
peu dense : les évaluations les plus éle-
vées la fixent à 15 millions d'habitants à
peine. Mais l'immigration chinoise était,
jusque dans ces derniers temps, considé-
rable; d'après les missionnaires de Ghirin,
il passait chaque année dans celte ville,
se rendant vers le nord, mille à deux mille
familles. Quant à Ghirin lui-même, il ne
compterait pas moins, du fait de cette
immigration incessante, de 230 000 habi-
K \' 1': N i; M H N r s i ; i^ i x ; i ; a n 1 1 ( j l e s
lants. Dans l'est, les cultures essentielles
sont le millet, les légumes, le sorgho; la
culture des céréales, manquant d'engrais,
est peu développée. Les bois ne sont pas
exploités. Jusqu'ici la principale richesse
de la province a été l'or, bien que l'ex-
ploitation des gisements ait été interdite
l'ar les autorités chinoises, en rc<;le géné-
rale, à l'égal du pillage et du meurtre. En
1 885, une véritable armée de 3 000 hommes,
avec artillerie, fut expédiée contre les
mineurs de Jellouga, dans le Khingan
septentrional : elle massacra les mineurs
chinois qui n'avaient pu fuir, força les
mineurs russes à se retirer de l'autre côté
(le l'Amour et brûla les bâtiments.
Le profit économique immédiat, il est
donc permis de le prévoir assez maigre ;
<Iii moins ne sera-t-il pas très inégal à
celui que retire la Russie de ses autres
possessions asiatiques : la Transcaspie, la
Sibérie. Et, avec le temps, il peut devenir
vraiment considérable, puisque le sol
donnera les céréales, le sous-sol l'or.
Mais, pour la liussie, l'intérêt présent est
tout autre; il est d'ordre purement poli-
tique, et le voici d'un mol: c'est que, pour
elle, la Mandchourie est la vraie route de
Pékin. Or, c'est à Pékin qu'est la clef des
très riches et très peuplées provinces du
lloang-llo et du Yang-lse-Kiang, de celte
t^hine centrale et maritime <|ue l'Angle-
(erre voudrait tant pour elle et que la
liussie accepterait, à défaut de l'Inde.
Voici des siècles, en elîet, que la Russie
pense h la Chine, et non seulement aux
immensités mal peuplées de la Chine sep-
tentrionale, mais à la Chine proprement
dite, celle de la soie, du thé et du riz. Dès
IG89, le traité de Nertchinsk, dont nous
avons parlé, permettait aux négociants
russes munis d'un passeport de commercer
librement dans toute l'étendue de l'em-
pire chinois. En 1717, le gouvernement du
Isar obtenait l'autorisation d'élever une
chapelle à Pékin et d'y établir une mission
orthodoxe. C'était l'époque où Pierre le
(irand, avec un sens politique admirable,
assignait à son pays une tâche séculaire :
I atteindre la mer, la mer libre. ■• l.a poli-
tique des grands Etats, disait Napoléon \",
est dans leui' géographie. >■ La géographie
imposait au petit Etat moscovite cette
nécessité impérieuse.
En Europe, la "Russie alleignit l'océan
Arctique et la mer Baltique, que bloquent
trop longtemps les glaces; elle alleignil
la mer Noire, que ferment les détroits
ottomans. Elle voulut forcer ces détroits :
l'Europe fabri([ua contre elle la • Ques-
tion d'Orient »; d'ailleurs, à Constanti-
nople, la Russie serait encore emprisonnée
dans la Méditerranée.
Restait l'Asie, et la marche commença
vers les eaux libres du sud : golfe Per-
sique et mer d'Oman, vers les eaux libres
de l'est : océan Pacifique. C'était, en d'au-
tres termes, la marche par l'Afghanistan
vers rinde, la marche par la Mandchourie
vers la Chine. Vers l'Inde, on arriva jusque
sur les crêtes de l'IIindou-Kouch. I.Wnglc-
terre était menacée directement ; elle se
fâcha. Le colosse russe compte toujours
sur le temps : ayant de ce côté préparé
les besognes futures, il se détourna vers
la (;hine. Tout aussitôt — c'était en I8811
— il s'y heurta encore à l'Angleterre qui
venait d'occuper, à l'extrémité sud de
la Corée, l'ilot et la baiode Port-IIamilton.
Ce fut, cette fois, à la Russie de se fâcher:
elle menaça d'occuper Port-LazarelT, et
l'Angleterre évacua Port-llamilton. l.a
leçon fut salutaire : c'est de ce jour que le
projet du Transsibérien fut adopté ; les
travaux commencèrent par les deux bouts,
ils furent poursuivis avec une hâte ex-
trême. Cette hâte est le témoignage le
plus sûr de l'intérêt croissant que porte la
Russie à la politique chinoise...
L'occupation delà lointaine Mandchourie
est donc, pour la diplomatie russe, un
triomphe préparé et attendu pendant des
années. (Test le développement de-I'anli-
que traité de Nertchinsk ; et Pierre le
Grand doit penser, s'il pense encore, que
Nicolas 11 a /«'c/i Initié.
(i.VSTON Roi- VI tu.
l Plioli)(/raphies innimuniijiiées par l.i Sixirlr ilo (iriii/rapliie.)
l'A RADE II 1. T I ERi r — P A R A D E D E S I X T E B A.S3E — P A R A 11 I; li i: s I \ T K II m u 1 /, o N T A L K
LK MONDE ET LES SPORTS
Nous assistons en ce moment à une évolu-
tion très rationnelle tle l'escrime en France.
Le fleuret, qui jusqu'à ces dernières années
avait obtenu les faveurs du public, perd
chaque jour quelques fervents qui, les
uns après les autres, s'adonnent à la pra-
tique de l'épée. 1/un est une arme et
l'autre un jouet. L'épée employée seule
pour le combat est donc le seul instrument
qui doit servir à le préparer; tandis que
le fleuret, d'un maniement plus facile et
sans doute plus gracieus, ne peut quen-
trainer à mal ceux qui l'emploient exclusi-
vement dans les salles.
En elTet, la légèreté du fleuret, sa garde
mal protégée et les règles qui en régissent
le jeu laissent pour ainsi dire au hasard la
réussite de certains coups ; la pointe vient-
elle toucher l'avant-bras par exemple, cela
ne prouve rien, car cette partie étant trop
rapprochée de l'adversaire et insuffisam-
ment protégée ne peut èlre utilement
1,'arantie. Ces coups aux parties avancées ne
prouvant rien ne complont pas. Pour d'au-
tres raisons, il en est de même pour ceux
qui sont donnés à la jambe ou à la tète ;
seuls doivent avoir leur importance les
coups portés au torse.
Mais ces mots ne compleni pas! ne peu-
vent avoir de valeur que dans les luttes
de salle oîi l'adresse est exclusivement en
jeu, car sur le terrain, en dépit des con-
ventions, lout compte. Si un tireur reçoit
quelques centimètres de fer dans la jambe
ou dans le poignet, il est assez difficile de
dire que cela ne compte pas .' car le blessé
est bien forcé de s'en apercevoir.
C'est pourquoi celui qui voit dans l'es-
crime autre chose qu'un simple jeu et qui
tient à se préparer à toutes les éventua-
lités laissera le fleuret pour l'épée. Ces
deux escrimes ne se ressemblent pas ; tel
tireur réputé au fleuret fera triste mine
devant un néophyte qui sait quelques
bonnes règles d'épée, qui connaît les
moyens de se protéger et qui peut tenir
son adversaire en respect par une position
prudente, sinon savante.
Si l'homme doit être prêt a toutes les
éventualités qui peuvent se présenter
devant lui, il n'en est pas moins vrai que
le duel est blâmable en soi, immoral, ne
prouvant rien quant à ses résultais, il
devrait disparaître de nos mœurs françaises
comme il a déjà disparu dans plusieurs
pays qui se flattent pourtant d'être autant
I.i: MDNDi; ET l.V.^ SI'ORTS
l' cl s I T 1 O N NORMALE ET C L A S S I y l' E
DE LA FENTE
civilisés que le nôtre. .Si vis /lareiii, para
helhim. Ayez une forte armée, d'innom-
brables canons et des navires de guerre,
entourez-vous de citadelles redoutables,
sachez enfin décupler l'importance de tout
votre armement par une publicité bien
faite et vous serez tranquilles chez vous !
Pour des individus, c'est la môme chose :
sachez bien tenir une épée en main, faites-
vous une bonne réputation do tireur, et
vous éviterez le duel mieux que par tous
les raisonnements et l'étalage de principes
arrêtés. Que de personnes se sont vues
contraintes d'aller sur le terrain, malgré
leur hostilité pour ces combats singuliers
et malgré toutes les belles phrases qu'elles
avaient proférées touteleur vie contre eux.
Seule l'escrime à l'épée prépare au
combat, seule l'escrime à l'épée peut éviter
les rencontres par la crainte qu'inspirent
ceux qui savent bien se servir de cette
:irin('.
L'emploi constant de l'épée permet un
reproche, c'est celui de la dépense ; on
sait que dans les assauts les lames se
brisent souvent ; or, le remplacement
(l'une lame d'épéc est d'un prix élevé,
alors que le coût d'une lame de (leuret
était jusqu'ici insignifiant.
C'est pour parer h cette difliculté que
M. Spinnewyn, le maître réputé d'épée,
a imaginé une épée dite éyxV d'éluile. La
l.inic, .TU lieu d'être lriani.'ulaiie, est à
section rectanf;ulaire ; son prix est peu
élevé, il ne dépasse pas celui d'une
lame de fleuret. Cette épée spéciale sert
pour le travail des salles; mais pour les
assauts sérieux on emploie la véritable
épée de combat. L'une et l'autre possèdent
naturellement la coquille de garde qui est
une caractéristique de l'épée par rapport
au fleuret.
Entre personnes connaissant bien le
maniement de l'épée, le duel perd en
partie sa gravité; les adversaires se ticn-
(.Iront toujours à distance et les seules
atteintes possibles seront faites h la main
ou à l'avant-bras. Cette circonstance n'est
certes pas une règle, el un bon escrimeur
verra sans doute avec plus de satisfaction
un coup porté à la tête ou à la poitrine,
comme étant plus décisif; mais il ajn-a
d'autant plus de peine à réaliser ce fait
qu'il aura afTaire à une contre-partie plus
redoutable.
Dans une certaine école d'escrime, on a
cherché à maintenir toujours entre les
combattants une distance importante, afin
d'éviter justement les coups sérieux ou
dangereux. M. Spinnewyn, dont nous ne
saurions trop répéter le nom en matières
d'épée, a cherché au contraire à trouver
un moyen terme entre cette méthode un
peu trop douce et celle du fleuret si ter-
riblement néfaste si on voulait l'employer
sur le terrain. Son système est entière-
ment basé sur le but h atteindre, c'est-h-
dire qu'il cherche à mettre ses élèves dans
les conditions les plus semblables;'» celles
qu'ils seraient appelés à retrouver en cas
de combat. C'est donc de l'escrime pratique
avant tout, escrime de combat.
Tenez votre épée fermement, dit-il, mais
sans raideur avec le pouce et l'index, la
poignée reposant entre la première et la
seconde phalange de l'index, les autres
doigts restant en contact avec la poignée
pour la serrer plus fortement et avoir de
l'autorité dans les attaques de fer. Il faut
que la main soit souple, mais qu'elle soit
toujours sûre, (|u'elle obéisse sans hési-
tation et qu'elle mannnivre sans relard ni
faiblesse.
LE MONDH KT I.KS S PO UT S
Pour être bon tireur, il faut avoir une
l)onne garde, c'est une condition essen-
tielle ; chacun a la sienne, elle varie sui-
vant les dispositions physiques, suivant
les aptitudes, les caractères et aussi sui-
vant les leçons reçues et les exemples
qu'on a eus devant les yeux. La garde est,
en quelque sorte, la position d'attente qui
permet au tireur d'être toujours prêt pour i
l'attaque et pour la défense; c'est la po-
sition neutre à laquelle on renent toujours.
Au commandement ■' En garde ", il faut
allonger le bras, le corps bien elTacé, le
bras gauche tendu ; puis raccourcir légè-
rement le bras droit et lever la main
gauche; un troisième mouvement fera re-
culer le pied gauche et fléchir les jambes
de façon à donner au corps entier une cer-
taine assiette élastique qui lui permettra
les prompts mouvements en avant ou en
arrière.
Une règle absolue que l'on doit cher-
cher à suivre toujours est de tenir l'épée
l'èpée, on peut toujours tenir son adver-
saire à distance, cette règle, à elle seule,
pourrait suffire pour former un bon élève.
Mais, hélas! elle est difficile à mettre en
pratique; car la main bouge, l'avant-bras
s'élève ou s'abaisse, et, dans toutes ces
positions, il n'est pas aisé de maintenir
en ligne droite l'épée et le bras; d'autre
part, la position en dehors de l'avant-bras
exige une certaine tension des nerfs fort
pénible aux commençants ; il faut astreindre
les muscles, les habituer à ces mouve-
ments qui ne sont pas naturels; on ne
peut obtenir une position heureuse qu'avec
beaucoup de volonté et de pratique.
Tous ceux qui ont fait un peu d'escrime
savent que l'attaque est l'action du tireur
qui cherche à porter un coup à son ad-
versaire en se fendant. Ce mouvement
peut varier à l'inOni, il peut être simple,
c'est-à-dire provoqué par un seul geste;
il peut, au contraire, être très complexe
s'il est provoqué par plusieurs, dont il est
PARADE DE SECONDE
.ttaque <
COUP d'akrêt au bras
Atcc retraite de jambe sur attaque à la même
dans le prolongement de l'avant-bras ; de
cette façon, on sera sûr de ne jamais être
touché aux parties avancées, et comme,
d'autre [lart, en allongeant constamment
impossible d'analyser la suite, à cause de
leur rapidité et des incidents nombreux
qui peuvent se présenter ; de toutes
façons, l'attaque est empêchée par ce qu'on
i.K MON!)!-: i:t I.KS SPOHTS
est convenu d'appeler le cou/) il'urrél : or.
dans l'escrime à l'épée, ce coup d'arrél
prend une importance considérable, car il
peut être porté avec beaucoup d'efficacité
au-dessus du poignet ou sur l'avant-bras.
On conçoit fort bien que la position fen-
due d'un combattant découvre légère-
ment les parties avancées et présente
toujours une surface sur laquelle il est
possible d'agir sans qu'il soit nécessaire
de détourner l'épée adverse.
Dans l'escrime de fleuret, le coup
d'arrêt ne peut être employé avec autant
d'efficacité, car, ainsi qu'on le sait, seuls
les coups portés au torse doivent compter;
il est donc plus difficile, en ce cas, d'at-
teindre l'adversaire que si l'on a la faculté
de le toucher au liras.
Depuis quel(]ues années que 1 épée est
à la mode chez nous, il est souvent ques-
tion des tireurs italiens. En quoi difTè-
rent-ils des nôtres? Leur épée est spé-
ciale, dit-on! On trouve, en effet, une
petite différence dans la coquille de garde ;
une barrette en fer croise la poignée près
de la garde ; cette petite tige métallique
peut avoir son utilité, le pouce vient s'ap-
puyer sur elle et s'en sert comme d'un
levier qui permet do passer avec pkis de
fciini'lé cl de précision de la position en
quarte à la position en sixte et inverse-
ment; mais l'avantage n'est pas considé-
rable: d"aulre part, cette pièce supplé-
mentaire complique la poignée, et la main
peut s'y embrouiller quelque fois sans profit.
D'une façon générale, l'Italien esl us
entreprenant que le Français dans le as-
sauts, il agile davantage son fer, il cher-
che à compliquer à dessein la partie pour
empêcher son adversaire de se reconaitre
et de pouvoir calculer ses coups, c'est ce
qui fait dire que les Italiens ferraillent.
Mais ils ne sont pas dangereux pour cela,
nous l'avons bien vu : dans les différentes
rencontres qui ont eu lieu ces dernières
années, nos tireurs se sont toujours mon-
trés supérieurs. Le plus prudent, dans les
rencontres avec les tireurs italiens, est de
se tenir en réserve et de ne pas se laisser
aller à leur jeu embrouillé et compliqué.
Un bon escrimeur français aura toujours
le moyen de trouver un Jour où il lancera
son épée au milieu des mouvements dés-
ordonnés de son adversaire.
Je tiens à remercier ici M. Spinnewyn,
qui a bien voulu laisser braquer sur lui
l'objectif, afin d'obtenir les différentes
images spécialement destinées au Moiulr
Moil'rnr.
El.NSl XoMl~.
l" .\ Il A D K l> K P R I .M E
M K M 1 : X T O E N C Y C L O P !■: L) I Q U V.
Événements de Décembre 1900.
1. — Le président Kriiger quitte Paris au
milieu (ie'i acclamations enthousiastes. Il
arrive à Coloiinc, où la population lui fait
également un accueil chaleureux. — Le Jour-
nal officiel promulgue la ccmvenliun interna-
tionale (l'arbitrage de La Haye. — Le prince
Georges de Grèce, eonlinuant ses visites dans
les principales capitales d'Europe, arrive à
liome, où il est reçu par le roi d'Italie. — Le
président de la Hépublique helvétique fait
remettre à Tambassadeur de France et au
ministre du Brésil la décision arbitrale con-
cernant le contesté franco-brésilien. Cette
sentence donne surtout satisfaction au.'ç re-
vendications du Brésil. — M. llay, ministre
américain, et le ministre du Nicara;;ua à
Washinjîton signent un traité concédant aux
États-Unis les droits et priviiéjies pour la
construction du canal interocéanique du
Nicaragua.
2. — Élection sénatoriale dans la Nièvre :
M. Beaupin, radical, est élu par 376 voix en
remplacement de M. Hérisson, décédé. —
Élections législatives : Dans le Var 2" cir-
conscription de TSidon\ MM. Martin, répu-
blicain, et Grébauval, nationaliste, sont en
ballottage. — Dans le Pas-de-Calais circon-
scription de Saint-Poli, M. Vallée, républicain,
est élu par 6 S.IO voix, en remplacement de
M. Graux, décédé. — L'empereur Guillaume
fait savoir à M. Krûger qu'il ne peut le rece-
voir en ce moment. Le voyage du président
(lu Transvaal à Berlin est donc ajourné.
3. — Le nouveau parlement anglais tient
sa première séance.
4. — L'empereur d'.\utriclie et le roi d'Italie
font savoir à M. Krûger qu'ils ne peuvent le
recevoir.
5. — Kéception, par la Société de géogra-
])hie. des membres de la mission Foureau
Lamy. La cérémonie est présidée par M. Ley-
gues, ministre de l'Instruction publique, qui
prononce un discours rendant hommage à
l'œuvre accomplie par la mission, qui « pro-
mena, dans des régions inconnues, le drapeau
de la F'rance tel que nous voulons qu'il soit,
un symbole de paix et de civilisation ■■.
6. — Le congrès des Afrikanders, tenu .'i
Worcester, adopte une motion demandant
la fin de la guerre et l'indépendance des deux
Uépubliques sud- africaines. Cette motion,
volée par acclamation, sera transmise au
gouvernement anglais. — Le président Krûger
arrive à La Haye, où il est reçu avec enthou-
siasme. — Au parlement anglais, lecture du
discours du trône demandant l'ouverture de
nouveaux et importants crédits pour les opé-
rati(ms dans l'.Vfrique du Sud cl en Chine.
7. — La Chambre, après une longue et vio-
lente discus-ion d'une interpellation sin- le
drame de Zinder. adopte, par Ul voix con-
tre I, l'ordre du jour do C(mnance.
8. — La reine \\'illielmine de Hollande et
la reine mère reçoivent le président Krûger.
9. — M. Benoit, résident général intérimaire
en Tunisie, arrive à Tunis. — Le Portugal
ayant retiré l'exequalur à M. Polt, consul
hollandais à Lourenço-Marquez, sous pré-
texte qu'il favorisait les Boers. la Hollande
et le Portugal rappellent leurs ambassadeurs
respectifs.
10. — Au Heichstag allemand, le chancelier
de Bulow, répondant à une interpellation,
explique l'altitude du gouvernement allemand
et de l'empereur Guillaume à l'égard du
président Krûger — .Mort de M"" Edgar
Quinet.
11. — La Chambre adopte la loi sur li
réforme du régime des boissons. — Elle
adopte, à deux voix de majorité, la suppression
de la messe du Saint Esprit, dite messe rouge.
— Un nouveau cabinet bulgare est fornu''
sous la présidence de M. Ivantchof, qui prend
le portefeuille des finances. — L'empereur
Guillaume confère à l'empereur F"rançois-
Joseph la dignité de feld-maréchal de l'em-
pire d'Allemagne. — Ouverture, à Bruxelles,
de la seconde session de la conférence de la
propriété industrielle.
12. — L'assemblée fédérale suisse élit pré-
sident de la Confédération pour 1901
M. Brenncr . actuellement vice-président.
M. Zemp est élu vice-président.
13. — Le Sénat de Washington adopte un
amendement au traité Hay-Pauncefote sti-
pulant que les États-Lînis seraient chargés de
la défense du canal de Nicaragua en temps
de guerre.
14. — Le prince George de Grèce, gouver-
neur de Crète, a échoué dans la mission
auprès des gouvernements européens tendant
à la réunion delà Crète à la Grèce. Le sultan
avait pris les de\'ants en faisant savoir aux
gouvernements étrangers qu'il ne s'opposerait
pas au renouvellement, pour cinq ans, des
pouvoirs du prince comme gouverneur de
Crète. — Le parlement anglais adopte le
projet d'emprunt de guerre. — Dans l'Afri-
que du Sud les commandos boers infligent de
sérieux échecs aux généraux anglais.
15. — Un diner intime est offert à la cour
de Hollande en l'honneur du président Krûger.
16. — Élection législative dans les Basses-
Ps'rénées K^ circonscription de Pau )
M E M li N T U K N (". 'i CI. ( ) I> K I) I y f E
M. dlriarl d'Etcheparc. républicain, est <!lu
par " sui voix en remplacement de M. Cassou.
élu scnalcur. — A Malaga, la frégate alle-
mande l'iiteisenau, école de mousses, s'échoue
i rentrée du port par suite de la violence de
la tempclc. Quarante hommes, dont le com-
mandant, sont novés.
18 — En Colombie, les troupes du gouver-
nement remportent une victoire décisive sur
les insurgés à Girardat.
19. — A Coltinjc, cérémonie dans laquelle
le président du Conseil prie le prince Nikita
de Monténégro, en présence du corps diplo-
matique, de porter désormais le titre d'.M-
tessc royale.
20. — I.e commandant Cuignet est arrêté
par ordre du gouverneur de Paris et interné
au Monl-Valérien. Le commandant est in-
culpé de fautes graves contre la discipline
pour avoir livré à la publicité des documents
secrets, pour avoir refusé de répondre au
ministre de la Guerre qui lui demandait des
explications à ce sujet, et pour avoir écrit
directement au président du Conseil sans
passer par la voie hiérarchique.
21. — A Pékin, les ministres étrangers, réunis
chez M. Cologan, reçoivent le prince Tcliing,
auquel ils remettent la note conjointe. Tching
dit : « J'ai l'honneur de recevoir la note rela-
tive au rétablissement des bonnes relations et
la transmettrai aussitôt à l'empereur. ■■ — Les
Boers envahissent la colonie du Cap sur trois
points différents : Steckspruit, Odendaal et
Krancisdrift. Ils infligent des défaites aux
généraux anglais Mac-Donald et Brabant et
s'emparent de deux trains de munitions.
L'état de siège est procUmé dans douze
districts aux environs de Colcsberg. Ces nou-
velles causent une vive émotion ù Londres.
22. — Bou Amama, le grand agitateur reli-
gieux, qui avait fomenté l'insurrection des
Ouled-Sidi-Cheikh en 1882 et qui, depuis sa
défaite, s'était réfugié à Deldoul, dans le
Touat septentrional, demande l'aman pour lui
et pour ses partisans. Le gouvernement de
l'Algérie est disposé à recevoir cette soumis-
sion.
23. — Élection sénatoriale dans le Loiret.
M. Alasseur, républicain, est élu par i'JS voix
en remplacement de M. A. Cochery, décédé.
— Élection législative dans le département
de Meurihe -cl- Moselle (circonscription de
Hriey). M. Lebrun, républicain, est élu. —
Célébration du trentième anniversaire de la
bataille de Nuits, sous la présidence du
ministre de la Guerre.
24. — Le Sénat adopte le projet d'amnistie
déjh voté par la Chambre. — Trois cents
étudiants russes sont arrêtés pour propa-
gande socialiste. — A Saint-Pierre de Itome,
clôture de la Porte-Sainte par Léon .\IH.
Elle axait été ouverte le •_' i décembre l'.MKI.
27. — La Chambre vote un douzième pro-
visoire. — Mort, en Angleterre, de M. Arm-
strong, inventeur des canons à longue portée.
28. — La (Chambre adopte le projet de loi
des taxes de remplacement de l'OCtroi de
Paris. — Le Sénat adopte le projet relatif au
secret des actes signifiés par huissier cl la
création de clercs assermentés pour la signi-
fication des actes. — Mort du célèbre explo-
rateur portugais Serpa Pioto.
29. — Au Transvaal, les Boers sont solide-
ment établis entre Johannesburg et Pretoria.
.\u .Natal, ils occupent Dundee, (jlencoe et
une partie des montagnes de Biggan. Dans la
colonie du Cap, ils ont coupé les communi-
cations par voie ferrée sur plusieurs points.
Les généraux anglais doivent se replier et
abandonner l'Orange à son sort pour défen-
dre la colonie du Cap menacée. — Les
conditions de la note conjointe signée par
les onze représentants des puissances euro-
péennes en Chine et par M. ('onger, ministre
des États-Unis, remise au prince Tching, en
présence des ministres assemblés chez M. de
Cologan, doyen du corps diplomatique, sont
acceptées par la Cour impériale de Chine,
sans réserves. — L'ne bulle du pape Léon XIII
prolonge de six mois le jubilé pour tous les
catholiques du monde entier, à l'exception de
ceux de Home. — Dans une lettre au cardi-
nal Hichard, le pape rappelle les services
rendus par les ordres monastiques, notam-
ment par ceux de France. Il sefTorcera de
réfuter les accusations dont ils sont l'objet
et désapprouve le projet do loi sur les asso-
ciations. — Héouverture du Théâtre-Français,
qui avait été détruit en partie par un incendie.
Le président de la République et M'"" Loubet.
le roi des Belges, le ministre de l'Instruction
publique et un grand nombre de notabilités
du monde des arts et de la politique assis-
tent i cette soirée, qui se termine par la
cérémonie du couronnement du buste de
Molière. — La Chambre, par iM voix contre
.il, adopte l'ensemblo ilu budget de 1901.
30. — Les conditions dr |>mi\ de la com-
mission américaine aux Philippines ne sont
accueillies que par un très petit nombre de
Philippins. La plupart des insurgés conti-
nuent la campagne.
31. — Exécution A Pékin, en présence
d'une nombreuse assistance, du nommé Enha'i,
meurtrier du baron Ketteler, ambassadeur
d'Allemagne. — La session du parlement
fiançais est close, après l'adoption par le
Sénat et par la Chambre de la loi sur les
taxes de remplacement de la N'illc de Paris.
— Le conseil d'enquête, chargé d'examiner le
cas ibi commandant Cuignet. dit que le com-
mandanl Cciignct ne doit pas èlre mis en
réforme pour taules graves contre la disci-
pline.
LES TIMBRES-POSTE DU MOIS
Nous avons d'abord neuf colonies, d'un
lypc semblable, dilTéiant seulement par le
nom inscrit en haut des timbres, mêmes
valeurs et mêmes couleurs que les timbres
allemands, moins le 2 pfennig.
La dixième colonie, Afrique orientale,
continue à faire bande à part au point de
vue de la monnaie, et elle comprend
i timbres de moins, elle n'a que 2 pesa,
:i, :;, lO, i:;, 20, ■>'.\ et tO de mêmes cou-
parco que leur pays y parait blanc? On
ne pouvait pourtant le teinter en noir.
De Serbie, mentionnons une surcharge
de 10 paras sur le timbre de 20, mais avec
cette iiarticularité qu'il est tiré en rose au
lieu de orange.
Pour terminer, venons à la France.
Des colonies, une série de 4 timbres
pour se conformer à l'Union postale, le
10 c. est devenu rose, le l'i lilas, le
2"i bleu, et le 'iO brun sur bleu, couleur
de l'ancien 2 francs de Krance ; les colo-
nies suivantes les ont reçus: Anjouan,
Grande-Comorc, Congo français, Côte
d'Ivoire, Dahomey, Guadeloupe, Guinée
française, Guyane, Inde, Indo-Chine, Ma-
dagascar, Martinique, Mayottc, Nouvelle-
p
W^'
AN?
ma
1
fk/ ^/i]/
4 J
m
^^
àft^
leurs que les autres; le correspondant du
2o pfennig n'existe pas ; dans les hautes
valeurs il n'y a que 1, 2 et 3 roupies, dont
les couleurs diffèrent.
Ajoutons les émissions complètes de
Chine et de Maroc, du 3 pf. au .'j m., analo-
gues au Levant.
Enfin la métropole a émis son )i marks,
ardoise et carmin.
Signalons 2 timbres taxe de Belgique :
:iO gris et 1 fi'anc orange.
La république Dominicaine nous envoie
une série avec la carte de l'île Saint-Domin-
gue, 1/4 cent, bleu, 1/2 rouge, 1 olive,
2 vert, •') Ijrun, 10 orange, 20 violet,
tiO noir et 1 peso bistre ; on remarquera
que sur la partie gauche de l'ile figure
Haïti ; ces timbres ont en raison de cela été
la cause d'un petit incident diplomatique
avec les Haïtiens, qui trouvaient mauvais
de voir le nom de leur pays figurer sur les
timbres de la république voisine : serait-ce
Xlir. — 18.
Calédonie, Océanie, Réunion, Saint-Pierre
et Miquelon, Sénégal et Soudan ; remar-
quons que le Congo français, pour lequel
avait été faite la mirifique série de cet été,
les a reçus; l'ancien type n'est donc pas
abandonné ; alors que deviennent le Léo-
pard, la Congolaise et l'Allée des cocotiers ?
Le Soudan aussi avait été supprimé et
on le dote de la nouvelle série ! Enfin le
Dahomey n'avait que le 23 c. et on ne lui
complète pas sa série ! Mystère, cacophonie
et administration !
Pour les timbres de France dont nous
avons donné les types des premiers dans
le numéro de janvier, avant même la
plupart, pour ne pas dire tous les journaux
philatélistes eux-mêmes,
ils ont été mal reçus ; en
elTet, plus on les voit,
plus ils paraissent affreux
sous tous les rapports.
Jean Repaire.
LA MODE DU MOIS
Tondis que l'hiver bal son plein, pour me
servir d'une expression consacrée, déjà, dans
les sphères de la mode on se préoccupe des
toilelles printanières.
De plus en plus les corsages jîcnrc boléro,
c'est-i-dire détachés, sont les rois de la nou-
corsage. lui-même entouré d'une large bro-
derie. Les manches Impéral rire- Eugénie vont
en s'évasanl par en bas.
.lupon de dessous en pékin noir et blanc à
volant de pékin en biais, voilé de mousseline
de soie noire. Bas noirs en mi-soie, liotlines
~J£C%^i
veauté. Tous, ou prescpic tous se l'oul ainsi,
au moins (levant, car ((uchpiel'ois la inbf esl
princesse derrière.
I,a brodei'ie, pailletée ou non, est il l'ordre
du jour. Le costume n" I (pic nous donn(Uis
aujourd'hui cl qui constitue une charmante
loilelle de visite ou de promenade esl en
drap salin très lé(jcr, très fin et très soyeu.t,
d'un joli gris ; lu jupe, brodée loul autour,
forme soufflet, de chaque C(')lé du tablier.
Ces soufflets sont en satin noir, comme In
ccinltu'c, le bouffant îles manches et la petite
guimpe cheniisctlr -lu- hnpiellc se (léciiu|ie le
claipiées, boutonnées, en chevreau f;laeé.
("hapeaii de paille noire, relevé devant, orné
d'un piquet de lleurs de saison cl d'ime dra-
perie en mousseline de soie. (îants de Sui'^de,
nuance naturelle, lùi-cas bleu marine, en soie
cuite, i\ manche de fantaisie.
Cette autre toilette n" 2 plus simple, mais
non moins éU'gante. est en homcspum bleu
de Kranee, piquée de cinq rangs de pi(p'u-es
tout autour de In jupe croisée. Cette jupe,
comme celles de toutes les robes modei'ues,
esl lé;;èri'ment longiu-. le corsage, loujuiu's
lui peu li..léro, drapé, est lui ausM croisé de
I.A MdDi: 1>C Mi)I;
ilioile à gauche. Les manches se terminent
aux poii-'ncts par deux boulTants en mousseline
de soie blanche. La guimpe est en satin blanc.
voil<' de mousseline de soie recouverte de
guipure bise. Quant à la couture, du même ton
que la robe, elle est en satin Liberty drapé.
Toquet en paille avec turban de mousseline
de soie tout autour, relevé par une toufTe de
llcurs sur lo coté. Boa de mousseline de soie
et dentelles, et jupon de moire rose. Bas
bleus, souliers Rjchelieu et gants de chevreau
glacé demi-teinte.
Comme toilette d'intérieur, notre modèle
également les manches, sur lesquelles elle
forme jockevs et bordure vers le poignet.
Mancherons en salin souple, comme la guimpe
plissée en rond. Ceinture drapée en velours
noir. Jupon de satin gris ai-gcntavcc volant de
fantaisie en gaze brodée. Lingerie de batiste
ornée de valcncienncs. Bas de soie noire et
souliers d'appartement en cuir de Russie.
Enfin, comme manteau de mi-saison, voici
une jolie cape moderne en drap beige, bordée
de larges bandes de velours camaïeu se ter-
minant en trèlles.
Dans le haut, une bande forme capuchon
n" 3 répond à tous les désirs ; on peut la
faire en velours, en drap, en cachemire ou en
crêpe de Chine. Les demi-tons sont les meil-
leurs à choisir pour ce genre de robe, que
l'on peut du reste utiliser tout autrement.
Telle qu'elle est, cette robe est en drap : la
jupe est échancrée dans le bas sur une pre-
mière jupe longue brodée en bordure comme
la seconde, de jolies broderies blanches. Le
boléro, coquettement découpé, est agrémenté
d'un dépassant de velours noir, l'ne broderie
blanche le contourne tout autom-. Elle orne
soutaché à l'intérieur. Col Médicis, cravate île
mousseline de soie nouée en nœud court.
Grand chapeau, à passe mouvementée, en
velours et plumes. Uobe de cachemire per-
venche doublée de soie claire et toute brodée.
Gants de chevreau glacé Isigny. Souliers à
barrettes en vernis noir. Bas mi-soie, noirs.
Jupon de dessous en joli satin noir orné
de dentelles et de rubans. Lingerie blanche,
garnie de broderies en fils tirés.
Beuthe de Présil lv
TABLEAUX DE STATISTIQUE
Les Sociétés coopératives en Grande-Bratagrne.
(Sommes en livres sterling, 1 livre =^ 25 fr. 20.)
Nombre
Nombre
Bénéfic,-
Ann^'cs
de sOfii-Us.
tic membres.
CnpiUl soiiseriu
Cupitol cmpranté.
Ventes totales.
neu.
1862..
332
90.341
428.376
54 499
2.333.623
165.562
1865..
■103
124.659
819.367
107.263
3.373.847
279. 2J6
1870..
748
248.108
2.035.626
197.029
8.201.685
553.435
1875..
1.163
479.284
4.793.909
844.620
18.484.382
1 427.365
1880..
1.177
603.541
6.224.271
1. 341. 190
23.231.677
1.866.839
1885. .
1.431
849.616
9.202.138
1.945.. 508
31.273.156
2.986.15S
1800..
1.631
1.138.780
12.776.733
3.168.788
43.667.363
4.273.010
1891..
1.666
1.205.244
13.832.168
3.390.076
48.921.697
4.714.298
1802..
1.7.-I3
1.282.103
11.627.570
3.766.737
.50.902,681
4.739.771
1893..
1.784
1 336.731
15.297.470
3.867.306
51.877.727
4.606.811
1894.
1 880
1.368.944
15.732.061
4.054.172
51.846.349
4.923.027
189.1 . .
1.895
1.423.632
16.726.623
4.570.116
.-.4. 758.400
5.332.862
1896..
1.908
1.625.283
18.197.828
4.766.244
59.461.852
5.983.6.55
1897. .
1.930
1.613.038
10.406.156
9.081.368
64.362.943
6.529.136
1898..
1.955
1.682.286
20.618.822
9.837.103
67.869.094
6.931.704
L'enseignement primaire à Paris afin décembre 1899.
NOMBRE
CouM complémentaires \ yuIoV^' '
Écoles primaires élémentaires J pn|fo°* ' '
Écoles maternelles.
1842.
1847.
1851.
1870
1880.
1890.
1900.
Les routes nationales en France.
Ilil-ii«.< Grosses
Liloinètris. (Veiiln-ti. 11. K'imrationa.
2l..'i(IO.OIIO
21.6llli.OUO
25.850.000
29.729.000
6.300.000
3.374.000
4.. MO. 000
4. 600. 000
4.696.000
4. 185.000
28.597.000
31.350.000
27.969.000
29.000.000
29.000.000
30.540 000
33.914.000
974.06
900.09
801.04
780.05
Production et consommation
du nitrate (en tonnes.)
1889
. ... 930.000
731.800
1890
... . 1.035.000
883.800
1891
783.000
927.200
1802
... . 795.000
8S1. 100
1893
933.000
890.. 500
1894
1.082.000
982.100
1896
1.220.000
1.042.900
1.053.700
1897
1.035.000
1.088.000
1898.
1.250.000
1.195.200
Les terres labourables en Europe.
(En hectares.)
Europe
Xnropo
Kuropo
orientale.
oecidentAle.
entièro.
.lardliis
1.848.000
1.932.000
3 780.0011
Vignes
1.266.000
7.515 OOO
8.781.000
Illè et seiKlc.
63.804.000
30.232.000
81.126.000
Antres cé-
réales
41. 874.000
28.082.000
00.960.000
Pommes île
terre
1.228.000
6.989.000
11.217.0"»
Plante» four-
ragère»....
2.027.000
17 049.000
19.676.000
Cultures di-
vorces
4. 732 (100
lu 835.000
15.067.000
.IllduTC» . . .
40.874,000
161.343.000
10.617.000
61.401 000
112.751.000
264.091.000
Produit des pèches côtières
en Norvège.
(En milliers de couronnes, 1 couruniio - 1 fr. 39.)
IS96. ISti;. M98.
Uorues 14.333 12.430 8.934
Harengs 2.649 7.954 .').823
MaquirciuN 194 217 3S6
Saumons et truites. SOI 1 090 839
.\utres poissons. .. . 3 333 3.027 4.177
Homards 308 451 480
UuHrcs 6 8 8
ToUux - 31.714 as.so7 ao.e53
Hécatombes de perdreaux.
La /i'.riie tinir.rsfiU' donne comme suit le nombre di-
perdreaux tui'S dans certaine.^ grundcs cliafsefi depuU Ii
àe^ni^^e ouvfrture jusqu'au l" décemlire 1900.
('liasses de :
M. le comte GrelTulhe, h Boisboudrail S.u'i '
M. le comte de Fels, i\ Voisins 3.0""
M. le comte l'otocki, à JouTillali- 3.600
M. André l'inanl, A Clinmpmeil 2.000
M. le comte de Ginay, à Consanccs 2,000
M. lo marquis de lteau7oir, À Sandricourt 1 .500
M. Michel Kplirussi, 4 Vau!C-le-Pénll 1.500
M. Thomé, A lluceUmp 1 500
M. le marquis do Montcgaard. i^ LicrTille 1 60O
M. le duc de Lu.vnes, h D.»mplerre 1 000
M. le duc do Don lonu\ illr. \ Esclimont 8011
M. le due de Noaille», l'i Cliamplàtrcux 500
Ce qui forme, pour douzo gr.uidos cliasics, le joli total
de 20 wui perdreaux.
G. KiiAxçois.
QUESTIONS FINANCIÈRES
Il csl IcriiblonuMil (|iiosli()n dopiiis
iiucli|u<' ti'iiips lies \aleurs iirgonliiu's. El
si nous disons " leirihlonient », c'est que
ces valeurs nous a|)paraisseut en effet
comme terribles. Si le double service des
intérêts et de l'aniortissenient avait été
repris depuis un certain temps, nous com-
prendrions que l'on insistât sur la néces-
sité de donner à un pays le temps de se
relever financièrement. .Mais c'est depuis
1893 que la République Argentine a serré
les cordons de sa bourse, et c'est cette
année seulement qu'elle reprendra ses
payements.
Il faut bien dire ([u'il n'est pas de rentes
plus sujettes il caution que celles des pays
à change avarié. Si l'Espagne a, pour des
raisons tirées du change, pu donner lieu à
des discussions fort vives, elle a, tout en
continuant de payer, proposé un arrange-
ment à ses créanciers.
L'Argentine a agi autrement. Lejour où
les arrérages de sa dette lui ont paru trop
lourds, elle a fermé sa caisse; et elle a,
non pas proposé, mais imposé un arran-
gement à ses créanciers, lesquels n'ont pu
que l'accepter. Cet arrangement a permis
à la République Argentine d'augmenter
encore une dette qui lui paraissait jadis
trop lourde; car elle a remis du nouveau
^papier à ses créanciers en représentation
de leurs coupons arriérés; et comme ce
papier porte intérêt, il en résulte que la
République Argentine paye ainsi les inté-
rêts des intérêts de sa dette.
On nous affirme ([ue la situation inté-
rieure du pays s'est considérablement amé-
liorée, et on nous dit que les recettes des
douanes — base principale de tout le sys-
tème du pays — sont en forte augmenta-
lion. Cela est vrai — mais dans une cer-
taine mesure seulement. Nous avons, à
cet égard, un élément d'appréciation irré-
futable : le peso papier, dont la valeur
nominale est de o francs, ne vaut que 2 fr. 15
au change du jour. La perte ressort donc à
57 francs, et, dans l'état actuel des choses,
il faut donner 2.33 francs de billets de
banque pour obtenir 100 francs d'or.
Au.x cours actuels, les renies argentines
se capitalisent à 6 2/3 %. C'est un revenu
énorme. En outre, il y a une marge d'amor-
tissement de plus de 60 %. Il saule aux
yeux qu'aucun pays au monde ne peut
consentir à donner un intérêt do G.fiO "/, h
ses créanciers, plus une prime de 00 ^^, de
leur capital. On peut promettre de tels avan-
tages — et les promettre de bonne foi,
nous voulons bien l'admettre. Mais tenir
de pareilles promesses est une pure im-
possibilité. Les banquiers et les établis-
sements de crédit le savent bien. S'ils
avaient la moindre confiance dans tous
ces avantages, n'est-il pas clair qu'au lieu
de presser le public à prendre les valeurs
argentines, ils s'empresseraient de garder
en portefeuille des rentes dotées d'un
revenu qui, amortissement compris, ressort
il plus de dix pour cent ?
Nous ne ferons pas la liste des valeurs
argentines. En France, six emprunts seu-
lement ont droit de circulation, et leur
capital nominal est d'environ un milliard
de francs. On insiste sur la modicité rela-
tive de ce chiffre ; ce qu'on ne dit pas,
c'est que cette modicité n'est qu'apparente.
En tenant compte des emprunts émis
en Angleterre, de la dette intérieure, etc.,
la dette de la République Argentine dépasse
3 milliards 1/2 ; et la charge qu'impose
cette dette est telle, qu'elle absorbe de
74 à 'ÏO çé des recettes budgétaires du
pays. Si l'on considère que la France, avec
une dette plus importante que celle de
tous les autres pays du monde, a de la
peine à équilibrer son budget parce que
ce budget est grevé jusqu'à concurrence
de 30 9é environ par son service finan-
cier, on admettra facilement que la Répu-
blique Argentine, avec une charge une
fois et demie plus lourde, aura de la diffi-
culté à faire face a ses engagements.
E ,M I L E B E X o I s T ,
Directeur da Moniteur
ir, rue (lu Pont -Neuf.
LA CUISINE DU MOIS
LA \1L PUATIUUE
Terrine de mauviettes. — FnnMii.i;. —
Une lei'iiiu' de 10 ccnlimèlrcs do diamèti-e,
5 maiivieltes bien fines et };riisscs, 150 (trani-
mcs de lilel de porc frais, 250 grammes de
foie gras, bo grammes de lard rApé, 125 gram-
mes de bardes de lard très minces, 3 trufTes,
à volonté, grosses on petiles, un verre à
madère de cognac, autant de vin blanc,
15 grammes de sel, cpiccs fines et poivre.
Oi'ÉHATioN. — Marinez le foie gras avec le
cognac dès son arrivée à la cuisine, après
avoir enlevé la partie verte ou était le fiel.
Coupez les pattes, les ailes et fendez les
mauviettes sur le dos, d'un bout à l'autre,
enlevez la carcasse en détachant la chair
avec la jiointc d'un couteau d'offîco, tirez la
carcasse d'une main et la chair de l'autre, il
reste d'une part les os avec les petits filets
mignons et les intestins: levez les petits filets
cl mcttc/.-les dans la mauviette désossée,
jetez le bec et la petite noisette ou gésier,
mettez la carcasse dans le mortier, faites
les quatre autres pareilles. Pilez et broyez
pour obtenir une purée très fine.
Kncrvez le porc frais, hachez-le. pilez-le
avec les carcasses des mauviettes, siricz,
assaisonnez et broyez bien le mélange.
Coupez le foie gras en carres, faites cinq
lames, une pour chaque mauviette, mettez
tout le reste dans le mortier et broyez
encore, linalcment ajoutez le lard râpé, le vin
blanc, la marinade du foie, les pelures des
trull'es et passez au tamis u" 20.
Travaillez un peu la farce dans un saladier,
avec une cuiller de bois, pour bien mélanger
les éléments.
Tapissez la terrine avec hi barde, celle-ci
avec un centimètre di' farce.
Ouvrez les mauviettes sur la table, mettez
un pmi (le farce, un morceau de foie gras,
piquez une moitié de trulTc. couvrez de farce
et roulez les mauviettes.
Posez les trois plus petites dans le fond de
la terrine, mettez une couche de farce, les
autres mauviettes et la farce <pii vous reste.
Hecouvrez avec ce qui déborde de lard,
mettez une feuille de laurier, le couvercle et
laissez reposer quelques heures, une nuit si
c'est possible, pour que l'assaisonnement et
les parfums se combinent.
Faites cuire au bain-marie, au four doux
une heure et demie.
Fignolas. — Foumili-. — X blancs d'œufs.
200 grammes de sucre semoule, 125 grammes
de pignons, un peu de vanille en poudre.
Oi'ùnATiox. — Etalez les pignons sur une
plaque de tôle et tenez-les i la bouche du
four pour les chaulïer sans les colorer.
Mettez les 3 blancs d'œufs et le sucre dans
la bassine de cuivre, montez sur un feu doux
environ 15 minutes.
L'appareil doit être d'un blanc de neige cl
assez épais, il doit donner l'aspect d'une
crème à la chantilly bien montée.
Mélangez les pignons avec une cuiller à
bouche.
Beurrez une plaque de tôle un peu grande,
laissez le beurre se figer, saupoudrez de
farine, sccoucz-la un peu fortement [irtur faire
partir celle qui n'adhère pas.
Couchez des petits tas A égale distance de
la grosseur d'une noix. Vous devez en avoir
environ 25 ou 28; faites cuire i'i four très
doux 30 minutes, tenez au sec et enfermé.
On peut remplacer les pignons, du pin par
des amandes cflilccs et bien séchées au four
doux.
.\. Col.OMUll'i.
Cuir imperméable. — Pour rendre le cuir
iniperniéablo. on peut employer l'un des deu.x
jirocédés suivants:
\" proi-édc. — Enduire le cuir avec le mé-
lange ci-dessous:
Benzine 2 parties
l'.ssc'nee de térébenthine . 2 —
Colophane :i —
Vernis 1 —
2" praccdi}. — Très employé en Suède :
Hésine 12 parties
Graisse 8 —
Essence de térébenthine . 3/10 —
Nettoyage des vases émaillés. — On éprouve
sou\ent de grandes difficultés & nettoyer
l'intérieur des vases émaillés servant A faire
la cuisine et auxtiuels les aliments s'al-
lachcnl.
On peut y arriver cependant très rapide-
ment en frottant les taches avec de la paille
de fer fine que l'on a passée au préalable sur
un morceau de savon ordinaire.
Pour coller l'étoffe au cuir, (m ajoute A un
demi-litre de fine fleur de farine ileux cuille-
rées de résine en poudre fine et une cuillerée
d'alun en poudre ; on mélange, on masse et
on ajoute peu A peu de l'eau en maln.xant
comme si on voulait faire de l'empois d'ami-
don.
Il ne faut plus faire couler l'eau quand la
pAte est bien homogène et suffisamment com-
])acte pour qu'une cuiller puisse s'y tenir
droite d'elle-même. On cliaulTc doucement et
en agitant sans cesse pour éviter la formation
de grumeaux.
\'li TOU l.l Cl I \ I -.
Jeux et Récréations, par m. g. Beudin
Bas : Blancs.
Les blancs jouent et font mat en deux coups.
N" 397. — Haut : Noirs. — Bas : Blancs.
roMoï
loi
'M0WM
Les blancs jouent et gagnent.
No 398. — Charade.
Par A. T,
L'fiititr me pliiit, je le mets sous vos yeux
Simple et naïf. Rien de prétentieux.
En l'essayant je me montre peu sage.
Vais-je sortir du dangereux passage?...
De réussir je suis fort anxieux.
L'«« est un trait, mai?, le plus curieux.
Sans clief, sans fin, néanmoins gracieux.
Content je suis de mon petit ouvrage.
L'entier me phtit !...
Ruis3e;iu mignon, ton cours capricieux
Me montre ihuj- frais et délicieux.
Ami. puissè-je obtenir ton suffrage.
Ainsi que moi goûtant ce badinagi:,
ï'entendre dire : II est ingénieux,
L'ender ine plaif !
N" 399. — Acrostiches.
X R K X
X R N X
X A I X
X E N X
X Z E X
X R G X
X A I X
Remplacer It-^ X par des lettres de façon à lire hori-
zùtitalemeat sept mots franvùs et en acrostiches les
noms de deux célèbres prélats franc lis.
'm a un lingot d"c
quelle quantité d'oi
un nouveau lingot i
— Mathématiques.
r au titre de 0,G pesant 120 grammes.
pur devra-t-ott ajouter pour obtenir
u titre de U,85?
SOLUTIONS DES PROBLEMES DU DERNIER NUMÉRO
1. F -IT D 1. P 6 D
2. F 2 F D 2. P p.- F
3. P 4 D échec et mat.
28 39
39 18
48 31
Ce coup a été fait tout récemment en jouant (F. Ben-
din à J. Weiss).
N*- 39 1 . — Il faudra 20 pièces de 2 francs et
20 pièces de 1 franc.
N« 392. — La, salle. — Lasalle.
N'^ 393. — Le cali, après avoir lu attentivement
les dernières dispositions du testament, arait remarqué
bien vile que - -|- - + - ne font que —.11 envoie doue
chercher l'unique chameau qu'il possède lui-même,
sachant iri-s bien qu'en l'ajoutant ans 17 de la succes-
sion, cet animal n'entrerait pas dans le partage : t Mes
enfants, dit-il alors aux héritiers, je vais vous mettre
tous d'accord en dormant à chacun de vous plus que le
testament ne lui concède. !> Les héritiers acceptent et se
confondent en remerciements; «Calmez-vous, leur dit le
cadi, car il ne m'en coûtera pas grand'chose comme
vous l'ai:c2 voir.» S'adressant à li femme, il Ini dit de
prendre U moitié de 18 ch-imeaux, soit \) animaux; au
fils, de prendre le 1 '3 de 18, soit 6 chameaux ; à la fille,
le 1/9 de IS, soit 2 chameaux. Les 17 chimeaus étant
ainsi répartis, ie cadi, au grand étonuement des assis-
tants, ramène le sien dans sa maison. On voit d'ailleurs
que les intentions du testateur ont été parfuiteuieni
respectées.
N» 394. — .Sêez, Foix, Sens, Cette et S;iint-Qaeutiii.
Explication (16 fois 107 = 1712 ^ 51 = 1763).
N" 395. — P-rce qu'elle est uoique (tunique. 1
Adre
C'idom, pour les Jtujc et Rtcrmtions. à M. G. UauHn, à Billaticourt (fifine).
Ah! le beau iniiicl ! Va-t'en, vilain cliii
/&'-^'
\'ilaiii sale
CHIEN ET C H AT
BI1}LI0GUAPIIIK
La C.iininiis>icin impériale du Japon à l'Ex-
p.i^ition de 1900 vient do publier un ouvrage,
1 Histoire de l'Art du Japon, qui est un véri-
table monument élevé à la gloire de l'Empire
du soleil levant. On sait l'impression profonde
causée par les objets d'art ancien du pavillon
impérial japonais au Trncadéro; on se sou-
vient des merveilles de l'art contemporain
japonais exposées aux Invalides et au Champ
de Mars. Voici que ce volume donne à ce
triomplie une consécration ollicielle. avec une
ma^''niiicence vi>lontiers déconcertante.
.\vec une courtoisie de grand seigneur,
M. Tadamasa Hayashi, commissaire général
du Japon à l'Exposition, le présente aux lec-
teurs, c'est-à-dire aux personnes à qui l'ou-
vrage est olVert, car il n'est point vendu. Dans
une revue rapide, il constate la spontanéité
avec laquelle le tempérament national s'est
révélé, en art, dés les origines. Les influences
extérieures ne l'ont pas entamé. Il termine en
disant : " Ce qu'il me suffit, à moi. d'indiquer,
c'est la conclusion bien nette qui se dégage
de l'étude de ces formes d'art et des particu-
larités par lesquelles chacun se signale : tout
y est japonais, n
Dans une autre préface. M. le baron Riyuitci
Kouki, directeur général du Musée impérial,
entonne le chant d'amour de cet " admirable
pays où le poétique et le pittoresque se com-
binent dans une mesure parfaite ". II pro-
met, pour plus tard, une encyclopédie des arts
orientaux qui renfermera l'histoire même de
l'Orient. " 'î'résor d'art du monde oriental, le
Japon est le seul dont on puisse attendre ce
magistral ouvrage. Seul, il en a dans ses mains
tous les éléments réunis. Seul, il l'accomplira. >
Et quand on a suivi le développement de
l'ouvrage, quand on considère les chefs-d'œuvre
que vous en montrent les planches, dès le
m» siècle avant J.-C on trouve légitime la
fierté d'un pareil langage. Entrer dans le dé-
tail de cette histoire artistique, relever les
beautés d'une exécution graphique pour la-
quelle rien n'a été épargné, relèverait encore
l'elfet général; mais il se résume par un mot ;
la splendeur.
Hier, nous parlions des ouvrages de la Fin-
lande, de la Russie, de l'Allemagne ; aujour-
d'hui, c'est le Japon, d'une allure plus magis-
trale encore. Et nous? Quelle figure eut fait
un ouvrage de cette nature si le (iouverne-
ment y eut songé pour l'Exposition?
Bien que la Gaule fût encore barbare quand
le Japon artistique existait depuis longtemps,
l'art français ne craint point de rivaux, ni en
Orient, ni ailleurs. Mais nous pensons bien à
celai Et quelle est. hélas I la plume française
qui pourrait écrire ce que nous lisons encore
dans ce noble ouvrage : " Nous qui naissons
sur ce sol. nous qui formons le peuple étroi-
tement uni de cet empire... •> De semblables
paroles ont été prononcées presque par tous
les peuples qui sont venus chez nous l'an der-
nier. — Et si ces réflexions font naitre chez
nous quelques volontés, ce ne sera pas de
s'aimer les uns les autres, mais d'accroitre la
violence des divisions intestines. X'est-ce pas
d'une infinie tristesse?
M. .K. Degrand. ronsul de France à Philip-
popoli, vient de publier, à la librairie W'elter,
d'intéressants Souvenirs de la haute Albanie.
C'est une contrée sans chemins de fer et sans
routes: sa capitale. Sculari, n'est qu'à une
trentaine de kilomètres de la mer et son accès
est plus que difficile. La population, catho-
lique et musulmane, est figée dans une immo-
bilité ennemie de tous progrès. La Turquie,
qui se sert des .\lbanais pour garder sa fron-
tière, ne leur demande pas d'impôts et leur
laisse une autonomie très indépendante. Le
fusil est la loi unique de l'.Mbanais et la ven-
detta sa principale occupation. En somme,
population et pays peu attirants et point
visités, .\ussi est-on heureux de pouvoir se
renseigner par un ouvrage aussi bien docu-
menté et illustré de clichés photographiques
pris sur place, qui n'ont pas dû s'obtenir
facilement !
L'Association française pour l'avancement
des sciences a offert aux membres du congrès
tenu à Paris, en août 1900. un Tableau de
l'enseignement supérieur à Paris. Cet ou-
vrage est éminemment suggestif. La Société
se défend de n'avoir pas pu lui donner une
ampleur de plusieurs volumes, faute de temps
et de crédit, et c'est fort heureux qu'elle
n'ait pas pu le faire. Ces gros volumes au
raient pu rester sans être coupés, alors que
celui-ci mérite d'être lu, et le sera. Il est
d'ailleurs fort complet, car il traite de plus
de soixante établissements. De quelle confu-
sion est-on saisi en voyant qu'on ignore ce
qui devrait être dé connaissance familière, et
de quelle émotion aussi, devant ce défilé
vraiment auguste d'institutions qui fonction-
nent pour le développement et la glorifica-
tion de tout ce qui est utile et noble 1 Là
sont, pourrait-on dire, les sources de la gran-
deur de la France.
Dans une de ses plus jolies chansons. Gus-
tave Xadaud déplorait qu'on put mourir sans
voir Carcassonne. Si la Cité oITre des aspects
différents de ceux de Naples, qu'il faut aussi
voir dans sa vie. elle n'en est pas moins d'un
incomparable attrait.
M. Gaston Jourdanne en a publié un Guide
qui est en même temps une histoire. Son
érudition profonde pénètre dans les moindres
détails et ne laisse aucun problème sans so-
lution. Il rend justice à l'incomparable maî-
trise de la restauration dirigée par Viollet-
le-Duc et qui honore les gouvernements qui
l'ont poursuivie de 1x52 jusqu'à nos jours. Il
reste encore peu à faire pour la compléter, et
ce livre intéressant et utile aura aussi pour
mérite de hâter sans doute l'achèvement de
la conservation de cette merveille de la
France.
M. A. Ferct a réuni en un volume diverses
études sur l'Hygiène scolaire et sur des ques-
tions d'hygiène générale. Ses observations
sont appuyées sur la pratique et elles se tra-
duisent par des modèles d'instruments pra-
tiques. C'est donc mettre les |>rincipes en
action et c'est faire une chose très louable.
liiiii.ioc.liA l'ii ii:
Le Roman de Tristau et Iseult, de k'fc'cnclc
celte, avait ctë chanté par de nombreux
poètes du xii" siècle a\ant de l'être par
^\'a;;ncr. lîicn qu'il appartint i celte littéra-
ture du monde dont parle Gietlie, la mau-
vaise fortune avait l'ait disparaître plusieurs
de ces poèmes et laissé seulement des frag-
ments incomplets de plusieurs autres. Avec
une érudition et un sentiment poétique, que
M. Gaston l'Aris loue justement dans sa pré-
face, M. Joseph Bédier a traduit le fragment
le plus important, celui de Bcroul, y a ajouté,
dans le même style, un coinniencemeni, une
suite et une fin, et a reconstitué ainsi un
poème complet.
M.M. Piazza et O» avaient déjà donné à ce
cantique d'amour une superbe illustration
pai' Hobert Engels; ils en publient aujour-
d'hui le te.xte seul, chez Sevin et Rey, dans
un coquet petit volume. Le ])oèmc. dit le
chanteur, est écrit pour ceu.\ qui aiment: ils
y ti-ouveront en effet de grandes joies.
Dans le Mystère de la Chauve-souris, chez
llachctti-, un récit dramaliquc, mouvementé,
lilein d'épisoïk-s surprenants et de péripéties
inallruducs, Gustave Toudouze nous conte
l'histoire extrcmenu'nt amusante et passion-
uaiile d'une conspiration paraJlèle à celle de
GeiMi;i-s Cudoudal et qui faillit bouleverser
le liretagne en ISOl, tandis que le célèbre
conspirateur tentait à Paris son coup de main
si audacieux contre le Premier Consul.
(>'cst dans un pays étudié sur place par l'au-
teur, tour à tour à Brest, à Camaret et à Ker-
loc'h, dans la presqu'île de Grozon, dans les
gorges sauvages, les landes et les marais com-
pris entre les Montagnes-Noires et les Monts
d'Arrée, que se passent les scènes tragiques
du Mystère de la Chauve-souris, dont le dé-
nouement a lieu au gnulTre du Voroc'h, près
de la Puinli-d.s-Pois, entre le Toulinguet et
le Uaz-de Sein, dans les falaises à pic que bat-
tent les lames énormes de l'Atlantique.
Nos lecteurs qui ont gardé le souvenir des
Chiennes des Ténèbres retrouveront avec
plaisir, dans un volume de la librairie Pion,
le beau roman du même auteur. Il manque
un terme pour bien désigner cet ouvrage.
Ce n'est pas un roman, caria chanson d'amoui'
y est voilée. Ce n'est pas un poème, bien
que sa prose ait des ailes. Ce n'est pas un
tj-aité de philosophie, car il y entre trop de
grûee. Est-ce dire que ce n'est rien de tout
cela? C'est au contraire tout cela ensemble.
Nous ne pouvons signaler ici les nombreu.v
volumes qui paraissent à l'usage de la jeu-
nesse ou des jeunes filles. Ils sont trop. Le
plus souvent aussi leur intérêt est mince.
.\ussi sommes-nous heureux de faire excep-
tion pour Rêve et Réalité, jiar M'"» Marie
Thierrv, édité dans la liibliotliècpie bleue de
l'aillar'l, û Abbeville. l.e senlinienl, la délica-
tesse et le style eu l'cjut une lecture tout à
fait agréable.
Ce n'est point pour les jeimes fdles (pie
Willy a publié, chez Ullendorlf. Claudine à
l'Ecole; ce n'est pas non plus pour certains
vieux messieurs, car la petite reste fleur,
quoique flcin- de vice. IC-l-i-e vraiment tout
cela qu'on apprend dans nos écoles ? La chose
est si lesteracnl écrite, avec un tel caractère
de chose vue, qu'on le croirait. Mais l'auteur
a tant de talent qu'il se monte le coup à lui-
nu'me, heureusement pour la morale et les
familles.
M. Adolphe Itibaux. bien connu des lecteurs
du Monde mndernc. donne, chez Berthoud et
chez l'isehbaclier, un nouveau volume de nou-
velles. Son titre. Rose sans épines, est tout
à fait appioprié aux écrits délicats de l'au-
teur. Ils embaument frais : ils n'ont point
d'acide. On peut se donnera eux sans crainte
d'être piqué, et c'est une sécurité rare aujour-
d'hui de goûter un plaisir sans amertume.
L'émotion y est douce et il faut prendre ici
l'eau de rose dans le bon sens, comme le par-
fum essentiel de tout arôme.
M"« Jean Pommerol, qui a vécu longtemps
au milieu d'elles, étudie chez Flammarion les
Sahariennes, celles entre Laghouat et In-
Salah, car il parait qu'elles varient d'un point
à un autre. Minces variétés de détail, car le
fond est le même, celui d'une absolue nullité.
Par politesse féminine, l'auteur leur est plutôt
indulgente: mais elle ne peut cacher ce qui
éclate. Ce qui se cache sous le burnous de
l'Arabe et le voile du Touareg, c'est la cruauté
et l'égo'isme, et les femmes de ces tyrans
demeurent de stupides esclaves. L'Islam est
destructeur de toute beauté, celle des choses
comme celle des âmes et, s'il se déroule sou-
vent dans des décors magiques, c'est qu'il
n'a pas pu détruire la Naluie elle-même. Ce
volume, tin, délicat et curieusement illustré,
ne prête point à ces anathèmes; mais nous ne
pouvons pas parler de tout ce qui découle de
Mahomet sans entrer dans une sainte colère.
M. Fernand-Lafargue publie dans la petite
bibliothèque A 0 fr. 60 de Flammarion les
Ciseaux d'or, drame passionné où l'action se
précipite lapide, mais pas trop cependant,
pour pouvoir laisser goûter toute la subtile
pénétration du style.
Malgré ses peintures de famine du dernier
voyage de Loti, et peut-être à cause d'elles,
l'Inde attire le voyageur comme une contrée
mystérieuse que cent récits n'ont pas dévoilée.
Des agences y ont cependant organisé des
excursions, mais c'est à l'aventure que l'on
voudrait s'y perdre. Pour ceux qui préparent
ce voyage, pour ceux plus nombreux qui ne
le feront .jamais que dans leur fauteuil,
M. Eugène Gallois vient de publier à la Société
d'édition son récent parcours A travers les
Indes, qui satisfera bien des curiosités. Ce ne
sont point des notes de carnei qui ont tou-
jours l'inconvénient d'émaner d'un état d'Ame
personnel et passager, mais une étude d'en-
semble, documentée et sereine.
C'est un mérite devenu rare dans les récils
modernes des voyages d'amateurs, et cet ou-
vrage mérite d'être particulièrement signalé.
A Tours, M. Joiion publie l'édition de IMI
de son Almanach agricole et viiicole illustré
tiù d'hiunnristiques caricatures rendent amu-
sant l'enseignement de vérités utiles et ilonne,
avec une exploitation rurale par le métayage,
un véintable cours d'agriculture |>ralique.
L'Éditeur- Gérant : A. Q(;antin.
Le
Mo n de Mo de t u c
Mars 1901
LA li:tïre
1
Le pi're lîoutcau — le \'ieux Noël —
un paysan poitevin dur aux siens, dur
à soi-même, avait acquis de l'aisance
dans la maiiirestation d'un labeur inces-
sant. Sa l'emnio — les méchantes lauf^^ues
en témoignaient, du moins — était
morte, jeune encore, de l'usure qu'il lui
avait imposée. Il était resté avec un fils
unique, Martial, âpre à besogner sans
trêve, jusqu'au jour où une attaque avait
mis à l'agonie ses virilités. Le fils avait
continué à travailler le sol, en pensant,
parfois, qu'en la maison déjà jurande, le
départ (le la mère avait creusé un vide.
Dans un besoin de tendresses imprécises,
ses yeu.\ s'étaient posés sur la Norine,
une orpheline, point paresseuse au mé-
tier des champs, que des parents pauvres
avaient adoptée, par pitié, et dont la
mélancolie impressionnait son caractère
ombrageux, qu'avait toujours dominé
la volonté paternelle. Il s'était ouvert
de ses sentiments à la jeune fille : celle-ci
l'avait accueilli, et une alïeclion spon-
tanée avait réuni ces deux êtres.
Lorsque Martial confia son espérance
à son père, lui avouant qu'il avait dis-
tingué, parmi les filles du pays, la No-
rine Gaudin. la nièce des métayers de
la derme, et qu'il voulait l'épouser, une
grimace fusa, silencieuse, sur les lèvres
du vieux. Oubliant qu'une paralysie ])ar-
tielle le rivait à son lit depuis de longs
mois, il tenta d'agiter son corps si ro-
buste naguère, en lequel, maintenant,
la vie habitait à regret; mais, les cils
humides, il eut la nette sensation d une
irrémédiable ruine et, seule, sa bouche
accusa de brèves convulsions. Le fîls,
respectueux et craintif, demeurait muet
devant ce vieillard dont l'existence
avait été une constante rançon à la terre
et qui, épuisé, achevait des jours misé-
rables, alors qu il a\ait tant souhaité do
tomber, face au soleil, parmi les épis
mûrs, dans le linceul blond des rudes
métives.
Le vieux, enfin, parla :
— Tu veux t niarier avec la Norine,
toi, Martial?... A-t-elle seul'ment des
terres, c'te champise? Nenni, mon gars.
Eh ben, dis-lui qu pour avoir l'Iieu au
père Noël, faut qu'al'montre au moins
mille écus dans sa d'vantière !
Le fils, timidement, protesta :
— La Norine n'est pas riche, c'est
vrai, père, mais c'est une honnête fille.
L'ne imprécation jaillit des lèvres du
vieux.
— \'a-t'en!... \a-t'en, hurla-l-il,
puisque tu veux m'faire mouri 1
El son bras gauche, tendu vers la
porte, eut un geste de malédiction.
Habitué à subir, sans les discuter, les
décisions de son père, Martial quitta
machinalement la ferme. Il n'osait
s'élever contre la contusion brutale qui
lui était olTerle, acceptait, sans révolte
apparente, l'intime douleur infligée à
son espoir, et, titubant comme sous
l'impulsion d'une soudaine ivresse, il
alla en sa grange, cacher sa muette déso-
lation. Là, il s'assit sur une augière; un
de ses bœufs souffla, de son gros mufle
rose, une buée à sa main; la tiède ha-
leine qui le frôlait lui procura une sen-
sation très douce. .Mais un sanglot ob-
strua sa gorge : il pleura comme au
temps où la voix autoritaire de son père
troublait son âme d'enfant d'un invin-
cible efîroi...
Plus forte t|ue Martial, la Norine, en
apprenant le refus du \ ieux Noël, eut,
aux yeux, une flamme singulière. Les
paroles du fermier de l'.^irette cin-
glaient sa chair, provoquaient son
énergie. Elle apaisa les lamentations de
son ami et demanda, un peu paie :
LA LKTTIli;
l'ii ni'iiiniej. assez, piis vrai, Mar-
tial, pour m al tendre?
I.e |i.iysaii pressa la main de sa pn^-
inise.
Je t attendrai, assura-l-il, autant
i|ue In voudras.
— Eh bien, déclara siniplenienl la
brave fille, nous allons nous séparer...
nous dire adieu...
-Martial eut nn éblouis>emcnt. une
sorte de passager vcrlifje.
- Comprends-moi. continua la No-
rinc. I.e père veut que j aie mille écus
pour (]ue tu m'épouses; il ne l'aul pas
conliarier les vienv dans leurs désirs,
■levais te (|uiller... (In gagjne. dit-on,
beaucou]) d'arfjenl à la ville... .\près-
demain, je serai à Paris.
Kt, dans un sourire, selTorçanl à dis-
simuler ses pleurs, elle acheva vite,
craignant de faiblir :
— Allons. Martial, cmbrassc-moi...
.le reviendrai au pays, moi aussi, après
l'oi-tune faite.
I,a pauvre petite — la •■ champise •■,
suivant la cruelle expression du vieux
— lendit son front à l'innocente caresse
de son ami; puis, pour ne pas défaillir
devant la vision des êtres et des choses
qu'elle chérissait et c(u'ellc allait fuir,
elle se dirigea vers la métairie de la
(îernie.
I)es années s écoulèrent. La Norino,
en place à Paris, écrivait régulièrement
au\ siens, aux Gaudin, ainsi qu'à celui
(lu'ellc considérait conmie son fiancé,
à Martial Houtean. le fils respectueux
«lu |)aralysé de l.Airelte. Chacune de
ses lettres pansait la blessure de Mar-
tial, la touchait comme d'un baume
prestigieux qui cicatrisait la plaie de
son cœur, faisait, en lui, revivre le
rêve dont il achevait, ainsi, la naï\ e et
délicieuse ébauche.
.\vanl amassé j)lus des mille écus
exigés jiar le vieux ÎS'oël, en échange
d'un consentement à une union cpie son
avarice n'avait (loint entie\ ne, la Norine
résolut de surprendre Martial .b>lle(|uitta
l'aris. sans annoncer son arri\ée, ni h
la (Jerme, ni à r.Airetle, débarqua h
Poitiers, prit, à l'hôtel des Trois-Piliers,
la patache de (lenvay, qu'elle aban-
donna pour la voilure d'I'sson — ternie
de son voyage en chemin de fer ou en
diligence. De là, bravemcnl, sans s'at-
tarder en ce bourg où elle était connue
el où son retour faisait jaser déjà, efle
s'engagea sur la route de Saint-Marlin-
1 .Ars, petit village non loin duquel se
dessinait, en bordure du Hijjousson, la
pittores<|ue aggloméi-ation de la {jerme.
I,a Norine marchait gaiement, se ré-
jouissant d avance de l'émoi que cause-
rait son apparition imprévue, du trouble
que sa présence ferait naître en Martial.
Le paysage lui devenait familier : elle
saluait d'un regard heureux — ainsi que
de vieilles connaissances — les champs,
les bois, les ariires isolés — ces senti-
nelles de la j)laine — et une douceur
endormait sa pensée, en laquelle de
timides souvenirs se levaient. C'était la
fugitive vision de tout ce qui avait tra-
versé sa vie, à la Germe, après la mort
de ses parents, de tout ce qu'elle avait
laissé pour un exil volontaire et qu'elle
allait retrouver, enfin. .Aux colères de la
truie l''anchon, mauvaise aux «' biques "
(piaïKl elle allaitait, se mêlaient, en sa
mémoire, les suggestifs ronrons de sa
chafte Maïnctle. les aboyantes effusions
de Rigolo, le labri élique (prdle réga-
lait de croûtes de pain, dans les bruyères
où pacageaient ses bêles. Klle revoyait
les brebis chargées de laine, dodues,
él)ourifrées; les chèvres aux barbiches
tremblantes de vieux soldats; les va-
ches aux pis gonllés comme des outres
rebondies; les bn-ufs coideur de feu, les
bo'ufs blonds, les bicufs rouges dont les
longues (|ueues em|)anachées fouettaient
les larges flancs; elle revoyait Mar-
golon, sa bourrique poilue et. par la
basse-cour, les co(|s éperonnés, casipiés
de pourpre ; les poules picoreuses; les
dindons orgueilleux, le jabot lourd de
la dernière glandée : les oies grasses,
graves et dignes. ra|>pliquant des
chanq)s, en lilo indienne; les canards
I.A LETTIU;
déhanchés, barbolteurs... Klle jierccvail
(l.ins le lointain, sous les enluminures
ilii l'répuscule, comme les voix mules
(les laboureurs regagnant les fermes, la
journée close, alors que les crapauds
[)réludent aux nuits ticdes, en des llûtes
de cristal. Et pour aviver tous ces sou-
venirs qui s'éveillaient, ainsi, en son
être, autour d'elle, un peu de brise ar-
rachait aux feuilles des murmures, de
légers frissons; derrière un treillis de
peupliers, des bœufs brun<, ornés
de cornes blondes, piquaient les prés
(le taches sombres, mouvantes ; l'œil de
feu du soleil s'atténuait, dans une lueur
uiourante, comme sous la pression de
lourdes et monstrueuses paupières, et
les sinueuses harmonieVs des bois proli-
laient de magiques dentelures sur l'ho-
rizon. C'était l'approche du soir, I heure
en laquelle le jour agonise...
La Norine s'arrêta. Elle avait traversé
le bourg de Sainl-Martin-l.Vrs sans
s'apercevoir du chemin parcouru, et,
maintenant, de\ant le cimetière de la
commune, elle hésitait à continuer sa
route. Ne devail-elle pas une prière aux
morts, avant d'embrasser les vivants
qu'elle aimait? D'autres souvenirs
encore montaient en elle, infiniment
confus et, peut-être, plus tristement
charmeurs, car ils la reportaient loin,
bien loin, à sa prime jeunesse. Son
père, sa mère reposaient là, couchés
c('>le à cote, sous celte terre bénie qui
sollicitait sa ferveur. Timidement, elle
poussa la porte du cimetière, avan(,"a, le
cieur étreint, la dévotion en l'âme, dans
l'humble recueillement des na'il's peut-
être, mais des honnêtes, à coup sûr, qui
savent honorer les morts.
Sur la chère sépulture de ses parents,
la Norine s'inclina, émue; elle s'age-
nouilla. Vers Dieu, ses lèvres égrenèrent
une lente invocation. Son regard alla à
d'autres tombes voisines. La croix de
l'une d elles, fraîchement peinte, tachetée
de grands pleurs d'argent, retint son
attention. Soudain, un éblouissement
voila ses yeux et elle chancela. In cri
monta de sa poitrine, douloureux, hor-
rible, qui se brisa — tel un râle —
en sa gorge sèche. Elle se redressa, ha-
letante, clouée au sol, les veines bat-
tantes, le cou tondu, hypnotisée par les
larmes blanches qui, sur la croix sombre,
semblaient danser magiquement ; puis,
sans un mot, elle s'écroula. Et sous le
plaintif bruissement des cyprès, sous les
genêts ([ui pleuraient sur son corps des
pétales jaunes, la Norine, abandonnée,
demeura, inerte, sur la terre...
Il
Comme de grand matin, le fossoyeur,
le lendemain, s'employait à creuser une
tombe, il entendit des gémissements.
Quoi(|ue habitué à vivre avec les morts,
en lui se leva une inquiétude ; en proie
à une sorte d effroi superstitieux, il se
signa et gagna lentement, presque avec
crainte, l'endroit où la Norine, glacée,
était étendue. Dans sa surprise, il ne
I reconnut pas, tout d'abord, la pauvre
[ fille; mais, plus calme, il se souvint, el
les traits de la malheureuse aidèrent à
son esprit. 11 se rappela (pielle alfcction,
naguère, unissait la Norine au fils du
vieux Noël ; ses yeux se posèrent sur la
croix neuve qui semblait, de ses bras
éployés, proléger la moribonde, et,
ayant lu — épelé, plutôt — les mots
que la croix portail : — Ici repose le
corps de Martial Bouleau — un frisson
l'enveloppa, il comprit l'horreur de cette
révélation, tout le drame poignant i|iii
avait couché, là, la Norine.
On transporta la jeune fille, à moitié
morte, à la Germe, chez les Gaudin,
étonnés de l'imprévu de cette catas-
trophe. Durant de longs jours, une
fièvre maligne travailla la Norine, et un
délire elfrayant l'agita. .XLiis, suivant le
dicton des bonnes gens, elle avait l'âme
chevillée au corps : elle guérit, alors
qu'on la croyait plus près de la tombe.
Lorsqu'elle fui assez forte pour sup-
porter le i-écil d'événements qui l'inté-
ressaient, elle apprit, de la bouche de
LA LEÏTHE
ses parents, que l;i mori de son promis
iivait élé entourée de circonstances mys-
térieuses et dramatiques. Un soir, il y
avait de cela liuil jours à peine, un bû-
ciieron, en revenant de son travail, avait
découvert Martial Houteau étendu, sans
\ie, dans une futaie du bois des Fouil-
larges, parmi la dentelle fripée d'une
bande de fougères rousses, la tèle fra-
cassée par une charf^c de chevrotines à
tuer un loup, son fusil à ses côtés. Dans
l'une de ses poches, un papier révélait
les causes de ce tragique suicide : une
lettre anonyme sur la Norine lui était
parvenue, et son chagrin avait été si
violent qu'il n'avait pu y survivre.
<Juant à ce que contenait cetle lettre,
nul, sauf son auteur, ne le savait; on
n'avait pu, eu ellet, la retrouver; avant
<raccomplir son acte de désespoir, l'in-
l'ortuné l'avait évidemment détruite.
Cependant, l'opinion des fortes têtes
du pays était que cette lettre devait
être dirigée contre la réputation de sa
fiancée; et, tout en blâmant celui qui
avait procuré à Martial Bouteau une
peine aussi brutale, une soulfrance aussi
aiguë, depuis cet événement on consi-
«lérait la Norine ccminie une lillc perdue,
comme une i' rien du tout ■.
Devant ces conlidences qui l'attei-
gnaient dans son ^honneur, devant la
honte qui lui était infligée, la Norine
n'eut pas une révolte. Simplement, sa
pensée s'en fut k Martial, et elle pleura
toutes les larmes de son corps, — Comme
celui-là l'aimait 1 - \'ainrue dans son
être physique et moral, elle ne protesta
pas contre la llétrissure qui souillait
son honnêteté, qui la marquait d'une
tare. Il semblait que sa volonté fût dé-
funte, qu'elle s'en fût allée rejoindre
son bonhem-, qu'il ne restât plus rien
de sa belle énergie. Sans phrases, sans
paroles vaines, elle se justilia auprès de
ses jiarents des biuils mnUcillanls dont
elle était la victime, et reprit sa vie
monotone d'autrefois à la (îerme.
I']n se donnant la mort, Martial axait
inoiilré qu'il aimait iMicorc la Nnrine,
puisque, dans le papier qu'il laissait,
sa dernière pensée avait été pour la
jeune fille - — et cette pensée, loin de se
fixer en malédictions, s'était plutôt tra-
duite en l'ultime consécration d'un
amour dévu, mais indestructible. En
mourant, alors que son être avait déjà
ressenti la suprême brisure, il avait
légué à la Norine une belle génisse; et
le vieux Noël, toujours paralvsé, avait
permis — si avare, pourtant — qu'on
respectât la volonté de son lils. Le jour
même de l'enterrement de Martial, la
jeune vache avait élé conduite à la
Germe, où elle devait attendre le retour
de celle à qui elle était destinée. Or, il
s'était trouvé des commères jxiur insi-
nuer que, par ce don, Martial avait
voulu laisser un éternel remords à la
Norine, placer sous ses yeux, ainsi
qu'un impitoyable reproche, le rap|iel
de sa trahison.
Maintenant, la Norine ne vivait plus,
à la derme — en dehors des Gandin —
(|ue dans la société des bêtes. Sa native
mélancolie s'était accrue, depuis le
malheur qui l'avait atteinte. Elle par-
lait peu, caressait à |)einc Uigolo, le
chien fidèle que déconcertait cetle
farouche prostration. Elle réservait ses
paroles pour la génisse de Martial, vers
laquelle se portait toute son alleclion,
et c|n'elle avait baptisée Jaunette, à
cause de sa robe d'une chaude couleur
de noix dorée. Par les prairies de la
Germe, que traversait, à l'ombre de ro-
seaux armés do (juenouilles, la mince
traîne d'argent du Ripousson, elle s'ou-
bliait, le regard atone, à la recherche
d'une espérance, d'un rêve évanouis,
sans jamais, dans le vol vagabond de sa
pensée, retrouver la jiaix de l'âme, la
minute consolatrice. Ainsi isolée, son-
geant à celui qui était parti sans la
mavulii-e, malgré la calomnie qui avait
supplicié son cieur, sous des pleurs
silencieux, son visage gardait une im-
muable tristesse.
("epemlant, un rovirenienl ^'opérait,
chez les terriens, en sa faveur : on res-
LA I.KTTIiE
|)eclait sa peine el nul ne s'avisait tl'cn
suspecter la muette sincérité. On croyait
à sa répulntion intacte: des renseigne-
ments étaient venus de Paris, à ce sujet,
au maire de la commune; ils émanaient
des maîtres de la IS'orine, qui se por-
taient garants de sa conduite ; et tous,
il présent, flétrissaient l'acte odieux qui,
ayant tué Martial Bouleau, avait voué
sa fiancée à un éternel martyre.
Dans celte réhabilitation c(ui montait
vers elle, sans qu elle l'eût sollicitée, la
Norine, comme si la condamnation dont
le monde l'avait frappée la louchait
plus intimement qu'ellene l'avait montré
— la N'orine parut renaître, retrouver
sa lierté, se raccrocher à l'existence. Il
semblait qu'un besoin — le besoin inné
qu'ont tous les êtres de vivre même
exposés à de la soulFrance — la ratta-
chât sinon aux joies, du moins aux es-
poirs d'ici-bas. — Un ne meurt pas
d'amour, assurait-on autour d'elle, et
un brave garçon se présenterait qui sau-
rait, un jour, créer de nouvelles sen-
sations dans le cœur de l'éplorée.
Oji disait vrai ; ce « brave garçon »,
déjà, était désigné, à la ronde. Il se
nommait François Uamuche; plus vieux
de cinq années que la Xorine, il n'était
jtas trop mal tourné de sa personne et
jouissait de l'estime générale. Il n'ap-
partenait pas précisément à la contrée.
Meunier sur les bords de la Vienne,
vers risle-Jourdain, son métier l'appe-
lait du côté de la Germe, pour prendre,
chez les métayers et les fermiers, le
blé à moudre et rendre les farines.
Depuis longtemps, il parcourait la com-
mune de Saint-Martin-lArs et, depuis
longtemps aussi, il avait remarqué la
nièce des Gandin ; il la savait fiancée
à Martial Bouleau, en dépit de l'oppo-
sition formulée par le vieux Noël, et il
s'était abstenu d'une avance quelconque.
Après la mort de Martial, il avait,
tout en observant une extrême réserve,
montré, auprès de la Norine, plus d'em-
pressement. Il était venu à la Germe
plus souvent peut-être que ne l'y appe-
laient ses occupations, sans oser, tou-
tefois, confier à la jeune fille la cause
de sa sollicitude. Moins aveugles que
la N'orine, les gens s'étaient vite aperçus
du manège du beau meunier : comme
il était travailleur et honnête, chacun
s'était réjoui de ses assiduités, avait
formé des vœux pour que la nièce des
métayers de la Germe ne fût |>as insen-
sible à ses recherches.
Kncouragé |)ar les Gandin, satisfaits
et flattés de 1 intérêt qu'il portait à leur
nièce, François Ramuche s'enhardit,
parla à la Norine. Ce fut |)ar un après-
midi de printemps comme en rêvent les
amoureux : il revenait de courir les
fermes et les villages et regagnait les
bords de la ^'ienne avec un chargement
de sacs de blé. La Norine, aux champs
dans une lande voisine, dissimulait sa
tristesse derrière un haut buisson, ses
chèvres, ses brebis disséminées sous
l'œil vigilant de Rigolo, parmi les herbes
folles et les bruyères rases, ayant, toute
proche, la Jaunette, muette confidente
de son chagrin. Le meunier l'avait
aperçue et, garant sa charrette sur l'ac-
cotement du chemin, tapotant l'enco-
lure de sa mule, l'exhortant à patienter,
un peu ému, il s'était dirigé vers la
jeune fille. Celle-ci, indilférente à ce
qui ne se rattachait point à son bonheur
enfui, l'avait, cependant, accueilli avec
bonté. Mais, dès qu'il avait tenté de
dévoiler ses sentiments, d'ébaucher une
confidence, la Norine, réfugiée dans sa
peine, avait opposé à son aveu un ho-
chement de tête significatif, un mélan-
colique sourire. Doucement, tristement,
elle avait fait comprendre au jeune
homme qu'elle ne pouvait accepter son
hommage, en raison du deuil qui était
en son être. Et, devant les paroles de
la Norine, le meunier, silencieux et un
peu pâle, avait rejoint la route, tiré
machinalement la bride de sa mule qui.
en parlant, avait, dans un joyeux ca-
rillon de ses sonnailles, jeté comme un
déti aux illusions de son maître.
Sur le conseil des métayers de la
I.A I.KTTlii:
(ienue, le Jcuik' meuniiT rciiouvcln,
tiiuidemeiil, s;i leuliilivc tl, Ijien que ce
nouvel essai de rappi-ochement lût aussi
stérile, il ne se découragea point. Il
avait dans les (iaudin de précieux auxi-
liaires c|ui s employaient, de leur mieux,
à lui concilier les l'aveuns de leur niccc
qu'avant tout ils désiraient heureuse et,
eux disparus, snutenue dans la \ic.
L nique héritier des meuniers du liemi-
geoux — les vieux Ranmche, incapables
de contrarier le choix de leur lils —
François était, pour la jeune lillc, orphe-
line et pauvre, un parti enviable. Obsti-
nément, la Norine se refusait à entendre
toute explication à cet égard, écartait
d'elle, constamment, les déclarations
que François tentait vainement d'exiiri-
mer. Alors, en sa désolation, une idée
vint au jeune homme, qui s'entêtait
dans un amour que les siens, inquiets,
prévoyaient sans issue : pour essayer
de vaincre les résistances de la Norine,
il imagina de lui écrire, de' confier au
papier ce qu'il ne parvenait |îa>, de
vive voix, à lui exposer.
Pressentis, les métayeis de la (jerme
appi'ouvèrent cet inoflénsif stratagème
cl, grâce à leur indulgente complicité,
chaque semaine, bientôt, une lettre de
François Hamuche passa sous les yeux
de la Norine. Les premières missives
demeurèrent intactes, comme si la jeune
tille en soupçonnait l'origine; puis, un
jour, elle parcourut, distraitement, une
de ces lettres et, peu à peu, se surprit
à les lires toutes, à en relire, même, les
phrases na'ivement enjôleuses qui s'adres-
saient à son cour. Sans qu'elle pût en
définir exactement la raison, cette cor-
respondance lui devint une impérieuse
nécessité; elle s'émut aux respectueuses
tendresses de François Ramuche, se
laissa persuader que la peine que le
Destin lui avait infligée ne [)ouvait être
éternelle, et, découvrant en celui (jui
l'obsédait ainsi des sentiments géné-
reux, elle se |)lut en sa compagnie, |)arut
renaître, croire encore aux douceurs de
la vie, aux papillons cl aux fleurs.
Devant celle métamoi-phnsc, Fran-
çoiséprouva unejoieinlinie; un bonheur
plus grand lui était ré.servé : forte du
consentement des Gaudin, la jeune fille
l'autorisa à venir aussi souvent qu'il le
voudrait à la Germe. N'était-ce pas là
un encouragement, un espoir offerts à
la réalisation de ses plus chers désirs?
1mi une sorte d'examen de conscience,
la .Norine, avant de prendre cette dé-
cision, s'était longuement interi-ogée :
ramenée aux serments échangés avec
Martial Bouleau, à sa mort tragique,
elle avait hésité dans sa détermination ;
les représ(>n talions affectueuses des
Gaudin avaient achevé de la convaincre
{|u'elle ne trahissait pas son ancienne
sympathie, en acceptant, dans l'isole-
ment f|u'élail le sien, un compagnon
sur (jui se rejjoser. Ce jour-là, mettant
sa main dans celle du jeune meunier,
elle avait déclaré :
— Je serai votre femme, François,
puis(jiie vous le désirez... nousTîous ma-
rierons aux prochaines Pà(|ues.
Bientôt rendue officielle, cette pro-
messe de la Noi-ine courut le pays, et
tout le monde, comme pour rachetei-
l'erreur du jiassé, effacer la faute accu-
satrice, se félicita, dans un sentiment
où l'égoisme entrait peut-être pour
quelque chose, de la sage conclusion
que la jeune fille donnait à son toui'-
ment. Les femmes glorifièrent Bamuche;
les jeunes gars envièrent sa chance.
Donc, les Pà(|ues vinrent. \'À les noces
se firent simplement, ainsi (|ue lavait
souhaité la Norine. Le rejias du soir
réimit à la (jcrnie les parents des deux
époux, les témoins, quel(]ues intimes.
Puis, dans la nuit, sous le regard i-ieur
des étoiles, le meunier, sans s'inquiétei-
des vieux, enleva sa femme, avec la
hâte fiévreuse que mettrait un avare à
emporter un trésor. Il avait, pour celli-
circiMistaiicc, empanaché sa mule de
pompons multicolores, de flots de ru-
bans capricieux, indisciplinés dans la
crinière bi'une, repeint son char à bancs,
et, l'd'il .illcndri, abaissé sur sa cnm-
l.A l.liTTHK
pagne, de la mèche de son fouet, il
taquinait sa bête, l'excitait, par la route
solitaire en cette heure, à ne plus taire
l'éparpillement de ses grelots tapageurs.
Pressée contre Fran(,'ois, la Norine.
muette et ravie, épeurée du train d'enfer
([ue menait la mule, se faisait toute pe-
tite, heureuse de la joie de son ami.
l']lle ressentait cette joie, sans pouvoir
y répondre autrement qu'en se rap])ro-
chant davantage de celui qui la séparait
de ses parents, des êtres et des choses
de la Germe. Dans la paix mystérieuse
des bois, l'attelage fuyait comme une
vision, au galop de la mule essoufflée.
Ce fut seulement à la descente rapide
de Bourpeuil que le meunier retint
l'élan de sa bête. La Vienne, grossie des
pluies récentes, grondait en bas de la
côte, charriait, parmi de fantomatiques
I.A I.KTTIiK
roches noires, des flots douloureux. l'U
il la pensée de se trouver seule, bienlôl,
jivec François, derrièi'e les murs d'une
maison assiégée par des eaux hurleuses,
la Noriiie éprouva (\c l'anj^oisse...
III
Dans la chainhrc, sanctuaire fleuri
que la dévotion du jeune meunier avait
paré, la Norine écoutait, presque incon-
sciente, le mugissement des eaux autour
du moulin. François, discrètement,
ra.vait laissée seule ; par un sourire,
elle l'avait remercié de cette attention.
Tout le jour, la Norine, adulée, fêtée,
était, pour ainsi dire, demeurée sans
pensée, dans la griserie qui l'envelop-
pait ; aucun souvenir n'était venu la
tourmenter. Maintenant, une invincible
tristesse la pénétrait. — .\vait-elle bien
agi en épousant François Ramuche, en
répondant à son alFection par une afl"ec-
tion réciproque ?^ — N'y aurait-il pas tou-
jours entre eux, et malgré elle, l'image
d'un homme qui était mort de l'avoir
trop aimée, et l'obsession de Martial
Houteau ne s'imposerait-elle pas à son
esprit, à sa volonté? — En cet instant,
la .Norine doutait de ses forces, des
larmes perlaient à ses cils; elle souffrait.
.Autour d'elle, les meubles de vieux
noyer lui renvoyaient son image. La
.Norine sourit, flattée. La chambre avait
la mine coquette, emplie de l'acre |)ar-
fum des fleurs d'eau. — C-omme Fran-
çois l'aimait ! — Elle eut l'intuition qu'en
ce milieu, l'oubli du passé se ferait
insensiblement en son âme; son front
se rasséréna, ses joues se rosèrenl ; du
bonheur était en son être — et ce
bonheur, elle en reportait la cause à
François Ramuche, au brave garçon
qui avait su l'ari-achcr à sa peine. De-
vant un miroir placé sur la commode,
elle ôta sa coill'c enguirlandée do fleurs
d'oranger, retira le l)on(|uel agrafé à sa
ceinture et chercha un endroit où dé-
poser ces emblèmes d'épousée. Elle ou-
vrit um- armoire: des draps la gênant,
de la main, en les soulevant un peu,
elle les écarta. Des papiers apparurent;
le regard de la Norine s'y posa, curieux.
C'étaient des lettres, des brouillons de
lettres ; la jeune fille les repoussa,
hantée soudain de jalousie. — Fran-
çois avait-il donc, avant elle, écrit à
d'autres filles? Et, volontairement, l'ou-
trageait-il en laissant subsister, dans
cette maison où elle |)énélrait pour la
première fois, les traces de ses succès?
La Norine reprit les papiers, les par-
courut hâtivement, comme eût fait une
écolière redoutant d'être prise en faute.
Une lueur radieuse éclaira son visage :
en elle s'ébauchait le sentiment d'une
orgueilleuse satisfaction. Non, aucune
de ces lettres n'avait été inspirée par un
autre amour que le sien : elles disaient
toutes, en leur langage naïf, les troubles
de François, les étapes de sa passion
sincère.
Devant ces lettres, la Norine subis-
sait un chafme fascinateur, une sorte
d'extase. Lu peu confuse, elle remit ces
reliques sous la pile de draps. Mais, en
glissant les jiapiers, une lettre de dimen-
sions plus grandes, d'encre plus vieille,
resta sous ses doigts, et ses yeux encore
s'acharnèrent à déchiffrer cette page.
Tout à coup, un frisson nerveux la se-
coua, ses jambes flageolèrent, une tor-
ture effroyable décomposa instantané-
ment ses traits. l'"ébrile, elle froissait
la lettre qui lui infligeait une pareille
souffrance: une <ip|)rcssion emplissait
sa poitrine de sanglots rauqnes, hoqne-
teux, sans larmes. Elle se raidit pour
ne pas s'abattre. Vn grand froid l'enva-
hissait, une défaillance contre laquelle
elle demeurait impuissante. 11 lui sembla
entendre des |)as dans l'escalier — les
pas de François, peut-être — les pas
d'un homme auquel elle appartenait,
qui avait le droit, sans doute, de venir
la reii">iudre. Frémissante, recouvrant
son énergie, elle se secoua comme une
bête acculée et, de ses lèvres blanches,
un mol jaillit ■ — un seul :
— Jamais !
Rapidement, elle ouvrit, d'un coup
sec, la croisée, se dressa, d'un bond,
sur le soubassement el, enjambant l'ap-
pui, les yeux clos, s'élança dans le vide,
ireilk',lesbras
tendus, à un
grand oiseau si-
nistre. Les eaux écunieuses
qui léchaient les murs du
moulin la reçurent, l'en-
\eloppèrent, et tout dis-
parut dans
un remous
convulsif.
Alors, un
cri qui n'a-
\ait plus rien
d humain trou-
la sérénité de
un nom jeté
aux échos — telle une
suprême plainte — monta
dans la nuit :
— Norine I
Et, dressé ainsi qu'un fantôme, Fran-
çois Ramuche, qui, du dehors, venait
d'assister, dans une immobilité de
bla
l'espace ;
LA I.IiTTlU;
spectre, à cette scène étrunge — Fniii-
çois, s'enlevant d'un élan prodigieux,
se précipita, afTolé, dans la rivière.
Lorscpie la Norine reprit ses sens —
car, au prix d'efforts inouïs, le jeune
meunier avait réussi à la ravir aux eaux
(|ui, déjà, entraînaient son corps à la
dérive — ses yeux, hagards, reconnu-
rent la chambre du moulin, et elle eut
un mouvement do frayeur. Extrême-
ment faible, elle demeura inerte sur sa
couche, incapable, sous la seule impul-
sion de sa volonté, à recouvrer ses
forces. Une femme était à son chevet,
sa tante de la (jerme; cette vue la tran-
quillisa, elle referma les paupières. Les
meules du moulin dormaient, la vanne
du bief pleurait des larmes rares, le
tambour de la grande roue à aubes,
lui-même, était silencieux : seul, le
chant sourd du déversoir troublait la
[)aix environnante. La Norine reposa.
Ni François, ni ses parents ne ])arurent
auprès d'elle. Dans le délire qui avait
précédé son assoupissement, des malé-
dictions contre le jeune meunier étaient
tombées de ses lèvres, et comme dans
la prescience d'un imaginaire danger,
e)le avait sembjé vouloir l'éloigner de
sa j)résen,ce. L'armoire, jusqu'alors gar-
dieime, sans doute, d'un fatal secret,
était close, et François, interrogé, trè^
sombre depuis la catastrophe, n'avait
pu ou n'avait point voulu fournir
d'autres explications que celles qui con-
cernaient l'incompréhensible tentative
de suicide de la jeune femme, lui de-
hors de l'acte courageux qu'il avait
accompli au péril de sa vie, il ignorait,
assurait-il, pour quel motif la Norine,
seule, en cet instant, dans la chambre,
s'était jetée à l'eau. (Tétait là, du
moins, la seule version (|u'il olViil à la
curiosité des siens, à ii'ile ilo hi uk'-
tayère de la (Jerme.
Ce fut eu vain, d'ailleurs, que la
(îaudin sollicita de sa nièce des conli-
denccs plus précises. La Norine s'en-
ferma en un mutisme absolu ; mais,
Idujoui's avec une sorte d'effroi dans le
regard, elle insista pour quitter le
moulin, pour fuir celui que la l<ji a\ ait
fait >oi\ époux et son maître. Le meu-
nier, docilement, accéda à ce désir. Son
nom seul procurait un trendjlemeiil
nerveux à la Norine. Taciturne, comme
en proie à du remords, il la laissa
partii'. sans un mol d'adieu.
— Le lemj)s arrangera cela, murmura,
en manière de consolation, la niétayèi-e
de la Germe.
La Norine eut aux yeux un éclair qui
démentait singulièrement la conclusion
de sa tante. Et, sans se retourner, elle
abandonna le moulin, comme elle eùl
fait d'un lieu néfaste et maudit.
Dans la cour, affalé sur une pierre.
François Hamuche, la tête dans ses
mains, regarjla, hébété, visité d'iine
soudaine folie, disparaître la carriole
qui emmenait la Norine; et quand le
bruit des roues, le claquement des sa-
bots du cheval se furent affaiblis,
presque éteints, des pleurs brûlèrent
sa peau, son être s'elfondra dans une
détresse inlimc...
IV
La nouvelle du retour de la .Norine à
la (îerme surprit comme un coup de
tonnerre dans un ciel serein ; l'étonne-
ment augmenta quand on sut la nature
des incidents dramatii|ues qui avaient
précédé le départ de la jeune femme —
sa fuite, plutôt, de chez. Fi-ançois Ha-
muche. Dans rini|)ossibilité où chacun
se trouvait de décliillrer cette énigme
— la Norine se refusant toujours à
parler — les gens s'évertuèrent à établir
des conjectures susceptibles de juslilier
la tragique désunion des deux époux.
Triste ainsi (|uc naguère, la Norine
demeurait im|)énélrable, ne jiarlant
presque plus aux bêtes (jui, d'ordinaire.
C(uis(ilaientsa peine, n'ayant de caresses
que |)ourla génisse de Mai-tial. .\ maintes
reprises, les Cïaudin avaient tenté de
ramener la malheureuse vers François
Hamuihc : cliaiiue fois, le visage de la
I.A I-KlTIti:
jciiiio l'emnie avait, révilr inif lello
expression de diirolé, i|tie les mé(ayers
de la Germe avaient défiiiilivemeiil re-
iKincé à l'espoir d'une réconciliation.
D'ailleurs, en présence de l'obslinalion
(le la Norine à tenir secrètes les causes
(pii. dans une révolte qu'elle ne \oulait
pas léf^itiuier, l'avaient pousçée hors du
luit (■onjuf;al, les sympathies allaient à
Fi'aiiçois Uanuiche, ouvertement plaint
(1 avfiii' cru pouvoir confier le Ixmlieur
de ses jours à une folle, car per-nnne
n'admettait qu'une femme saine d'es-
|)i-it continuât, sans motif plausible, le
rcilc qu'avait choisi la Norine.
.V la suiledesévénements qui l'axaient
surpris dans sa joie de vi\re, François
était devenu paresseux ; au rvlhme de
ses habituelles chansons, les f;raiiis ne
s'écrasaient plus sous les meules, et
accablé, dans la solitude du Hemigeoux.
il pleurait son alFcclion détruite, l^sclaxe
de la passion qui l'aiguillonnait, il ne
put, bientôt, se défendre d'allei' loder
aux environs de la (ierme. Il n'osait,
toutefois, approcher les (iaudin qui, le
sachant malheureux, étaient prêts à
l'accueillir, en dépit de la répulsion,
peul-étre injusliliéc, qu'il inspirait à leur
nièce. Malf^ré les remontrances de ses
\ ieux parents, Françoi-s déserta donc le
moulin. Dérobé dans la bordure d un
taillis ou caché par les roseaux du
liipousson, il éprouvait comme une
na'ive jouissance à voir passer la Xorine,
à suivre sa silhouette, à se i;riser de
son ombre. Pas plus qu'aux Gandin,
il n'osait lui parler. La vue seule de la
jeune femme suffisait à son exif,'cnce,
remettait en son être un peu de celte
félicité si désirée et enfuie.
Mais le Hasard — ce prodij^ieux dis-
pensalcui- des événements — le plaça
un jour en face de la Norine, et, hum-
blement, timidement, il éleva la \oix
])0ur implorer une grâce qui le montrait
ciiuj)able. .Agenouillé, dans l'attitude
d'un chien qui sollicite une cai-esse, à
la jeune femme, saisie de sa brusque
a|)parilion, il confessa le remords qui.
plus (pie son amour méprisé, peut-être,
endeuillait sa \\c.
— In grand crime est entre nous,
Norine, balbutia-1-il, et je suis un mi-
sérable. Je vous aimais avant Martial
liouteau et, poui' \ous soustraire à son
all'ection, la passion m'a rendu coupable.
Sachant qu'aucune médisance ne pou-
vait vous atteindre, jo n'ai jias reculé,
cependant, devant la lâcheté, l'igno-
minie dune lettre anonyme qui vous
accusait. Cette lettre, le brouillon de
celle lettre que mon étourderie laissa
subsister, Dieu, dans sa loute-puissante
justice, a \oulu le placer sous vos yeux,
pour mon châlimenl, alors que mon
ctcur, que mon âme s'ouvraient à des
délices. .Après avoir causé la mort d'un
ijinocent, celle lettre a failli vour ravii-
pour toujours à mes lendr-esses. ..
Tressaillante, la Norine écarla le
meunier el s'écria :
— f^hie parlez-vous de tendresses,
(piand \cius m'apparaissez, comme un
criminel que le bourreau guette...
— Je vous aimais, balbutia François.
\'iolenle. haineuse, elle l'aposlropha :
— Si je vous livrais à la justice? Si
pour l'expialion de \olre crime, je vous
dénonçais aux juges !
— Pardon! supplia le malheureux.
— Pardon... répéta la jeune femme,
avec ironie. — .\h, taisez-vous, car ce
mot, sur vos lèvres, est un blasphème.
Comme d e dégoù t, elle détourna la tel e.
Les bras tendus, la pensée moribonde,
François se leva, prêt à attirer à lui
celle qui l'outrageait, qui le repoussait
el que, dans son inconsciente passion,
il croyait pouvoir aimer encore, malgré
le morl (pii surgissait entre eux.
Mais, en cet instant, la Norine, les
ycnx dilatés, jcla une clameur d'épou-
vante.
Télé basse, le mufle lumant, la gé-
nisse de Martial se précipitait, beu-
glante, sur François Ramuche.
— Rli ben... eh ben, Jaunelle!...
hurla la Norine, angoissée, esquissant
des gestes vagues, désespéi-és.
I.A I.KTTIiK
I-e meunier, se i"etouiii:uit, eut une
exclamation de terreur.
Déjà, la vaclie élail sur lui, iHoullanl
sa plainte lamentable ; relevant la tête,
les cornes [jlonf^ces clans son ventre,
luissclante de sau}^, elle secoua le cor|)s
du malheureux comme un trophée
hij,'ul)rc et l'envoya roulersur la prairie.
I-a Norine, d'une pâleur de cii-c, de-
meurait hébétée.
l'n râle noiirnanl 1 arrarlia à sa tur-
rosc fraujifeait les lèvres du misérable
dont les yeux expirants imploraient
eni'iire.
Des champs voisins, des ^'ens, lénioiu-
im|)nissants de ce drame rapide, accou-
raient.
D une ihnie xuirde. la Norine s'af-
faissa; Ils mains jointes, le re};ard au
ciel, une ardente prière aux lèvres, elle
demandait à Dieu d'être indulgent à
l'homme sur lequel la .launctte \enait
de venger son maître.
I''mmanl'ei. (Vm.ms.
LES IVOIHKS 1)1' MUSKK DK CLUNV
Fig. 1. — Figure dite Panihee trouv
Allemagne en 1840 (iv« siècle).
La sculpture sur ivoire, clmit nous
nous [iroposons de suivre les diverses
manifestations à travers les siècles, en
prenant nos exemples dans la collection
du musée de Cluny, riche en spécimens
aussi remarquables sous le rapport de
l'art qu'au point de vue archéoloj^ique,
était pratiquée dès la plus liante anti-
quité. Dans Homère, les palais des rois
sont resplendissants d'ivoire et de mé-
taux précieux, le lit d'L'lysse et le trône
de Pénélope en sont incrustés, et Hé-
siode le met au nombre des matières
qui composent les reliefs du bouclier
d Hercule. Les sculpteurs grecs l'em-
ployaient dans la statuaire pour repré-
senter les [larties nues, alors que les
vêtements étaient en or ou en bronze.
Plusieurs statues colossales dont les
écrivains de l'antiquité nous ont laissé
de ])ompeuses descriptions, entre autres
la Minerve du Parthénon, qui n'avait
pas moins de 12 mètres de hauteur, et
le Jupiter d'Olympie, plus haute d'un
tiers environ et due, comme elle, au
ciseau de Phidias, étaient exécutées
ainsi. Malheureusement, il ne nous reste
rien de ces œuvres autrefois si célèbres,
dont la plupart furent sans doute dé-
truites sous Constantin lorsqu'il fit
briser les idoles, et si l'on en excepte
quelques petites pièces de peu d'impor-
tance provenant de l'ancienne Eg;yple,
les plus anciens monuments de la sculp-
ture sur ivoire qui sont arrivés jusqu'à
nous ne sont guère antérieurs à la
fin du iV ou au commencement du
v'" siècle.
Il est à présumer, cependant, que
deux des ivoires que possède le musée
de Cluny remontent à une époque un
peu plus reculée. Le plus impor-
m: s noiiiKs Df MisKi'; ni: clunv
lanl lif;. I I est une figui'C
en haut relief, de 0"\ ÎJ
de hauleui-, qui repré-
fcntc une femme debout,
tenant dans la main
droite un lonjî sceptre
terminé par un feuillajje,
cl, de la f,'^auche, élevant
une coupe; deux petils
ffénies ailés lui posent
une couronne sur la tète :
derrière elle, à ses pieds
chaussas de sandales, se
tiennent un satvre el un
enfant qui fait sonner
des clochettes ; elle e?l
vêtue d'une longue tu-
nique qui laisse à nu le
sein droit, et sa tèle est
couverte d'un voile qui
lui descend sur les bras.
11 est probable que cette
figure, trouvée en ISiii
en Allemagne avec deux
superbes têtes de lion-
en cristal de roche évi-
dées qui appartiennent
également au musée de
Cluny, provient d'un
siège d'apparat dont les
tètes de lions formaient
les pommeaux d'appui. Mais si l'on est
à peu près d'accord sur sa destination,
il n'en est pas de même de sa signifi-
cation. .Alors que Du Sommerard, dans
son catalogue, la désigne sous le nom
de « ligure pantliée », c'est-à-dire rén-
■'.ciH-'V^* —
Fif;. 2. — Feuillet d'un dip-
tyque du v siècle, ayant
pervî, avec le feuillet corres-
pondant, à fermer I:v châsse
de s.iint Cyriaque à l'abb-Tyc
de irontier-'-n-Dcr (Hautc-
Warne).
l'abbaye de Montier-en-
Der ( llaulc-Marne), fon-
dée vers (>7SI par saint
lîercaire. Ces deux ])la-
ques, que Bercaire avait
rapportées de l{ome avec
les reliques de saint
• ".yriaque, patriarche de
.lérusaleni. et de sainte
Ihéodose, avaient dis-
paru dans un incendie
(|ui détruisit la thâsse el
une partie de l'église, et
c'est en IH(i') seulement
qu'elles furent retrouvées
au fond d'un puits, à
-Montier-en-Der même,
t^elle que possède le
musée de C.luny, mal-
lioureusement très en-
dommagée, représente
une femme debout, in-
clinant des torches ren-
versées devant un autel
allumé, abriléparun pin
auquel sont suspendues
deux sonnettes ; sur la
seconde, qui est dans un
parfait état de conserva-
tion et que nous repro-
duisons (lig. i) d'après
un excellent moulage olTcrt ])ar la direc-
tion du musée de Kensinglon, une
femme, debout également, répand sur
un autel dressé devant un chêne, des
parfums que lui présente un enfant.
Toutes les deux sont cntoniées d'une
nissant en elle les attributs de plusieurs | bordure de palmettes et celle du musée
divinités, d'autres archéologues y ont i de Clunv conserve une partie de sa mon-
vu une de ces personnifications de ville
ou de nation dont l'antiquité nous a
laissé plusieurs exemples. Malgré la
noblesse de l'attitude et le soin a\ec
lequel sont traitées les draperies, elle
marque une époque de décadence.
D'un art beaucoup plus éle\ é est la
belle pla(|ue qui, avec celle appartenant
aujourd'hui au musée de Kensinglon, à
Londres, fermait encore, au siècle der-
nier, nue grande et belle châsse dans
turc en argei\t estam|)é de llourettes.
Au-dessus des liuMires, sur chacune
des plaques, on lit dans un carlouche
les noms de deux i)uissantes familles de
Home, celle des .Nicomaques et celle
des Symmat|ues, dont plusieurs mem-
bres conlraetèrcnt des alliances, nolani-
ment à la lin du i\'' et lout an com-
mencement du V" siècle {-lOn. 11 semble
donc (|ue l'on ne puisse les faire remon-
ler au delà de celte époque; mai» en
Liis i\oini:s DU ml'ski: di; ci.i n^
se rame-
supposant même qu'elles aient été exé-
cutées ;i l'occasion d'un de ces deux ma-
riages, le grand slyle des ligures, la no-
blesso des altitudes, lélégance et la dis-
position des draperies dans lesquelles on
retrouve une tradition de l'art classique,
prouveraient qu'elles ont été copiées sur
des modèles de beaucoup antérieurs.
Mais, ce qui est hors de doute, c'est
(|ue, réunies autrefois, elles formaient
un i< diptyque ».
On nommait ainsi, dans l'antiquité,
deux tablettes de métal, de bois ou
d ivoire, qui, reliées ensemble par des
anneaux ou une charnière
naient, se pliaient lune
sur l'autre; les faces in-
térieures, enduites de
cire, étaient destinées à
recevoir l'empreinte du
« style ". C'était, en
réalité, une sorte de
carnet très simple qui
servait pour la corres-
pondance, la comptabi-
lité, etc.
Mais, à coté de ces
diptyques d'usage cou-
rant, la coutume s'éta-
blit, vers le v" siècle de
notre ère, de faire con-
fectionner des diptyques
de luxe, généralement eu
ivoire, rehaussés de
sculptures en relief et.
quelquefois, très riche-
ment montés en or, que
l'on oirrail en cadeaux à
l'occasion d un événe-
ment heureux dont on
voulait consacrer le sou-
venir, ("es diptyques
étaient de deux sortes :
les diptj'ques des parli-
culiers (c est à cette
classe qu'appartenait ce-
lui dont nous venons de
décrire les deux plaques ,
et les diptyques consu-
laires qui étaient envoyés
XIII. — 20.
Wi
Fit:. 3. — Fo ,
ii'Areobiudu>, '.onsul
tantinople en ôOfl.
par les consuls à leurs parents, à leurs
amis, à l'empereur même, le jour de leur
installation. Bien (jue marquant par leur
style et leur exécution, souvent lourde
et maladroite, uhe époque de décadence
artistique très prononcée, ces dipty-
ques dont on connaît actucllemenl
quatre- vingt-douze feuillets ou tablettes,
accouplés ou détachés, mutilés ou in-
tacts, sont précieux par les renseigne-
ments qu'ils nous donnent sur l'histoire
du Bas-Empire. Les plus intéressants
sont certainement ceux qui, comme la
feuille du diptyque consulaire que re
produit notre gravure (ig. .'i), repré-
sentent le consul rem-
plis.sant une des fonc-
tions les plus brillantes
de celte magistrature
toute d'apparal, celle où.
dans sa loge du cirque,
il préside un combat de
gladialeursou une course
de chars. Assis sur la
chaise curule — sella cu-
rults — ornée de grifTes
et de mulles de lions, il
tient dans la main droite
la mappa. sorte de litige
qui lui servait à donner
le signal, et, dans la
gauche, un sceptre ter-
miné par un aigle en-
touré d'une couronne de
lauriers, et surmonté de
limage de l'empereur
debout: derrière lui se
tiennent deux person-
nages imberbes : au-
dessous, est ligurée l'une
des tribunes du cirque
occupée pai- des person-
nages vus il mi-corps et
regardant dans l'arène
un combat degladiateui'S
contre des ours parmi
lesquels se trouvent un
cheval au galop et un
lion terrassant un tau-
reau ; à la partie snpé-
1)1 MLSi;fc: 1>E CI.INV
muâjX^m'mm^m
-i=^î -v^
H ^^^
"^l^iyt!'!''^^
d'un coffret italo-byzantin du viiH' ;ui I.\« sii-cle provenant (it- Vulterr.i
rieure, dans un carlouclie placé au-
dessus de l'arc en maçonnerie sous le-
quel se lient le consul, une inscription
qui complète celle qui se trouve sur le
premier feuillet de ce diptyque et qui
porte le nom de Flavius Arcobindus,
consul à Coustantinople en l'année 506.
Parmi les objets usuels, moins pré-
cieux au point de vue de l'histoire et
du costume aussi bien que de la ma-
tière, mais qui n'en olFrent pas moins
un assez grand intérêt, nous signalerons
un grand coffret qui faisait, il y a quel-
([ues années, partie de la célèbre collec-
tion Spilzer. Ces sortes de coffrets
composés de plaques d'os assemblées au
moyen de chevilles, ou simplement col-
lées sur un bâti en bois, devaient être
d'un usage assez commun aux \m'' et
IV'' siècles; la matière, en tout cas,
prouverait que ce n'était pas des objets
de grand luxe et la décoration en est
généralement peu variée. De forme rec-
tangulaire, ils étaient, soit à couvercle en
dos d'âne, avec serrure placée à la partie
antérieure, soit à couvercle plat fermant
il coulisse comme celui que nous repré-
sentons (fig. i), et qui est certainement
un des pins importants de ce gciu-e.
Sur le couvercle, dans une bande bordée
d'un chapelet de perles, on voit repré-
senté un combat entre des fantassins et
<las cavaliers dont plusicin's. d'a|u-cs
leurs costumes, sont vraisemblablement
des Sarrasins ; sur les côtés, composés
de plaques rectangulaires, on reconnaît
Hercule portant la peau du lion de
Némée, des combattants du cirque el
des belluaires terrassés par des bêtes
féroces. Tous ces sujets empruntés évi-
demment à des
scènes d'hip-
podrome, sont
entourés de
frises décorées
de rosaces al-
ternant avec
des têtes de
profil. Ce col-
fret dont l'exé-
cution prouve
une certaine
habileté de
main.maisqni
dénote cepei.-
dant un arl de
décadence,
f)rovenait de
N'ollerra el
semble être de
travail italo-
byzantin.
P a r mi le s
i voires d n
x" siècle est une phicpie lelèbn
fois publiée el sur la(|nelle o
^
Fig:. 5. — Plaque (couwr-
turc d'dvangOliairp ?) re-
pr&ontjnl le mariage
rt'Otlioii II. empereur
a'Occidcnt i'.tT;i-!i!<.'i) et
de Theoplwrio. fille de
Romain II. empereur
.l'Orient.
(len (les
a beau-
i,i;s iv()ii(i:> Dr miséh dk ci.i nv
coup écrit et longuement discuté fig. 3 .
De style absolument byzantin, cette
plaque, de 0'", H) de hauteur, représente
le mariage d'Othon 11, empereur d'Occi-
dent avec Theophano, fdle de Uomain II,
empereur d'(_)rienl, en U73. Debout sous
un édicule supporté [lar de grêles co-
Auguslus et TEOPIIANO IMP era-
IrixAr. Augustaj, eic, et, d'autre part,
l'incorrection de la date it37 qui peut
n'être due qu'à une interposition de
chiffres 973 . Quoi qu'il en soit, cette
plaque qui a probablement servi de
couverture à un évani^éiiaire. est d'un
.-< ./^.V^: ^^ ^_V>!tV^^^V--=A,^^^
— Châsse provenant du trésor de l'alibaye de Saint-ïved de Braisne-sur-Vesle i^xil'' siècle).
lonnes torses, le Christ couronne Othon
et Theophano, beaucoup plus petits que
lui, richement vêtus de dalmatiques
brodées, et se tenant à sa droite et à sa
gauche, debout sur des escabeaux moins
élevés que celui sur lequel se tient le
Sauveur; aux pieds de l'empereur est
prosterné un personnage barbu que l'on
croit être le donateur du bas-reliel". Ce
qui a surtout provoqué des discussions,
ce sont, d'une part, les inscriptions en
caractères moitié grecs et moitié latins :
OTTO LMP eraior lloM.A.\o;\"n) Ac.
beau caractère et peut être considérée
comme un des principaux monuments
de cette époque que possède le musée
de Cluny.
Pendant toute cette période, du reste,
les (cuvres des ivoiriers de l'empire
d'Occident ne sont pas très rares et le
musée de Cluny en possède plusieurs
que nous devons signaler. Telles sont,
entre autres, une \'ierge portant sur ses
genoux l'Enfant Jésus n" 1037:, travail
français du \'' siècle; un u tau » trouvé
dans le tombeau de Morard. abbé de
LES IVUIKKS 1)1 MUSKK DK (J.LN^
Sainl-Germain-des-Prés de ^191) à 101 i
n" 1047); deux plaques à douille face
représenlanl, d'un coté, des sujets my-
thologiques, et, de l'autre, des sujets
chrétiens (n"* lOil et 1042) et la curieuse
plaque de la Crucifixion, provenant de
la collection Spitzer, sur laquelle on
voit le Christ imberbe vêtu d'une
lon;;ue tunique et attaché sur une croix
au bas de laquelle se trouvent la \'ier;;o
et saint Jean, ainsi que les saintes
Femmes au tombeau ; au-dessus, dans
l'angle de droite, l'artiste a représenté
Tiiptyque pioveuant de Saint-Sn'pice iT.in.) (xiv< fiicle).
I Ascension, dans celui de gauche le
C.hrisl c( de majesté » entouré des atlri-
iiuts des quatre évangélisles.
A dater du vu" siècle, les ivoires dc-
\icnnent moins rares et la France, là
encore, commence à aflii-mcr sa supé-
riorité. Ce n'est pas à dire, cependant,
qu'il faille attribuer à des sculpteurs
français tous les monuments de ce genre
recueillis en France; beaucoup, certai-
nement, venaient d'Orient, mais une
grande incertitude règne encore à cet
égard. C'est ainsi que l'origine de la
belle châsse provenant de l'ancien tré-
soi- de l'abbaye de Saint-^'ved de Braisne-
sur-\'esle, dans l'arrondissement de
Soissons, considérée juscju'à présent
comme travail français, a été derniè-
rement contestée. Nous laissons aux
archéologues le
soin de détermi-
ner si, comme on
l'a avance, elle
doit être altri
buée à un atelier
de Conslantino-
ple qui envovail
SCS produits dans
toute la chrétien-
lé, ou si elle est
réellement fran-
çaise, nous bor-
nant, dans ce ra-
pide examen, à
décrire celle belle
])ièce du style
roman le plus
pur fig. 6). Lon-
gue de (I"'.:î6, la
châsse de sainl
'^'ved en forme
de coffret rectan-
gulaire à couver-
cle en loil, est
décorée sur ses
faces de qua-
rante-deux ligu-
res en relief pla-
cées sous des ar-
cades que sou-
tiennent dos pilastres à bases et à cha-
piteaux cl ((lie séparent tles petites
tours crénelées. Au centre de la face
principale, sous la serrure, on voit un
ange aile qui lienl un encensoir de la
main l'iiiicIic cM bruit de la droite; à
Li:S IVdlItKS 1>V MISK1-; l)K C.l.l'NV
<lioile sont hi Vierge et riinfaiit Jésus,
saint Joseph el saint Siméonetà f;auche
les trois rois mages, (laspard (dont l'ar-
liste a écrit le nom Gkspas), Halthazar
el Melchior, portant les présents desti-
nés au Fils de Dieu. Sur la l'ace oppo-
sée, le Christ occupe la place du milieu :
sa tête est ceinte du diadème : d une
main, il tient le livre des Evangiles et.
de l'autre, il bénit le monde. A ses cotés
ainsi qu'aux deu\ extrémités de la
châsse sont figurés ses apôtres et ses
<lisciples, portant chacun, au-dessus
«l'eux, son nom gravé en creux. Le cou-
vercle est décoré, sur les deux faces, des
figures des prophètes et des rois, et sur
les côtés, de celles d'Adam et de Noé
entre l'ange Michel et l'ange (iabriel, et
(le Jonas et de Jessé entre l'ange Ché-
rubin et l'ange Raphaël; chacun de ces
personnages porte une banderole ;i son
nom. Ce beau reliquaire, déposé dans
l,i chapelle sépulcrale de l'abbé Harthé-
lemv quand elle fut détruite en I7il.'{,
ciintenait les reliques de saint Harnahé.
de saint Lucas el de saint Xicaise, était
ibrt vénéré des populations.
.\ux xin'', XIV'' et xv* siècles, l'art des
ivoiriers, surtout en France, a produit
de véritables merveilles. Les tableaux
en ivoire ornent les oratoires et les cha-
pelles particulières. C'est l'époque des
diptyques et des triptyques dans les-
quels l'architecture domine avec toute
sa richesse et sa belle ordonnance, for-
mant un cadre monumental aux sujets
représentés et les coordonnant pour
ainsi dire. Le musée de Cluny possède
on ce genre plusieurs spécimens pré-
cieux, dont le plus délicat comme tra-
vail et le plus remarquable au point de
vue de l'art provient de Saint-Sulpice
Tarn , et qui représente, comme la plu-
part des petits monuments semblables
de cette époque, des scènes empruntées
à la naissance et à la Passion du Christ
lig. 7 . Ces sortes de triptyques, dési-
gnés au moyen âge sous le nom de
'. tableaux cloants » (ou, simplement,
• cloants " , désignation absolument ou-
bliée aujourd'hui, étaient souvent re-
haussés de couleur et d'oi-.
Les tableaux en ivoire qui décoraient
les chapelles n'étaient pas toujours on
Fig. 8. — La Vierge portant l'Enfant Jésius
Ivoire françî^s, xiv siècle. (Haut. 0",50.)
forme de triptyques ou de diptyques ;
parfois c'étaient de véritables tableaux,
sortes de retables, comme ceux qui sont
inscrits au musée de Cluny sous les
n"* 1079 et 1080 et qui ne mesurent
l.liS I\(ill!l-.
Ml SEK 1)1-: I.I.IN^
Fi^r. ',». — I.:i Vierge port:mt l'Enfant Jésus.
Ivoire français (lin du XIV» siècle).
|iii~ moins de l"',3H sur 0"',(i(l. (les
<leii\ luljleaiix, désignés sous le nom
(I ' ' )r;i luirv.i de.i dackessex de Bourijor/nc,
|iri>viennenl de l'ancienne Chnrlreusc
de Dijon. Ils représentent, en quinze
sujets, l'un, dos scène.s de hi vie de
saint .lean, l'iuilre, la vie et la Pas-
sion (in (>lirist. Dans les rej^istrcs de
l'ancienne Chartreuse, déposés aujom--
d'Iuii aux archives de la (!ole-d'(,)r,
■ in trouve, à la date de l'M'2, la nien-
liiin suivante : ■■ Pavé .JOO livres à
lierthelot-lléliot, varlet de chambre du
(lue, pour deux f;ranl tableaux à yniaiges
d'ivoire, dont l'un d'iceulx est la Pas-
sion de Xolre-Seiifiieui et l'aullre, In
Vie de monsieur Satnt-Jean-Bapliste,
<|ui les a vendus pour les Chartreux... »
(Juni que I on en ait dit, llélnil n'était
lii. — .Sainte Catlicvine. Ivoire fiaui;.'
(xv« siècle).
certainement que le \e
l'auteur de ces tableaux
travail italien.
ndenr et non
IVOIliKS DU MISK1-; DK CI.LNV
Avec les tableaux des chii-
pelles et des oratoires, ce
qui domine dans les œuvres
des ivoiriers des xin" au
w'' siècles, ce sont les repré-
sentations de la N'ierye,
debout ou assise, tenant
l'Enfant .lésus dans ses
bras. Le musée de Cluny
est particulièrement riche
de ces iigurines, les unes
conservant l'attitude simple,
roide et, pour ainsi dire,
hiératique des sculptures
de l'époque romane, les au-
tres, accusant, surtout à
dater du milieu du xiv" siè-
cle, une sorte" de natura-
lisme qui était poussé par-
fois jusqu'à un réalisme un
peu maniéré lit;. 9 . Parmi
les plus remarquables, nous
citerons surtout la Vierge
assise sur un siège d'archi-
tecture gothique, bel ivoire
rehaussé de fleurons et de
bordures dorées n " 1061 , et
la grande statuette, malheu-
reusement mutilée n" 10S7
que reproduit notre gra-
vure .fig. 8 et qui ne me-
sure pas moins de 0"',50.
Les figures de saints et de
saintes sont beaucoup plus
rares; l'une des plus belles
et des plus intéressantes de
cette série est certainement
la Sainte Catherine fig. 10 .
que possède également le
musée de Cluny. .\ssise sur
un siège délicatement
sculpté à jour, la sainte,
dont la figure est douce et
souriante, est vêtue d'une
longue robe recouverte d'un
manteau qu une agrafe rat-
tache sur la poitrine; elle
foule aux pieds une figure
d'empereur et montre du doigt la roue , Les draperies, d'une gran<le élé^^ance.
dentée, instrument de son martvre. 1 sont traitées avec une science et une
Fig. 11. — Crosse à lioable face, représentant, d'un cù
Vierge et l'Enfant Jésus entre les anges, et de l'autre le
Christ en croix entre Marie et saint Jean (fin dn xiv« siècle).
Monture en cuivre doré du xv^ siècle.
i.KS i\oiui:s DU Ml' SKI'; ui-: ci.i'w
liabiletii que l'on rencontre rarement
dans les travaux des ivoiriers de celte
époque.
Certaines pièces <Ui niol)ilicr des
l'fîlises étaient égalenieiil en ivoire; do
Fig. 12. — Boite h miroir décorée de sujets tirés de.s romau,^
de chevalerie .iver figures chimériques formant angles
(xv« siècle).
te nombre étaient souvent les crosses
et les bâtons pastoraux d évoques ou
d'abbés. Outre le lati trouvé dans la
tombe de Morard. abbé de Saint-(îer-
inain-des-Frés, le musée de Cluny en
possède un autre n" 1058 , en buis et en
ivoire, enrichi de pierreries, composé
d'une tifje d'ivoire surmontée d'un cha-
piteau couronné par un lion en ronde
bosse; le sujet principal, en ivoire éga-
lement, représente t|uatre personna^^es,
dont l'un en costume épiscopal donne
la consécration à un abbi' ajfenouillé
devant lui ; une inscrii)tion latine est
découpée en beau\ caractères du temps
sur les rondelles de la tige. .\ coté de ce
monument si remarquable du \ni'' siècle,
le musée possède aussi deux belles crosses,
dont l'une (n" I0()7, (ig. 1 1 !, du xn'siècle,
est à double face; on v voit, d'un côté,
la \'ierge et l'Enfant Jésus entre les
anges, et, de l'autre, le ('hrist en croix
entre Marie et saint Jean; l'enroule-
ment, formé par une branche de feuilles
de lierre, est soutenu par un ange en ado-
ration ; c-etle belle crosse a
conservé sa monture en cui-
vre doré datant du siècle sui-
vant.
I, 'ivoire servait aussi à
1 xéculer des objets purement
civils. De ce nombre étaient
les troussequins de selles,
dont le Louvre possède un
lemarquable et rarissime spé-
cimen, autrefois dans la col-
lection Spiizer, elles olifants,
sortes de cornes de grande
dimension, garnies de viroles
de métal pour les suspendre
au côté. L'olifant, marque
distinctive de commandement
ou de dignité, servait à don-
ner des signaux, à annoncer
l'approche de l'ennemi, à ral-
lier les troupes :
Un^ olifant sonna, se.-* gens vers M
Et leur dit: séguoz moi... [ralic
[Gérard de Itoussillon,
poème du xni« siècle).
Les olifants étaient richement décorés
de sculptures représentant le plus sou-
\enl des chasses. Us sont assez rares et
Fig. 13. — Peigne & double face, repré.'<entanl.
d'un côte V Annonciation, et de l'autre VAdora-
lion des mages. Travail italien (?) — (xv«s.).
LK
I VII 11! V.
1)1- MisKi-: i)i; c.i.rw
313
peu de musées en possèdent; quelques
• trésors » d"églises en oui conservé
qui avaient été probablemenl donnés
comme ex-voto.
Ce que l'on trouve plu^ fréquemment,
ce sont les boites
colTrets, les tablettes à écrire, composées
tle deux, et quelquefois de plusieurs
feuillets réunis ci leur partie su])érieure
par une lige métallique formant pivot
el cieu-^és avec un rebord, de façon ;i
de miroirs; jus-
<pi à la lin du
\\ " siècle l'usage
élait, pour les
daines, de porter
jiendus à la cein-
ture, de petits
miroirs composés
d'une plaque de
métal poli enfer-
nii'c dans une
boile d'ivoire, de
bois de poirier,
el, quelquefois,
tl or ou d'argent ;
sur l'une des faces
était fixée la pla-
que de mêlai ;
l'autre formait le
cou\ercle(lig.I2i.
<^es boîtes étaient
j;énéralemeni dé-
corées de sculp-
tures en relief
assez largement
traitéesetbien in-
férieures comme
art et comme exé-
cution à celles
des ivoires a su-
jets religieux. Ces
sculiitures repré-
sentaient le plus
souvent des scè-
nes empruntées
aux romans de
chevalerie , des
i-lievauchées, ou
des jeunes gens des deu\ sexes s'em-
brassant ou se couronnant de Heurs ;
un sujel que les ivoiriers paraissent avoir
alfectionné est 1' » .Allaqiie du château
<r.Amour défendu par des demoiselles >■.
1! convient de citer également, outre les
Fig.
Ketable en fuimo de tii]it_vque. Travail italien dit citti
(xve siècle).
I recevoir une couche de cire destinée à
I récriture n" 1 lO.'?), les styles à écrire
n" l(l()8i, les manches de couteaux
in"'- Ill'J, ll'27i, les pièces de jeux
d'échecs, les pendants de ceintures et
les peignes. Ces derniers étaient de
ELS 1\0I1(1,S m MLSKK DK Cl. IN'»
Fif.'. 15.— L:ï Vierge et lEnfnnt J.'Sii'i fwi'^ ....
Inrinc l'cclangulaire, à deux r;iiif(s do
(loiits, les unes fines, les autres grosses,
sépai'és par une frise sculptée sur les
deux faces, et portaient aux extrémités
deux montants verticaux le longdesquels
se déroulent des tiges de fleurs. D'un
relief très peu accentué, ces peignes sont,
le plus souvent, d'un travail très mé-
diocre et les sujets qu'ils représentent
sont peu variés, si l'on en juge par le
peigne du musée de Cluny (ig. I.'iet
par celui du musée du Louvre }i" l.'^n .
Tous les deux rej)roduispnl, d'un n'ili'.
\'A(J(ir;iliiin des rois, et, do I aulri',
l'Aiiiiiiiici.iliiin; le fond est j;udlocii('-.
Ils datent du w siècle et sont vrai-
semblablement de travail italien.
1,'arL des ivoiriers, du reste, paraît
avoir été en pleine décadence en Italie
à celte époque: il présente cependant
un caractère particulier qu'il im|)orte
de signaler, ..c'est l'cncadremenl des
sujets sculptés sur ivoire, ou le plus
souvent sur os, dans des borilurcs
rehaussées d incrustations polychromes
de bois et d'ivoire, formant ainsi une
marqueterie à laquelle on a donné le
nom de cerlosina — ■ alla ccrtosina •• —
l'^ig. lii. — l'oiie il l'oiulic (pnlfi'riit) en coiiv
lepiùiseiitaut la Conversion de fuinl /'a«/
(xvr sioole).
(|ui indique (|ue ce travail avait pris
naissance ou se faisait surtout dans des
couvents de ( '.harlicus . I.e retable, on
IVulIiKS Dr MISKK DK (".I.LN'»
fiirme «le Iriplvque, que reproduit uotre
i;r;ivure lif;. I i , nialf,'rr sa belle onlon-
uauci', ue donne pas une bien liante
idée du talent des artistes qui l'ont exé-
cuté. L'extérieur des volets est décoré
de lilets peints et d'écussons armoriés.
Mais les moines navaienl pas le mo-
nopole exclusif de ce travail de marque-
terie cl le nombi-e assez considérable de
colFrets du même f,'enre, à sujets variés
et, souvent, très profanes, qui sont par-
venus jusqu'à nous, prouve que la cerlv-
■sina se faisait également en dehors fies
cou\ents. Le musée de Cluny possède
])lusieurs de ces coll'rets dont un, de
forme octogonale 'n" l(l.">(i , représente
plusieurs scènes d'un roman de chevale-
rie rappelant l'histoiie de la con(|uêti'
de la Toison d'or; peut-être même est-ce
le mvthe de Jason que l'artiste a voulu
traduire, bien que les personnages por-
tent le costume de la lin du xn' ou du
I •immencement du xv" siècle.
A dater du xvi'^ siècle, la sculpture
sur ivoire, aussi bien en France qu'à
l'étranger, est de peu de valeur et
de\ienl un métier; la facture dénote
toujours une grande habileté de main,
mais tout caractère d'art a générale-
ment disparu. L'ivoire semble n'avoir
plus été beaucoup à la mode et les
objets en cette matière qui sont par-
venus jusqu'à nous, à lexception des
crucilix qui avaient remplacé les vier^s
si recherchées et si communes aux
siècles précédents, et de c(uelques pièces
([ue nous signalerons plus loin, sont
tous d usage courant. Du xm'' siècle, ce
que nos musées possèdent ce sont, sur-
tout, les poires à pondre pnivérins en
ciirne de cerfs et couvei-ts le plus son-
\ ent de sujets à nombreux personnages.
(]clui (|ue représente notre gravure
llg. 1(> , bifurqué à sa partie inférieure
et ayant conservé sa monture en métal,
est orné, en plein, d'un bas-relief repré-
sentant la conversion de saint Paul et
portant linscription : Saule, saule, quid
me persequens? Domine quid me vis
facere ? La collection du musée de
Fig. 17. — Groupe représentant la Vertu châtiant
le Vice (?), attribué à Jean de Bologne fcom-
meueement du xvii° sièclel.
("luny compte plusieurs autres objets
semblables, mais celui que nous repro-
duisons est certainement le plus remar-
quable de cette série.
Nous nous bornerons à signaler les
objets de moindre importance, malgré
l'intérêt que beaucoup d'entre eux pré-
sentent aux visiteurs, statuettes, râpes
I.ICS IVollîK
iir \irsi:K i>i-: ci.r.w
;i tabac, chausse-pieds,
manches de ouleaux,
<lrageoirs, etc., poui'
nous arrêter à quelques
pièces plus sérieuses en
tête desquelles nous
mentionnerons surtout
un fjroupe d'une belle
l'acture {i\g. 17 j repré-
sentant une jeune
l'cmme frappant un
esclave af^enouillé, ou,
d'après la désignation
jiortée au catain^'ue
in°\\\^\,La Vertu chA-
liaril le Vice. Si l'on
peut admettre cette dé-
siffnation, il n'en est
j)as (le même de l'at-
tribution qui en a été
faite par Du Somnie-
rard à Jean de Holojj^ne.
11 existe évidemment
une certaine ressem-
blance de style entre
les jietits bronzes con-
nus de ce célèbre sculp-
teur et le f;rnupe du
musée de Cluny, mais
lien ne jïrouve que,
ni lui, ni son élève
l'ranclievillelautpiel on
l'a éL,'alenienl attribué,
sculpté l'ivoii-c.
P.ir ciuitix-, Il semble qu'il ne |)uisse
\ avoir aucun doute pour la charmante
ligurine (lîf;. 1,S) — que le catalogue
désigne, à tort, croyons-nous, sous le
nom de V/nsouciance dit jeune Age —
donnée à Duquesnoy, plus connu sous
If nnm de François Flamand, qui tra-
vaillait I ivoire aussi bien que le marbre,
vl dans la([uellc on retrouve toutes les
.^. l^i. — h' /iisûitciancc dn jeune à(/f
figurine par Duquesnoy. dit Fran
çois Flamand i.wn" siùcle^.
aient jamais
qualités de grâce et de
liiiesse (lu modelé qui
distinguent les œuvres
de cet artiste, non plus
que pour l'attribution à
son compatriote, Gé-
rard van Opslal ou
Obstal, d'Anvers, qui,
ainsi (|ue lui, se fit
d'abord une certaine
réputation comme
sculpteur sur ivoire,
du beau bas-relief re-
présentant une <i femme
trayant une chèvre que
tiennent des enfants»,
(cuvre du plus pur style
llaniand.
Nous avons cherché,
dans les pages précé-
dentes, à étudier les
diverses séries qui com-
posent la riche collec-
tion des ivoires du mu-
sée de (iluny et à si-
gnaler plus particuliè-
rement les a-uvres les
plus importantes au
jioint de vue de l'art
ou de l'histoire. Il est certainement
-^ en dehors môme du Louvre — des
musées qui possèdent des ix-uvres de
plus grande rareté et de plus haute
valeur, mais il n'en est pas tpii puissent
en offrir un ensemble aussi complet et
aussi intéressant pour h^ public aussi
bien que pour les érudits et les artistes.
Imku' \n\> (i \ I! M I n.
ONSTRUCTION t) ' U N PONT DE II A TE A I\
PONTS MILITAI UKS
Le passage des cours d'eau a l'ait
1 objet, de tous temps, d'une des prin-
cipales préoccupalions des techniciens ;
ils se sont elForcés de surmonter un
obstacle qui s'oppose ;\ la marche et aux
manœuvres des troupes, car le premier
soin de la défensive est de détruire les
ponts fixes pour entraver la poursuite,
et, aujourd'hui surtout, cette destruc-
lion est grandement facilitée par les
nouveaux explosifs.
L'armée possède des équipages de
]ionts qui se composent de bateaux ou
de pontons transportés sur des baquets;
lorsqu'on les a mis à l'eau, on jette de
l'un à l'autre un tablier qui les réunit
tout en maintenant entre eux un certain
écartement ; ils constituent en quelque
sorte des piles de ponts flottantes.
Il existe plusieurs méthodes pour
construire les ponts de bateaux. Le plus
simple est de procéder par bateaux suc-
cessifs. On amène les bateaux un à un
à la place qu'ils doivent occuper dans
l'axe du pont que l'on veut jeter d'une
rive à l'autre cl (jn les y maintient fixes
au moyen d ancres mouillées en amonl
ou en aval et de cordes Iraversières atta-
chées à des piquets d'amarrage enfoncés
sur le rivage; on construit les travées en
plaçant des poutrelles entre la rive et
le premier bateau, puis entre tous les
bateaux et on achève le tablier avec dos
madriers.
Ce pont est facile à
construire, même par des
homme- peu exerces Les
f; L É M E X T e E ' L' N PONT DE BATEAUX
l'ONTS Ml I.IIA I 1! i;
^^^3^^
I, ANl E VEN T IM I.
\ I r.s 1 o\ n' I N I .)\ T II ^ ii \T F \ i \
]i(iutouniers ne mettent que Iruis mi-
nutes pour faire une travée et une heure
pour jeter un pont do 100 mètres. En
commençant le pont par les deux rives,
on l'achève encore plus rapidement. Mais
cette méthode devient difticile et dan-
};ereuse quand l'ennemi occupe la rive
opposée.
Quelquelois les liateaux sont joints
par deux ou par trois; ils constituent
ainsi ce que l'on appelle une portière.
Les portières sont mises en place comme
dans la méthode précédente et réunies
entre elles et avec les rives par des tra-
vées. On met généralement entre les
porlières un écartement de six mètres :
cette méthode abrège la mise en i)lace.
Quand on procède par conversion, on
construit le ])ont on entier le long do la
rive en amont du point où le cours d'oaii
doit être traversé ; la tète du poni est
solidement lixée à un piquet enfoncé
dans la terre du rixage, et l'autre extré-
milécst poussée au courant qui oniraine
le pont tout d'uno pièce dans un majes-
tueux mouvement de conversion jusqu'à
ce que le dernier bateau s'arrête auprès
de la rive opposée. Si le pont a clé bien
construit, son extrémité doit loucher la
rive, à quelques mètres près. On jette un
tabliei- entre le dernier bateau et la rive,
on resserre toutes les attaches pour assu-
rer la rigidité et le |)ont est prêt.
Cette méthode permet de mettre le
pont de bateaux en place en quelques
minutes ; mais elle est délicate à em-
plciyer, surtout si le courant est rapide;
elle demande un ]iersonnel exercé.
On doit ralentir le mouvement do
conversion au moyen do cordages main-
tenus de la rivo et que l'on amarre
solidement lorsque lo pont est jeté, afin
d'éviter (|u'il no soit dol'ormo ou cn-
Ir.iiné |uir le courant.
I,:i conversion peut être om])loyée
avec |)ro(it lors(pio l'onnenii oci'upe la
rive opposée.
I.os ponis (il' bateaux pormelloni do
l'ONTS Mll.n AlltKS
franchir presque tous les cours d'eau el
peuvent donner passajje ;i toutes les
amies.
Quand, j)ar suite de circonstances spé-
ciales ou par défaut du matériel, il nesl
pas possible de construire des ponts de
l)aleaux, on a recours aux ponts de che-
\alels. Ils sont faciles à établir dans les
cours d'eau d'une profondeur maximum
de 3'", 50 et dont le courant ne dépasse
pas r".30 à "i mètres par seconde.
La construction d'un pont de cheva-
lets est, en ()rincipe, une chose très
simple. Les chevalets sont placés de
distance en distance en travers du cours
d'eau au point oii il doit être franchi,
et des planches, jetées de l'un à l'autre,
forment le tablier du pont. L écarte-
nient entre les chevalets dépend de la
longueur des planches dont on dispose
et de la charge qu'elles doivent supjjor-
ler. Pour les mettre en place, il existe
diverses méthodes : la plus employée
est celle dite des ■■ lon^rines ■■. Deux
I des rouleaux. I^e chevalet est placé sur
leur extrémité, du côté du large : des
équipes de pontonniers, les manœuvrant
! par l'autre bout, les poussent en avant
j et portent ainsi le chevalet à la dis-
I tance voulue. On descend celui-ci dans
j l'eau el on l'installe dans une |josition
convenable en soulevant la queue des
longrines. Des poutrelles sont ensuite
placées sur la partie supérieure (le cha-
peau) des deux derniers che\alets et le
' tablier est posé sur ces poutrelle^.
En campagne, c'est surtout en faisant
mettre les hommes à l'eau qu'on les place
le plus rapidement.
L'établissement d'un pont de cheva-
lets demande que le profil transversal
des cours d'eau soit reconnu au j)réa-
lable par des sondages, et les che\ alets
doivent être pour ainsi dire construits
sur mesure. Souvent ils ne possèdent
pas un aplomb suffisant avec un lit de
rivière qui peut présenter des dénivel-
lations, et, durant le passage, si le fond
m^.^^
i-mnt be chevalets
longrines ou i)oulrelles de S à 9 mètres
de longueur sont disposées de part et
tl'autre de l'axe du pont sur la partie
déjà posée du tablier: elles reposent sur
est inégalement résistant, les pieds s en-
foncent inégalement et jiroduiscnt des
déformations du tablier entraînant ipiel-
(juefois la mise hors de service du pont.
l'oNTS MILIT.\IHF>
L'emploi du chevalet Birago remédie
en partie à ces iiiconvéïiienl!'. li se com-
pose d'un chapeau percé à ses deux
exlrémilés de deux mortaises inclinées
dans lesquelles on enfonce les pieds jus-
i|u"ù ce qu'ils appuient sur le fond. Des
cliaînes de suspension, coiffant l'extré-
mité supérieure des pieds, les réunissent
peuvent s'allonger ou se raccourcir ii
volonté, suivant les besoins, el il csl
également possible de varier leur incli-
naison. Enlin, ils se posent immédialc-
menl d'aplomb en épousant toutes les
dénivellations du lit de la rivière.
Les ponis de bateaux ou de cheva-
lets, lorsqii lis sont bien construits, soiil
KT A BI, ISSEMEXÏ D'i'.V PONT DE «HEVALK. TS
MÉTHODE DES L O .V 11 II I X E .<
invariablement au chapeau. Cette dis-
position permet de ponter le chevalet à
des hauteurs variables et de l'asseoir
convenablement en enfonçant jusqu'à
refus les pieds dans leur mortaise. L'as-
siette des pieds est encore augmentée
par l'emploi de semelles. Alin de main-
tenir longitudinalemenl la stabilité du
poni, les poutrelles jetées sur les che-
valets pour recevoir le tablier sont mu-
nies de grilfes empêchant le renverse-
ment de ces supports.
Le chevalet Birago n'oppose au cou-
rant qu'un pied étroit dans le sens
transversal, mais il a l'inconvénient de
n'avoir |)ar lui-même aucune stabilité et
d'exiger l'emploi de poutrelles à grilfes.
Dernièrement, M. Pfund a perfec-
tionné ces ponIs en faisant construire
des chevalels en acier creux très légers,
cl, par conséquent, facilement trans-
porlables ; les pieds son! cuticules; ils
toujours suflisanls pour permettre à
l'infanterie, à la cavalerie, à l'artillerie
et au train, avec ses plus lourdes voi-
tures, de traverser la plupart des cours
d'eau. Mais lorsqu'il s'agit de rétablir
une voie ferrée, le pont, pour qu'il
puisse supporter l'énorme charge d'un
train, doit nécessairement posséder une
solidité plus grande encore.
On se sert alors des ponts en fer ou
en acier composés de pièces démon-
tables qui s'assemblent par tronçons.
Il en existe divers types.
Mais chaque corps d'armée ne possé-
dant (|u'un équipage de pont, le nombre
de ces équipages est bien insufiisant
pour répondre aux exigences dos im-
menses elfeclifs des armées modernes.
Déjà leur absence a été cause d'acci-
dents déplorables : « Si, le 2() jan-
vier IHl f, écrit le duc de Feltre, j'avais
eu un e(|uipage de ponIs et dix pon-
PONTS MII.ITAIIIKS
Ions, la guerre sérail
linie et l'armée de
Sclnvarzeniberg n'cxis-
lerail plus, je lui aurais
[)ris huit ou dix mille
voitures et battu son
armée en détail; mais,
à défaut de bateaux, je
nai pas pu passer la
Seine, où il aurait fallu
i|ue je puisse la passer
à volonté. »
Le général Clarke dit
de même : « Si j'avais
eu un équipage de
ponts à Mezy, l'armée
de Schwarzemberg eût
été détruite; et si j'en
avais eu un ce malin
(le "2 mars 1814 , l'armé
eût été perdue. »
On s'est donc préoccupé de recher-
cher des moyens permettant aux troupes
de franchir des cours d'eau en impro-
visant, avec leurs seules ressources, les
passerelles et les radeaux nécessaires,
sans avoir recours aux équipages des
corps d'armée, ceux-ci étant plus spé-
cialement réservés pour l'artillerie.
Le plus simple est de remplacer les
bateaux des équipages par des bateaux
de commerce ou de pêche réquisi-
tionnés dans la rivière qu'il s'agit de
franchir, mais ce moyen peut rarement
être employé, car l'ennemi a généra-
lement soin de détruire, sur une assez
grande longueur en amont et en aval,
les bateaux qui se trouvent dans le
de Hliicher
cours d'eau dont il défend le passage.
S'il est possible de trouver beaucoup
de bois sur les rives, on remplace les
bateaux par des radeaux faits avec des
troncs d'arbres, des solives de maisons,
des charpentes de toitures. Ln tablier
fait de poutrelles, de madriers et de
planches est jeté de l'un à l'autre
comme dans les ponts de bateaux. Pour
que le pont soit convenablement con-
struit, il faut donner aux radeaux de
bois une grande dimension, car, la
partie immergée étant peu épaisse, on
n'obtient une force de sustentation suf-
fisante qu'en augmentant la surface du
flottage. Quand on peut trouver des
tonneaux, on les ajoute aux radeaux
afin de leur donner plus de force. On
place ces radeaux aux points qu'ils doi-
/ !
rONT PFIND
PONTS MII.ITAIUKS
\cnt occuper, comme s'il s'agissait des
l)aleaux d'un pont.
Les ponts de circonstance autres que le
pont de chevalets sont assez nombreux :
Le pont de f^abions, qui sert à passer
les petits cours d'eau, les marais et les
fossés; on le forme avec des lits de ga-
bions et de fascines qui se construisent
aisément sur place. Il peut supporter
d'assez lourds fardeaux.
Les ponts de tonneaux, faits avec des
tonneaux réunis en radeaux au moyen
à ces câbles. Ce pont, à tablier horizon-
tal, est préférable au précédent.
De nombreuses expériences de con-
struction de ponts par des hommes non
exercés et avec des matériaux trouvés
sur les rivages ont été faites au cours
de ces dernières années, et l'on a re-
connu que l'établissement d'un pont,
passerelle ou radeau improvisé ou de
fortune, |)our franchir une rivière de
largeur moyenne dont le courant n'est
pas trop rapide, est une opération beau-
Ù£:^^lm
DE T 0 N N E A r X
de châssis plus ou moins compliqués.
( In recouvre ces radeaux de madriers
joignant les deux rives comme on ferait
pour un pont de bateaux.
Les ponts de cordages, qui servent
pour les ravins, les torrents, les rivières
très encaissées.
Ces derniers sont de deux sortes. Le
pont sur cliuinelle, dans lequel le tablier
|)orte directement sur deux câbles
tondus d'une rive à l'autre; ce pont
oscille beaucoup et ne peut servir (pic
pour l'infanterie. Le pont suspenduou
xar paralxile, dans lequel le tablier est
suspendu ii doux câbles tendus au moyen
(le potences établies sur les deux rives,
par l'interniédiaire d ordonnées en
cordes, coiislituaiit des liranls, fixées
coup plus facile qu'on ne le
it. Des fantassins
ou des cavaliers peuvxnt
être transformés en assez
bons pontonniers.
.Vux dernières grandes
manœuvres, on construisit
une passerelle sur fermes
en perches assez élégante et d'une so-
lidité suffisante pour que l'artillerie put
y passer. Sur chaque rive on forma les
cadres en reliant solidement les per-
ches; on- les dressa en les maintenant
avec des cordes et ou les laissa s'in-
cliner peu à peu l'un vers l'autre, au-
dessus (lu cours d'eau, jus(pr;i ce qu'ils
se fussent rencontrés arc-boutés par
leur sommet ; on les attacha et on com-
pléta le pont par des traverses et des
tirants soutenant le tablier.
I)'excellentes passerelles peuvent être
construites avec les matériaux les plus
rudinientaires (pii se trouvent dans tous
les villages ; ([uehpies tonneaux, quel-
ques échelles, des |)lanclies, des per-
ches, des volets de fenêtres, des claies
1>()NTS M I I 11 \ 1 1! i:S
'S
rONT Sl'P, FERMES EN PEUCHES
di- jardin, des échalas, des râteliers
d'éetiries et toutes matières, en un mot,
susceptibles de llotter.
On remplace quelquefois les ton-
neaux, dont l'assemblage en radeaux
est assez long, par des outres, ])ar des
ballons en étoile imperméable gonflés
d'air.
On établit aussi des ponts avec les
sacs à distribution ou à fourrage en
toile imperméable des corps de troupe.
On les remplit de paille ou de toute
autre matière légère, on les ligature for-
tement et on les met à l'eau où ils rem-
plissent parfaitement l'office de ton-
neaux. Chaque sac peut supporter
5(1 kilogrammes. On place ces sacs con-
jointement et parallèlement au courant,
on les attache à une échelle que l'on
recouvre de planches, et on a ainsi une
travée de passerelle suffisamment solide.
Ou bien on en forme des radeaux
qui remplissent le même office que les
bateaux d'un pont de bateaux; chacun
d'eux se compose de huit sacs, |)lus
deux sacs aux ailes, réunis par une
perche et constituant balancier. Ces
sacs sont amarrés entre eux et avec des
madriers qui les embrassent dessus et
dessous; d'autres madriers réunissent
les radeaux; des cordes, disposées eu
croix, sont tendues du balancier d'un
radeau au balancier du suivant et con-
stituent des contreventements. Si le cou-
rant est fort, on amarre la passerelle en
divers points à une corde, dite cinque-
nelle, tendue d'un bord à l'autre, où à
des ancres de fortune mouillées en
amont.
La Corrèze, large de 30 mètres, fut
franchie récemment sur une passerelle
de sacs ; les voitures passèrent sur un
Trftvés Chevalets. Sacs,
Tonneaux. Sacs a fonrraire. Pont de bateaax.
PONT IMPROVISÉ
gonflées. Tonne;
l'ONTS MILITA 111 ES
radeau agencé de la mêmi' lavon. La
construction du loul dura une lieui-e
trois quarts, et refTecliC d'un régiment
traversa la rivière en moins d'une heure.
Pour une passerelle de 100 mètres, il
faut deux cents sacs, et 100 hommes met-
tront une à deux heures pour la con-
struire et pour la lancer, suivant les
circonstances plus ou moins favorables.
La .Meuse, large de 75 mètres, l'ut
l'ranchio en une demi-heure par le
•J.")'" chasseurs sur une passerelle de sacs
établie en moins de deux heures.
Les r;ideatix-.sacs du capitaine llabert
sont basés sur le même principe. Le sac
en toile, qui pèse i à f) kilogrammes sui-
vant le type, est porté roulé sous la selle
nu en sautoii-; il est pourvu d'anneaux
sur I1111I son pourtour-, ce qui perniel
d en assembler plu-
sieurs. On le bouri'c
de matériaux lé-
gers, tels que ro-
seaux, feuillages,
etc. On le met en
mouvement soit à
l'aide d'un va-ct-
vienl, soit avec des
rames improvisées
on une perche ser-
vant de gatfe.
Le radeau peut
porter, suivant le
type et l'arme, i.
3 ou G hommes.
On augmente sa
stabilité en accou-
plant deux sacs:
en cet étal il s'est
montré inchavira-
ble même sur la
Durance avec un
courant de 4 mè-
tres par seconde.
■ a pu, avec un seul radeau.
c par le 3'^ hussards. Avec
IX accolés, un bataillon du
jne a franchi la Marne en
\ingt-deux minutes.
Ces mêmes radeaux triplés peuvent
transborder une voiture vide de compa-
gnie ; il faut quatre radeaux juxtaposes
pour une voilure chargée ou un canon.
\,o capitaine Neller a imaginé une
passerelle portative fort légère, qui a
été employée au Tonkin ; elle est faite
de bambous fendus en quatre, servant à
constituer la trame d'une sorte de tissu
analogue à certains stores qui ne peu-
vent s'enrouler que d'un côté, la chaîne
est formée jjar une vingtaine de fils
de fer. C'est une véritable toile d'un
mètre de large et de dix mètres de long,
qui forme un élément de passerelle.
On peut réunir trois de ces éléments,
ce qui donne à la passerelle une portée
tie 30 mètres, l'n élément pèse .'{0 kilo-
grammes : il peut s'enrouler pour le
transport, et, dans cet état, il n'est pas
.Mii.iTAii:i:
|ilus ^Tos qu'un fagot. Celle passerelle,
(|iii peul être très rapidement mise en
plaue, supporte un poiils de 500 kiln-
f;rammes.
Enlin, l'ingéniosité des officiers dé-
couvre tous les jours de nouveaux dis-
positifs, comme ce pont de montagne
dont nous donnons un croquis plus
l'xpiicatif que des phrases.
I, Oder a été franchi, l'an dernier, par
iMi régiment d'artillerie allemand, dont
le matériel était rendu flottant par le
procédé suivant : à l'essieu de chacune
des roues des pièces et des caissons on
avait assujetti trois tonneau.v vides; un
tonneau vide était également assujetti à
l'extrémité du timon. L'arrangement
avait été fait à la caserne de telle façon
qu il n empêchait pas le roulement.
.\u bord du fleuve, les chevaux furent
dételés, les caissons et les canons pous-
sés dans l'eau par les canonniers. Grâce
aux tonneaux vides, ils flottèrent, et des
iiommes, montés par groupes de cinq sur
des pontons, les remorquèrent à l'aide
d'amarres jusqu'il la rive opposée on ils
furent hissés par des équipes, l.e harna-
chement fut transporté dans des bateaux
el les chevaux passèrent à la nage, tenus
à l'aide de licols par des conducteurs
embarqués sur des pontons.
Chaque régiment de cavalerie de 1 ar-
mée allemande a été récemment doté
d'un équipage de ponts très légers que
l'on transporte sur une voiture à six che-
vaux ; il se compose de deux bateaux
pliants pouvant se diviser en trois par-
ties étanches : deux becs el un entre-
deux, qui se replient à la façon des
girandoles et qui, dans cet étal, olf'rent
un très petit volume. Ces trois parties,
développées el assemblées boni à bout
à l'aide de quelques rivets, forment un
bateau de 6'", 50 de longueur, 1"',50 de
largeur et 0™,60 de creux. En même
temps que ces bateaux on transporte,
pour former le tablier du pont, des
planches de 4 mètres de long et 1 mètre
de large. On peiît, avec ce matériel,
jeter très rapidement un pont large de
1 mètre et long de "20, reposant sur
quatre supports flottants : les quatre
becs réunis deux par deux et les deux
entre-deux, ou bien un pont large tle
3 mètres et long de 8 mètres seulement,
praticable aux trois armes. iMilin, on
peut former un radeau capable de por-
ter un ])oids de 2 750 kilogrammes, soit
quati-e chevaux el une pièce, avec un
avant-train chargé ou une trentaine de
fantassins sans sac.
Les .-Mlemands, qui étudient avec un
soin particulier cette question du pas-
sage des cours d'eau ])ar les troupes,
ont terminé récemment une séiie d'ex-
périences, qui ont très bien réussi, dont
le but était de faire traverser par Tin-
i'anlerie des rivières Âe toutes largeurs
en utilisant des bateaux construits avec
les toiles de tentes portées par les
hommes.
C I, l': M E N T C A s Cl A M .
L'intersigne de la Bague d'argent
Ucux jours après ses accordaillcs
l.e syndic dit à Yann-Yvon :
•» Mon gars, il faut que tu t'en ailles
Dès demain rejoindre à Toulop.
« Oui, qui, cela ne te va guère;
Mais l'Etat veut tous nos garçons,
Car on parle encore de guerre
Avec nos amis les Saxons.
« Oh! je sais pourquoi tu te troubles
Mon Yann allait se marier!
Bah ! tu mettras les baisers doubles
Ouand tu reviendras timonier!... »
Il fallut donc, coûte que coûte,
Le lendemain quitter Port-Blanc...
Et Vann-Yvon se mit en route
Dans la voiture au vieu.x Rolland.
Une fillette était assise
Entre le voiturier et lui :
C'était Jeannette, sa promise,
Oui pleurait tout dou.x et sans bruit.
Elle avait voulu le conduire
Jusqu'en g:ire de l'Iouaret,
Et, tout le long, sans lui lien dire.
Elle pleurait! elle pleurait!
.\h ! le triste, triste voyage!
Oh ! les tristes, tristes amants !
.•\vant même le mariage
(."onin)en(,aient déjà les tourments!...
Enfin, la rustique chanetlt.'
.\tteint I.annion: le gabier
Dit à son conducteur : « Arrête
Dev.int Prigent le bijoutier. »
lù le voil.à qui vite, \itc,
Souiiant ilun air engageant.
Descend sa .leannctle cl l'invite
.V choisir un anneau d'ari;ent :
« Pour moi, je veux, je vous le jui
Vivre et mourir en vous aimant.
Que maudit soit donc le parjure
Qui manquerait à son serment ! •>•
Et Jeanne, soudainement blême,
Baisa la bague par trois fois,
Murmura : « J'en jure de même !
Et lit un grand signe de croix...
...